Texte intégral
Monsieur le premier ministre, et président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, cher Jean-Marc AYRAULT,
Madame la ministre, chère Isabelle ROME,
Messieurs les parlementaires,
Messieurs les ambassadeurs,
Madame la conseillère régionale,
Mesdames et Messieurs les élus locaux,
Madame l’administratrice du Panthéon,
Mesdames et Messieurs,
En 1793, Toussaint-l’Ouverture, dans sa première proclamation, s’adresse à ses frères et ses amis : « je suis Toussaint-l’Ouverture, mon nom s’est peut-être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à la faire exister. Unissez-vous à nous, frères, et combattez avec nous pour la même cause ». Tout est là : la liberté, l’égalité, et la fraternité, soit les devises de la République française mais aussi de la République haïtienne.
Je ressens une émotion particulière aujourd’hui, au moment où nous rendons ensemble hommage à Toussaint Louverture. Un homme dont les ancêtres étaient issus du peuple Allada en Afrique, un homme qui était né dans l’esclavage et qui le renversa comme on renverse les montagnes. C’est à un général de la République, défenseur des valeurs fondatrices et universelles de la République, que la République rend hommage aujourd’hui.
Un « combattant de la liberté », un « héros haïtien mort déporté au Fort-de-Joux en 1803 » : tels sont les mots qui sont inscrits ici, depuis 25 ans, dans ce lieu où la République honore ses grands hommes, et ses grandes femmes, ses héros et ses héroïnes.
1803-1998 : Presque deux siècles. C’est le temps qu’il a fallu à la France pour rendre à Toussaint Louverture l’hommage officiel que sa destinée exceptionnelle justifiait depuis si longtemps. Un hommage qui lui avait déjà été rendu par Alphonse de Lamartine, Victor Schoelcher, Aimé Césaire et Edouard Glissant, qui lui ont chacun consacré une oeuvre.
Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir le faire au nom du gouvernement français, parce que le combat de Toussaint Louverture « pour que la liberté et l’égalité règnent », pour reprendre ses propres termes, est plus que jamais actuel. Il est plus que jamais le nôtre et celui de la jeunesse.
C’est la raison pour laquelle l’histoire de la révolution haïtienne, si centrale dans l’histoire des révolutions atlantiques, et donc dans l’histoire du monde tant son retentissement fut planétaire, doit être connue de toutes et tous. Comme vous l’avez rappelé à l’instant, cher Jean-Marc Ayrault, le ministère de l’Education nationale et de la jeunesse travaille pour cela avec la fondation pour la mémoire de l’esclavage dans le cadre de la convention qui les réunit depuis 2021.
La connaissance de l’histoire de l’esclavage dans l’empire colonial français et des combats pour son abolition repose en premier lieu sur l’enseignement, éclairé par la recherche universitaire. Aborder ce sujet dans le cadre scolaire est crucial parce qu’il permet de revenir à la source de notre universalisme, tel qu’il fut saisi par les révoltés de Saint-Domingue eux-mêmes, fidèles aux idéaux de la Révolution française au moment où Napoléon Bonaparte renversait la République.
Cette ambition mobilise l’Education Nationale de plusieurs manières :
Il y a tout d’abord l’enseignement de l’histoire, qui aborde l’esclavage et son abolition, et tous leur prolongement, qui doivent donner à Toussaint Louverture et à la révolution haïtienne leur place nécessaire.
Il y a ensuite les formations et les ressources : le ministère les déploie, notamment en lien avec la Fondation, à travers les plans académiques de formation, le site Eduscol et son opérateur Canopé.
Enfin, la transmission de l’histoire de l’esclavage et des abolitions est aussi au coeur du combat quotidien contre le racisme et les discriminations ; je rappelle notre engagement dans le nouveau Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine, de proposer à tous les élèves de collège la visite d’un lieu de mémoire durant leur scolarité ; les lieux de mémoire de l’esclavage et des abolitions y seront en bonne place. Je pense en particulier à des lieux en France qui évoquent Toussaint Louverture et sa famille : au Fort-de-Joux, mais aussi les statues de TL à Massy, à La Rochelle, à Bordeaux, au château de l’Isle-de-Noé dans le Gers, bientôt à Agen…
Je me réjouis à cet égard de l’initiative du Centre des monuments nationaux et de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage de consacrer cette année, ici au Panthéon, une exposition sur les héroïnes et les héros de la liberté, et je forme le voeu que les visiteurs scolaires y soient nombreux ;
Je pense enfin au concours scolaire de la Flamme de l’Egalité, qui existe depuis 2015 ; il mobilise toujours plus de classes, et je suis heureux de partager avec vous le fait que sa dernière édition est aussi celle qui a le plus mobilisé, avec 324 dossiers déposés, issus de toute la France.
Lorsqu’elle a inauguré en 2018 la chaire « Mondes francophones » du Collège de France, la romancière Yanick Lahens a dit son étonnement devant ce constat : alors que les élèves haïtiens connaissent tous la Révolution française, rares sont les élèves français qui connaissent la Révolution haïtienne. Il faut changer cela,
Aimé Césaire écrit, dans Toussaint-l’Ouverture, la révolution française et le problème colonial :
« Quand Toussaint-Louverture vint, ce fut pour prendre à la lettre la déclaration des droits de l'homme, ce fut pour montrer qu'il n'y a pas de race paria ; qu'il n'y a pas de pays marginal ; qu'il n'y a pas de peuple d'exception. Ce fut pour incarner et particulariser un principe ; autant dire pour le vivifier. Dans l'histoire et dans le domaine des droits de l'homme, il fut, pour le compte des nègres, l'opérateur et l'intercesseur. Cela lui assigne sa place, sa vraie place. Le combat de Toussaint-Louverture fut ce combat pour la transformation du droit formel en droit réel, le combat pour la reconnaissance de l'homme et c'est pourquoi il s'inscrit et inscrit la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue dans l'histoire de la civilisation universelle.
Ce que cette cérémonie s’emploie à réparer, c’est l’oubli, c’est l’effacement de Toussaint-l’Ouverture, alors qu’il est partie intégrante de notre histoire, l’histoire de la décolonisation, mais aussi l’histoire intellectuelle, culturelle du monde des humains, afin que, comme l’a écrit Michel-Rolph Trouillot il y a près de trente ans, ce passé ne soit plus « passé sous silence ».
En quittant Saint-Domingue, Toussaint-l’Ouverture déclare pensivement : « en me renversant, on n’a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs. Il repoussera par les racines parce qu’elles sont profondes et nombreuses ». Puisse cet arbre de la liberté fleurir et refleurir chaque année, puissent ses racines courir de la terre chaude d’Haïti à celle, froide, de l’Ukraine martyrisée, car cet arbre-là, celui de Toussaint-L’Ouverture, est l’arbre universel et immortel de l’aspiration intransigeante de tous les opprimés et de tous les aliénés à affirmer leur liberté.
Je vous remercie.
Source https://memoire-esclavage.org, le 19 juin 2023