Interview de M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Info le 6 juin 2023, sur l'affaire du suicide de Lindsay et les "moyens supplémentaires" envisagés dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

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Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Elle est devenue le visage d'un fléau qui touche un élève sur dix ; Lindsay, 13 ans, a mis fin à ses jours le mois dernier dans le Pas-de-Calais après avoir été harcelée pendant des mois dans son collège et sur les réseaux sociaux. Bonjour Pap NDIAYE.

PAP NDIAYE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Ministre de l'Éducation nationale, vous avez reçu hier les parents de cette adolescente ; que leur avez-vous dit ?

PAP NDIAYE
Je leur ai dit d'abord évidemment mes condoléances et mon émotion. Et puis, je leur ai dit ce que l'Éducation nationale va faire pour lutter contre le harcèlement parce que nous devons monter en puissance sur cette question, nous devons accélérer ce que nous avons déjà commencé à faire. Il y a encore du chemin à faire à l'évidence car nous avons des drames dans l'Éducation nationale qui sont absolument intolérables et insupportables. Mais nous sommes en action et nous devons agir avec un certain nombre de mesure que je leur ai développé.

MARC FAUVELLE
Est-ce que vous leur avez présenté des excuses au nom de l'Éducation nationale pour ce qui s'est passé ?

PAP NDIAYE
Je leur ai dit qu'à l'évidence, c'était un échec collectif. Il y a deux enquêtes qui sont en cours ; une enquête judiciaire et une enquête administrative. Et à l'issue de cette enquête administrative, je prendrai des décisions qui s'imposent. Mais attendons bien sûr les conclusions de l'enquête administrative sans anticiper sur les responsabilités des uns et des autres.

MARC FAUVELLE
À l'issue de cette réunion avec vous, la mère de Lindsay a pris la parole.

INTERVENANTE, MÈRE DE LINDSAY
Moi, je ne l'ai pas trouvé sincère, en fait. J'attends que les choses bougent, j'attends de voir des actes. Moi, je voudrais que ma fille revienne aujourd'hui. Je pense que s'ils auraient été là avant, elle serait là, ma fille. Je ne comprends pas, on n'a pas été aidés à temps. Je me sens seule, pas aidée.

MARC FAUVELLE
Il y a une forme d'impuissance de l'Éducation nationale face à ces affaires, Pap NDIAYE ?

PAP NDIAYE
Non, ce n'est pas de l'impuissance. Il y a une prise de conscience depuis plusieurs années. Nous avons développé un dispositif ; le dispositif phare que nous avons généralisé à la rentrée dans toutes les écoles et dans tous les collèges, mais à l'évidence – et c'est un dispositif efficace, avec des élèves ambassadeurs qui permettent de détecter les situations, de prévenir et puis également de mettre en œuvre des solutions – mais à l'évidence, ça ne fonctionne pas comme il se doit dans tous les établissements. Et c'est justement l'objet…

MARC FAUVELLE
Dans le collège de Lindsay, le programme était en place mais les enseignants n'étaient pas encore formés, c'est ça ?

PAP NDIAYE
Le programme était en place. D'ailleurs, une des meneuses principales a été exclue définitivement du collège le 27 février dernier. Mais à l'évidence, il y a eu des dysfonctionnements, et c'est l'objet de l'enquête administrative que de nous éclairer là-dessus.

MARC FAUVELLE
Les syndicats affirment que ce plan, le fameux programme phare, se fait sans moyens supplémentaires. Est-ce que vous envisagez par exemple d'accorder des primes aux enseignants qui s'investissent plus particulièrement en faisant des heures sup, en travaillant plus contre le harcèlement ?

PAP NDIAYE
Nous allons mettre des moyens supplémentaires sur cette question, d'abord avec un référent harcèlement dans chaque établissement qui sera attaché aux chefs d'établissement. Donc il y aura des moyens financiers pour cela.

MARC FAUVELLE
Ce sera rémunéré ?

PAP NDIAYE
Ce sera rémunéré.

MARC FAUVELLE
En plus du salaire ?

PAP NDIAYE
En plus du salaire, bien sûr. Et vous savez que dans le cadre des nouvelles missions qui seront confiées, à partir de la rentrée, aux enseignants, les questions de harcèlement pourront être incluses. Et puis, de surcroît, nous mettons des moyens supplémentaires sur le 30 20 et le 30 18 ; vous savez ces deux numéros gratuits sur le cyberharcèlement ou le harcèlement scolaire qui, d'ailleurs, rencontrent une grande audience. On voit les chiffres montés de manière tout à fait importante. Donc nous mettons des moyens supplémentaires là-dessus. Et puis j'ai enjoint aux chefs d'établissement de prendre contact systématiquement en cas de harcèlement avéré avec le procureur de la République, avec les autorités judiciaires en lien avec la loi de mars 2022.

MARC FAUVELLE
Vous l'avez rappelé, la principale harceleuse de Lindsay a été exclue à la fin du mois de février, mais le harcèlement s'est poursuivi pendant des semaines, pendant des mois, sur les réseaux sociaux. Est-ce qu'ils peuvent continuer à être, en France, des zones de non-droit ?

PAP NDIAYE
Il faut absolument contraindre les réseaux sociaux. Le comportement des réseaux sociaux est inacceptable sur les questions de harcèlement. Ils sont beaucoup trop lents, beaucoup trop hésitants. Nous demandons - et je vais le faire avec le ministre de l'Intérieur, avec le garde des sceaux, avec le ministre du Numérique - que les réseaux sociaux saisissent ce sujet à bras-le-corps et agissent de manière à bloquer les messages insultants, les messages dégradants qui circulent et qui font tant de mal à notre jeunesse. Je propose par exemple qu'il y ait une petite icône sous les messages, de manière à ce que, instantanément, on puisse cliquer sur la petite icône et signaler un message violent de nature…

MARC FAUVELLE
Avec l'obligation de le retirer rapidement dans ce cas-là ? Pour FACEBOOK par exemple.

PAP NDIAYE
Avec l'obligation de le retirer rapidement, en effet. Il faut que les réseaux sociaux agissent parce qu'ils pourrissent la vie de trop nombreux jeunes.

MARC FAUVELLE
Oui, dans les jours qui ont suivi le suicide de cette adolescente, des messages ont été postés sur ces mêmes réseaux sociaux pour se féliciter de sa mort. À votre connaissance, ces messages sont-ils toujours en ligne ce matin ?

PAP NDIAYE
Alors, il y en a qui disparaissent et puis d'autres qui réapparaissent. On voit bien comment ce genre de choses peut fonctionner. C'est évidemment intolérable, c'est une atteinte profonde à la dignité humaine et j'en suis profondément choqué. Il faut absolument que les réseaux sociaux agissent plus rapidement sur la question.

MARC FAUVELLE
Aujourd'hui, Pap NDIAYE, dans la plupart des cas, c'est l'enfant qui est victime de harcèlement qui doit quitter son établissement. Est-ce qu'il faut changer cette règle ?

PAP NDIAYE
Nous l'avons changé notamment dans le primaire. Puisque dans le primaire, il n'y a pas de conseil de discipline. Le décret que j'ai signé est actuellement en examen au Conseil d'État. Il permettra à l'élève harceleur d'être déplacé, d'être changé d'établissement.

MARC FAUVELLE
Y compris quand les parents s'y opposent ?

PAP NDIAYE
Y compris lorsque les parents s'y opposent ?

MARC FAUVELLE
Parce que c'est souvent le cas.

PAP NDIAYE
Parce que c'est souvent le cas. Ce qui n'était pas donc possible jusqu'à présent le sera à l'avenir. Ça devrait nous permettre de mieux agir en ce qui concerne le primaire. Mais dans le secondaire, bien entendu, il y a des exclusions. Et vous l'avez aussi dit, le cyberharcèlement dépasse les frontières de l'école. Il ne connaît pas de limites de temps et de limites géographiques.

MARC FAUVELLE
Il y a également la question des parents dont les enfants harcèlent leurs camarades. Vous avez des enfants, Pap NDIAYE ; c'est vous apprenez demain matin que c'est leur cas, que vos enfants ont insulté, insultent, menacent d'autres enfants, vous ferez quoi ?

PAP NDIAYE
La question du harcèlement ne concerne pas seulement l'Éducation nationale et ses personnels, elle concerne aussi l'ensemble de la société. Si nous voulons faire reculer, de façon décisive, le harcèlement scolaire - et c'est un impératif, c'est une priorité - il faut une mobilisation de chacun, y compris les parents. Et donc, nous allons faire notre travail de notre côté en sensibilisant les parents en début d'année. Mais j'enjoins effectivement les parents à faire attention, à regarder ce que font les enfants sur les réseaux sociaux, c'est absolument impératif.

MARC FAUVELLE
Et qu'est-ce qu'on leur dit à ces enfants qui ne se rendent pas forcément compte de ce qu'ils font et du mal qu'ils font ?

PAP NDIAYE
Il faut, justement c'est une procédure, l'école c'est un lieu de pédagogie ; il faut les éduquer, il faut leur montrer le mal qui peut être commis. Ce ne sont pas des chamailleries entre enfants, on ne parle pas de disputes de cour de récréation, on parle de choses très graves qui peuvent avoir des conséquences catastrophiques sur les élèves. Il faut donc les mettre face à leurs responsabilités, mais aussi les éduquer, c'est cela aussi l'éducation.

MARC FAUVELLE
Un dernier mot, Pap NDIAYE ; vous avez entendu la colère tout à l'heure de la famille de Lindsay. Vous êtes prêt à la recevoir à nouveau, cette fois-ci avec des actes, avec des annonces dans les jours, dans les semaines qui viennent ?

PAP NDIAYE
J'ai dit que nous allions agir et j'ai développé les mesures que nous allons prendre dans les semaines en vue de la rentrée, bien entendu.

MARC FAUVELLE
Et vous les recevrez à nouveau ?

PAP NDIAYE
J'ai également indiqué aux parents de Lindsay, je leur ai donné mon numéro de téléphone personnel et je leur ai dit que je les tiendrai au courant de la progression de l'enquête et puis, bien entendu, des conclusions de l'enquête administrative.

MARC FAUVELLE
Merci à vous Pap NDIAYE, ministre de l'Éducation, Grand témoin de France Info. Bonne journée à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 juin 2023