Texte intégral
Q - Bonjour Laurence Boone.
R - Bonjour Frédéric Rivière.
Q - Le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, s'inquiète du niveau de violence très élevée en France, et recommande, je le cite, "une réflexion sur l'organisation du maintien de l'ordre". Comment prenez-vous cette mise en cause ?
R - Alors de toute façon, la réflexion sur les évènements, nous l'aurons. Quand le calme est revenu, on va pouvoir commencer à réfléchir. Ensuite...
Q - Mais ce n'est pas sur les évènements, c'est sur le maintien de l'ordre, qu'il dit...
R - Je suis très étonnée, parce que voyez-vous, le maintien de l'ordre en fait pas partie des prérogatives européennes. Monsieur Didier Reynders a publié hier un rapport, comme il le fait tous les ans, sur les Etats de droit dans les pays de l'Union, où par ailleurs, il note les progrès de la France, notamment en matière de renforcement des effectifs de justice. Et dans ce rapport, il n'y a rien sur le maintien de l'ordre, qui, je le répète, n'est pas une prérogative européenne.
Q - Donc il est sorti de son domaine de compétences.
R - Oui
Q - Et il a eu tort.
R - Oui, parce que... Vous savez, cette situation elle est dramatique, elle n'est pas unique à la France. Aujourd'hui, le temps est vraiment d'essayer d'apaiser, de comprendre, de poursuivre l'action du gouvernement dans les quartiers, de regarder ce qui s'est passé et d'en tirer des conclusions de politique publique. Elle n'est pas au petit commentaire à droite ou à gauche, ou venant de personnes qui n'ont pas de compétences pour dire ça.
Q - Alors je vais citer tout de même ce qu'il a dit : "en France, ce qui a été très frappant au fil des années, les Gilets jaunes, la réforme des retraites, maintenant ces émeutes, c'est que chaque fois il y a un niveau de violence très élevé. Ce niveau de violence pose un problème, parfois dans le comportement d'un certain nombre de policiers. On le voit à travers des situations dramatiques qui ont pu intervenir". Qu'est-ce qui le pousse à dire ça ?
R - Mais on ne peut pas le laisser dire ça. D'abord pour une chose : effectivement, il y a eu un drame, un drame horrible, inacceptable. Il y a aussi eu un retour à l'ordre qu'on espère durable, de façon rapide, sans autre drame, sans débordement. Ensuite, est-ce que c'est une spécificité française ? Mais pas du tout. Regardez en 2011 aux Royaume-Uni, là aussi un an avant les Jeux olympiques, on a eu un drame similaire. On a eu la même chose au Danemark. On a eu la même chose en Suède. Et puisque vous me parlez de maintien de l'ordre, j'ai eu ma collègue suédoise au téléphone ce week-end, parce que bien sûr, on appelle les pays qui ont traversé les mêmes types d'épreuves, et elle, elle me dit : "nous, on a fait ce qu'on appelle un retour d'expérience, tirer les leçons de ce qui s'était passé en Suède. Et nous sommes en train de suivre le modèle français et de l'adapter chez nous."
Q - Il y a quelques jours, c'était le Commissariat aux droits de l'Homme des Nations unies qui avait invité la France à se pencher sur, je cite : "le profond problème de racisme au sein des forces de l'ordre". Est-ce qu'il y a tout de même une introspection à faire de la part de la France sur cette question ?
R - À nouveau, il faudra analyser dans le calme ce qui s'est passé. Maintenant, le ministre de l'intérieur l'a dit, le ministre de la justice l'a dit, il n'y a pas de racisme systémique dans la police. Il peut y avoir un acte, il peut y avoir une personne, et la loi de la République va s'appliquer à cet acte et à cette personne. La justice fera son travail. Mais on ne peut pas dire qu'il y ait du racisme systémique dans la police.
Q - Le monde entier nous a regardé pendant ces émeutes avec un regard allant de l'incrédulité, parfois des critiques assez virulentes. On en a pu lire notamment dans le New York Times, y compris sur ce thème du racisme. Est-ce que cette séquence a globalement abimé l'image de la France ?
R - Ecoutez, évidemment le monde entier regarde. Comme je vous le disais, ce n'est pas un phénomène spécifiquement français.
Q - La répétition est quand même assez particulièrement française. Cette séquence Gilets jaunes, retraites, émeutes...
R - Oui, il y a eu une séquence gilets jaunes, il y a eu une séquence retraite. Il y avait une séquence retraite en 95, j'étais à l'étranger, on regardait de la même façon. Il y a eu un drame inacceptable, il y a eu des violences et des émeutes, et des pillages, qui sont tout à fait inacceptables également. On a vu ce phénomène ailleurs, et la question qu'il faut se poser maintenant que le retour au calme est venu, c'est : qu'est-ce qu'on peut faire de plus que ce qui a été engagé déjà depuis 6 ans pour changer en profondeur, effectivement, le problème des quartiers ? Je vais vous dire une chose, d'abord on a fait beaucoup de choses, ensuite il s'agit de temps long, et ce n'est pas des phrases simplistes ou des solutions qui ont l'air sur le papier brillantes, parce qu'elles sont magiques, qui vont réussir à faire évoluer les choses.
Q - En Europe, les journaux ont largement couvert le sujet, avec des titres parfois sévères pour les autorités françaises : "Macron submergé par les émeutes", pouvait-on lire samedi dernier dans le quotidien espagnol El País ; "la France est secouée par de violentes émeutes", rapportait le journal allemand Bild, "des voitures brûlent", disait le journal, "des magasins sont pillés, des manifestants violents livrent des batailles de rue avec la police". Au gouvernement, on a une petite revue de presse le matin... On lit ça comment ?
R - Oui, je vous confirme : on a une revue de presse, on regarde, et d'abord moi je parle à mes 26 interlocuteurs en permanence, mes 26 homologues, donc oui on regarde ça. Et évidemment, ça ne fait pas plaisir. Evidemment, on est tous mobilisés, on était tous mobilisés et sur le pont, chacun dans son expertise, la police, la justice, regarder aussi ce que les autres ont fait, pour au moins voir quelles leçons on peut en tirer. On est dans l'action et dans comment est-ce qu'on, qu'est-ce qu'il faut faire de plus que le dédoublement des classes de CP et CE1, qu'est-ce qu'il faut faire de plus que les 460 maisons de service, qu'est-ce qu'on peut améliorer dans l'urbanisme, pour faire que ces évènements ne se reproduisent plus, et surtout que tous ces jeunes se sentent intégrés avec un avenir.
Q - Vous étiez en Allemagne lundi dernier, au plus fort des émeutes en France, qui avaient d'ailleurs conduit le Président de la République à reporter sa visite d'Etat... Est-ce que vos partenaires allemands vous ont parlé de cette situation, vous ont posé des questions, s'en sont inquiétés ?
R - Bien sûr on en a parlé. J'étais avec le président Steinmeier, qui devait donc recevoir le Président de la République. D'abord la première chose qu'il a exprimé, c'est sa compréhension que le Président ait reporté cette visite d'Etat. La deuxième chose, c'est la situation politique dans les pays européens, et le président allemand et moi avons eu une discussion sur l'évolution des politiques, l'évolution des tensions : "en Allemagne", ce qu'il me dit, "on n'a pas de banlieues, on a des quartiers. Ça m'inquiète, on observe ça depuis plusieurs dizaines d'années. Qu'est-ce qu'on peut partager comme mesures, que ce soit sur la politique familiale, que ce soit sur l'éducation ?" Je vais vous donner un exemple : au Danemark, ils ont baissé l'âge d'entré dans le système éducatif, et au Royaume-Uni, poursuivi, étendu, l'âge de sortie du système éducatif. Tout le monde a ce sujet. Et ça pose des questions, et il faut qu'on arrive à régler ça, on retrouve ça dans tous les grands pays démocratiques. Donc il y a quelque chose sur lequel, tous ensemble, on doit pouvoir répondre.
Q - Plusieurs pays, parmi lesquels le Royaume-Uni, l'Allemagne ou les Etats-Unis, ont mis à jour leurs consignes de sécurité, en invitant leurs ressortissants qui ont prévu un séjour en France à la plus grande prudence. La France perçue comme une destination périlleuse ? C'est un peu affligeant, non ?
R - Ecoutez je ne crois pas, et Bruno Le Maire a eu l'occasion de le dire à la fois sur la BBC et dans les journaux : il n'y a pas un problème sécuritaire en France. Il y a eu des émeutes et des pillages épouvantables en...
Q - Il y avait eu le Stade de France, aussi, qui avait refroidi un certain nombre de touristes.
R - Oui absolument. Maintenant si vous vous promenez dehors, vous allez voir qu'il y autant de touristes. Donc le gouvernement a rassuré, Bruno Le Maire a rassuré. La France est un des pays les plus touristiques au monde, les touristes sont les bienvenus, et ils sont là.
Q - La première destination touristique du monde.
R - Oui, absolument.
Q - Un petit mot, car depuis plusieurs jours, la Russie et l'Ukraine s'accusent mutuellement de préparer une attaque contre la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus importante centrale nucléaire d'Europe, qui est située en Ukraine mais qui est contrôlée actuellement par les forces russes. Comment la France évalue-t-elle la situation, à la fois sur la probabilité de l'attaque et sur sa dangerosité ?
R - Alors, d'abord la France s'est toujours inquiétée de ce qui se passait en Ukraine, avec l'agression russe, pour fournir le soutien humain, militaire et financier que vous connaissez. Depuis le début de la guerre, la ministre des affaires étrangères Catherine Colonna, le Président de la République, ont été en contact avec le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui, de façon active, s'est rendu sur place pour essayer de faire baisser les tensions. Oui, on ne peut pas dire qu'on n'est pas inquiet quand on regarde ce qui se passe sur une centrale nucléaire, et à nouveau, il va falloir utiliser cette médiation pour que les choses ne dérivent pas en Ukraine. Ce que ça doit nous rappeler, c'est qu'il faut absolument que l'Ukraine arrive à gagner cette guerre et qu'on puisse retrouver le chemin d'une paix.
Q - Merci Laurence Boone, bonne journée.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2023