Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur le secteur des travaux publics et notamment sa décarbonation, Paris le 29 juin 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Texte intégral

Bonjour à toutes et à tous,

Merci de m'accueillir une nouvelle fois dans cet amphithéâtre qui fait salle comble ce soir parce que c’est une assemblée annuelle un peu spéciale puisqu'elle ne fête pas, mais elle honore le départ de Bruno Cavagné et elle salue le travail exceptionnel que Bruno a fait durant 10 ans à la tête de la Fédération nationale des travaux publics.

Alors j'ai envie de dire à Bruno : heureux homme ! 10 ans à la tête de cette fédération et enfin au moins un petit peu de repos, même si je connais son activisme et son engagement et je sais bien que les années qui viennent seront très chargées. Mais je voudrais vraiment d'un point de vue très personnel, saluer l'action de Bruno à la tête de cette fédération.

Ce n'est pas une fédération facile parce qu'elle regroupe des métiers qui sont très différents, j'y reviendrai, et que les enjeux économiques et financiers sont considérables.

Là où Bruno est, je crois, un grand président de la Fédération et a été un grand président de la Fédération, c'est qu'il a su faire le pont, c'est le cas de le dire, entre les décideurs publics, Matignon, Elysée, Ministère de l'Economie et des Finances et l'ensemble des PME, des TPE qui composent la Fédération nationale des travaux publics.

Il a su à chaque fois m'alerter en temps utile pour me dire : là, je serai toi, je n'avancerai pas trop dans cette direction-là ou là, c'est une bonne direction, mais il va falloir s'y prendre un petit peu différemment. Et je pense que le rôle d'un président de Fédération n'est pas le rôle d'un syndicaliste.

C'est un rôle d'accompagnement, de facilitateur. Et le décryptage des enjeux économiques et des enjeux humains, Bruno l'a fait à la perfection. Je pense que si en 6 ans, je touche du bois, nous n'avons eu aucune anicroche majeure alors que nous avons traversé la crise du Covid, que nous avons traversé la crise inflationniste, que nous avons traversé des moments difficiles, c'est parce que, à chaque fois, Bruno m’a alerté sur les attentes de la Fédération, les attentes des patrons de PME et de TPE pour que nous apportions à chaque fois la bonne réponse.

L'autre élément qui, je crois, a été décisif et je remercie Bruno de l'avoir salué, c'est la stabilité de notre politique économique et j'y reviendrai. Je pense que pour les entrepreneurs, rien n'est plus précieux que de savoir où on va. Quand on fait des investissements de long terme, on a besoin de savoir que la politique fiscale ne va pas changer à chaque projet de loi de finances. On a besoin de savoir que le taux d'impôt sur les sociétés, que l'imposition de manière générale ne va pas changer tous les 4 matins. On a besoin de stabilité, de visibilité. C'est, je crois, ce que nous avons apporté avec le président de la République. Donc merci Bruno et je voudrais vraiment qu’en mon nom, au nom de tous ceux qui ont eu à profiter des conseils et des encouragements de Bruno Cavagné, vous lui réserviez un tonnerre d'applaudissements.

Je voudrais également saluer l'arrivée de son successeur, cher Alain Grizaud. Je suis persuadé que nous travaillerons dans le même climat de confiance et de franchise. Vous venez d'être tout juste élu président. Je vous souhaite très sincèrement le meilleur. Vous prenez des responsabilités qui sont élevées dans une fédération qui est décisive et je n'ai aucun doute que vous réussirez aussi bien que l’a fait Bruno Cavagné pendant 10 ans.

Alors, où en est-on sur les travaux publics et sur la situation de votre secteur ? Il y a une difficulté que nous connaissons tous, c'est la difficulté du secteur immobilier. Le secteur vit une période difficile. C'est lié en particulier au choc de l'inflation. C'est lié la hausse des taux d'intérêt qui ont quasiment doublé en seulement un an, en rendant l'emprunt plus difficile et rendant les conditions d'accession à la propriété plus compliquées. Et je crois qu'il faut que nous continuions à travailler avec l'ensemble des acteurs de l'immobilier, que ce soit les promoteurs, le bâtiment, les travaux publics, à la manière dont nous pouvons apporter des réponses à ce secteur.

Les décisions que nous avons prises avec la Première ministre et le président de la République ne sont pas pour solde de tout compte. C'est un point de départ pour essayer de bâtir une politique immobilière qui réponde davantage à l’attente de nos compatriotes. Construire là où on a besoin à des tarifs qui soient raisonnables, des logements qui soient de qualité.

Pourtant, notre secteur reste dynamique et je voudrais vous en remercier parce que j'observe les chiffres et je vois que malgré les difficultés, vous restez actif et vous restez dynamique.

Nous avons des collectivités territoriales qui vont bien financièrement. Tant mieux. J’ai eu l'occasion de saluer leur bonne gestion. Elles vous sollicitent pour la construction de routes, de réseaux électriques, de canalisations, cher Alain Grisou, et toutes ces commandes, tous ces investissements vont évidemment dans la bonne direction. Nous avons aussi fait le choix avec Emmanuel Macron de maintenir tous les projets d'ampleur, tous les projets qui sont structurants pour vos activités. Là aussi, je crois à la continuité, à la stabilité. Je pense au Grand Paris, je pense au canal Seine-Nord, je pense à la ligne Bordeaux-Toulouse et nous avons évidemment devant nous des grands projets concernant les Jeux olympiques qui doivent permettre aussi de soutenir l'activité.

Enfin, je rappelle que nous avons pris des mesures adaptées, Bruno a eu la gentillesse de le rappeler pendant la crise sanitaire, pendant la période d'inflation, pour relancer l'économie. Tout cela génère donc de l'activité pour vos 310 000 salariés, vos 9 000 entreprises, dont 90% de TPE, PME avec un chiffre d'affaires de 45 milliards d'euros.

Maintenant, nous avons un défi majeur devant nous, c'est celui de la transition écologique. Moi, j'ai une conviction profonde, c'est que si nous nous y prenons bien, c'est une opportunité économique historique pour notre nation.

Quand vous regardez sur les 40 dernières années, la France a commis une erreur stratégique dont votre secteur d’ailleurs a pâti, qui s'appelle "la désindustrialisation". Nous avons renoncé à avoir une industrie forte et là où l'Allemagne et l'Italie gardaient la même puissance industrielle avec une part de l'industrie dans le PNB qui représente 18 ou 20% suivant qu’on parle de l’Italie ou de l'Allemagne, elle s'est effondrée en France de 21 à 10%. C'est pour moi l'un des plus grands scandales économiques et politiques que notre nation ait connu. Et l'incidence sur votre secteur des travaux publics, plus largement, ce secteur de la construction a été absolument dramatique.

La transition écologique nous offre l'opportunité de réindustrialiser. Nous avons commencé, le premier élément de la fondation de la réindustrialisation, c'est une nouvelle politique fiscale.

Alors, ça ne fait pas plaisir à tout le monde. Mais si on veut de l’industrie, il faut moins de fiscalité sur le capital, parce que l’industrie consomme du capital. Et quand vous avez trop de fiscalité sur le capital, vous avez moins d’industrie. Et moi, tous ceux qui montent sur leurs tonneaux pour crier : honte à la désindustrialisation, qui réclament le redressement industriel, mais qui dans le même temps augmente les impôts, les taxes et les prélèvements sur les entreprises et sur le capital, me font doucement rigoler, ils sont incohérents, inconsistants, et surtout inefficaces pour la nation française.

Nous, nous avons eu le courage d’assumer une politique fiscale de baisses des prélèvements sur le capital pour engager cette réindustrialisation. Et nous allons accélérer à la faveur de cette transition écologique.

Pourquoi ? Parce que le choix stratégique que nous avons fait avec le président de la République, c'est de relocaliser en France les grandes chaînes de production de l'industrie verte et de l’industrie décarbonée.

Nous ne voulons plus que les batteries électriques, elles soient bâties en Chine et produites en Chine ; nous voulons les produire chez nous et nous ouvrons des gigafactories. Nous ne voulons pas que l’hydrogène vert soit importé des pays du Golfe ou des pays d'Afrique du Nord, nous voulons le produire chez nous, ce qui veut dire des électrolyseurs, ce qui veut dire la production d'électricité, ce qui veut dire des centrales nucléaires, et ce qui veut dire de l'activité pour vous. Nous ne voulons pas que nos véhicules électriques soient importés, nous voulons les produire chez nous.

Ça veut dire aussi de l'activité pour vous en termes de route, en termes d'infrastructure, en termes d'usines. La transformation écologique de notre économie et le verdissement de notre économie est une bonne nouvelle pour l'ensemble de l'économie. Elle sera créatrice d'emplois et créatrice d'activités.

Alors évidemment, il y a une contrepartie, le sujet a été abordé. Je sais que c'est un sujet qui est compliqué, c'est qu'on ne peut pas dans le même temps dépenser comme nous le faisons, des milliards d'euros pour soutenir la réindustrialisation verte, pour soutenir les carburants verts, pour soutenir la décarbonation de nos usines et puis, comme on le fait trop souvent en France, garder des soutiens fiscaux aux énergies fossiles.

Faire de la politique, c'est faire des choix, des choix qui ne sont pas souvent faciles. Il serait beaucoup plus simple pour moi de vous dire : ne vous inquiétez pas, on va décarboner l'économie, on va donner des incitations fiscales pour que vous puissiez verdir votre activité, mais on ne va pas toucher aux avantages fiscaux sur les énergies fossiles. On creuse le trou et on le remplit en même temps ; après on a aucun résultat.

J'assume, et je dirais même que je revendique le passage d'une fiscalité brune à une fiscalité verte. Simplement, ça ne peut pas marcher si c'est le ministre des Finances qui décide tout seul dans son coin qu’on va augmenter la fiscalité sur les énergies fossiles et qu'on va baisser la fiscalité sur les énergies vertes. Il faut que nous tracions le chemin ensemble.

Qu'est-ce qui avait été décidé ? D'abord, nous avons fait le constat : la fiscalité brune coûte chaque année 7 milliards d'euros à l'État français. Donc chaque année, dans une contradiction totale avec notre politique de verdissement de l'activité économique et de décarbonation de l'économie, nous engageons 7 milliards d'euros pour soutenir la consommation de gazole, de gaz et d'énergies fossiles.

C'est totalement contradictoire avec l'ambition de long terme d'être une nation décarbonée avec une économie décarbonée. Sur ces 7 milliards, quasiment 1 milliard va vers le gazole non routier avec un tarif réduit d’assise que vous connaissez bien.

Nous ne pouvons pas garder ce tarif réduit de d’assise. Je le dis très simplement, ce serait contradictoire avec notre objectif de décarbonation et de soutien au verdissement de votre activité.

Qu'est-ce qui est aujourd'hui sur la table ? Ce qui est aujourd'hui sur la table, c'est une bascule en une seule fois. Ça fait 3 ans que c'est comme ça. Moi je vais vous dire très simplement, arrêtons le sketch et soyons sérieux. Ce sketch qui consiste à arriver chaque mois de septembre et octobre devant nos compatriotes et devant les élus en disant : "on s'est engagés à supprimer les avantages fiscaux sur le GNR, cette fois-ci on le fait " et puis vous évidemment vous réagissez en disant légitimement : "On ne peut pas le faire en une seule fois, nos entreprises ne peuvent pas le supporter, on parle de PME, on parle de très petites entreprises. Si vous touchez au GNR en une seule fois, vous allez tuer des milliers d'entreprises". Qu'est-ce qu'on fait ? Chaque fois on recule. Le perdant, c'est le climat. Mais le perdant de long terme, ce sera aussi vous, parce qu'on recule l'échéance de la décarbonation de l'économie.

J'écarte donc ce sketch de la suppression en une seule fois du GNR parce que c'est hors de portée, parce que c'est irresponsable et parce que ça menacerait la survie de milliers de très petites entreprises, des travaux publics.

Ce que je vous propose, c'est que nous avancions progressivement. En tenant compte d'une réalité, et j'aime bien regarder des réalités en face, qui est qu’aujourd'hui, vous n'avez pas d'offre alternative et de substitution immédiate. Je ne peux pas vous dire : "abandonnez le GNR et passez immédiatement des engins électriques", il n'existe pas.

Je ne peux pas vous dire : " substituez au GNR une offre de carburant alternatif pour tous vos engins de chantier ", il n'y en a pas assez. Donc je connais suffisamment la réalité de terrain, pour avoir été élu de terrain pendant 15 ans, et pour discuter régulièrement avec Bruno Cavagné et avec beaucoup d'entre vous, pour savoir que le passage brutal d'une fiscalité brune à une fiscalité verte est hors de portée.

Je vous propose donc un passage progressif. Je vous propose que nous nous donnions 7 ans, 7 ans de 2024 à 2030, pour basculer progressivement de la fiscalité brune avec des avantages fiscaux sur le GNR à une fiscalité verte, en étalant la suppression de ces 900 millions d'euros d'avantages fiscaux sur cette année, en prévoyant des compensations et en regardant avec vous comment est-ce que nous pouvons mettre à disposition une offre de carburant alternatif qui est aujourd'hui trop limitée.

Je propose par conséquent d'organiser à la rentrée prochaine, 2023, une conférence entre les acteurs du non carburant et les secteurs concernés par ce relèvement progressif des tarifs réduits d’assise. Je propose d'associer au monde des travaux publics, le monde de l'agriculture et le monde des transporteurs routiers qui seront aussi concernés. Et je le dis aussi très simplement parce que je crois que c'est une condition du succès de cette transition, pour que cette transition soit réussie, elle doit être progressive, accompagnée et équitable.

Ce sont les 3 conditions du succès à la transition d'une fiscalité brune vers une fiscalité verte. Progressive pour protéger les très petites entreprises et permettre à chacun de s'adapter. Accompagnée pour trouver des mesures de compensation que ce soit sur les engins électriques ou sur les carburants alternatifs. Et équitable parce que personne ne comprendrait qu'un secteur soit concerné et que les autres soient exonérés.

J'ai donc commencé à discuter avec la Fédération des transporteurs routiers. La discussion a été constructive, pas simple évidemment, ce n’est jamais simple de discuter de cela. J'ai commencé à discuter avec Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, ça n'est pas été simple non plus, il y a besoin de compensation, c'est très difficile pour nos amis agriculteurs.

Mais je suis convaincu que si on avance dans cette voie progressive, accompagnée et équitable, nous pouvons basculer de la fiscalité brune à la fiscalité verte et que nous en sortirons tous gagnants. Cela suppose aussi de résoudre d'autres problèmes qui se posent dans la fédération des travaux publics. D'abord le recrutement, je propose que ce soit le thème numéro 1 des Assises du BTP, qui est d'ailleurs une idée de Bruno Cavagné et d'un certain nombre d'entre vous ici, qui m'avait été proposée, qui était une excellente idée.

Je propose que ces assises se tiennent à nouveau dans les prochaines semaines et que nous nous concentrions sur cette question du recrutement. Trop de pénuries de main d'œuvre ralentissent votre activité économique. Et dans votre secteur en particulier, je sais que c'est parfois une galère incroyable d'arriver à recruter. Ça dépend évidemment des régions, mais si vous allez par exemple en Vendée, dans le secteur des Herbiers, je peux vous garantir pour recruter dans le domaine des travaux publics, c'est la croix et la bannière.

Je souhaite donc que nous puissions regarder attentivement quelles sont les conditions de recrutement, les questions de formation, et que nous posions aussi la question derrière dont j'ai parlé en début de propos, du logement. Car bien souvent, l'une des difficultés de recrutement tient à l’absence de logements pour les salariés.

Deuxième sujet qui je dois dire commence à susciter chez moi, qui suis d'un tempérament calme, un certain énervement. C'est les délais de paiement des donneurs d'ordre public ou privé. Et je veux dire à quel point je suis prêt à prendre des mesures, y compris dures et coercitives, pour tous les mauvais payeurs, tous ceux qui payent en retard et tous ceux qui menacent la survie de nos très petites entreprises.

Le récent rapport de l'Observatoire des délais de paiement a montré que cela restait un sujet de préoccupation majeure. Les PME et les TPE sont les premières à payer et les dernières à être payées. Cela doit changer. Que le donneur d'ordre soit public ou que le donneur d'ordre soit privé, vous n'avez pas à faire la trésorerie des autres et vous n'avez pas à faire les avances de trésorerie des agents publics comme des agents privés.

Nous avons, avec les premières assises du BTP, permis d'augmenter le niveau des avances des marchés publics. Je rappelle que tous les donneurs d'ordre publics doivent donner le meilleur exemple. Il y a des règles en la matière, je veillerai à ce que tous les donneurs d'ordre public respectent ces règles sous peine de sanctions. J'ai demandé à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de veiller encore plus attentivement au respect de ces règles en matière de délai de paiement. La DGCCRF a prononcé 32 millions d'euros d'amende à ce titre en 2022.

Je n'hésiterai pas à durcir encore notre réaction s'il n'y a pas des changements rapides en matière de délai de paiement pour les PME et TPE et nous renforcerons les contrôles dans ce domaine. Là aussi, je suggère que cela fasse partie des thèmes qui seront abordés lors des prochaines assises du BTP. Je ne veux pas être plus long ce soir parce qu'on est d'abord là pour fêter les 10 ans de Bruno Cavagné, pour se retrouver tous ensemble. Je veux dire à quel point je resterai à l'écoute de votre nouveau président.

Nous avons beaucoup de pain sur la planche. Nous avons une transition écologique qui est un bouleversement pour l'ensemble des acteurs du secteur. Nous allons la réussir ensemble et nous inspirer de l'esprit de Bruno Cavagné, constructif et exigeant vis-à-vis des pouvoirs publics, pour parvenir aux meilleurs résultats.

Merci à toutes et à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 11 juillet 2023