Déclaration de M. Olivier Becht, ministre chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur le commerce extérieur de la France et la politique commerciale de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 24 mai 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Olivier Becht - Ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Sur l'exercice 2022, nous enregistrons un déficit record, de 164 milliards d'euros. Ce doublement par rapport à 2021 est en quasi-totalité imputable à la facture énergétique. De fait, l'an dernier, la plupart de nos réacteurs nucléaires étaient à l'arrêt : il fallait non seulement rattraper les deux années de maintenance non effectuée durant la crise du Covid mais des fissures dans une douzaine de réacteurs nécessitaient également des travaux lourds. Il a donc fallu importer plus d'énergie que par le passé ; or ces importations ont eu lieu alors que les prix avaient doublé, voire triplé du fait du choc énergétique provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et dans un contexte de dépréciation de l'euro de 10 à 15 % par rapport au dollar. Cette balance énergétique a entraîné la balance commerciale dans un déficit considérable.

Au sein de ce déficit, 80 milliards sont structurels, en partie liés à la désindustrialisation de notre pays au cours des trente dernières années. Nous sommes en train d'inverser la tendance, avec davantage d'implantations que de fermetures d'usines - le solde est positif d'environ 300 usines - et la création d'emplois industriels. Cela nous permettra de ne plus importer certains biens, et même de recommencer à les exporter. L'autre partie de ce déficit structurel est liée à la faiblesse de nos petites et moyennes entreprises (PME) à l'exportation. Même si les chiffres s'améliorent, le nombre des entreprises exportatrices étant passé de 125.000 à 145.000 en moins de cinq ans, ils restent inférieurs à ceux de nos partenaires italiens et allemands et nous disposons de marges de progression. La première ministre présentera prochainement le plan "export", conformément à la feuille de route des 100 jours que s'est fixée le Gouvernement.

Malgré ce déficit de la balance des biens, des sources de satisfaction existent. La balance des services enregistre un excédent record d'un peu plus de 50 milliards d'euros, dont une partie est structurelle, liée au tourisme qui retrouve certains de ses niveaux d'avant la crise du Covid. La balance des services financiers s'améliore de 9 milliards d'euros. C'est une bonne nouvelle, qui passe souvent inaperçue. Elle témoigne du fait que la place de Paris a détrôné la City de Londres pour devenir la première place financière d'Europe, notamment pour le marché des capitaux. Cette évolution se confirme, avec le rapatriement de grandes banques et de salles de marché qui opéraient depuis Londres.

Quant aux bonnes performances des transports, elles sont en partie conjoncturelles, liées à la hausse du prix des conteneurs après la crise du Covid. Toutefois, les résultats de l'un des fleurons mondiaux qu'est l'entreprise française CMA-CGM risquent de refluer dans les prochaines années, en fonction du prix des conteneurs, qui a déjà baissé.

Des sources de satisfaction existent aussi dans la balance des biens. Ainsi, les exportations de produits agricoles ont crû de près de 37 % et les exportations automobiles ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019. Même s'il reste une marge de progression dans l'aéronautique, les traditionnels champions de l'export ont tous enregistré des excédents : 23,5 milliards dans l'aéronautique, 2 milliards dans les parfums et 15 milliards dans les cosmétiques.

Enfin, comme nous l'avions annoncé, le déficit énergétique commence à reculer avec le retour à des niveaux de prix de marché d'avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En parallèle, notre parc de centrales nucléaires remonte en puissance. Nous n'avons plus besoin d'importer autant d'énergie, notamment électrique, que l'an dernier.

En somme, le déficit commercial conjoncturel s'effacera de lui-même avec le reflux des prix de l'énergie, et le déficit structurel doit être attaqué par la réindustrialisassions, ainsi que par le portage de nos PME à l'exportation.

J'en viens au Conseil des ministres de l'Union européenne consacré au commerce. Le premier point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et les États-Unis et les négociations autour de l'IRA. La task force a avancé dans plusieurs domaines, comme celui des voitures en leasing, dans lesquels les conditions seraient les mêmes que pour les entreprises américaines. Nous pourrions également signer un accord - qui ne serait pas un accord de libre-échange - relatif aux minéraux critiques qui composent les batteries, dans une vision stratégique commune. Pour autant, la loi votée par le Congrès laisse peu de marges d'interprétation à l'administration américaine dans le cadre de l'executive power du président des États-Unis : l'administration ne pourra pas changer la loi et il est illusoire d'imaginer que le Congrès modifiera de lui-même l'IRA. L'Union européenne doit donc s'organiser et réagir. Plusieurs textes permettront de maintenir la compétitivité européenne dans les domaines concernés, comme le Green Deal Industrial Plan, le Critical Raw Materials Act ou encore le Chips Act.

Vous le savez, l'argent est le nerf de la guerre. En l'occurrence, l'Union européenne a déjà engagé, notamment au travers des plans de relance, 550 milliards d'euros : c'est plus que les 369 milliards de dollars investis par les États-Unis dans l'IRA. En France, qui plus est, des instruments permettent de surabonder certaines enveloppes. C'est le cas du plan France 2030, d'un montant colossal de 54 milliards d'euros. Nous parviendrons à maintenir l'attractivité de notre pays pour les grands investissements dans les énergies renouvelables et dans la transition énergétique. Je pense aux annonces de la semaine dernière lors du sommet Choose France, en particulier concernant l'implantation de ProLogium à Dunkerque. Si nous n'avions pas eu la capacité d'attirer ces projets, ils seraient partis ailleurs. Nous attendons de nouveaux crédits de l'Union européenne mais force est de constater que nous ne sommes pas démunis face aux États-Unis.

Le deuxième point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et la Chine. Ce pays est à la fois un partenaire, un compétiteur et un rival systémique de la France et de l'Union européenne. Nous attendons que celle-ci crée des instruments permettant de maintenir une concurrence loyale sur les marchés. Nous serons donc vigilants quant au dumping qui pourrait être effectué, aux subventions qui pourraient être allouées à certaines entreprises et qui fausseraient la compétitivité-prix des produits chinois, ainsi qu'à la coercition que la Chine peut exercer sur certains pays. Plusieurs instruments existent déjà, comme les mesures anti-dumping, et d'autres seront progressivement instaurés, comme l'instrument anti-subventions ou l'instrument anti-coercition qui a fait l'objet d'un accord en trilogue et dont nous attendons l'adoption rapide.

Le troisième point porte sur la réforme de l'OMC. Lors de la douzième conférence ministérielle (MC12), en 2021, plusieurs avancées avaient été enregistrées. Je pense notamment à l'accord de lutte contre la pêche illégale et à d'autres, que nous souhaitons voir signer. Nous souhaitons aussi entamer les discussions relatives aux surcapacités de pêche et les voir aboutir lors de la MC13, à l'instar des accords visant à la protection des ressources. S'agissant de la réforme de l'organe de règlement des différends et de l'organe d'appel de l'OMC, des discussions sont en cours et plusieurs sujets ont été mis sur la table par les Américains. La France insiste pour que l'Union européenne incite ses partenaires à définir une organisation permettant de sanctionner les acteurs qui ne respectent pas les règles du jeu. Nous sommes convaincus de l'intérêt de maintenir un multilatéralisme et des règles du jeu pour le commerce mondial. Ne soyons pas naïfs : sans une OMC fonctionnant correctement, la loi du plus fort s'appliquera, au détriment d'un certain nombre de nos intérêts commerciaux. Mais ne soyons pas les seuls à continuer à appliquer les règles du jeu ! Nous avons une discussion assez franche avec nos amis chinois et américains à ce sujet. La manière dont les Chinois sur-subventionnent certaines de leurs industries et celle dont les États-Unis ont instauré l'IRA, dont 200 milliards ne respectent pas les règles de l'OMC, sont des sources d'inquiétude. Il ne faudrait pas que l'Union européenne soit le dernier grand acteur à respecter les règles du commerce mondial. Un moment de vérité doit voir le jour à l'OMC, pour que celle-ci soit réformée et continue à fonctionner et pour que les règles du jeu que nous nous sommes fixées continuent à s'appliquer.

Le dernier point est celui des accords commerciaux. Le Conseil devrait autoriser la signature de l'accord avec la Nouvelle-Zélande en juin. Cet accord révolutionne la politique commerciale, avec l'accord de Paris comme clause essentielle, le règlement visant à enrayer la déforestation, la protection de la biodiversité ou encore les accords de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants. Cette nouvelle politique commerciale remet l'humain et la planète en son coeur, tout en se dotant de mécanismes de sanction permettant de faire tomber les accords commerciaux en cas de non-respect.

Un instrument additionnel devrait être intégré au projet d'accord avec le Chili, qui avait été négocié avant celui avec la Nouvelle-Zélande, pour illustrer la nouvelle approche de la Commission européenne en matière de protection de l'humain et de la planète. Cet accord est également indispensable pour permettre à l'Europe de disposer de lithium pour ses batteries, puisque le Chili concentre 40 % des réserves mondiales.

Les négociations avec l'Australie avancent. Nous sommes très offensifs sur le volet agricole - la filière porcine nous y pousse - et nous avons des intérêts en matière de minéraux critiques.

Des discussions, plus compliquées, sont en cours avec l'Inde et l'Indonésie. Je ne suis pas certain qu'elles seront conclues d'ici à la fin d'année. Plusieurs points nécessitent encore d'être soulevés et dépassés, comme le contentieux relatif à l'huile de palme avec l'Indonésie.

Enfin, je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'aborder, lors de nos échanges, le sujet du Mercosur.

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R - Merci de souligner que les chiffres s'améliorent et qu'un plus grand nombre de PME s'engagent dans l'exportation. Pour autant, ce nombre reste insuffisant, comparé à ceux de nos voisins. L'accompagnement constitue le cœur de notre réponse au défi de l'exportation de nos PME. De fait, entre 80 et 90 % des entreprises accompagnées se maintiennent durablement à l'export, contre 40 % des entreprises non accompagnées. Tous les ans, 30.000 entreprises partent à l'exportation mais ne s'y maintiennent pas l'année suivante. Or il suffirait que, chaque année, la moitié d'entre elles y parvienne pour atteindre le chiffre de 200.000 entreprises exportatrices d'ici à 2030.

Cet accompagnement est la mission de la Team France Export (TFE), constituée de Business France, de Bpifrance, des chambres de commerce et d'industrie, des régions, des conseillers du commerce extérieur et de l'OSCI, la fédération des sociétés privées dédiées au développement international des entreprises. Il concerne à 90 % des PME. Les mesures que nous annoncerons, avec la première ministre et le Gouvernement, viseront à mieux les accompagner, notamment dans les salons et dans les foires, en leur procurant des ressources humaines et en leur proposant du mentorat, mais aussi en effectuant du porte-à-porte pour diffuser une culture de l'export.

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R - Nous pouvons nous retrouver sur un point : durant des décennies, la politique commerciale européenne a peut-être été trop souple vis-à-vis du dumping qui pouvait s'exercer sur les plans sanitaire, environnemental et social. C'est la raison pour laquelle nous menons, depuis la présidence française de l'Union européenne de l'année dernière, une véritable révolution visant à réintroduire dans la politique commerciale la protection de l'humain et de la planète, mais aussi de la santé du consommateur, de l'environnement et des normes sociales. Cette révolution est permise par l'intégration de l'accord de Paris comme clause essentielle, des accords de l'OIT et des mesures miroirs qui consistent à imposer aux producteurs étrangers les mêmes normes que celles que nous imposons à nos propres producteurs, pour favoriser une concurrence loyale.

La différence entre vous et nous, c'est que vous pensez que l'on protégerait le pays en instaurant des murailles pour empêcher les produits des autres pays d'y entrer. Mais ces mêmes murailles empêcheraient nos propres produits de sortir. Or nombre d'entreprises françaises sont des champions à l'international. Si des murailles empêchaient leurs produits de sortir, 4 millions d'emplois disparaîtraient du jour au lendemain.

Nous pouvons construire des traités de commerce équitable et loyal, en particulier grâce aux mesures miroirs. J'en veux pour preuve le CETA - l'Accord économique et commercial global -, qui profite à l'agriculture française et a fait progresser les exportations de 30 %. Je sais que cela fait mal à tous ceux qui affirmaient que l'inverse se produirait mais nous exportons trois fois plus de bœuf français au Canada que nous n'importons de bœuf canadien en France. Cet accord est loyal et comporte des mesures miroirs. Sur ce modèle, nous pourrons construire de nouveaux accords favorables à notre agriculture, à nos producteurs et à notre économie.

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R - Je m'inscris en faux contre deux de vos affirmations. D'abord, vous dites que nous n'avons pas de taxe carbone aux frontières. Si : nous sommes en train d'instaurer le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui a précisément cette vocation. Ensuite, vous indiquez que nous ne consacrons pas un euro à la transition énergétique, contrairement aux États-Unis à travers l'IRA. Si : l'Union européenne s'y engage massivement, dans ses plans de relance d'un montant total de 550 milliards d'euros dont une partie va à cette transition. En France, la moitié des 54 milliards d'euros du plan France 2030 est consacrée à la décarbonation de notre industrie. Nous investissons donc massivement, comme les États-Unis, dans la transition énergétique et environnementale.

Concernant l'attractivité, la France a enregistré 1.259 projets d'investissements étrangers l'année dernière. Les vingt-huit grands projets annoncés lors du sommet Choose France, à Versailles, créeront 8.000 emplois. À Dunkerque, la seule usine de batteries ProLogium créera 3.000 emplois. Faut-il dire aux salariés qui les occuperont qu'il ne fallait pas accepter cet investissement et accueillir des entreprises étrangères en France ?

Nous avons une différence conceptuelle de taille. Votre projet est de faire de la France un grand Venezuela. Ce modèle ne nous fait pas rêver ! Nous pensons qu'il est possible de réindustrialiser la France. Nous ne partageons pas le programme de La France insoumise. Aux paroles, nous préférons les actes : 300 usines ouvrent, des milliers d'emplois industriels sont créés et le chômage n'a jamais été aussi bas depuis près de quarante ans. Le Gouvernement prend le taureau par les cornes et réindustrialise le pays en assurant, en parallèle, la transition énergétique.

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R - La France compte 145.000 entreprises exportatrices, contre 125.000 il y a cinq ans. J'estime que cela reste insuffisant et que nous pouvons faire beaucoup mieux : c'est la raison pour laquelle nous annoncerons un plan "export", avec des mesures d'accompagnement humain. La stratégie de Roubaix a déjà permis de coordonner les acteurs, d'accompagner les entreprises et de faire croître de 20.000 le nombre d'entreprises exportatrices. L'objectif est d'engager des mesures additionnelles qui permettront de compter 190.000 voire 200.000 entreprises exportatrices d'ici à 2030. Y parvenir requiert avant tout un accompagnement humain ; il ne suffit pas d'ajouter des milliards aux milliards.

Par ailleurs, l'Union européenne a radicalement changé de position quant à sa capacité à intervenir dans l'économie. Au cours de la crise du Covid, un plan de relance de 750 milliards d'euros a été engagé pour soutenir nos entreprises, avec un endettement commun que l'Europe s'était toujours refusée à accepter. Cela n'a été fait nulle part ailleurs dans le monde. En France aussi, nous avons protégé les entreprises et les citoyens de façon inédite. Nous sommes aux côtés des entreprises pour investir dans la transition, avec un plan France 2030 doté de 54 milliards d'euros. Les instruments et les opérateurs sont là. L'argent est sur la table, tant au niveau de l'Union européenne qu'à celui de l'État. Nous n'avons rien à envier aux États-Unis ou à la Chine.

Nous devons faire en sorte que l'Union européenne soit ferme, au travers de ses dispositifs, pour que la concurrence reste loyale entre les différentes parties du monde. Je le dirai demain à Bruxelles, comme je l'ai dit lors des précédents conseils des ministres de l'Union européenne.

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R - L'Union européenne soutient, par ses investissements stratégiques, une politique de souveraineté stratégique dans plusieurs domaines. Le Critical Raw Materials Act et le Chips Act sont respectivement consacrés aux minéraux critiques et aux microprocesseurs, deux secteurs dans lesquels il est impératif que nous dispositions de capacités souveraines de production et d'approvisionnement.

Certains minéraux critiques, indispensables à la construction de batteries, ne se trouvent pas en Europe, d'où l'importance des traités de commerce qui nous permettent d'y avoir un accès direct. Sans batteries, il n'y aura pas de voitures électriques, donc pas de transition énergétique. Il importe de le rappeler, notamment à ceux qui s'opposent aux traités de commerce.

S'agissant des microprocesseurs, l'alliance entre STMicroelectronics et GlobalFoundries a permis d'investir 5,3 milliards d'euros dans la construction d'une nouvelle usine de production à Crolles. Pour ceux qui ne voient pas l'intérêt de ces microprocesseurs, je rappelle qu'une voiture normale en dénombre 3.000 aujourd'hui et qu'une voiture électrique en comptera 7.000 demain. Ces composants ne concernent pas seulement les téléphones portables et les outils de communication : nous en aurons besoin sur le plan industriel. Aussi investissons-nous massivement, avec des fonds français mais aussi européens, pour bâtir cette industrie. Le plan France 2030 consacre 5 milliards d'euros à ce secteur stratégique, dont 800 millions sont dédiés à la recherche et au développement de semi-conducteurs ultraminces, inférieurs à 10 nanomètres.

J'ajoute que nous devons nous montrer fermes quant à l'application du principe de réciprocité par nos partenaires. Nous ne pouvons pas être ouverts au monde si les autres n'ouvrent pas leurs marchés. Nous appliquerons ce principe de réciprocité de la manière la plus déterminée.

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R - Je m'inscris en faux contre vos propos concernant l'accord avec la Nouvelle-Zélande, que nous signerons probablement en juin. Cet accord de nouvelle génération protège l'humain et la planète comme jamais aucun accord de libre-échange ne l'a fait.

Je connais bien le dossier de l'atrazine pour avoir été maire d'une commune - dans laquelle je réside encore - dont l'eau a été polluée par cette substance durant des décennies. Le traité impose le même seuil de détection que celui que nous appliquons chez nous. En effet, même si l'atrazine est interdite en France, il en reste dans les sols, de même que ses molécules de décomposition telles que la déséthylatrazine. La règle est très stricte : la France n'importera pas de produits contenant de l'atrazine au-dessus de son seuil de détection. Je reçois tous les mois les filières agricoles au ministère et j'entends leurs craintes ; je leur demande de conduire une politique offensive, et pas seulement défensive. Nous sommes défensifs quand il faut l'être mais nous voulons aussi être offensifs. C'est d'ailleurs en ce sens que nous menons les négociations avec l'Australie concernant la filière porcine. En outre, force est de constater que les craintes ne se réalisent pas toujours. Je l'ai dit pour le CETA : alors qu'on nous affirmait qu'il était le "dernier clou enfoncé dans le cercueil de la filière bovine", nous exportons trois fois plus de viande bovine au Canada que nous n'importons de viande bovine canadienne. C'est une réalité. Cinq ans d'expérience nous permettent de le savoir.

S'agissant du Mercosur, la position de la France est très claire. Nous discutons avec ces pays depuis vingt ans, puisque le mandat de la Commission européenne date de 1999. La France attend que l'Europe rehausse ses ambitions vis-à-vis du Mercosur, en posant plusieurs conditions : inclure l'accord de Paris comme élément essentiel dans l'instrument additionnel ; modifier le chapitre consacré au commerce et au développement avant l'entrée en vigueur de l'accord, pour l'aligner avec nos plus hauts standards et prévoir des sanctions commerciales en cas de non-respect ; renforcer les mesures miroirs, ainsi que l'a annoncé le président de la République, pour protéger davantage nos producteurs contre une concurrence déloyale, qu'elle soit sanitaire, environnementale ou sociale. Ces conditions sont sur la table. Je les ai rappelées à plusieurs reprises au Conseil des ministres de l'Union européenne et je le referai lorsque nous discuterons de votre proposition de résolution la semaine prochaine.

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R - La zone indopacifique est stratégique pour la France, qui en fait partie puisque plus de 1,6 million de nos concitoyens vivent dans les territoires français de l'Indopacifique et que plus de 2 millions de Français résident dans les autres pays de la zone. C'est là que bat le coeur économique de la planète, probablement encore pour plusieurs années, et que vit une grande partie de l'humanité.

Pour autant, je ne pense pas que nous nous désintéressions de l'Amérique latine. Au contraire : un accord est en phase de signature avec le Chili, où je me rendrai, ainsi qu'au Brésil, pour entretenir le dialogue avec les communautés françaises et les autorités de ces pays. Un accord est également en discussion avec le Mexique. Nous sommes toujours en discussion avec les pays du Mercosur - certes, depuis vingt ans, mais cela montre que nous cherchons à entretenir des relations commerciales, avec une politique de commerce équitable et loyal.

Nous investissons également dans certains de ces pays, par exemple dans les minéraux en Argentine, où Eramet est en train de construire une mine, mais aussi dans le lithium au Chili et dans le smartfloor au Mexique. Nous entretenons ces relations stratégiques, qui vont dans le sens de la souveraineté européenne dans l'accès aux matières premières.

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R - Il n'est pas simple de répondre brièvement à toutes ces questions.

Concernant le Mercosur, personne n'a jamais dit que l'élection de M. Lula permettrait miraculeusement la signature de l'accord, même s'il est plus simple de discuter avec lui qu'avec M. Bolsonaro. Nos exigences restent rigoureusement les mêmes ; en revanche, nous ignorons si la position du Brésil changera. C'est le cas dans le discours mais il reste à savoir si cela se traduira dans les faits. Je rappelle que l'Union européenne a adopté un nouvel instrument, le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts, qui s'appliquera aux nouveaux traités de commerce, y compris à celui avec le Mercosur s'il devait être signé. Il est hors de question d'importer en Europe et en France des produits cultivés ou élevés dans des terres gagnées par la déforestation de l'Amazonie.

Nous investissons au Maroc. La France et l'Union européenne souhaitent continuer d'entretenir avec ce pays de bonnes relations, non seulement diplomatiques mais aussi commerciales.

La réindustrialisation est nécessaire pour lutter contre le déficit commercial. En effet, quand on n'a plus d'industrie, non seulement on est obligé d'importer les produits qu'on ne fabrique plus mais on ne peut plus non plus les exporter : c'est la double peine. La réindustrialisation est donc capable d'inverser, à terme, notre déficit commercial. Le plan France 2030 lui consacre 54 milliards d'euros.

Enfin, les territoires d'outre-mer ne sont pas oubliés, ni dans la réindustrialisation, ni dans le commerce international. J'étais en Nouvelle-Zélande il y a deux mois, avec des entreprises polynésiennes et néocalédoniennes, pour voir comment projeter ces dernières dans l'Indopacifique, afin que nos territoires ultramarins puissent s'enrichir et bénéficier du commerce international réalisé dans cette zone.

(…)

R - Ma réponse à votre interpellation sera d'abord politique. En matière de commerce et de relations extérieures, nous ne sommes d'accord sur rien, puisque votre stratégie consiste à isoler la France. Or les stratégies proposées par les souverainistes, de droite comme de gauche - généralement plutôt aux extrêmes -, entraîneraient la ruine de notre pays. Construire des murailles, c'est empêcher les produits des autres pays d'entrer mais aussi nos propres produits de sortir. Vous ne le dites jamais mais les entreprises qui exportent seraient ruinées par les mesures que vous proposez. L'accord avec la Nouvelle-Zélande sera profitable à la France. Vous citez les chiffres avancés par la filière ovine mais vous omettez de dire que les quotas de l'OMC concernant l'agneau - donc hors du traité avec la Nouvelle-Zélande - ne sont pas atteints par la France, pour des questions de diversification. Nous favorisons cette même diversification dans la filière porcine, afin que la Chine ne soit pas notre principal client. Ce faisant, les accords de commerce profitent à nos filières.

Nous sommes à la manœuvre pour découpler le prix de l'électricité de celui du gaz.

Des négociations sont en cours avec nos partenaires européens pour trouver une nouvelle formule de calcul. Nous avons bon espoir qu'elles aboutissent prochainement et que nous puissions offrir à nos consommateurs, qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers, un prix de l'électricité au plus proche du prix de production à l'unité marginale.

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R - Avec la Chine, nous ne menons pas une stratégie de découplage, à l'instar des États-Unis, mais plutôt une stratégie de de-risking. Cela signifie que nous souhaitons colocaliser certaines productions pour ne pas dépendre exclusivement de nos partenaires chinois.

Cette stratégie de de-risking implique des relocalisations, en France, d'entreprises stratégiques et souveraines, tandis que d'autres entreprises, moins stratégiques et moins souveraines, pourront être relocalisées ou colocalisées dans des territoires d'Asie centrale, de la zone indopacifique, d'Afrique et d'Amérique latine, où il existe souvent une main-d'œuvre qualifiée et abondante. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me rendrai au Brésil et au Chili dans quinze jours.

(…)

R - Le Gouvernement est solidaire avec les éleveurs dans le contexte d'épizootie qui frappe durement la filière volaille, que nous devons protéger face à cette terrible grippe aviaire. Nous le faisons à travers les mesures miroirs, en particulier l'interdiction d'importer des produits animaux ayant fait l'objet d'utilisation d'antibiotiques comme facteur de croissance, conformément au règlement européen adopté le 27 février dernier.

Nous sommes très attentifs à la situation ukrainienne et n'excluons pas d'activer, si cela s'avère nécessaire, les mêmes clauses de sauvegarde que la Pologne ou d'autres pays. Cela prouve que ces clauses sont utiles et fonctionnent quand on les applique.

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R - Nous devons effectivement inciter nos entreprises à participer à la reconstruction de l'Ukraine. Nous le faisons, par exemple, dans le cadre du salon qui s'est tenu à Varsovie et auquel plusieurs entreprises françaises étaient présentes. Nous avons nommé un nouveau directeur pays de Business France pour l'Ukraine et, en début d'année, le président de la République a nommé un envoyé spécial pour l'aide économique et la reconstruction de l'Ukraine, en la personne de Pierre Heilbronn. Nous réfléchissons à la question fondamentale des assurances et à la création d'un mécanisme permettant d'assurer les entreprises contre les risques liés à la guerre en cours sur le sol ukrainien.

Il est compliqué de modifier la couleur rouge de la carte de l'Ukraine sur le site internet du ministère : cela pourrait être interprété comme une incitation à se rendre dans ce pays pour des raisons touristiques, ce qui n'est pas possible compte tenu des risques actuels.

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R - Nos relations avec l'Australie ont souffert de l'affaire AUKUS mais le gouvernement australien qui avait pris cette décision a été lourdement battu dans les urnes et nous avons noué de très bonnes relations avec celui qui lui a succédé. Je me suis rendu en Australie et j'ai reçu mon homologue australien en France. Les négociations avec ce pays avancent bien. Comme je l'ai dit, nous poussons certains intérêts de manière offensive, en particulier pour la filière agricole ; j'ai parlé de la filière porcine mais je pense également à la filière charcuterie, qui souhaite s'implanter davantage en Australie. Nous poussons aussi l'industrie agroalimentaire et nous avons des intérêts stratégiques dans les minerais critiques afin d'alimenter notre propre transition énergétique.

Les négociations avancent. J'ignore si elles se concluront rapidement. Ce pourrait être le cas d'ici à la fin de l'année si le rythme est tenu. Trouver l'équilibre que nous recherchons serait une bonne nouvelle pour la France.

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R - Nous prêtons une grande attention aux voies du commerce mondial, lequel passe à 90 % par la mer. Les 10 % restants se font majoritairement par des transports terrestres, le ferroviaire étant alors privilégié par rapport à la voie routière. Il y a quinze jours, je me suis rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan, où j'ai pu étudier les questions relatives aux voies d'accès. Nous y travaillons avec nos partenaires. Je rappelle que cette difficulté, qui peut handicaper certaines entreprises dans l'acheminement de leurs matériels, a été créée par la Russie : c'est la Russie qui a envahi l'Ukraine et provoqué les sanctions. Couper des voies d'accès n'était pas une décision brutale de l'Union européenne. Nous espérons que la Russie mettra fin le plus rapidement possible au conflit, qu'elle se retirera de l'Ukraine et qu'elle restaurera la souveraineté territoriale intégrale de ce pays : cela permettra un rétablissement des voies de communication classiques.

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R - La France est favorable à ce que l'accord avec le Mercosur, qui n'est pas tout à fait de même nature que ceux que nous avons signés avec d'autres pays, fasse l'objet d'un vote des Parlements nationaux.

Concernant la réindustrialisation, nous sommes d'accord, pour une fois : c'est par la réindustrialisation qu'on importera moins et qu'on exportera plus. En rapatriant des usines en France et en Europe, nous serons moins dépendants de l'extérieur et nous pourrons produire et exporter des biens à l'étranger, comme nous le faisions avant les années 1990 durant lesquelles nous avons massivement désindustrialisé notre pays.

Lors de sa visite en Chine, le président de la République a rappelé au président Xi les positions défendues par la France. Il a également souhaité que nous puissions conserver notre partenariat économique tout en "dérisquant" ou en sécurisant certains approvisionnements par le rapatriement d'industries stratégiques en France. La crise du Covid a montré qu'on ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ce n'est pas une politique de défiance vis-à-vis de la Chine mais une politique de diversification de notre production et de nos approvisionnements.

(…)

R - Vous avez raison de rappeler que le CETA, à l'égard duquel beaucoup nourrissaient des doutes lors de sa ratification par l'Assemblée nationale, est un succès pour la France. Il a ainsi permis une augmentation de 30 % des exportations agricoles et de 37 % des exportations dans tous les domaines couverts par le traité. Nous avons donc beaucoup gagné à son application.

Par ailleurs, il est essentiel, quand on fixe des règles du jeu, que des instances puissent arbitrer en cas de non-respect des obligations de l'un ou l'autre des partenaires - ce qui n'est pas le cas. Nous gagnerions donc à ce que le tribunal des conflits prenne effet, comme nous gagnerions, au niveau mondial, au déblocage de l'organe d'appel de l'OMC et à la réforme de son organe de règlement des différends.

(…)

R - Je me réjouirais de la conclusion d'un contrat entre Alstom et Israël. Nous suivrons ce dossier comme le lait sur le feu.

Avec l'Italie, nous entretenons une relation ancienne, empreinte d'amitié et de solidarité, et fondée sur le respect mutuel entre nos pays et nos dirigeants. C'est l'esprit du traité du Quirinal, et c'est dans ce même esprit que je me rendrai à Rome, où je m'entretiendrai avec la communauté française. Je suis au courant des difficultés que vivent nos compatriotes retraités, ainsi que les plus démunis. Nous essaierons de travailler avec Bercy pour trouver une issue favorable à ce dossier.

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R - Vous avez raison, nous devons réformer l'OMC pour que chacun suive les mêmes règles du jeu et que, dans le cas contraire, des sanctions effectives puissent être prononcées par des organes de règlement des différends. C'est le cœur même de l'OMC, dont les règles sont favorables à un commerce équitable ; c'est dans ce cadre que nous avons signé un accord d'interdiction des subventions à la pêche illicite et que nous souhaitons agir contre la surpêche et les surcapacités. Si nous ne le faisons pas dans le cadre de l'OMC, nous ne le ferons nulle part.

Nous devons aussi nous prémunir contre des positions de dumping ou de subventions abusives. Pour ce faire, nous utilisons des instruments particuliers : anti-subventions, anti-dumping, anti-coercition. Pour protéger l'humain et la planète, nous cherchons aussi à empêcher le dumping social, environnemental et sanitaire à travers les mesures miroirs que nous imposons dans la législation européenne et qui s'appliquent à tous les acteurs, avec ou sans traité international.

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R - Il me semblait que pour M. Mélenchon, fondateur de La France insoumise, le Venezuela était un modèle à travers la révolution bolivarienne. C'est ce qu'il a toujours dit. Or, sous l'impulsion du président Chavez, la révolution bolivarienne a transformé le Venezuela, qui était l'un des pays les plus riches au monde, en l'un des pays les pauvres. Si vous avez changé de modèle, tant mieux !

Concernant les semi-conducteurs, nous devons, en Europe et particulièrement en France, garantir notre souveraineté dans la production de ces composants indispensables à l'ensemble de notre industrie. Les semi-conducteurs sont partout et l'on ne peut pas réindustrialiser le pays si on n'en produit pas. L'objectif, pour l'Europe, est de représenter au moins 20 % de la production mondiale. Pour y parvenir, nous ne devrons pas doubler mais tripler, voire quadrupler, notre production car la demande mondiale de semi-conducteurs augmentera de manière exponentielle. C'est la raison pour laquelle nous créons des gigafactories en Europe, notamment en France, avec STMicroelectronics et GlobalFoundries, ainsi que des entreprises de recherche et développement dans le domaine des semi-conducteurs.

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R - La France entend mener, avec ses partenaires européens, une révolution dans la politique commerciale pour intégrer dans les accords commerciaux la protection de l'environnement et de la biodiversité, ainsi que la protection sanitaire du consommateur. L'accord avec la Nouvelle-Zélande en est une première mouture. Nous le faisons aussi avec l'accord de Paris, avec le règlement visant à lutter contre la déforestation et avec les mesures miroirs que nous instaurons pour protéger la santé du consommateur et l'environnement. Nous cherchons également à protéger le bien-être animal.

J'étudierai avec plaisir la résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe que vous évoquez. Elle doit s'inscrire dans la réforme de l'OMC que nous souhaitons engager pour permettre la poursuite du multilatéralisme, avec la possibilité de sanctionner ceux qui ne respectent pas les règles du jeu.

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R - Nous avons été informés de ce problème et restons vigilants. Nous avons mobilisé près de 500 millions d'euros dans le cadre du plan France 2030, en complément des 300 millions déjà déployés par France Relance, pour augmenter la surface des forêts françaises et renforcer la compétitivité de l'industrie de transformation du bois.

Par ailleurs, l'accord de Paris est intégré comme clause essentielle des traités, conformément à la politique de l'Union européenne. Nous souhaitons également intégrer le règlement visant à lutter contre la déforestation que nous venons d'adopter. Voilà qui répondra aux objectifs de protection environnementale et de maintien de la compétitivité de nos filières.

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R - Il est fondamental que nous puissions conserver en Europe, et particulièrement en France, une souveraineté alimentaire qui nous évitera de dépendre, comme de nombreux pays, d'importations de produits agricoles. Il faut donc conserver les terres de culture et observer la pause normative demandée par le président de la République dans certaines réglementations environnementales. Je rappelle que l'Europe et la France, qui sur-transpose les directives européennes, ont les règles les plus ambitieuses et les plus exigeantes au monde. Nous devons faire en sorte que nos agriculteurs continuent de produire mais aussi de maintenir la productivité, c'est-à-dire le rendement des exploitations. C'est la raison pour laquelle nous veillons à ce qu'ils puissent conserver la surface agricole nécessaire pour poursuivre leurs cultures.

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R - L'Afrique est effectivement un continent stratégique pour la France en matière de commerce international ; notre objectif est d'y renforcer nos partenariats. Je me suis rendu au cours des derniers mois en Algérie, au Maroc, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Bénin, au Kenya et en Tanzanie car il ne faut pas négliger l'Afrique non francophone, en particulier l'Afrique anglophone, dont les pays représentent des parts de marché pour nos entreprises. Oui, nous cherchons à renforcer la présence des entreprises françaises en Afrique. Oui, nous cherchons à renforcer les échanges avec ces pays. Quand on parle de colocalisation dans la stratégie de de-risking, de nombreux pays africains peuvent accueillir des investissements pour améliorer la diversification des approvisionnements dans le cadre du commerce international.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2023