Interview de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, à RTL le 14 juin 2023, sur les déserts médicaux, les pénuries de médicaments et l'intention du gouvernement de relocaliser la production de certains médicaments.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BÉGOT
Dans un tout petit instant, je reçois François BRAUN, le ministre de la Santé. Bonjour.

FRANÇOIS BRAUN, MINISTRE DE LA SANTE
Bonjour.

AMANDINE BÉGOT
Et bienvenue sur RTL monsieur le ministre. On est ravi de vous accueillir ce matin. Entre les déserts médicaux et les pénuries de médicaments, j’ai plein de questions à vous poser. Vous levez les yeux au ciel, mais il y en a, du boulot. À tout de suite.

AMANDINE BÉGOT
François BRAUN. Évoquons d’abord ces pénuries de médicaments. Emmanuel MACRON a annoncé hier son intention de relocaliser en France la production d’une cinquantaine de médicaments essentiels, dont 25 très prochainement. Vous, vous dévoilez une liste de 450 molécules pour lesquelles les fabricants vont devoir fournir quatre mois de stock. Ça va de l’amoxicilline au paracétamol, en passant par un certain nombre de vaccins, des traitements contre l’épilepsie également dont on a beaucoup manqué ces dernières semaines. Ça veut dire quoi, que tous nos auditeurs qui galèrent depuis des mois n’ont plus de souci à se faire pour leurs traitements ?

FRANÇOIS BRAUN
Ça veut dire que toutes ces mesures font partie d’une stratégie beaucoup plus globale qui était voulue par le Président de la République il y a déjà quelques années, qui est de rendre à la France sa souveraineté en termes de médicaments. À la France et à l’Europe puisque bien sûr, ce sujet n’est pas que français, il est européen. Et très régulièrement, j’échange avec mes collègues européens sur le sujet. Donc c’est quoi ? C’est identifier, ce sont les professionnels qui l’ont fait, une liste de médicaments essentiels qui sont ces médicaments avec lesquels on peut avoir un système de santé qui fonctionne normalement. Parmi ces médicaments, il y en a, bien sûr, qui sont indispensables et assez rares d’utilisation, il y en a qui sont très fréquent, le paracétamol par exemple. Et pour tous ces médicaments, la volonté est de suivre de très près les lignes de production, depuis l’usine jusqu’à la pharmacie pour s’assurer qu’il n’y a pas de rupture, et s’assurer que ces médicaments sont bien à disposition de tous.

AMANDINE BÉGOT
Sauf que j’imagine, monsieur le ministre, qu’il ne suffit pas de dire aux industriels : « Faites des stocks » pour que ce soit le cas. De quel moyen de pression disposez-vous ?

FRANÇOIS BRAUN
Alors il n’y a pas que cette question de stock, on parle beaucoup de cette question de stock, mais elle existe déjà. Elle existe déjà pour 400 médicaments, dans le cas des discussions que nous avons avec les industriels. Il n’y a pas que ça, il y a des problèmes simplement de production, il y a des problèmes aussi qui sont saisonniers. On voit bien, il y a des médicaments qu’on va plus utiliser en hiver, l’amoxicilline, le paracétamol. Donc il faut faire varier aussi ces stocks en fonction des besoins. Il y a cette surveillance, on met toutes ces lignes de médicaments sous la loupe. Et puis les médicaments pour lesquels il y a une criticité importante pour les patients, mais aussi pour notre souveraineté industrielle, eh bien, c’est la volonté du Président de relocaliser ces chaînes de production en France.

AMANDINE BÉGOT
L’économiste de la Santé, Frédéric BIZARD, disait hier : « On ne relance pas la production pharmaceutique par injonction présidentielle ». C’est vrai ? Pourquoi ? Est-ce qu’il suffirait de dire aux industriels : « Vous produisez chez nous » ? Est-ce qu’il ne faut pas, par exemple, augmenter les prix des médicaments justement pour les attirer ? Vous y êtes prêt ?

FRANÇOIS BRAUN
J’étais, hier, avec le Président de la République que vous savez en Ardèche. On voit des industriels qui sont particulièrement mobilisés. Aussi, ce n’est pas n’importe quelle industrie quand on fabrique des médicaments, on a aussi une volonté d’apporter cela. Donc la mobilisation, elle est là. La question du prix, c’est une question qui revient très régulièrement, avec des comparaisons qui ne sont pas possible à faire. Je me tourne vers ceux anglais, c’est extrêmement compliqué. Mais bien sûr, ça fait partie de la discussion. La Première Ministre a lancé, il y a quelques mois, un groupe de travail spécifique avec les industriels pour remettre un petit peu à plat notre politique de prix. Mais ce qui est important aussi, vous savez, moi, je dois aussi m’assurer que les médicaments les plus innovants soient plus chers, soient aussi à la disposition de nos compatriotes.

AMANDINE BÉGOT
La production en France, d’un mot, quand on dit : « 25 médicaments très prochainement », c’est quoi, « Très prochainement » ? Dans un mois ? Dans six mois ? Ça ne se construit pas comme ça, une usine.

FRANÇOIS BRAUN
Alors ce n’est pas uniquement des constructions d’usine hein, c’est des… Comme on l’a vu hier chez Laboratoire AGUETTANT, c’est l’augmentation de lignes de production. Donc dans les semaines qui viennent, la relocalisation va être précisée, le Président de la République l’a dit hier, pour 25 de ces 50 médicaments qui ont été identifiés encore plus essentiels d’un point de vue industriel. Dans la logique des investissements pour la santé, vous savez que dans le cadre de France 2030, il y a 7,5 milliards qui sont investis justement pour…

AMANDINE BÉGOT
Mais du coup, c’est pour quand ? Pour l’hiver prochain, il n’y aura pas de pénurie ?

FRANÇOIS BRAUN
On va avoir des pénuries encore. Je crois qu’il faut être très clair, on va avoir des risques de rupture de stock. Moi, ce que je veux simplement, c’est qu’on ait, peut-être par moment, quand c’est un peu tendu, moins de stock, mais que les Français puissent toujours trouver les médicaments dont ils ont besoin. Ça va être encore compliqué l’hiver prochain, mais croyez bien que je suis entièrement mobilisé là-dessus.

AMANDINE BÉGOT
Autre sujet d’inquiétude, c’est la question des déserts médicaux. 6 à 8 millions de Français concernés, le sujet est actuellement au coeur des discussions à l’Assemblée. Il y a notamment cet amendement qui doit être débattu aujourd’hui et qui vise à durcir les conditions d’installation des médecins. En clair, fini la liberté d’installation, on les pousserait ou les contraindrait à s’installer là où on manque de médecin. Vous n’en voulez pas, la Première Ministre n’en veut pas non plus. Pourquoi ?

FRANÇOIS BRAUN
Parce que ça ne marche pas. Pensez bien que si c’était aussi facile, et si on réglait les problèmes des déserts médicaux simplement en disant… obliger les médecins à s’installer, je l’aurais fait depuis longtemps, ça aurait été beaucoup plus simple, et les débats auraient été beaucoup plus faciles.

AMANDINE BÉGOT
Sauf que l’incitation, ça ne fonctionne pas non plus. Tous les ministres de la Santé, au cours des 20 dernières années, ont chacun pondu un plan, si je peux me permettre, avec un certain nombre d’incitations ; et à l’arrivée, le problème, il est toujours là.

FRANÇOIS BRAUN
Il n’y a pas que l’incitation qui va faire fonctionner. Je prends un exemple. C’est quoi un désert médical ? Alors on parle beaucoup de l’Allemagne, on a imposé aux médecins, c’est très bien, c’est extraordinaire. Déjà, le problème de pénurie médicale, il est partout en Europe, il est partout dans le monde. C’est vraiment un problème structurel de nos systèmes de santé. Les collègues allemands, ils disent qu’un désert médical, c’est quand on est en dessous de 60 médecins pour 100 000 habitants. C’est la définition. Ben si on prend cette définition en France, nous avons deux déserts médicaux en France, Wallis et Futuna et Mayotte. Pourquoi je vous dis ça ? Pour autant, il y a des déserts médicaux, pour autant, on a nos concitoyens qui ont du mal à trouver un médecin. Eh bien, ce n’est pas uniquement le nombre qui est important, c’est le temps médical. Collègues allemands, ils ne passent pas du temps à remplir des papiers et à faire des certificats. Et moi, ma stratégie, ma politique, celle qui est soutenue par le gouvernement, c’est, un, effectivement, on aura des incitations pour aller dans ces territoires. On va parler de la 4ème année de Médecine par exemple. Mais c’est surtout de redonner du temps médical.

AMANDINE BÉGOT
Simplifier les procédures administratives.

FRANÇOIS BRAUN
Redonner du temps médical, supprimer tout ce qui est inutile en paperasse, faire travailler les médecins avec les autres professionnels de santé, ça redonne du temps médical. Dans la loi RIST, nous avons permis aux infirmiers, aux sage-femmes, aux pharmaciens de faire eux-mêmes les vaccinations, ça fait gagner du temps médical. C’est ça qui fonctionne. On ne rénovera pas le système de santé sans les médecins. On ne rénovera pas le système de santé en les braquant, on va avoir des résultats qui seront pires que la situation actuelle si on impose ces installations.

AMANDINE BÉGOT
Vous dites ce matin aux députés qui seraient tentés de voter pour cet amendement : « Ne le votez pas, vous risquez de mettre le feu à notre système de santé » ?

FRANÇOIS BRAUN
Vous ne risquez pas, vous mettrez le feu à notre système de santé. La situation, demain… ce n’est pas dans 10 ans, demain, sera pire qu’aujourd’hui. Ne refaisons pas l’erreur historique du Numerus Clausus que nous payons encore 40 ans après.

AMANDINE BÉGOT
Si on applique toutes ces mesures sur lesquelles vous travaillez actuellement, vous parlez notamment de cette 4ème année de Médecine pour les internes en Médecine générale, à quelle échéance est-ce qu’on peut voir une amélioration ? Ça va se passer à 10, 20 ans ?

FRANÇOIS BRAUN
Non, on va voir une amélioration plus rapide. C’est bien sûr mon objectif. On ne peut pas rester dans la situation actuelle. Très honnêtement, je pense que notre système de santé, qui est encore en difficulté, est en train de mettre la marche-avant. Ça y est, nous sommes en train de repartir. On a vu l’été dernier, on a réussi à passer ces crises, l’été, l’hiver. On a oublié quand même, il y a eu plusieurs crises déjà successives. Je crois que les professionnels de santé voient que les efforts sont faits par ce gouvernement pour apporter des meilleures conditions de travail.

AMANDINE BÉGOT
Ça ne va pas assez vite.

FRANÇOIS BRAUN
Mais ça n’ira pas assez vite. Je l’ai dit, dès que je suis arrivé il y a bientôt un an, j’ai dit : « On ne va pas régler en quelques mois 40 années de difficulté au niveau de notre système de santé ». Les choses vont s’améliorer, commencent à s’améliorer, ça va continuer. Je pense que les Français vont voir des choses assez rapidement. Vous savez, le programme pour tous ces patients chroniques à qui nous fournissons un médecin traitant, il s’est engagé avec le Président de la République pour la fin de l’année. Ça commence à marcher. Près d’un tiers, on leur a déjà trouvé un médecin traitant.

AMANDINE BÉGOT
François BRAUN, vous le disiez, ça fait bientôt un an que vous êtes ministre, on parle beaucoup de remaniement ces derniers jours, est-ce que vous serez dans le prochain gouvernement ? Vous le souhaitez, en tout cas ?

FRANÇOIS BRAUN
Madame BÉGOT, je crois que vous disiez que vous aviez beaucoup de questions, je pense que j’ai assez de sujets de préoccupation aujourd’hui.

AMANDINE BÉGOT
Il n’y a pas certains jours où vous vous dites : « J’étais plus utile dans un service d’urgence ou… » ?

FRANÇOIS BRAUN
Non, j’espère être utile par la politique que je porte sous l’autorité de la Première Ministre, avec l’axe qui a été formé par le Président de la République. Mais franchement, ce que je pense, le matin en me rasant, c’est vraiment à la santé des Français.

AMANDINE BÉGOT
Merci beaucoup François BRAUN.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 15 juin 2023