Déclaration de M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées et de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État, chargée de l'enfance, sur l'examen de la mission solidarité, insertion et égalité des chances, à l'Assemblée nationale le 31 mai 2023.

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Mme Christine Pires Beaune, présidente. Mes chers collègues, l’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Je suis très heureux de vous retrouver ce matin, car cette audition va permettre de rappeler la richesse de cette mission Solidarité, ainsi que l’importance des actions qu’elle permet de financer. Cela fut d’autant plus le cas durant l’année 2022, année marquée par d’importantes évolutions sur lesquelles je voudrais insister.

Nous avons considéré qu’il ne pouvait en être autrement dans un contexte de forte inflation. La hausse des prix, notamment des denrées alimentaires, frappe en effet durement certains de nos concitoyens. Face à cela, la mission Solidarité a pleinement joué son rôle d’amortisseur social, grâce à la fois aux mesures qu’elle finance en gestion habituelle et aux traductions, inscrites en cours d’exercice, de l’intervention accrue décidée par le gouvernement pour faire face à la crise.

Ce temps de la loi de règlement permet d’en prendre pleinement conscience. Je tiens à citer un exemple pour commencer : la revalorisation anticipée du montant des prestations sociales de 4 % intervenue au 1er juillet 2022, en vertu des dispositions de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

Cette décision s’est traduite pour la mission Solidarité par une ouverture de crédits de plus de 387 millions d’euros, qui a permis, une fois complétée par la revalorisation légale intervenue au 1er avril dernier, de porter l’augmentation totale de ces prestations à 5,6 %, soit un montant proche de l’inflation sur un an.

Cette revalorisation, qui a concerné la prime d’activité, le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation financière d’insertion sociale (Afis), s’est accompagnée, de l’aide exceptionnelle de solidarité destinée aux foyers modestes et qui, pour un montant total de 1 130 millions d’euros, a représenté un versement moyen de 160 euros par ménage concerné. Ces deux mesures illustrent, autant que celles visant à contenir la hausse des prix de l’énergie, la détermination du gouvernement à agir pour atténuer les conséquences de l’inflation sur les plus modestes. Nous poursuivons bien sûr cet effort, avec par exemple le trimestre anti-inflation que portent Monsieur Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et Madame Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Concernant les enjeux alimentaires, je souhaite détailler les évolutions, budgétaires apportées au cours de l’année 2022 et traduites dans la mission Solidarité. Au total, trois mouvements distincts et d’importance ont été opérés.

Les deux premiers sont issus de la loi de finances rectificative (LFR) du 16 août 2022. Tout d’abord, une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d’euros a été ouverte pour soutenir les associations d’aide alimentaire. Ces montants ont permis de compenser la quasi-intégralité de leur perte de ressources liée aux marchés européens infructueux (28,5 millions d’euros déployés pour financer des achats directs auprès des producteurs) et de doubler les crédits locaux disponibles en soutien des associations de proximité (11,5 millions d’euros).

La LFR a aussi ouvert une enveloppe de 15 millions d’euros en faveur de l’aide alimentaire en outre-mer, afin de tenir compte de la vulnérabilité particulière de ces territoires. Enfin, le troisième mouvement de l’année porte sur une nouvelle enveloppe de 40 millions d’euros, qui a été ouverte par voie d’amendement lors de l’examen de la seconde LFR, promulguée le 2 décembre dernier.

Ces crédits ont notamment permis d’affecter en urgence 10 millions d’euros à l’aide alimentaire à destination des étudiants. Les 30 millions d’euros restants sont en cours de déploiement et doivent permettre aux associations de faire face à la hausse des dépenses énergétiques, à l’inflation des prix des denrées et à l’accroissement du nombre de bénéficiaires.

Au total, 95 millions d’euros ont été ouverts en lois de finances rectificative pour 2022. Les crédits de l’État en faveur de l’aide alimentaire ont donc été portés à 140 millions d’euros au total en 2022, soit près de trois fois plus que le montant initialement inscrit.

Il s’agit bien sûr de crédits d’urgence, mais ils permettent également d’engager des transformations profondes, ce dont permet aussi de rendre compte ce printemps de l’évaluation. Vous savez ainsi que la lutte du gouvernement contre la précarité alimentaire se concrétise en 2023 par la création d’un fonds pour une aide alimentaire durable au travers du programme « Mieux manger pour tous ». Ce fonds d’amorçage, doté de 60 millions d’euros en 2023, a vocation à financer des approvisionnements supplémentaires en denrées de qualité des associations habilitées à l’aide alimentaire et à promouvoir de nouvelles solidarités alimentaires au niveau local.

Ces moyens nouveaux s’inscrivent dans la suite des travaux de la convention citoyenne pour le climat et de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (loi Egalim) et sont ancrés au sein du comité de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire (Cocolupa).

La mission Solidarité porte bien sûr de nombreuses autres transformations profondes. Certaines ont d’ailleurs un impact budgétaire déjà conséquent. Je pense par exemple à l’expérimentation de recentralisation du RSA : 749 millions d’euros sont mobilisés par l’État pour avancer en ce sens, depuis le 1er janvier 2022, avec les départements de la Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales. Cette démarche suscite beaucoup d’intérêt et d’attentes, puisque l’expérimentation a été étendue à compter du 1er janvier 2023 au département de l’Ariège.

Une autre transformation particulièrement conséquente concerne la réforme de la solidarité à la source, dont l’impact budgétaire n’est à ce stade pas encore visible mais qui le sera dans les années à venir, et dans des proportions très importantes. Le programme 304, et plus particulièrement son action pour l’ingénierie, les outils de la gouvernance et les expérimentations, porte des crédits permettant de financer les travaux en cours visant à la modernisation de la délivrance du RSA et de la prime d’activité.

Il s’agit là d’une étape majeure de la réforme globale, dont je rappelle les grands objectifs :

– faire baisser le non-recours aux prestations de solidarité ;

– simplifier les démarches de demande et de renouvellement des prestations ;

– calculer le juste droit, c’est-à-dire lutter contre la fraude, les indus et les rappels ;

– garantir que travailler rapporte toujours significativement plus que ne pas travailler.

Avec cette réforme, le plan anti-fraude annoncé par le ministre délégué chargé des comptes publics, Monsieur Gabriel Attal, mais aussi la mise en place de France Travail, nous menons une transformation profonde de notre protection sociale, pour un meilleur accès au juste droit et plus d’efficacité.

Je pourrais continuer longtemps à évoquer les nombreuses politiques fondamentales financées par cette mission. Je pourrais bien sûr mentionner les points principaux de bilan du programme 157 Handicap et dépendance, mais je ne veux pas être trop long dans ce propos liminaire.

Par ailleurs, il me semble qu’il serait peut-être plus approprié de les rattacher aux annonces faites récemment à l’occasion de la Conférence nationale du handicap. Je l’évoquerai justement cet après-midi au Sénat, et j’aurai plaisir à répéter l’exercice ici à l’Assemblée nationale. Je pense par ailleurs qu’il sera tout particulièrement intéressant d’évoquer la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé (AAH) qui sera effective au plus tard le 1er octobre.

Enfin, il me semble important de revenir sur un dernier point, concernant le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales. L’année 2022 présente des particularités qui sont parfaitement détaillées dans le rapport annuel de performance (RAP). Ainsi, plusieurs mouvements ont impacté le programme :

– les suites de la réforme de l’organisation territoriale de l’État, avec des rapprochements qui se révèlent d’ores et déjà très positifs pour les publics bénéficiaires ;

– le prolongement de la crise sanitaire, avec une cellule de crise en administration centrale maintenue et renforcée ;

– les conséquences du conflit en Ukraine, avec l’accueil de près de 100 000 réfugiés qui a bien sûr mobilisé de nombreux services et conduit à des recrutements en renfort.

Là-encore, l’évolution des crédits consommés est précisément détaillée dans le RAP. Elle traduit également des mesures telles que la convergence indemnitaire des catégories administratives A et B, la hausse du point d’indice de la fonction publique, ou encore, pour les crédits hors titre 2, des opérations immobilières de grande ampleur


Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance. L’enfance constitue une priorité pour le gouvernement. Cette politique est éminemment interministérielle et je réunirai dans deux semaines le second comité interministériel de l’enfance pour faire un point sur l’avancement des priorités fixées par la Première ministre, notamment s’agissant de la lutte contre les violences, le numérique et l’enfance, la santé des enfants, l’égalité des chances et enfin le service public de la petite enfance.

Les crédits de la politique de l’enfance sont répartis parmi différentes missions et différents ministères, raison pour laquelle vous avez voté la création d’un jaune budgétaire lors du projet de loi de finance (PLF) 2023. Je me réjouis qu’il soit en co-construction entre le ministère du budget et mon propre ministère. Nous attendons ce document avec impatience.

S’agissant de la mission Solidarité, j’ai autorité sur les crédits spécifiquement dédiés à la politique de protection de l’enfance. Ils comprennent divers transferts vers les départements à divers titres, notamment la gestion des mineurs non accompagnés (MNA) ou la protection maternelle infantile, mais aussi quelques crédits de subvention et la ligne contractualisation, ou à tout le moins son volet sur le budget de l’État. Il convient également de citer deux plans majeurs, la lutte contre les violences et la lutte contre la prostitution des mineurs, ainsi que la politique des 1 000 premiers jours.

Pour revenir sur l’évolution des dépenses de 2022, je voudrais m’arrêter sur trois actions majeures. La première concerne la contractualisation. Ainsi, 2022 était la dernière année de la contractualisation lancée en 2020. Au total, 91 départements ont contractualisé en 2022, pour une consommation de l’enveloppe à 95 %. 100 millions d’euros ont été dépensés sur mon budget, auquel il faut également ajouter les financements PLFSS mobilisés, à hauteur de 131 millions d’euros. Au-delà de cette contractualisation, le budget de l’action 17 permet de financer certains transferts vers les départements : l’évaluation et la mise à l’abri des mineurs non accompagnés pour 33 millions d’euros, la compensation des extensions de compétences des départements pour la prise en charge des jeunes majeurs pour 50 millions d’euros ou encore la compensation du Ségur pour 15 millions d’euros.

Le deuxième point concerne les plans de lutte contre les violences faites aux enfants et contre la prostitution des mineurs. Le déploiement de ces plans est achevé et l’on constate un fort taux de mise en œuvre des mesures annoncées (plus de 90 %). Le soutien financier concerne la généralisation des unités d’accueil pédiatrique, qui continuera sur les exercices suivants, pour créer 21 unités chaque année, ainsi que les appels à projet, à hauteur de 3 millions d’euros sur la lutte contre la prostitution des mineurs. Ces deux plans sont en cours d’évaluation et les suites feront l’objet d’annonces prochainement, puisque je rendrai compte au Président de la République le 7 juin. Je vous annonce d’ores et déjà le lancement d’une grande campagne de sensibilisation sur ces violences sexuelles, en lien avec le ministre de l’éducation nationale, à la rentrée prochaine.

Le dernier point a trait à un sujet qui me tient à cœur : les 1 000 premiers jours. L’action 17 concerne la grande mobilisation du précédent quinquennat sur les 1 000 premiers jours. Nous travaillons actuellement collectivement avec le ministre des solidarités et le ministre de la santé sur les actions que nous devons continuer à porter dans ce cadre, au-delà de la garantie essentielle d’accueil au jardin d’enfants.

Mme Perrine Goulet, rapporteure spéciale. Je vous remercie, Monsieur et Madame les ministres, pour votre présentation de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances et de son exécution budgétaire au cours de l’année 2022. En tant que rapporteure spéciale des crédits de cette mission, je tenterai de compléter vos propos en me concentrant sur les aspects de l’exécution qui me paraissent essentiels.

Je rappelle que la mission Solidarité porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles. Son rôle dans le contexte inflationniste que nous avons traversé en 2022 est donc crucial. Avec près de 28 milliards d’euros, cette mission représente 4 % des crédits de paiement du budget général votés en loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Les crédits exécutés s’élèvent à un peu moins de 31 milliards d’euros tant en autorisations d’engagement (AE) qu’en crédits de paiement (CP), ce qui correspond à une augmentation significative de 10 % par rapport à l’exercice 2021.

Entre 2020 et 2021, les dépenses de la mission avait déjà progressé de 15 %, notamment du fait des différentes mesures gouvernementales prises pour préserver le pouvoir d’achat des Français les plus modestes. Les dépenses de cette mission sont donc très dynamiques.

De manière générale, il faut souligner qu’en 2022 la mission Solidarité a parfaitement joué son rôle pour soutenir les plus démunis face à la crise. Je mentionnerai tout d’abord les ouvertures de crédits dans le cadre des deux lois de finances rectificatives. Je crois qu’elles illustrent assez bien l’importance de la mission Solidarité dans le contexte économique difficile que nous traversons. Au total, à l’échelle de la mission, 2,42 milliards d’euros ont été ouverts en cours d’année, soit 9 % des crédits budgétés en LFI. Ces moyens supplémentaires ont principalement permis d’apporter un soutien aux Français les plus fragiles, notamment pour leur permettre de faire face à l’inflation.

Je note également la création de deux nouvelles aides exceptionnelles de solidarité. La première, à destination des ménages les plus modestes, a vu son montant s’élever à 100 euros par foyer et 50 euros par enfant à charge. Cette aide a représenté un effort budgétaire de plus d’un milliard d’euros. La seconde concerne les bénéficiaires de la prime d’activité, pour un montant de 28 euros par foyer et 14 euros par enfant à charge. Le coût du versement de cette aide s’est élevé à 100 millions d’euros.

Il convient également de rappeler et de saluer la décision de revaloriser de façon anticipée les prestations sociales. La prime d’activité a en effet été revalorisée au 1er juillet 2022 à hauteur de 4 %. Fin 2022, le montant forfaitaire de cette prime s’élève désormais à un peu moins de 600 euros, en sachant qu’il varie selon la composition du foyer. Au total, la dépense de prime d’activité pour 2022 s’élève environ à 10 milliards d’euros.

La revalorisation des prestations a également concerné l’allocation aux adultes handicapées (AAH) : 192,4 millions d’euros supplémentaires ont en effet été ouverts par la loi de finances rectificative (LFR) d’août 2022 afin de financer la revalorisation anticipée de 4 % de cette allocation. Le montant maximum de l’AAH est désormais de 956 euros. Je rappelle que plus d’un million de Français bénéficient de cette prestation, qui représente une dépense totale de près de 12 milliards d’euros sur la mission Solidarité. À ce titre, Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l’état d’avancement de la mesure de déconjugalisation de l’AAH ? Une entrée en vigueur au 1er octobre 2023 vous parait-elle toujours envisageable ?

Les crédits ouverts en LFR ont apporté un soutien aux associations d’aide alimentaire face à l’inflation, à hauteur de 80 millions d’euros au total. Les associations de ce secteur essentiel ont en effet subi directement la hausse des prix, alors qu’elles ont dû faire face simultanément à un afflux conséquent de nouveaux demandeurs. Il convient de rappeler que les tensions sur les marchés alimentaires ont été particulièrement importantes depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. De nombreux marchés se sont révélés infructueux, ce qui a nécessité l’ouverture de moyens supplémentaires en cours d’année.

Je note également que l’expérimentation de recentralisation du RSA se poursuit en 2022. L’entrée du département des Pyrénées-Orientales dans l’expérimentation a nécessité l’ouverture de 143,7 millions d’euros supplémentaires. Enfin, au titre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, l’année 2022 s’est essentiellement traduite par un soutien accru à l’alimentation des enfants des familles les plus modestes, avec une montée en charge de la tarification sociale des cantines.

S’agissant du programme 137, qui porte les crédits destinés à l’égalité entre les femmes et les hommes, son budget a augmenté de 22 % par rapport à 2021. Cette augmentation a notamment permis à la plateforme d’écoute téléphonique 3919 pour les femmes victimes de violence d’être désormais accessible 7 jours sur sept et 24 heures sur 24.

Enfin, sur le programme 124, qui regroupe les moyens de fonctionnement, les emplois et la masse salariale des ministères sociaux, je note essentiellement une augmentation du plafond d’emplois des Agences régionales de santé (ARS) pour faire face à la crise sanitaire et au renforcement des missions d’inspection des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Il s’agit d’une mesure bienvenue.

Enfin, les documents budgétaires ne présentent pas la répartition des postes entre les administrations centrales et les services déconcentrés régionaux et départementaux. Nous sommes convaincus que les besoins sont dans nos territoires. Monsieur le ministre, accepteriez-vous la création d’un tel indicateur, qui différencierait le suivi des personnels à tous les niveaux de l’administration ? Quelle est votre volonté concernant le réarmement des services de l’état en département ?

Pour conclure je souhaite remercier les agents qui rédigent les RAP toujours très précis, ainsi que les administrateurs qui m’ont accompagné sur l’exécution budgétaire et sur le printemps de l’évaluation.

M. le président Éric Coquerel. J’ai relevé pour ma part un élément sur lequel je souhaiterais avoir une réaction de votre part. En 2022, d’après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), 34 % des personnes éligibles au RSA n’y ont pas eu recours, ce qui correspond à un montant de 3 milliards d’euros, soit trois fois plus que la fraude sociale estimée par Gabriel Attal. Je considère qu’il s’agit là d’un grave problème et souhaite savoir comment vos ministères comptent appréhender cette question.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je salue à mon tour l’exécution des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, en augmentation de 10 %, soit 30 milliards d’euros, en AE et en CP en 2022 par rapport à 2021. Je souligne la dynamique de deux programmes : le programme 157 Handicap et dépendance, qui connaît une augmentation continue depuis plusieurs années, et le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes, qui a vu ses dépenses augmenter de manière significative, notamment avec la création de deux nouvelles allocations exceptionnelles de solidarité votées en LFR, à destination des ménages les plus modestes, afin de les aider à lutter contre les effets de l’inflation.

Pouvez-vous nous dire comment a évolué le nombre d’allocataires du RSA entre 2021 et 2022 ; ainsi que nous indiquer le montant global du RSA ? Ensuite, le président de la Seine-Saint-Denis se déclare volontaire pour la recentralisation du RSA. Quand pourrons-nous disposer d’un bilan de l’expérimentation de cette recentralisation ? Existe-t-il des effets que nous n’avions pas anticipé sur ce sujet ? Ma troisième question porte sur la solidarité à la source, qui poursuit deux objectifs : éviter le non-recours et la fraude sociale. Où en sommes-nous dans ce processus long et compliqué ? Quelles perspectives pouvez-vous nous donner ?

M. Jean-Christophe Combe. Je partage, Monsieur le président, votre insatisfaction sur la situation de non-recours au RSA, qui constitue une injustice forte de notre système de protection sociale. J’ai fait de la lutte contre le non-recours une des priorités de mon action, qui motive en partie le projet de solidarité à la source et la transformation de notre système de versement des prestations et allocations sociales, au même titre que la lutte contre la fraude et les industries. Un des volets vise à automatiser le pré-remplissage de formulaires pour les demandes de prestations, afin de sécuriser le système, en plusieurs étapes. Dès le mois de juillet, les salariés verront apparaître sur leur fiche de paye une nouvelle ligne, le montant net social, qui est le montant à déclarer pour pouvoir obtenir une aide. Les entreprises transmettront cette information directement aux caisses. À partir de 2024, nous expérimenterons dans une dizaine de départements les formulaires préremplis sur le RSA et la prime d’activité. L’extension sur l’ensemble du territoire se fera à partir de 2025. Nous étudions également la possibilité de continuer travailler d’ici 2027 sur l’harmonisation des bases ressources, pour aller plus loin dans la simplification et travailler sur l’efficience du système de prestations sociales.

J’ai lancé en mars un appel à manifestations d’intérêt pour lancer l’expérimentation du programme « Territoires zéro non-recours » dans une dizaine de départements. Il s’agit de pouvoir accéder à des personnes qui ne sont pas connues de nos administrations, ni des caisses de sécurité sociale. Nous allons travailler avec les acteurs locaux sur les territoires et nous établirons la liste des départements retenus dans quelques semaines. Enfin, j’ai installé un comité de coordination de la lutte contre le non-recours, qui produira une stratégie spécifique.

Ensuite, la déconjugalisation de l’AAH aura bien lieu le 1er octobre. Le premier versement sera donc effectif le 5 novembre pour les droits du mois d’octobre. Je rappelle que nous avions mis en place un groupe de travail avec Madame Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée en charge des personnes handicapées, pour pouvoir rédiger le décret qui encadre cette automatisation de la déconjugalisation. À partir du moment où la déconjugalisation sera plus favorable pour l’allocataire, il basculera automatiquement dans le système déconjugalisé. Les nouveaux allocataires rentreront directement dans ce système déconjugalisé. Pendant un certain temps, le système vivra avec les deux prestations, avant l’extinction progressive de l’ancienne prestation.

On m’a confirmé que la mise en place technique s’effectuera correctement et que les systèmes d’information fonctionneront bien. Les CAF mènent un travail important contre le non-recours. Les personnes qui se sont vu refuser depuis 2021 l’allocation en raison du dépassement du plafond de ressources seront contactées par leur caisse. Tout au long de l’année, une série d’information sera effectuée auprès des centres communaux d’action sociale, des services sociaux et des personnes potentiellement concernées.

Cette action territoriale concernant l’administration déconcentrée doit être renforcée. Nous avons ainsi demandé le renfort des ARS en 2022 pour l’inspection et le contrôle des Ehpad. Nous avons en effet pris l’engagement de contrôler l’ensemble des Ehpad de notre pays dans les deux ans. C’est la raison pour laquelle la majorité des demandes d’équivalents temps plein supplémentaires que nous portons concernent les services déconcentrés de l’État. La proposition de création d’un indicateur est intéressante, même si elle est confrontée à quelques limites en termes de méthode. Il faudrait sans doute l’élaborer sur une échelle plus large que sur la seule mission dont j’ai la responsabilité.

Ensuite, en février 2023, il y avait 1,89 million d’allocataires du RSA, soit 195 000 de moins qu’en 2021. Enfin, nous avons prévu une évaluation six mois avant la fin de l’expérimentation de recentralisation, notamment en Seine-Saint-Denis, c’est-à-dire à la mi 2026. Les départements qui bénéficient de cette recentralisation ont d’ores et déjà constaté une augmentation réelle des moyens qu’ils pouvaient allouer à l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.

Mme Patricia Lemoine (RE). Je salue à mon tour la hausse des crédits de 6,6 % de la mission en AE et de 8,3 % en CP, par rapport à 2022. La mission atteint désormais plus de 23 milliards d’euros pour 2023. Preuve que la solidarité est au cœur des priorités du gouvernement, près de 2,4 milliards d’euros supplémentaires ont été ouverts afin de financer l’aide aux ménages les plus modestes. Vous nous avez longuement exposé l’aide alimentaire et je tiens à saluer les 95 millions d’euros supplémentaires qui ont été inscrits en LFR l’année dernière. Afin de faciliter l’aide aux plus précaires, le gouvernement a par ailleurs ouvert la voie à la recentralisation de la gestion du RSA, avec une expérimentation sur les deux départements de la Seine-Saint-Denis et des Pyrénées-Orientales. Pourriez-vous nous préciser si d’autres départements se sont manifestés pour participer à cette expérimentation ?

La lutte contre les violences faites aux femmes représente également une priorité de la présente mission. Du fait de la crise sanitaire et des confinements, les moyens matériels et financiers ont été particulièrement renforcés, à l’image du déploiement 24 heures sur 24 du numéro d’urgence 3919. Le gouvernement se fixait des objectifs de 85 % et 75 % d’appels traités pour 2022 et 2023. Pourriez-vous nous donner les chiffres définitifs de 2022 et la tendance pour 2023 ? Enfin, dans le but de favoriser le retour à l’emploi, le gouvernement déploie de nombreux efforts qui portent leurs fruits. On constate ainsi depuis 2020 une hausse continue du retour à l’emploi des allocataires de RSA. Pouvez-vous nous confirmer cette tendance sur 2023 ?

M. Patrick Hetzel (LR). Au nom de mon groupe, je tiens à mettre en lumière un point de plus en plus préoccupant. Au fil des années des associations à but non lucratif, dites associations « intermédiaires » se sont développées pour accompagner des personnes éloignées de l’emploi. En Alsace, il en existe dix-huit, qui salarient chaque année près de 3 000 personnes dans le cadre de parcours d’insertion. Ces associations contribuent à la montée en compétence des personnes en difficulté, assumant ainsi une mission de solidarité et une mission d’insertion professionnelle.

Malheureusement, elles nous indiquent que les financements se réduisent au bénéfice du secteur privé lucratif et que les missions qu’elles assument ne bénéficient pas de soutien à la hauteur de leurs engagements. La loi inclusion a eu pour effet d’augmenter les contraintes pesant sur ces associations, sans pour autant qu’il y ait eu une revalorisation de l’aide de l’État pour la réalisation de parcours vers l’emploi durable. Que comptez-vous faire pour éviter la fragilisation des associations intermédiaires qui ont fait leurs preuves et se trouvent aujourd’hui en difficulté ?

M. Mohamed Laqhila (Dem). L’année 2022 a été marquée par une forte progression des dépenses de la mission. Cette progression est portée en grande partie par l’évolution des dépenses du programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes, qui enregistre une hausse de 2,64 milliards d’euros. Dans ce programme figure aussi la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui a accueilli les crédits alloués au lancement de la nouvelle expérimentation dans douze départements à la fin de l’année 2022. Cette expérimentation doit permettre de mieux détecter et d’accompagner les personnes susceptibles de basculer dans la spirale du surendettement.

Pouvez-vous nous faire un point sur cette expérimentation à mi-parcours ? Comment se matérialise-t-elle dans les départements et quels en sont les résultats ? Comment envisagez-vous la suite après l’expérimentation ? D’autre part, ce programme contient des crédits alloués à la protection juridique des majeurs. Dans une volonté de modernisation, cette protection se transforme numériquement, à travers le projet Mandoline. Pouvez-vous nous fournir un point d’étape sur ce programme de transformation numérique ? Qu’a-t-il permis et que permettra-t-il à l’avenir ?

Le dernier point concerne le dispositif d’accueil des mineurs non accompagnés. Il semblerait que l’exécution des crédits alloués ne dépasse pas 50 % en AE et en CP. Comment expliquez-vous cette situation et quelles sont les pistes d’amélioration possibles ?

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Monsieur le ministre, vous avez mentionné le nouveau fonds d’amorçage « Mieux manger pour tous » créé en 2023 et doté de 60 millions d’euros. Pouvez-vous faire un point sur la consommation à ce jour ? Pensez-vous que ce montant sera suffisant pour boucler l’année 2023 ?

Ensuite, le doublement des crédits du 3919 est prévu en 2023. Allez-vous tenir ce doublement ? De plus, je me souviens qu’en 2021, le taux d’appels traités était en baisse. Qu’en est-il en 2022 ?

Par ailleurs, nous avons déjà évoqué le taux de non-recours au RSA ce matin ; il s’élève à plus de 3 milliards d’euros. De même, il existe un taux de non-recours important sur le minimum vieillesse. Vous avez évoqué les actions que vous comptiez mener dans les deux ans à venir, notamment sous la forme d’expérimentations. Je souhaite que vous alliez plus vite et que vous réfléchissiez en termes de simplification et d’harmonisation entre les allocations.

Enfin, le taux d’exécution du programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes est légèrement en deçà de celui de 2021. Je m’en étonne, tant il reste à faire sur le sujet.

Mme Félicie Gérard (HOR). La mission Solidarité, Insertion et Égalité des chances connaît une forte progression des dépenses. Le taux de consommation des crédits disponibles s’approche des 100 % pour l’année 2022. Je souhaite revenir sur l’exécution des crédits du RSA recentralisé. Les documents transmis par votre ministère indiquent un reliquat s’élevant à plusieurs millions d’euros. L’expérimentation de la recentralisation du RSA est importante car ses résultats orienteront la manière dont sera mis en place le dispositif à l’avenir. Elle va dans le sens d’une amélioration des politiques d’insertion et d’une meilleure gestion de la solidarité nationale. Par ailleurs, elle préfigure un chantier important pour votre ministère : la mise en place du dispositif de solidarité à la source.

Cette utilisation partielle des crédits ouverts est-elle due à une surestimation du budget devant être alloué ou est-elle le témoignage de l’efficacité du dispositif ? Dans quelle mesure ces crédits seront-ils amenés à évoluer dans le prochain budget, afin de prendre en compte les nouvelles mesures de recentralisation et la mise en place de la solidarité à la source ?

Mme Eva Saas (Écolo-NUPES). La pauvreté touche près de 15 % de la population selon l’Insee, si l’on définit le seuil de pauvreté comme le niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population française. L’inflation n’arrange rien à l’affaire et elle devrait rester élevée en 2023. Elle a d’abord concerné l’énergie puis s’est portée dans le domaine alimentaire : en 2022, l’alimentation était le deuxième poste de dépenses des ménages interrogés par le réseau des banques alimentaires, en augmentation de 14 % par rapport à 2020.

En effet, les banques alimentaires ont accompagné pas moins de 2,4 millions de personnes fin 2022, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. Concernant l’énergie, 89 % des foyers interrogés par le médiateur national de l’énergie déclaraient être préoccupés par leur consommation d’énergie et plus d’un foyer sur cinq a souffert du froid, selon le baromètre 2022 du médiateur.

En juillet dernier, France stratégie a formulé vingt-quatre recommandations pour tenter de limiter la progression de la pauvreté. Il est ainsi recommandé d’indexer sur l’inflation l’ensemble des prestations de soutien qui sont dédiées aux plus démunis et de revoir les leviers mobilisés pour la mise en œuvre du plan « Logement d’abord » qui rencontrent des difficultés. Ainsi, quelle portée allez-vous donner à ces propositions, notamment dans le cadre de la prochaine publication de votre pacte de solidarité ?

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). En 2022, les dépenses de la mission Solidarité atteignaient 30 milliards d’euros en AE et en CP, en hausse par rapport à 2021, notamment en raison de la multiplication des aides pour faire face à l’inflation. Je pense notamment à l’indemnité inflation et aux deux allocations exceptionnelles de la solidarité. Ces indemnités, bien que d’un montant modeste, ont constitué pour nombre de nos concitoyens une bouffée d’air non négligeable. Cependant, la multiplication des aides différentes à chaque fois crée un certain nombre de problèmes. Je n’en citerai qu’un exemple, celui des effets de bord sur l’indemnité inflation, pour laquelle les revenus de référence sont appréciés au niveau de la personne et non du foyer.

De manière plus générale, je m’interroge sur ces dispositifs qui se multiplient. À l’heure où il existe des chèques pour se chauffer ou se nourrir, lorsque l’on touche certaines prestations, certains niveaux de pension ou de salaires, cela signifie que ces derniers ne sont pas suffisants. Dès lors, ces aides vous permettent surtout de vous exonérer à peu de frais au lieu de vous interroger sur le rapport salarial de notre société et de remettre en cause le partage de la richesse toujours plus inéquitable. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d’une société qui ne permet plus à ces concitoyens d’effectuer les activités les plus essentielles avec leurs salaires ou leurs revenus de remplacement, dans certains moments de leur vie.

Dans ces conditions, l’existence de ces aides ponctuelles symbolise une aide d’urgence essentielle pour nombre de nos concitoyens dans la situation actuelle. Quand pensez-vous agir pour le partage de la richesse et pour accroître les salaires ?

M. Jean-Christophe Combe. S’agissant de l’extension de l’expérimentation de la recentralisation du RSA, l’Ariège est entrée en 2023 le nouveau dispositif. La Meurthe-et-Moselle avait également candidaté, mais ce département ne répondait pas aux critères pour pouvoir y participer. À ma connaissance, aucun autre département ne souhaite à l’heure actuelle entrer dans cette expérimentation.

Ensuite, je n’ai pas encore de chiffres sur les tendances 2023 du nombre d’allocataires du RSA, qui sont variables d’un département à l’autres. Dans certains départements, les bénéficiaires du RSA diminuent, quand la tendance est inverse dans d’autres. Nous suivons cependant la situation de près et nous verrons comment elle évolue dans les mois à venir.

L’expérimentation « Aide-budget » a été mise en place à la suite des travaux menés par le député Chassaing. Elle vise à repérer le plus en amont possible la dégradation de certaines situations financières des ménages, pour pouvoir les accompagner. Il s’agit de mettre autour de la table tous ceux qui peuvent y contribuer, qu’il s’agisse des banques, des bailleurs sociaux ou d’autres services et de pouvoir accompagner les ménages très en amont, en renforçant notamment les Points conseil budget, qui sont aujourd’hui au nombre de 500 sur le territoire. Cette expérimentation ayant été mise en place à la fin de l’année 2022, il est un peu trop tôt pour faire un retour d’expérience à ce stade.

Vous m’avez également interrogé sur Mandoline, le projet de transformation numérique de la protection juridique des majeurs, en cours de déploiement. Il vise notamment à simplifier les échanges et à sécuriser le processus de gestion et de suivi des mandataires individuels. Il permet également de moderniser le processus d’habilitation des trois types de mandataires et de préciser le pilotage de la protection juridique des majeurs. Ce programme a permis de mettre à disposition de toutes les parties prenantes un site dédié, « eMJPM ». Une première vague de déploiement a été conduite en direction des agents des directions régionales et départementales, afin de faire découvrir le nouveau logiciel et de faciliter sa prise en main progressive. Des ateliers de présentation ont en outre été réalisés dans des départements : l’idée consiste à renforcer au maximum la disponibilité de la plateforme pour les mandataires judiciaires. Enfin, nous avons à cœur de l’évaluer.

Mme Pires Beaune, vous m’avez interrogé sur le programme « Mieux manger pour tous », doté de 60 millions d’euros en 2023. Au niveau national, 40 millions d’euros serviront aux grandes associations d’aide et de distribution alimentaires, afin qu’elles puissent se fournir en fruits, légumes, légumineux et produits sous labels de qualité. Ensuite, 20 millions d’euros permettront de développer les initiatives locales. J’étais par exemple hier avec l’association Solaal pour une opération de glanage solidaire, action que nous essayerons de développer car elle permet de mettre en relation des producteurs, des coopératives, des associations d’aide et de distribution alimentaires sur les territoires.

J’ai entendu vos remarques concernant la lutte contre le non-recours. Le projet de solidarité à la source consiste à aller vers les bénéficiaires et à simplifier l’ensemble de notre système. Dans ce cadre, la partie dédiée au back-office aura tout son sens, notamment à travers l’harmonisation des bases ressources, qui permettront de faciliter les modalités de calcul des prestations et de mieux mesurer l’efficience des politiques publiques en matière sociale.

La programmation budgétaire s’étalera sur les années à venir : nous avons inscrit des crédits dans la trajectoire des finances publiques, notamment pour accompagner l’accès aux droits renforcés sur le RSA et la prime d’activité.

Nous continuons de lutter contre l’inflation à la source. À ce titre, les chiffres publiés ce matin par l’Insee sont plutôt encourageants, puisque l’inflation a décru pour atteindre 5,1 % sur an, en deçà de la hausse des prestations sociales (5,6 % depuis le mois d’avril). Nous continuons à aider les familles modestes et je rappelle que les entreprises ont également augmenté les salaires de plus de 5 % en 2022. De fait, la majorité est pleinement engagée sur la question du partage de la valeur en entreprise et traduira dans la loi les accords qui ont été négociés par les partenaires sociaux.

M. Hetzel, j’ai bien noté votre question sur les associations intermédiaires. Nous vous y répondrons plus précisément, mais soyez convaincu que notre objectif vise bien à soutenir ces associations, qui réalisent un travail remarquable pour accompagner vers l’emploi et l’insertion les personnes qui en sont aujourd’hui éloignées.

Mme Charlotte Caubel. S’agissant des mineurs non accompagnés et des décalages entre AE et CP, les départements demandent traditionnellement des remboursements à n+1, le temps que les frais opérés par les associations leur remontent. Par ailleurs, la budgétisation s’est fondée sur 2019 et non sur les années 2020 et 2021, qui étaient des années particulières en raison de la crise sanitaire. Nous observons une reprise des flux, mais l’année 2022 n’a pas atteint les niveaux de 2019.

On peut imaginer que le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité, qui a été rendu obligatoire par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, puisse connaître une évolution, en liant bien financement et inscription. Cependant, les départements ne sont pas particulièrement demandeurs à ce jour. On peut imaginer que la reprise des flux fera évoluer leur position.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons à la discussion de la thématique d’évaluation relative à la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance.

Mme Perrine Goulet, rapporteure spéciale. Les politiques sociales de solidarité mises en œuvre par les départements font l’objet d’une contractualisation avec l’État, avec d’un côté les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi (CALPAE) depuis 2019 et, de l’autre, les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance (CDPPE) depuis 2020. C’est le principe même d’égalité républicaine qui conduit l’État à accompagner les départements dans leurs compétences, si fondamentales pour la cohésion sociale de notre pays. Ainsi, comment pourrions-nous justifier qu’un enfant de l’ASE dans la Nièvre soit moins bien traité qu’un enfant de l’ASE en Côte d’Or ?

À partir de ce constat simple, la question est de savoir si la contractualisation, logique en théorie, a été réellement efficace dans les faits.  Dans sa globalité, le bilan me semble positif, bien que comme pour tout dispositif contractualisé, l’intérêt et l’efficacité de ces contractualisations varient sensiblement selon les départements. Il est important de poursuivre cette démarche de contractualisation à l’avenir, notamment pour les CALPAE qui doivent s’achever en 2023, mais aussi pour les CDPPE.

Les CALPAE et les CDPPE ont permis de rapprocher les services de l’État, à savoir les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), des départements. Échange d’informations, regards croisés, partages d’expérience : ce dialogue est bénéfique pour l’État comme pour les départements. Tout ce qui peut renforcer le dialogue entre les collectivités et l’État déconcentré va dans le bon sens.

Un deuxième point positif doit être mentionné : même si les financements apportés par l’État peuvent paraître modestes – 149 millions d’euros ont été consommés en 2022 au titre des CALPAE et 134 millions d’euros au titre des CDPPE sur le programme 304 –, les acteurs rencontrés constatent un effet levier réel, quoiqu’il ne soit pas aisé de l’objectiver. En effet, les crédits budgétaires de l’État ont permis aux départements d’initier de nouvelles actions et d’en renforcer d’autres par exemple dans le champ de l’insertion, de la lutte contre les sorties sèches de l’ASE ou dans l’accompagnement des familles avec des enfants en situation de handicap.

Un troisième point positif peut être relevé : l’existence de résultats positifs pour plusieurs objectifs socles des CALPAE. Les indicateurs d’accompagnement des bénéficiaires du RSA sont tous en hausse : 57 % de nouveaux entrants au RSA ont ainsi été accompagnés en moins d’un mois en 2021 par les départements contre 46 % en 2019. Les indicateurs de prévention des sorties sèches de l’ASE, sortis des CALPAE et ayant intégré les CDPPE en 2022, témoignent également d’une nette progression : à titre d’exemple, le taux de jeunes sortant de l’ASE en parcours professionnel et scolaire atteint ainsi 74 % en 2021 contre 67 % en 2020.

Une fois ces points positifs soulignés, il faut s’attarder sur les limites de ces contrats et les axes de progrès. En ce qui concerne spécifiquement les CDPPE, on ne peut que constater les difficultés de dialogue entre les départements et les ARS, et parfois même entre les ARS et les DDETS. Les départements ont jugé l’action des ARS parfois infantilisante et, a contrario, tous les départements n’ont pas joué le jeu de la co-construction des actions à mener pour poursuivre les objectifs inscrits dans les contrats. En réalité, les difficultés avec les ARS me semblent dépasser le cadre contractuel propre des CDPPE : lorsque les départements regrettent le retrait des ARS sur leurs compétences propres (la santé mentale des enfants par exemple), on sait qu’il s’agit d’un phénomène qui n’est malheureusement pas nouveau, et qui n’est pas spécifiquement lié à la question des CDPPE.

Par ailleurs, du côté de l’État, le travail de coordination sur ces contrats entre DDETS et ARS ne se fait pas correctement, chacun restant dans son silo de compétence. En outre, une vraie question se pose pour les CDPPE : les DDETS sont-elles en mesure de parfaitement accompagner et « challenger » la mise en œuvre de l’action des départements en faveur de la petite enfance ou de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ? Contrairement aux politiques de lutte contre la pauvreté et pour l’insertion, l’État a complétement abandonné le champ de la politique de la petite enfance depuis les lois de décentralisation de 1983 : les effectifs des DDETS, déjà peu étoffés, n’ont plus toutes les compétences qui étaient celles des DDASS il y a plusieurs dizaines années. Il est crucial de réarmer l’État déconcentré par des formations renforcées et une augmentation des effectifs, pour réinvestir le champ de la petite enfance et de l’ASE.

Par ailleurs, des critiques communes, qui constituent autant d’axes d’amélioration possibles, sont adressées aux CALPAE comme aux CDPPE. Au regard du niveau modeste des financements apportés par l’État – les CALPAE représentent par exemple 0,2 % des dépenses d’insertion des départements –, les exigences de suivi et de reporting sont très élevées pour les départements, à qui incombent seuls cette charge. Les indicateurs, jusqu’à près de soixante dans certains départements, sont jugés trop nombreux.

Les changements de référentiel – la définition d’un nouvel entrant au RSA a ainsi été modifiée en cours d’exécution des CALPAE – ont complexifié le suivi pour les départements et parfois occasionné des dépenses supplémentaires d’adaptation des systèmes d’information. Certains indicateurs ont fait l’objet d’une compréhension différente selon les territoires, rendant impossible l’agrégation des données au niveau national, comme ce qui concerne l’objectif relatif au référent de parcours.

Cette lourdeur ne s’accompagne pas d’un contrôle réel des services de l’État : l’ensemble des données transmises par les départements sont purement déclaratives et les rapports d’exécution des départements contiennent de nombreuses erreurs et incomplétudes, ce qui rend d’autant plus complexe l’agrégation des résultats au niveau national. La simplification et la réduction du nombre d’indicateurs peut et doit s’accompagner d’une vigilance accrue sur les données renseignées par les départements. Il me semble aussi important d’encadrer la valorisation des crédits et de s’assurer, département par département, que les dépenses en faveur des politiques concernées par les contrats ne diminuent pas avec le soutien des crédits de l’État.

De surcroît, faute d’un diagnostic commun partagé au préalable, les départements ont souvent eu le sentiment, aussi bien pour les CALPAE que les CDPPE, que les objectifs jugés obligatoires au niveau national ne correspondaient pas nécessairement à la réalité du terrain. Il faudrait davantage de souplesse et de fongibilité dans les actions menées par les départements. L’instauration d’objectifs obligatoires identiques sur tout le territoire n’est pas toujours pertinente : la réussite des actions d’initiative départementale pour les CALPAE est plutôt la preuve du contraire.

Ensuite, il est crucial de donner davantage de visibilité pluriannuelle aux départements sur le programme 304, comme les financements de l’objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) le permettent davantage sur les CDPPE. Faute de visibilité pluriannuelle, le montant des crédits délégués dépend du dialogue de gestion aboutissant à un rapport d’exécution, dont la préparation par le département est relativement chronophage, le tout devant nécessairement précéder la signature des avenants. En conséquence, la délégation des crédits, souvent tardive à l’automne, est source d’insécurité pour les départements alors qu’ils engagent certaines actions pour plusieurs années dans le cadre de partenariats avec des associations ou avec des recrutements.

L’analyse annuelle des indicateurs de performance n’est d’ailleurs pas toujours pertinente pour évaluer la qualité de l’action des départements : un recrutement retardé ou un congé maladie peuvent suffire à dégrader certains résultats. La pluriannualité doit permettre aux départements de déployer une action dans la durée et d’évaluer ses résultats à moyen terme. Mais cette souplesse à donner aux départements nécessite également un partage des données « en temps réel » renforcé. Les données mériteraient d’ailleurs d’être mieux partagées entre administrations centrales et déconcentrées d’un côté, et entre les opérateurs de l’État et les départements de l’autre.

Enfin, je me fais l’écho des réflexions des acteurs rencontrés concernant la gouvernance des contrats : Faut-il élaborer un contrat des contrats qui porte sur les politiques sociales afin d’avoir une vision transversale des dispositifs subventionnés ? Faut-il intégrer de nouveaux acteurs aux contrats comme les ministères de la justice et de l’éducation nationale pour les CDPPE d’un côté ; et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), Pôle emploi, les caisses d’allocation familiales (CAF), les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) pour les CALPAE d’un autre côté ? Gardons à l’esprit que ces dispositifs doivent rester les plus souples possibles : si la cosignature d’autres acteurs peut alourdir le processus de contractualisation, la participation de nouveaux acteurs peut aussi prendre d’autres formes, par exemple celle d’un meilleur partage des données ou d’une participation aux instances de pilotage.

Monsieur le ministre, nous sommes à la fin d’un cycle. Vous préparez actuellement les futurs pactes locaux de solidarité qui succéderont aux CALPAE. A la lumière des propos que je viens de tenir, pouvez-vous nous faire un point sur ces pactes de solidarité ? Prendrez-vous en considération la demande des départements d’avoir plus de flexibilité et moins d’indicateurs ?

Madame la ministre, concernant les CDPPE, la nécessité de faire participer d’autres acteurs est en réflexion. Pouvez-vous nous faire un point sur ces travaux au regard de l’analyse que je vous ai livré, à savoir que les deux cosignataires actuels travaillent chacun en direct avec les départements sans concertation ? Quelle est votre feuille de route pour redonner la capacité au DDETS de piloter ces contrats ? Bien entendu, il ne me viendrait pas à l’esprit que les CDPPE soient interrompus.

M. Jean-Christophe Combe. Madame la rapporteure spéciale, je vous remercie d’avoir retenu cette année comme thématique d’évaluation La contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales, dans le cadre à la fois de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, sur laquelle j’aurai plaisir à m’exprimer, et de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, sur laquelle bien sûr je laisserais ma collègue Charlotte Caubel vous répondre.

Si elle est en bien sûr une facette très importante, la contractualisation entre l’État et les collectivités, qu’il s’agisse des départements ou des métropoles, ne résume pas à elle seule l’ambition de la stratégie de lutte contre la pauvreté menée par l’État. Il me semble d’ailleurs important, devant vous, de revenir sur l’exécution budgétaire 2022 de cette stratégie, que j’ai volontairement gardée pour cette seconde prise de parole.

En la matière, 2022 représente une nouvelle année de déploiement des principaux dispositifs de la stratégie. Je pense par exemple au soutien accru à l’alimentation des enfants de familles modestes avec une forte montée en charge de la tarification sociale des cantines. En 2022, cinq fois plus d’élèves ont bénéficié des tarifs à 1 euro ou moins que l’année scolaire précédente. Finalement, notre objectif d’atteindre 1 400 communes fin 2022 a été largement dépassé, puisque 1 888 communes ont bénéficié de ce dispositif. Le même constat de réussite s’applique aux petits-déjeuners gratuits à l’école, avec 245 151 élèves bénéficiaires contre 100 138 en 2021.

J’en viens maintenant au sujet précis de votre rapport thématique : la contractualisation entre l’État et les collectivités locales. L’année 2022 a constitué la dernière itération des contrats entre l’État et les conseils départementaux, les métropoles et quelques régions, en tout cas dans leur forme originelle.

Je rappelle qu’un nombre important des mesures de la stratégie de lutte contre la pauvreté passent par la contractualisation. Je pense notamment aux mesures suivantes :

– la garantie d’activité départementale pour les bénéficiaires du RSA, 200 000 d’entre eux ayant été concernés en 2021 ;

– le développement des plateformes de mobilité pour faciliter l’accès à l’emploi des publics qui en sont les plus éloignés ;

– la prévention des sorties sèches de l’ASE.

Évidemment, s’agissant d’une approche aussi innovante et aussi ambitieuse, l’évaluation a été à la fois indispensable et éclairante. Je retiens d’ailleurs de nombreux éléments de l’évaluation menée par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la contractualisation, et partage par ailleurs très largement vos recommandations, madame la rapporteure.

Pour l’avenir, je souhaite ainsi refonder la démarche contractuelle afin de conclure de véritables pactes locaux des solidarités, autour des départements et des métropoles. Les précédents contrats ont permis de renouer un dialogue entre l’État et les collectivités, qui s’était fortement distendu sur les politiques sociales. Cette nouvelle dynamique de partenariat s’est construite autour de projets portés en commun et à forte plus-value sociale pour nos concitoyens.

Mais ils souffraient de quelques « défauts de jeunesse » qui en ont rendu la mise en œuvre souvent trop lourde, et le rapport de l’IGAS a sur ce point été éclairant. C’est pourquoi je pense comme vous, madame la rapporteure, que nous devrons nous améliorer sur plusieurs points. Il s’agit tout d’abord de réduire le nombre d’indicateurs. Nous devons nous concentrer au maximum sur la définition d’objectifs partagés plutôt que sur des indicateurs de moyens, car ce sont eux qui peuvent parfois conduire à des relations vécues comme un contrôle trop tatillon qui n’a bien sûr pas lieu d’être.

Je pense ensuite à la visibilité et la robustesse de notre partenariat. Nous devons aller vers une contractualisation pluriannuelle, qui donne de la visibilité à chacun, à l’échelle du quinquennat. Enfin, je souhaite évoquer l’adaptation à la diversité des territoires. Nous devrons trouver le meilleur équilibre entre deux éléments. Il s’agit d’une part de la définition d’éléments de cadrage construits à l’échelle nationale. Nous sommes d’ailleurs en train d’y travailler avec les représentants des collectivités. Il s’agit d’autre part de la nécessité d’élaborer des contrats réellement adaptés à la grande variété des réalités locales. C’est pourquoi les futurs contrats seront fondés sur des diagnostics territoriaux précis, en cours de formalisation. Au-delà du binôme État/collectivités, ils associent l’ensemble des parties-prenantes : caisses de sécurité sociale, Pôle Emploi, ARS, grandes associations de lutte contre la pauvreté, ainsi que d’autres acteurs le cas échéant, comme les entreprises.

Ces diagnostics nous permettront de nous appuyer sur la vision la plus précise et la plus complète des besoins des territoires, et de construire des réponses associant le plus grand nombre d’intervenants. Mon objectif consiste à finaliser ces contrats avant la fin de l’année, afin qu’ils soient applicables à compter du début de l’année 2024, en cohérence avec les calendriers budgétaires des collectivités.

Mme Charlotte Caubel. J’ai décidé la reconduction de la contractualisation dédiée à la protection de l’enfance, pour maintenir les actions ayant débuté et prendre le temps d’évaluer la première vague de contractualisation. Celle-ci a ainsi permis de réunir autour de projets priorisés un certain nombre d’acteurs qui avaient tendance à ne plus se parler. Je pense notamment aux préfets, qui avaient moins investi le champ de la protection de l’enfance.

Nous avons déjà prévu d’inscrire pour 2023 et 2024 un soutien accru aux départements qui expérimentent les CDPPE, pour leur donner des moyens supplémentaires et leur laisser une marge de manœuvre. Madame la rapporteure spéciale, vous avez raison de faire le lien entre gouvernance, moyens et contractualisation, afin que nous agissions vraiment dans le cadre d’une stratégie territoriale.

Un président de département nous a demandé la totale liberté dès lors que les décisions étaient prises dans le cadre du comité départemental de protection de l’enfance (CDPE). Cette question essentielle mérite d’être expertisée. La richesse de la protection sociale de l’enfance tient à la conjonction d’une dimension sociale très importante et d’une dimension régalienne non négligeable, puisque la justice, la santé et l’éducation nationale interviennent. Nous soutenons également les projets interdépartementaux, puisque certains sujets peuvent être pris en compte au-delà des frontières de chaque département. Les départements du Pas-de-Calais et du Nord ont ainsi formulé une proposition en ce sens.

J’ai également la volonté d’élargir ces contractualisations à l’éducation nationale et à la justice, à la fois pour mobiliser d’autres fonds, mais aussi d’autres acteurs et moyens pour résoudre notamment la problématique des « cas complexes », ces jeunes qui passent d’un dispositif à l’autre et pour lesquels nous ne trouvons pas toujours de solutions à leurs difficultés. En résumé, je relance la contractualisation en 2024, en y accordant une priorité plus forte, déterminée notamment dans les CDPE, et un élargissement à tous les acteurs de l’enfance, notamment la CAF et la CPAM sur un certain nombre d’aspects. Vous avez évoqué la fongibilité des enveloppes mais celle-ci est relativement difficile à mettre en œuvre lorsque l’on place dans la même enveloppe l’ONDAM, le PLF et le PLFSS.

La pluriannualisation des financements de l’État est importante pour sécuriser les projets. Les associations demandent elles-mêmes une telle pluriannualisation au niveau des départements. Par ailleurs, il me paraît évident de limiter le nombre d’indicateurs, à l’aide de référentiels plus clairs.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, il existe un véritable enjeu en matière de données à disposition des acteurs au niveau du territoire ou de l’État. Telle est l’ambition du groupement d’intérêt public « France enfance protégée ». J’ajoute que la Drees a conservé à notre demande une compétence propre dans ce domaine, qui représente un enjeu d’avenir et constitue une de mes priorités.

Dans la contractualisation sur la protection de l’enfance, nous nous sommes rendu compte que nos financements ont parfois financé des actions qui existaient déjà. Il est donc important que la contractualisation constitue le levier d’une meilleure synergie et une d’meilleure priorisation.

L’ensemble de ces sujets exige de renforcer les DDETS sur les enjeux de contrôle, mais aussi les enjeux de contractualisation avec les départements. Par exemple, on ne peut pas avoir 0,80 équivalent temps plein travaillé (ETPT) dans les Bouches-du-Rhône dédié à l’enfance. Nous avions obtenu des effectifs pour 2023 et j’ai demandé que les DDETS soient renforcées pour les départements volontaires sur le CDPPE. Il existe en outre un enjeu d’articulation sur la place des DDETS, des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et des commissaires à la pauvreté. Je veille à les associer aux CDPE. Il nous faut impérativement placer les compétences existantes dans nos services déconcentrés au bon endroit et les renforcer, pour répondre à ces enjeux de contractualisation.

Mme Patricia Lemoine (RE). Je tiens tout d’abord remercier Mme la rapporteure spéciale pour la qualité du rapport qu’elle vient de nous présenter. Afin de territorialiser sa stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et celle de la prévention et de la protection de l’enfance, le gouvernement a souhaité s’appuyer sur deux contrats avec les départements : les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et l’accès à l’emploi, et les contrats départementaux de prévention et de protection de l’enfance.

Les CALPAE semblent avoir de réels effets positifs sur les objectifs fixés comme l’accompagnement des bénéficiaires du RSA ou le soutien à la mobilité des demandeurs d’emploi. S’agissant du RSA, les actions mises en place via ces contrats portent leurs fruits. À titre d’exemple, 57 % des nouveaux entrants au RSA ont été accompagnés en 2022, contre 49 % en 2019. Concernant les CDPPE, les résultats semblent plus mitigés, même si plusieurs actions ont été développées par les départements, grâce au financement de ces contrats.

Un des écueils concerne le suivi de l’action des départements en matière de protection maternelle et infantile et d’aide sociale à l’enfance confié aux DDETS. Un renforcement de leurs moyens humains est-il à l’ordre du jour pour améliorer le suivi ? De manière générale, les objectifs portés par les CALPAE et les DDETS s’inscrivent dans le temps long. Or les financements ne bénéficient pas d’une visibilité pluriannuelle, ce qui fragilise la réussite des objectifs fixés. Mr le ministre, un financement pluriannuel est-il à l’étude ?

Enfin, la réalité varie selon les territoires. Dès lors, les objectifs nationaux devraient pouvoir varier plus librement en fonction des spécificités des départements. Une plus grande flexibilité en la matière est-elle à l’étude ?

M. Fabien di Filippo (LR). Concernant cette mission d’évaluation, mes interrogations porteront sur trois points. La première concerne l’évolution des dépenses sociales et des dépenses de RSA dans les départements. Depuis douze ans, le nombre d’allocataires du RSA a été multiplié par 1,5. Les revalorisations successives décidées par l’État entraînent en outre un surcoût pour les départements et représentent pour certains plus de la moitié de leur budget.

Ensuite, les indicateurs de retour à l’emploi sont très mauvais : sept personnes sur dix ne reviennent pas vers l’emploi bien des années après leur entrée dans le dispositif du RSA. De fait, le RSA se révèle être une prison destructrice en termes d’assistanat. N’y a-t-il pas de conclusions à tirer sur le fait que des générations rentrent dans les dispositifs d’insertion et n’en ressortent jamais ?

Enfin, ma dernière remarque concerne l’ASE. Quand les enfants continuent d’aller dans leur famille d’origine, le lien entre la famille d’accueil et la famille d’origine pose des difficultés, y compris dans les dispositifs d’ASE. Pour peu qu’elles voient l’enfant quelques jours dans l’année, les familles d’origine continuent de toucher un certain nombre de prestations sociales. Ne faudrait-il pas le remettre en cause ?

M. Pascal Lecamp (Dem). Je remercie la rapporteure pour son excellent exposé. Dans le cadre des CDPPE, certaines actions sont obligatoires pour chaque département, alors même qu’elles ne sont pas aussi nécessaires d’un territoire à l’autre. Comment traitez-vous cette réalité dans vos évaluations de mise en œuvre différenciées, département par département ? Comment pouvons-nous mieux territorialiser les missions des départements dans la protection de l’enfance ?

Ensuite, les CALPAE seront bientôt remplacées par les pactes locaux des solidarités. À quels changements peut-on s’attendre dans le périmètre des missions, compte tenu de l’évolution du partenariat avec les collectivités ? Quels seront les cosignataires de ces pactes ?

Mme Eva Sas (Écolo-NUPES). La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté lancée en 2018 a pris fin en 2022. Budgétairement, cette transition s’est manifestée par une diminution de 328 millions à 252 millions d’euros des crédits du programme 304 entre 2022 et 2023.

Ce plan entre en effet dans une année de transition, au cours de laquelle les conventions seront renouvelées. Vous aviez annoncé que le pacte des solidarités, initialement annoncé pour janvier, serait publié à la mi-mars. Or nous sous sommes fin mai et aucune nouvelle stratégie n’a été publiée. Que devient le pacte des solidarités ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous confirmer que vous avez pris en compte les voix qui se sont élevées dans le monde associatif pour demander que le pacte gagne en ambition ? Le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CLNE) a quant à lui demandé à être plus écouté, de même que les personnes directement concernées par la pauvreté.

Enfin, que répondez-vous à Noam Leandri, qui rappelle que les étrangers, les familles monoparentales et les jeunes sont les trois catégories les plus touchées par la pauvreté et qui espère en ce sens que des mesures très favorables aux étrangers puissent être prévus dans le projet de loi sur l’immigration ? Avez-vous travaillé de concert avec le ministère de l’intérieur sur ce sujet, dans le cadre des travaux préparatoires au projet de loi ?

M. Jean-Marc Tellier (GDR-NUPES). Je remercie à mon tour Mme la rapporteure spéciale. La situation de la protection de l’enfance est préoccupante dans notre pays. Je pointe également le manque de places dans l’ASE ainsi que le manque criant d’assistantes familiales et d’éducateurs.

La contribution de l’État à travers le CDPPE et la lutte contre la pauvreté ne règle pas dans l’immédiat les questions d’urgence mais elle permet au moins de réunir les différents acteurs (ARS, éducation nationale, État) autour d’une table. Je souligne également la mise en place des CPDE dans les départements. Enfin, le travail de prévention sur les questions de l’enfance fait défaut dans notre société. Un grand travail de prévention doit être mené, tant au niveau de l’enfance que sur celui de la parentalité, tant les manques sont grands dans ces domaines.

M. Jean-Christophe Combe. Vous m’avez interrogé sur l’avenir de la stratégie de lutte contre la pauvreté et le pacte des solidarités. J’ai effectivement entendu les remarques effectuées par les acteurs (départements et associations de lutte contre la pauvreté), qui nous ont demandé de prendre plus de temps pour pouvoir élaborer ce pacte et travailler à une inclusion et une participation plus fortes des personnes concernées dans son élaboration. En conséquence, nous avons pris quelques semaines supplémentaires, mais je rappelle que l’objectif sera tenu, puisque l’année 2023 est une année de transition. Nous travaillons d’ores et déjà avec les collectivités sur les modalités de déploiement et de mise en œuvre de cette nouvelle stratégie.

Les annonces qui seront faites dans les semaines à venir tiendront bien compte de cette réalité. Il s’agit d’un engagement important du gouvernement, au niveau interministériel. En effet, ce pacte a pour objectif d’assembler les politiques publiques qui vont œuvrer pour lutter contre la pauvreté. Je pense à la mise en place d’un service public de la petite enfance dans la continuité des 1 000 premiers jours, qui comportera une dimension forte de prévention, d’accompagnement et de lutte contre la pauvreté des enfants. Nous allons continuer à lutter de manière méthodique contre la reproduction sociale de la pauvreté et les inégalités de destin.

En outre, nous avons fait du plein emploi un axe majeur de la lutte contre la pauvreté. Dans ce cadre, nous allons continuer de travailler en articulation avec France Travail. Ainsi, la contractualisation que nous porterons avec les collectivités au niveau territorial recoupera aussi le périmètre de France Travail. De plus, le pacte devra spécifiquement lutter contre la très grande pauvreté et à ce titre aller chercher les publics les plus éloignés, qu’il s’agisse des migrants, des jeunes ou des enfants.

Les familles monoparentales constituent en outre une autre de nos priorités et nous avons déjà pris de nombreuses mesures pour les soutenir. Elles représentent aujourd’hui 25 % des familles dans notre pays et 30 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté.

Un quatrième axe visera à faire de la transition écologique une transition solidaire en travaillant sur les postes de dépenses contraintes des ménages les plus modestes, comme la mobilité, le logement, l’accès à l’énergie ou l’alimentation, dont je vous ai déjà parlé.

S’agissant de la politique d’accès à l’emploi, les dépenses qui ont augmenté concernent l’accompagnement de bénéficiaires du RSA Dans un marché du travail qui se tend, plus nous allons réduire le nombre de bénéficiaires du RSA, plus nous allons trouver des personnes très éloignées de l’emploi. Notre investissement pour les accompagner vers le retour à l’emploi se poursuivra dans les années à venir.

La relation entre l’État et les départements est parfois difficile. J’ai mis en place un comité des financeurs, pour pouvoir discuter avec les départements en amont des décisions que le Parlement ou le gouvernement sont conduits à prendre. Il s’agit de faire en sorte que chacun puisse, à la hauteur de ses besoins, prendre ses responsabilités Ainsi, la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie participe aujourd’hui au financement d’une compétence exclusive des départements, la politique du maintien à domicile de nos ainés et des personnes en situation de handicap, pour plus d’un milliard d’euros. L’État prend donc sa part.

J’ajoute que d’autres discussions interviendront, notamment dans le cadre du groupe de travail que j’ai institué sur l’avenir du modèle économique des Ehpad. La question des Ehpad est assez compliquée car les capacités contributives sont très divergentes d’un département à l’autre. Ces discussions existent et nous continueront à y travailler.

Les cosignataires des pactes locaux de solidarité relèvent du choix des collectivités. Pour ma part, j’invite à élaborer une contractualisation très large, qui associe les services de l’État, les collectivités, les grandes et petites associations sur le territoire, mais aussi d’autres acteurs comme les entreprises et les entrepreneurs sociaux.

Mme Charlotte Caubel. Nous partageons tous le même objectif, qui allie l’homogénéité d’un certain nombre de priorités et une différenciation territoire par territoire. Tel est l’objet de la contractualisation.

En matière de protection de l’enfance, il y avait trente objectifs mais seulement quatre ou cinq étaient obligatoires, par exemple les rendez-vous médicaux prénataux et post-nataux. Ensuite, les départements devaient en choisir huit sur les trente proposés. Cette souplesse initiale doit être maintenue, tout en affichant des priorités. Le fait d’inscrire le préfet et l’autorité judiciaire aux côtés du président dans les conseils départementaux de protection de l’enfance a permis de transmettre les impulsions de l’État, au plus près des territoires.

M. Di Filippo, vous avez évoqué la sortie des dispositifs de l’ASE. Il s’agit de mon indicateur de performance personnel. Nous avons inscrit 50 millions d’euros pour accompagner les départements. En la matière, je considère qu’un partenariat est essentiel entre les départements et l’État, lequel doit être au rendez-vous sur un certain nombre de thématiques, comme la santé, le logement ou le travail.

Vous avez aussi mentionné le sujet de la juste attribution des différentes allocations aux familles ou aux enfants. Le système actuel, très opaque, est normalement à la main des magistrats pour les enfants suivis par l’autorité judiciaire. Or les magistrats ne se prononcent pas systématiquement, ce qui est un problème en soi. De plus, lorsqu’ils se prononcent, ils ont tendance à privilégier, ce qui est normal, le maintien du lien avec la famille, ce qui entraîne un maintien de l’allocation des ressources à la famille. Je considère que cela pose un problème pour un bon nombre d’enfants. De manière générale, la question des allocations constitue un chantier prioritaire sur lequel nos équipes travaillent, pour effectuer des propositions d’allocations ou de réallocations au plus juste.

Mme Perrine Goulet, rapporteure spéciale. En résumé, les contractualisations constituent de bons dispositifs, qui doivent être maintenus. Du côté des CDPPE, la nécessité d’une coordination est évidente et il me semble pertinent de l’effectuer à travers les CDPE. J’appelle à leur généralisation et à un déploiement plus large.

Je comprends la volonté d’élargir le nombre de signataires. Il me semble utile d’associer tous les acteurs dans un comité de pilotage, mais la cosignature devrait se limiter aux financeurs. Par ailleurs, je souligne à nouveau que les départements manquent de fonctionnaires pour mener bien toutes ces missions.

Enfin, les printemps de l’évaluation sont de bons dispositifs qui doivent se poursuivre. Nous devons continuer à les développer. Je tiens à remercier les acteurs qui ont répondu à nos interpellations, qu’il s’agisse des départements, des métropoles, des services de l’État en administration centrale ou dans les départements.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 8 juin 2023