Texte intégral
Merci pour cette introduction chaleureuse et pour ce panorama de l'histoire européenne.
Le deuxième sommet de la CPE s'est tenu le 1er juin à Chisinau. Je commencerai par présenter les principaux éléments qui ont expliqué son succès, dans la continuité du sommet de Prague. J'évoquerai ensuite les livrables, à la fois politiques et concrets, qui permettent d'ancrer la CPE dans notre paysage géostratégique, de la faire vivre et de la renforcer dans la perspective des prochains sommets en Espagne, le 5 octobre, puis au Royaume-Uni, en 2024.
J'ai eu le plaisir d'accompagner le Président de la République à ce sommet, rendu très spécial par sa géographie. Il s'est en effet tenu à proximité de la capitale moldave et a rassemblé les chefs d'Etat et de gouvernement de quarante-sept pays, puisque plusieurs pays l'ont rejoint depuis sa première édition. Etaient également présents la présidente de la Commission européenne, le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la présidente du Parlement européen, le président du Conseil européen, ainsi que, le matin, Volodymyr Zelensky. Le message le plus fort était celui de l'unité et du soutien de l'Ukraine et de la Moldavie face à la Russie mais ce sommet a également marqué la détermination à réunir des pays qui ne sont pas dans l'Union européenne et ne tiennent pas nécessairement à y entrer, avec lesquels nous avons à relever des défis communs, comme autant de membres de la famille européenne.
Ce sommet s'est inscrit dans notre paysage de discussion géopolitique. En cela, la CPE est un succès dont nous pouvons être fiers.
Il a fallu mener un travail de conviction auprès de nos partenaires européens, pour lever leurs doutes quant à nos intentions. D'aucuns, rappelant la Confédération européenne que vous avez mentionnée, pensaient que l'objectif était d'éviter l'élargissement de l'Union. Il fallait aussi les convaincre de l'intérêt politique de cette communauté.
Le travail effectué a visé à clarifier plusieurs points.
Concernant l'articulation entre la CPE et l'élargissement, un travail de conviction restait nécessaire. Grâce aux paroles du Président de la République, tout le monde a compris, en particulier les pays candidats, que la CPE permettrait de renforcer l'ancrage européen avec des projets concrets, sans attendre l'aboutissement du processus d'élargissement et sans constituer pour autant une chambre d'attente.
S'agissant de la nature institutionnelle de la CPE et du risque de concurrence avec d'autres structures, il nous importait de défendre un format à la fois intergouvernemental et souple. Aussi associons-nous les institutions européennes, tout en respectant l'autonomie décisionnelle de l'Union et sans considérer cette dernière comme un secrétariat. De surcroît, nous avons la volonté de ne pas dupliquer des organisations européennes existantes.
Sur le fond, notre premier objectif visait à envoyer un message d'unité dans le contexte persistant de la guerre en Ukraine et à renforcer le dialogue politique à l'échelle du continent autour de sujets faisant l'objet d'un intérêt commun et d'inquiétudes partagées : la paix, la stabilité du continent, l'énergie, le climat et l'économie.
Les nombreux échanges bilatéraux qui se sont tenus, illustrant l'ampleur politique de la CPE, sont eux aussi cruciaux pour la stabilité du continent. À Prague, le président Macron, le président du Conseil européen Charles Michel et les dirigeants d'Arménie et d'Azerbaïdjan avaient échangé et conclu un accord pour l'envoi d'une mission européenne d'observation dans la zone de conflit entre ces deux pays. À Chisinau, le président de la République a eu des échanges de qualité avec plusieurs interlocuteurs des Balkans, ainsi qu'avec son homologue moldave.
Le deuxième objectif visait à avancer dans plusieurs champs de coopération. Tel a été le cas dans trois champs prioritaires - sécurité ; énergie ; connectivité et mobilité - et plusieurs livrables concrets ont été produits.
Le premier concerne l'extension de la cyber-réserve de l'Union européenne aux pays qui le souhaitent, avec l'envoi d'experts dans le domaine cyber en cas d'attaque. Un deuxième a trait au développement de centres communs d'expertise, selon le modèle du centre franco-slovène de capacités cyber pour les Balkans, basé au Monténégro. L'objectif est de former aux métiers du cyber, pour faire face à la désinformation et à la mésinformation qui sapent la confiance dans nombre de pays de la CPE. Un troisième livrable a consisté dans le lancement d'une coopération dans la lutte contre les manipulations d'informations. Quiconque se rend dans l'Est ou le Sud-Est de l'Europe constate nécessairement les ravages de la désinformation. Peuvent également être cités la protection des infrastructures critiques, sur le fondement d'une directive européenne, les avancées dans les projets d'interconnexion énergétiques ou l'approfondissement de travaux pour l'harmonisation des infrastructures ferroviaires, tant sur le plan pratique - comme la largeur des rails - qu'en matière de sécurité.
Tous les membres de la CPE ont pu exprimer leur soutien à la Moldavie, là encore de façon concrète, avec le lancement d'une série d'actions.
La première, qui est la plus symbolique pour les citoyens, concerne la réduction des frais d'itinérance entre l'Union européenne et ce pays. Cet accord volontaire, qui sera effectif au 1er janvier 2024, a bénéficié d'une mobilisation française importante et du rôle de la Commission européenne. Un soutien économique et financier supplémentaire est également apporté par le triplement des investissements potentiels dans le cadre du plan économique et d'investissement pour la Moldavie, sous forme de garanties, de prêts ou de subventions. Une nouvelle aide de 100 millions d'euros pour les besoins de court terme illustre le soutien au secteur énergétique moldave, alors qu'une grande part de l'énergie passe par la Transnistrie ou des régions touchées par la guerre en Ukraine. Le soutien civilo-militaire européen est matérialisé par une mission civile de l'Union européenne visant à renforcer les capacités moldaves de lutte contre les menaces hybrides et l'ingérence étrangère, et en matière de cybersécurité. Enfin, le soutien aux réformes liées à l'adhésion de la Moldavie à l'Union européenne est très attendu. En l'occurrence, les effectifs de la délégation de l'Union européenne à Chisinau seront renforcés.
Ces avancées démontrent l'utilité de la CPE à la fois comme laboratoire géopolitique ou outil de politique régionale et comme enceinte de discussions stratégiques. Pour la faire vivre, de prochains sommets se tiendront à Grenade, le 5 octobre, puis au Royaume-Uni au printemps 2024. À ce stade, l'Espagne souhaite centrer les travaux sur les mobilités douces, la connectivité, les échanges interpersonnels, les infrastructures, l'énergie et la jeunesse, tandis que le Royaume-Uni envisage comme priorités l'énergie, la sécurité et la lutte contre les migrations illégales.
Montrer l'unité du continent est essentiel pour peser davantage face à la Russie. Ce signal diplomatique et géopolitique permet aussi de montrer que la France est une puissance d'initiative européenne. Il convient de continuer et d'avancer avec des propositions concrètes, sans rien dupliquer. Toutes vos propositions en ce sens seront les bienvenues.
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R - La CPE n'a pas de structure institutionnelle fixe et ne cherche pas à imposer de normes aux pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne. Néanmoins, le marché intérieur a pour objet d'influencer les normes et les standards des pays avec lesquels nous entretenons des échanges commerciaux.
L'Europe compte 440 millions de consommateurs, avec un produit intérieur brut (PIB) par tête annuel de 25.000 euros, ce qui en fait une région influente à laquelle nombre d'entreprises de pays tiers souhaitent avoir accès. En leur demandant d'appliquer les mêmes normes environnementales et sociales qu'à l'intérieur de l'Union, nous exerçons un pouvoir d'influence, ou soft power, car les entreprises des pays extérieurs ne voudront pas multiplier leurs standards, pour des raisons évidentes de coût. C'est particulièrement le cas avec le règlement que vous évoquez, par lequel nous entendons mettre un terme à l'importation des principaux produits - soja, huile de palme, cacao -, qui entraînent la déforestation ou la dégradation des forêts. Grâce à ce dispositif, nous pouvons suivre les entreprises importatrices et exportatrices, et veiller à ce qu'elles s'approvisionnent auprès de producteurs qui ont instauré des chaînes de valeur durables et sans déforestation.
En somme, affirmer que la CPE servira à étendre les normes serait aller un peu loin. Toutefois, le marché unique est un instrument efficace et influent pour diffuser les normes européennes.
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R - Permettez-moi de vous dire que vous confondez la Communauté politique européenne et l'Union européenne. Si la seconde est fondée sur la norme et sur la règle, auxquelles adhèrent vingt-sept pays par un traité, la structure de la CPE vise à rassembler la famille européenne et des gens de bonne volonté pour traiter des problèmes du continent face à l'agression injuste de la Russie en Ukraine.
Heureusement, tout le monde n'a pas réagi comme vous à Chisinau ! Au contraire, tous les dirigeants des pays de la CPE ont exprimé leur enthousiasme à se retrouver et à tenir des discussions de fond.
Les déclarations et les communiqués, dans les G20 ou ailleurs, demandent des mois de discussions. La CPE vise à permettre à des responsables de haut niveau de partager des discussions intelligentes, concrètes et pratiques. C'est aussi grâce à elle qu'une mission d'observation de l'Union européenne à la frontière de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan a mis fin à la détérioration de la situation entre ces deux pays. C'est également grâce à la réunion entre le président Macron, le chancelier Scholz, le haut représentant Borrell, la présidente du Kosovo et le président serbe, à Chisinau, que nous avons pu calmer la situation et obtenir de nouvelles élections au Kosovo, dans le respect des accords. La CPE est donc politiquement majeure pour la stabilité du continent.
Par ailleurs, la CPE n'est pas une chambre d'attente pour l'élargissement : ce n'est pas l'objectif. Le Royaume-Uni est dans la CPE. Or, cela n'a échappé à personne, il est sorti de l'Union européenne. La Norvège y est aussi représentée alors qu'elle n'a pas envie d'entrer dans l'Union européenne, et je pourrais citer bien d'autres pays. L'objectif est de travailler en coopération, à haut niveau politique. Je sais que la coopération ne semble pas toujours évidente dans un hémicycle. Pourtant, dans le cas d'espèce, c'est une réalité, avec du fond.
La cyber-réserve a pour objectif de mettre fin aux attaques cyber. Vous n'avez pas mentionné l'expérience ukrainienne, qui est supérieure à l'expérience russe en la matière. C'est d'ailleurs l'Ukraine qui, la première, a proposé de partager son expérience avec l'ensemble des pays de la CPE. C'est l'Ukraine qui, la première, a poussé la CPE dans les pays qui ne font pas partie de l'Union européenne.
Les pays de la CPE partagent leur expérience et leurs experts. Ils les forment. Ce sont des résultats concrets pour tous les pays, dont la Moldavie qui fait l'objet d'attaques quotidiennes de la Russie, notamment de la part de manifestants payés par cette dernière.
Si l'Union européenne n'était pas attractive et si elle perdait constamment des cerveaux, pensez-vous que les gens auraient envie de venir s'installer chez nous ? Pas du tout ! De très nombreuses personnes veulent venir, pour des raisons économiques ou de talent, avec des visas : c'est une réalité. La démographie fait que nous avons besoin de talents ; quand je dis "nous", c'est toute l'Union européenne et pas seulement la France.
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Nous manquons d'aides-soignants, de médecins, de formateurs, d'ingénieurs : allez dire à ces professionnels que les postes non pourvus dans leurs métiers engendrent un afflux d'immigration "bas de gamme" !
Avec l'Union européenne, nous disposons du meilleur atout pour valoriser et lutter pour l'Etat de droit, lequel inclut l'indépendance de la justice, l'indépendance et la pluralité des médias mais aussi des processus anticorruption et des règles saines en matière de financement des partis politiques.
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R - Je crois que vous vous trompez de pays, Madame la Députée, et que vous devriez vous rendre dans les pays de la CPE pour voir ce que sont une démocratie menacée et un Etat de droit menacé. Les mots ont un sens : le simple fait que vous puissiez vous exprimer comme vous venez de le faire - j'en suis très heureuse -, que vous puissiez manifester dans la rue et que nous ayons un hémicycle avec des débats certes animés mais dans lesquels chacun a le droit de parler, n'est un acquis pour personne dans le monde.
Je ne crois pas qu'ici les manifestants soient payés ; c'est parfois le cas ailleurs. Je ne crois pas que nous n'ayons aucune pluralité des médias : ils rapportent d'ailleurs toutes les manifestations. Je ne crois pas que notre justice ne soit pas indépendante.
Quand on commence à attaquer l'Etat de droit dans un pays démocratique, comme vous venez de le faire avec vos paroles, je m'inquiète. Dans certains pays, l'Etat de droit est chahuté et menacé. Des procédures sont d'ailleurs en cours, dans l'Union européenne, pour le rétablir. Nous essayons de former les pays, notamment les candidats à l'adhésion, pour assurer et solidifier les institutions de l'Etat de droit.
Un Etat de droit menacé, c'est un Etat dans lequel la presse est détenue par une personne ou un monopole ; un Etat de droit menacé, c'est un Etat dans lequel les juges ne sont pas indépendants. Ici, il y a une presse de gauche et une presse de droite. On peut ne pas aimer l'une ou l'autre mais le fait est qu'elles existent.
Un Etat de droit, c'est un Etat dans lequel on fait des enquêtes pour corruption. On peut déplorer qu'il y ait de la corruption mais des enquêtes sont conduites.
Un Etat de droit, c'est un Etat dans lequel on protège le financement des partis politiques. S'il est un pays où on le fait bien, c'est le nôtre.
Cela fait partie des piliers de l'Union européenne.
Je vois partout, aux frontières de l'Union européenne, ce qu'est une démocratie en danger. Je suis choquée et effrayée que l'on fasse une analogie avec la France. Cela signifie qu'on ne prend pas la mesure des choses et qu'on a oublié ce que peut être un vrai danger pour la démocratie. Je vous enjoins à aller vous promener dans les pays autour de l'Union européenne.
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R - Cette question, qui revient souvent, mérite clarification. Je distingue l'Union européenne - qui est un socle de droits, de normes et de traités sur lesquels vous avez à vous exprimer quand nous voulons les changer -, l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) - qui est aussi une structure avec des traités -, le Conseil de l'Europe - qui se concentre sur l'Etat de droit - et la CPE - qui a un caractère informel.
Tous les chefs d'Etat et de gouvernement qui assistent aux sommets de la CPE aiment cette instance informelle, dans laquelle ils peuvent parler entre eux de sujets qui nous concernent tous. Le premier ministre albanais peut ainsi rencontrer ses homologues sur un pied d'égalité pour évoquer la fuite des cerveaux de son pays vers l'Allemagne. Quant au Royaume-Uni, qui est sorti de l'Union européenne, il continue d'avoir besoin d'échanger avec nous, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan commercial, militaire ou énergétique. La liberté de ton et la capacité d'aborder les sujets sont rendues possibles par ce caractère informel et par l'absence de communiqué. Cela rapproche tout le monde.
Vous avez mentionné l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le Président de la République s'est réuni avec les dirigeants de ces deux pays à Prague : c'était la première fois en onze ans que les deux responsables de ces pays se retrouvaient face à face pour discuter. Le résultat concret a été la mission de l'Union européenne à la frontière entre ces deux Etats. Ces dirigeants se sont à nouveau réunis à Chisinau et tous les Européens sont intéressés puisque cette réunion s'est effectuée en présence du chancelier Scholz, de Charles Michel, qui représente l'Union européenne, et du président Emmanuel Macron. Cette réunion a permis de confirmer l'engagement qui avait été formulé à Prague quant au respect des frontières telles qu'elles figurent dans la déclaration d'Alma-Ata et au respect mutuel de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie. Vous connaissez le travail de l'EUMA - European Mission in Armenia. Depuis le 20 février, plus de 322 patrouilles ont été effectuées. Cela contribue à diminuer le nombre d'incidents et à maintenir le dialogue entre ces deux populations. C'est aussi un facteur de maintien de la stabilité.
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R - Vous avez raison d'évoquer le cas de la Biélorussie. J'ai croisé, au forum de Bratislava, la plus emblématique des représentantes de l'opposition biélorusse, avec laquelle nous entretenons des rapports constants, tout comme le Parlement puisque vous la recevez régulièrement.
L'opposition biélorusse réfléchit à la façon de construire des interactions plus poussées avec les Etats-Unis et avec l'Union européenne. Commencer à aborder ce sujet était d'ailleurs l'objet de notre rencontre à Bratislava.
Nous souhaitons construire une solution avec l'opposition biélorusse, en incluant tous ses représentants. Nous distinguons les représentants de l'opposition de la Biélorussie elle-même, laquelle est sous sanctions européennes, comme la Russie. Nous sommes conscients des menaces que ce pays représente et la France est à la manoeuvre pour renforcer les sanctions envers le régime de la Biélorussie.
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R - Tenir le deuxième sommet de la CPE à Chisinau avait une valeur symbolique : montrer à la Russie que la Moldavie fait partie de la famille européenne. La situation est compliquée, marquée par des tentatives de déstabilisation, des manifestations - avec des manifestants payés par des agents russes -, et de la désinformation. La Moldavie a dû cesser de diffuser la télévision russophone et sa propagande. La France l'a aidée à renforcer ses capacités à s'attaquer à la désinformation. En outre, la chaîne franco-allemande Arte diffuse du contenu gratuit en Moldavie, pour que les écrans de télévision relaient autre chose que la propagande russe.
Nous aidons aussi la Moldavie pour son énergie. Contrairement à ce que certains peuvent penser, dans ce pays comme dans d'autres, il ne s'agit pas de fourniture gratuite mais de vente d'énergie, en s'adaptant à chaque situation.
Le lancement d'une mission civile de l'Union européenne a également été annoncé, pour contrer les tentatives de déstabilisation.
Enfin, des sanctions ont été prononcées au niveau européen contre les oligarques moldaves. L'objectif est d'aider la présidente Maia Sandu, qui s'est fait élire avec un agenda de lutte anticorruption et de réformes. Pour un pays comme celui-là, la présence sur son territoire de députés de pays de l'Union européenne, notamment français, revêt une grande valeur. Si vous en avez l'occasion, allez lui témoigner votre soutien et parler à la population. La diplomatie parlementaire est incroyablement précieuse.
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R - Tout d'abord, lorsque le Président de la République a dessiné la CPE, la question s'est posée d'imposer le respect d'un Etat de droit équivalent au nôtre pour former cette communauté politique. La réponse a été qu'il ne s'agissait pas de reproduire le Conseil de l'Europe. Tous les pays de la CPE sont attachés à l'Etat de droit et le manifestent à travers leur soutien à l'Ukraine, puisque le respect de l'intégrité territoriale d'un pays relève de l'Etat de droit.
Ensuite, il faut distinguer la CPE de l'adhésion à l'Union européenne. Lorsque le Président de la République affirme que la question de l'élargissement n'est pas celle de savoir "si" il aura lieu, ou "quand" mais "comment", il fait explicitement référence à l'Etat de droit, qui est l'un des piliers de l'Union européenne. Au moment d'ouvrir les négociations d'adhésion, il conviendra de réfléchir à la façon de mieux accompagner les pays candidats pour renforcer leur Etat de droit, sur le chemin vers l'adhésion comme à l'intérieur de l'Union européenne.
Enfin, l'un des critères pour l'ouverture de négociations d'adhésion est l'Etat de droit, notamment la désoligarchisation. Nous, Européens de l'Union européenne, avons une responsabilité majeure à aider les pays concernés à installer une administration permettant de consolider les institutions et de bâtir un Etat de droit résilient.
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C'était le sens de la première partie de ma réponse. La CPE est une communauté. Il n'y a pas d'autre engagement que celui d'être unis et de se soutenir.
(M. le président Jean-Louis Bourlanges) - La CPE ne doit pas fixer les conditions de l'adhésion à l'Union européenne.
R - Elle ne le fera pas. La CPE réunit des pays pour échanger sur des sujets politiques. Le socle de l'Union européenne est l'Etat de droit et ses quatre composantes. L'adhésion à l'Union européenne ne relève pas de la CPE.
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R - Vous soulignez une certaine fragmentation du multilatéralisme, qui doit conduire à réfléchir au rôle de chaque instance. S'agissant de l'ONU, la question des biens publics mondiaux, à commencer par le climat, s'impose. Nous aurons toujours besoin de tous les pays de l'ONU pour régler le problème climatique.
La CPE, pour sa part, crée un lieu de dialogue fréquent et facile, à visée politique. Ce dialogue n'est pas formalisé, raison pour laquelle il n'y a pas de communiqué - lequel engagerait pour les années à venir. En revanche, certains ministres viennent rendre compte à l'Assemblée nationale car il doit y avoir un rendu démocratique. En outre, il n'y aura pas de décision formelle que les députés ne pourraient entériner. Si nous envisagions un accord plus engageant et multilatéral concernant des liaisons ferroviaires, les députés auraient à voter pour ou contre. Enfin, il faut laisser la CPE prendre corps, en Espagne puis au Royaume-Uni, avant de décider de son éventuelle formalisation.
Le G7 ou le G20 n'ont pas de secrétariat général et ils fonctionnent assez bien.
Concernant la pêche dans les eaux du Sahara occidental, l'Union européenne et le Maroc ont dû renégocier leur accord de pêche à la demande de la Cour de justice de l'Union européenne, en 2018, pour y inclure les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. Pour nous, ce texte est conforme au principe des intérêts des habitants des territoires non autonomes, ainsi qu'à l'obligation de favoriser leur prospérité. Dit autrement, cet accord est dans l'intérêt des Sahraouis. La Commission européenne a rendu plusieurs rapports, dont un datant de 2021 qui concluait que les Sahraouis en bénéficieraient à 75%. Plus simplement, on peut considérer que cet accord crée des emplois et favorise le développement économique et social dans le domaine de la pêche. D'un point de vue juridique, nous sommes toujours dans l'attente du pourvoi devant la Cour de justice. Durant cette période, l'accord reste en vigueur.
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R - La France est le premier pays au monde à avoir adopté une loi sur le devoir de vigilance, en 2017. L'objectif central de la directive est d'améliorer le level playing field dans le marché unique. Les entreprises devront appliquer le devoir de vigilance en aval de leur chaîne de valeur, donc à leurs sous-traitants. Les pays de la CPE désireux d'entrer dans l'Union européenne devront reprendre les acquis européens. En outre, avec la pression d'un marché de 440 millions de consommateurs, cette excellente initiative, qui devrait s'imposer naturellement à toutes les entreprises, fera des petits au-delà des frontières de l'Union européenne.
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R - Je répondrai en évitant d'utiliser le bréviaire eurosceptique que vous étalez avec persistance. Notre pays n'est pas néolibéral. C'est faux et archifaux. Je vous invite à aller voir un pays néolibéral, par exemple le Royaume-Uni.
Depuis toujours, le Président de la République a indiqué qu'il n'y aurait ni totem, ni tabou concernant les changements de traités. Avec l'élargissement, parce que des pays ont envie de se réformer et d'adopter nos institutions et nos modes de fonctionnement, nous devrons organiser une consultation populaire. Il y aura alors de fortes chances que nous changions la façon dont fonctionne l'Union européenne car elle ne sera plus la même.
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R - S'agissant de la réforme du marché de l'électricité, un texte est sur la table. Son objectif est de permettre des contrats de long terme, qui décorrèleront le prix de l'électricité de celui du gaz sur le marché dit "spot", de très court terme, mais aussi de permettre des investissements dans les énergies décarbonées. Les consommateurs et les usagers, qu'ils soient des entreprises ou des ménages, devront pouvoir bénéficier de coûts d'électricité moins élevés, soit au travers de contrats de long terme, soit au travers de contrats sur la différence, qui permettent de capter les rentes pour les redistribuer à tous les consommateurs - et ce, conformément au principe de neutralité technologique qui nous est cher, puisqu'une grande part de notre électricité est nucléaire.
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M. Jérôme Buisson. J'ai bien écouté votre réponse quant à la Communauté politique européenne comme antichambre de l'adhésion à l'Union européenne...
R - Non, vous n'avez pas écouté ! J'ai dit le contraire.
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R - Si vous considérez que la CPE est une antichambre de l'adhésion, j'en déduis que vous considérez que le Royaume-Uni est candidat à l'Union européenne - ce dont je me réjouis ! En effet, nous aurions aimé qu'il n'en sorte pas. Merci de votre enthousiasme pour cette Union européenne !
Plus sérieusement, la CPE n'est pas l'antichambre de l'adhésion. La variété des pays qui en font partie est le signal le plus clair que l'on puisse en donner. Mais quand quelqu'un ne veut pas entendre, il devient sourd. C'est d'ailleurs sans doute pour cela que vous n'entendez pas non plus la parole du Président de la République quand il s'agit des retraites. Pour notre part, nous l'entendons, et nous répondons avec respect à ce que vous dites, même quand c'est faux, en particulier concernant le pacte sur la migration et l'asile.
Je vous répondrai ultérieurement au sujet de Fredi Beleri.
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R - Depuis les incidents du 26 mai dernier, la situation reste tendue. Lors des échanges entre la Serbie, le Kosovo, le Président de la République française, le chancelier allemand et le haut représentant de l'Union européenne, priorité a été donnée à la désescalade et à la reprise de discussions pour l'application de l'accord de Bruxelles. Il a également été demandé de tenir les élections dans les quatre municipalités qui ont fait l'objet de tensions tant de la part du Kosovo que de la Serbie. La semaine dernière, des avancées ont été observées. Nous continuerons de les encourager, de normaliser les relations et d'inciter à la tenue de nouvelles élections. C'est une condition essentielle pour assurer la perspective européenne du Kosovo et de la Serbie.
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R - La désinformation et la mésinformation dans la région contribuent à tendre les relations entre le Kosovo et la Serbie. Comme l'a indiqué le Président de la République, plusieurs accords ont été signés et doivent être appliqués. Nous devrions peut-être appuyer davantage sur la séquence car chacun se renvoie la balle en considérant qu'ils n'ont pas été appliqués par l'autre partie. Le chancelier, le président et le haut représentant ont obtenu de la présidente kosovare et du président serbe que des élections puissent se tenir dans les quatre municipalités dans lesquelles le taux de participation était de 3,4%, dans le respect de l'engagement des citoyens serbes à y participer et de celui du Kosovo à respecter les accords.
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R - La France et l'Italie partagent la conviction qu'une plus grande coopération franco-italienne et européenne est nécessaire concernant les migrations. J'en ai discuté hier, au Parlement européen, avec mon homologue italien Raffaele Fitto.
À cause de la pression migratoire accrue, nous lancerons cet été l'expérimentation d'une force aux frontières, à la frontière italienne, qui associera plus étroitement les forces de sécurité intérieure, les douaniers et les militaires. Cette force s'inscrira dans le cadre des échanges entre les ministres de l'intérieur français et italien pour lutter contre les migrations irrégulières.
Même si l'Italie aurait peut-être souhaité aller plus loin, nous avons trouvé un accord concernant le pacte sur la migration et l'asile. Il permettra de renforcer les frontières extérieures de l'Union européenne, de traiter plus rapidement le cas des migrants arrivant chez nous en ayant peu de chances d'obtenir le statut d'asile et de les raccompagner là d'où ils viennent. Cette démarche sera importante pour la sécurisation mais aussi pour la solidarité et l'humanité puisque nous accueillerons les demandeurs d'asile qui en ont besoin avec une répartition dans l'Union européenne.
Enfin, le volet financier de l'accord avec la Tunisie, qui est à la fois européen et bilatéral, vise à aider le développement économique de ce pays. Ce volet est conditionné à l'application de réformes économiques et à une coopération dans le domaine migratoire, pour éviter que des personnes prennent la mer depuis la Tunisie.
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R - Ces réunions n'aboutiront pas à des mesures opposables, l'objectif étant de favoriser le dialogue politique et des coopérations plus concrètes dans les domaines que vous avez évoqués. Si des accords devaient être envisagés, comme un contrat ferroviaire entre deux pays de la CPE, la discussion redescendrait au niveau des pays concernés, de leurs institutions et de leurs entreprises privées et publiques. La CPE est un facilitateur et un catalyseur, qui offre aussi la possibilité d'apprendre les uns des autres.
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R - Ce pacte est un accord majeur. Alors que les pays de l'Union européenne discutaient de ce sujet depuis dix ans, cet accord a permis de trouver un excellent équilibre - qui recouvre largement les positions françaises - entre responsabilité, protection des frontières, accueil des demandeurs d'asile qui en ont besoin en faisant la distinction avec la migration économique dont nous aurons à débattre, aide aux pays de première entrée et solidarité.
L'Allemagne accueille 44% des demandeurs d'asile, contre 17% pour la France, ce qui est une part bien moins élevée.
Nous aurons d'autres discussions sur ce sujet lors des prochaines CPE, pour faire face au mieux aux afflux migratoires et de demandeurs d'asile dans l'intérêt mutuel des pays de départ et de première entrée.
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R - La Moldavie a le statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Dans une première étape, si elle satisfait aux conditions relatives à l'Etat de droit et à la désoligarchisation d'ici à décembre, et si la Commission européenne émet un rapport positif en ce sens, nous pourrons ouvrir les discussions sur son adhésion. Cela ne veut pas dire qu'elle adhérera demain ; prendre tout l'acquis de l'Union européenne peut demander cinq, dix ou quinze ans. S'agissant de l'élargissement, le Président de la République a été très clair quant au "comment". Savoir quelle Union européenne nous voulons demain est un sujet qui nous occupera longtemps.
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R - Depuis 2012, la France a augmenté de 46% la part d'énergies renouvelables dans son mix énergétique. Cette augmentation, comparable à celle de ses grands voisins, lui a permis d'atteindre un niveau de 19,3% en 2021, légèrement supérieur à celui de l'Allemagne.
Par ailleurs, tout au long des discussions sur l'énergie depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, nous avons milité pour la neutralité technologique de tous les textes, afin que le nucléaire et les renouvelables ne soient pas mis en concurrence. Cela explique la mention de l'hydrogène bas carbone dans certains d'entre eux. Nous continuerons, parce que tous les pays européens ne sont pas sur cette ligne. Comme avec l'Alliance du nucléaire créée par Agnès Pannier-Runacher, la réforme du marché de l'électricité favorable au nucléaire ou le Net Zero Industry Act en réponse à l'Inflation Reduction Act, la France sera systématiquement à l'avant-garde pour maintenir le nucléaire et la neutralité technologique. (...).
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2023