Déclaration M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, sur les émeutes survenues depuis le 27 juin 2023, au Sénat le 5 juillet 2023.

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Circonstance : Audition devant la Commission des lois du Sénat

Texte intégral

M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence cet après-midi.

Je vous informe, monsieur le ministre, mes chers collègues, que cette audition est filmée et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Monsieur le ministre, vous avez accepté d'évoquer devant notre commission la situation que le pays vit depuis plusieurs jours, ou plutôt plusieurs nuits. À l'origine de ce que nous allons décrire, il y a bien sûr un événement dramatique. Cependant, en aucun cas cet événement dramatique ne peut justifier les émeutes qui ont eu lieu ensuite et la déferlante de violences qui a envahi le pays. Un grand nombre de villes et de villages, parfois paisibles, ont été la cible d'incendies d'automobiles ou de bâtiments et de tirs de mortier. Les images de la télévision ont montré cette violence. Vous avez mobilisé beaucoup de fonctionnaires de police et de pompiers. Des magistrats ont également été appelés pour apporter une réponse pénale rapide.

Aujourd'hui, la situation est apaisée et nous devons sans doute vous en féliciter. Cependant, sur le fond, les questions demeurent. Pour combien de temps ? Quels remèdes seront nécessaires ? Le constat que nous partageons et sur lequel nous souhaiterions vous entendre, c'est que, au travers des mairies, des espaces publics, des lieux communaux ou d'État, mais également des tribunaux et de la maison d'arrêt de Fresnes qui ont été attaqués et incendiés, c'est la République et l'autorité en général qui sont attaquées.

Hier, au tribunal judiciaire de Lyon, l'audience qui devait permettre de juger les personnes arrêtées et renvoyées devant le tribunal a été suspendue en raison de la présence de militants d'ultragauche, qui ont d'ailleurs insulté la police dans ce lieu de justice. Tous ces éléments nous inquiètent sur la suite des événements et sur les motivations réelles de ces voyous, délinquants ou criminels. Et je ne parle même pas des violences commises à l'encontre des élus, telles que l'agression du maire de la commune de L'Haÿ-les-Roses ou, avant elle, du maire de Saint-Brevin-les-Pins, de la maire de Plougrescant et de beaucoup d'autres. Dans mon département, le Rhône, un maire a également été attaqué à son domicile.

Bref, la situation est dramatique. La réponse policière et le rétablissement de l'ordre sont en cours ; vous avez notre soutien à ce sujet. La question de fond, cependant, est de savoir comment les choses évolueront demain et comment nous réagirons aux attaques contre la République.

Au-delà de ces questions, monsieur le ministre, nous voulons des explications, nous voulons comprendre qui a fait quoi. En effet, nous sommes tous convaincus que l'ensemble des populations des quartiers dits de banlieue ou difficiles veulent vivre tranquillement, éduquer leurs enfants, s'inscrire dans la République. Nous ne voulons pas faire masse de tout. Au contraire, nous nous interrogeons sur les causes précises et c'est vous, monsieur le ministre, qui pouvez nous en livrer une analyse.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Chaque fois qu'une commission des lois du Parlement m'invite à expliquer l'action du Gouvernement, j'y réponds bien sûr favorablement. Je vous prie toutefois de m'excuser si, vers 18 heures, je vous demande l'autorisation de vous quitter, car je préside d'autres réunions de sécurité. En effet, si la situation est calme, elle reste à surveiller...

Le mardi 27 juin 2023, à 8 heures 16, sur le boulevard Frédéric et Irène Joliot-Curie à Nanterre, des effectifs de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police de Paris ont voulu procéder au contrôle d'un véhicule ayant trois individus à son bord, qui circulait manifestement sur une voie de bus. La voiture était immatriculée en Pologne mais n'était pas signalée comme volée. D'après le rapport de la police nationale, le conducteur de la voiture a refusé d'obtempérer aux injonctions des policiers. Il a fini par couper le contact au niveau du passage François Arago, à Nanterre, avant de redémarrer subitement. Comme tout le monde a pu le voir sur la vidéo de l'événement, le fonctionnaire de police a fait usage à une reprise de son arme administrative.

Il s'agissait d'un policier expérimenté, de 38 ans, qui ne connaissait aucune difficulté dans son parcours de policier. Il avait été décoré à plusieurs reprises. Il était accompagné d'un autre policier expérimenté, de 40 ans, qui ne connaissait pas non plus de difficultés particulières avec son administration.

Le véhicule a fini sa course en s'encastrant dans une barrière et un poteau. Le conducteur, qui avait manifestement été blessé au thorax, était en arrêt cardio-respiratoire. Les effectifs de police arrivés sur place ont prodigué un premier massage cardiaque avant l'arrivée des sapeurs-pompiers et du service d'aide médicale urgente (Samu), qui ont pris le relais, mais le conducteur blessé a été déclaré décédé à 9 heures 15.

Le premier passager arrière, toujours dans le véhicule, a été immédiatement interpellé, tandis que le deuxième passager, non identifié au moment des faits, a pris la fuite. Comme chacun l'a vu, il a depuis lors été identifié. Il s'est d'ailleurs exprimé dans les médias. Dans la nuit du samedi 1er juillet, il a été contrôlé en situation de violation d'un contrôle judiciaire sur ses horaires de sortie et placé en rétention judiciaire. À l'issue de cette mesure, il a été remis aux personnes qui en sont civilement responsables, puisqu'il était, comme le conducteur, mineur au moment des faits.

Le procureur de la République a saisi l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Nous avons fait de même au niveau de l'administration. Une enquête a été menée et le policier qui a utilisé son arme administrative a été placé en garde à vue. Ce policier a été présenté devant les magistrats instructeurs au bout de quarante-huit heures. Une information judiciaire a été ouverte. Il a été mis en examen et placé en détention provisoire. Il ne m'appartient pas de discuter de l'enquête ni des suites judiciaires. Ce sera au parquet ou à la chancellerie de communiquer.

Le Gouvernement a fait preuve de transparence très rapidement sur cet événement absolument dramatique et a utilisé, me semble-t-il, les mots qui convenaient, tout en rappelant que ce policier avait le droit, comme toute personne, à la présomption d'innocence tant qu'il n'était pas condamné définitivement.

La nuit qui a suivi aurait pu être une nuit de désordre public et le ministère de l'intérieur s'est préparé immédiatement à d'éventuelles manifestations en mettant en place un dispositif de maintien de l'ordre. Or ces manifestations n'ont pas eu lieu, elles ont été remplacées par des violences urbaines, à Nanterre, c'est vrai, mais également dans d'autres villes de France, sans doute par effet de mimétisme.

La position du ministère de l'intérieur était évidemment d'éviter qu'un autre drame ne se produise. Aussi sommes-nous passés, à ma demande, d'une position d'ordre public à une position de lutte contre les violences urbaines. C'est ce qui explique à la fois la mobilisation de moyens différents mais aussi la stratégie mise en place par les préfets, sous mon autorité, et singulièrement par le préfet de police de Paris, même si, bien sûr, ce dernier n'a pas été le seul au rendez-vous de cette action. Je veux remercier ici les préfets, les équipes de la direction générale de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la préfecture de police, de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui a également été mobilisée, et l'ensemble des forces de l'ordre, y compris les sapeurs-pompiers et les polices municipales. Tous ont contribué à ce travail.

Nous avons connu des moments très difficiles entre le 27 juin et aujourd'hui, même si les deux dernières nuits ont été relativement calmes. Durant cette période, nous avons compté 23 878 feux de voie publique, de poubelles en particulier, 12 031 véhicules incendiés, 2 508 bâtiments incendiés ou dégradés, dont 273 bâtiments appartenant aux forces de l'ordre - à la police nationale, à la gendarmerie ou à la police municipale, qui a d'ailleurs payé un lourd tribut à ces attaques inacceptables -, 105 mairies incendiées ou dégradées, 168 écoles attaquées. Sur la même période, 17 atteintes aux élus ont été recensées par le ministère de l'intérieur, parmi lesquelles, bien sûr, le cas du maire de la ville de L'Haÿ-les-Roses.

Face à cette violence extrêmement forte et dans le cadre de l'exigence d'interpellations que j'avais formulée, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ont procédé à 3 505 interpellations, dont 1 373 dans la seule zone d'intervention de la préfecture de police, c'est-à-dire à Paris et dans sa petite couronne. Cela est dû au fait que nous avons demandé, dès le deuxième jour, comme chacun l'a vu, que les brigades d'intervention d'habitude utilisées dans le domaine judiciaire - RAID, groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), brigade de recherche et d'intervention (BRI), pelotons de la garde républicaine - soient mobilisées dans toutes les villes de France.

Elles ont procédé à ces très nombreuses interpellations selon des modalités conformes, je crois, à la loi, à la déontologie et au principe de proportionnalité, ainsi que je le leur avais demandé. Même s'il peut y avoir des moments dramatiques - évidemment, on entend ici ou là que cela peut exister -, il n'y a eu pour l'instant, à ma connaissance, que dix saisines de l'IGPN ou de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), pour des cas particuliers, au sujet desquels je n'ai que très peu d'informations et qui ont donné lieu à l'ouverture d'enquêtes judiciaires.

Je remercie donc les policiers et les gendarmes, car ils ont agi dans des conditions difficiles : ils ont été rappelés de leurs congés, leurs formations ont été annulées, certaines de leurs missions, comme celles des CRS des plages, ont été annulées pour leur permettre de répondre à cette situation et nous avons dû organiser la continuité du service au-delà des horaires, etc. En tant que chef de l'administration du ministère de l'intérieur, je saurai les remercier, symboliquement mais pas seulement, pour cette mobilisation, car ce sont leur mobilisation et leur professionnalisme qui ont permis de rassurer les élus, de limiter les attaques - même si celles-ci ont été extrêmement nombreuses - et d'augmenter le nombre d'interpellations jusqu'à un niveau jamais atteint auparavant, permettant une réponse pénale forte, même si je ne dispose pas de tous les chiffres et que, vous le savez, cette réponse prend du temps.

Le travail de police judiciaire se poursuit, afin d'interpeller dans la journée ceux qui commettent des méfaits la nuit, ce qui a d'ailleurs largement contribué au retour au calme. Je vous le dis avec quelque facétie, monsieur Durain, en confiant ce travail à la police judiciaire, c'est-à-dire en préfigurant la réforme de la police nationale, nous avons su retrouver beaucoup de personnes et donc calmer les ardeurs des émeutiers et des délinquants. Nous avons aussi su protéger quelques symboles extrêmement forts de la République : écoles, commissariats, mairies, brigades de gendarmerie, postes de police municipale, centres sociaux. Puis, nous avons vu se transformer ces mouvements d'attaque - le terme est un peu caricatural, il faudra, en effet, regarder territoire par territoire - en pillages de commerces. C'était, si j'ose dire, la seconde phase de ces nuits extrêmement difficiles.

Quelque 45 000 membres des forces de l'ordre ont été mobilisés chaque nuit, ainsi que l'intégralité des forces du ministère de l'intérieur, avec un travail très important des services de renseignement, et nous avons eu une très bonne collaboration, non seulement avec le ministère de la justice, mais encore avec les procureurs de la République, qui ont su être au rendez-vous, aux côtés de la police et de la gendarmerie.

La sociologie des délinquants et des émeutiers suscite des interrogations. La moyenne d'âge des 3 500 personnes interpellées se situe entre 17 et 18 ans. Elle a tendance à augmenter un tout petit peu, puisque des personnes un peu plus âgées ont été interpellées ultérieurement, grâce notamment à des travaux d'enquête technologiques, mais, selon le dernier comptage dont je dispose, la plus jeune personne interpellée a 11 ans, la plus âgée a 59 ans. Ainsi, si la moyenne d'âge des personnes arrêtées se situe entre 17 et 18 ans et qu'un tiers d'entre elles sont mineures, les mineurs interpellés sont extrêmement jeunes.

Comme je l'ai dit lors de la dernière séance de questions d'actualité au Gouvernement, seuls 10% des personnes interpellées sont de nationalité non française. D'ailleurs, il y a eu 40 placements en centre de rétention administrative, ce qui est peu, avouons-le, sur 3 500 personnes interpellées. Par ailleurs, à ma connaissance, 60% des personnes que nous avons interpellées n'ont pas de casier judiciaire et ne sont pas connues des services de police.

Il est évidemment difficile d'aller plus loin dans l'étude de la sociologie de ces personnes. Après leurs interpellations, ces personnes sont inscrites dans un fichier judiciaire dénommé "Chaîne applicative supportant le système d'information oriente procédure pénale et enfants", ou Cassiopee, et il appartiendra sans doute au garde des Sceaux de donner davantage d'informations dans quelques jours - il est sans doute encore trop pour qu'il puisse le faire - sur les personnes concernées, afin que nous comprenions leur origine géographique et leurs motivations à commettre ces méfaits.

Le ministère de l'intérieur reste extrêmement attentif. Cette posture repose sur trois grands piliers.

Premièrement, nous maintenons une présence très forte des forces de l'ordre sur le territoire national. Je constate avec vous que ne sont concernés ni la Corse ni les outre-mer, hormis la Guyane et La Réunion mais de manière beaucoup moins marquée qu'en métropole. Il s'agit donc d'un sujet exclusivement ou presque exclusivement métropolitain. Nous restons donc très " éveillés " par rapport aux présences sur la voie publique, notamment la nuit.

Deuxièmement, nous menons un travail de police judiciaire. Des personnes sont, au moment où je vous parle, confondues par la police technique et scientifique, particulièrement mobilisée, et par les services de la police judiciaire. Ce travail explique l'augmentation des chiffres des interpellations, qui correspondent non pas à des nuits d'émeutes supplémentaires, mais au travail de la police judiciaire. Je me suis ainsi rendu à la mairie de Mons-en-Barœul où neuf personnes, majoritairement mineures, ont été arrêtées. Cela pose des questions d'ordres sociologique et politique, sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Nous avons vu que, en quarante-huit heures, les services de police étaient capables de mener des interpellations alors même qu'un feu avait ravagé une mairie. Je veux donc saluer la grande mobilisation des policiers qui font un travail de police judiciaire.

Troisièmement, enfin, nous luttons contre tout ce qui contribue à armer les émeutiers, dans le cadre d'une réponse conjoncturelle. Il y a eu peu de tirs contre les policiers et les gendarmes, mais à Nîmes un policier a trouvé dans son gilet pare-balles une balle de 9 millimètres qui, en l'absence de cet équipement, aurait pu lui coûter la vie. Aux alentours de Lyon, des tirs à la chevrotine ont blessé plusieurs policiers. Ici ou là, il y a eu des signalements de personnes avec des armes longues, qu'elles utilisaient pour détruire des bâtiments publics ou des caméras de vidéosurveillance avant d'intervenir. En effet, il apparaît après coup que le travail des émeutiers était très organisé. À ma connaissance, nous n'avons pas vu de tirs d'armes dites de type Kalachnikov sur les forces de l'ordre, même si le risque est très important.

En revanche, les mortiers ont été particulièrement utilisés. Aussi ai-je demandé aux préfets, dès le lendemain des émeutes, d'empêcher sur tout le territoire national la constitution de cocktails Molotov, autrement dit d'interdire la vente d'essence en bidon. L'essence pouvant être récupérée dans les réservoirs des voitures, cette mesure a une portée limitée, mais elle est malgré tout relativement efficace. Il faut y ajouter les fermetures administratives de magasins dans les territoires, pour interdire la vente de ces produits. J'ai également demandé des contrôles des douanes, d'une part des retours de l'étranger, notamment d'Allemagne et de Belgique, où il est plus facile d'acheter des mortiers, et d'autre part des relais postaux et de colis, puisque des commandes sont faites illégalement sur internet, et du transport de mortier. Je remercie le ministère de l'action et des comptes publics pour cette aide aux contrôles.

La police judiciaire suit particulièrement ces filières, il n'y a pas d'autre mot, et elle a encore montré son efficacité en saisissant 300 kilogrammes de mortier, porte de Clignancourt, ce matin ou hier soir. À l'évidence, une partie de ces mortiers était stockée en vue de la nuit du 13 au 14 juillet et leur usage a peut-être été anticipé pour en faire une arme par destination. D'ailleurs, des élus en ont été la cible : la mairie de la ville de Pontoise, par exemple, a été brûlée à l'occasion d'un tir de mortier.

Voilà, monsieur le président, quelques mots sur le fait déclenchant, sur la manière dont le ministère a géré les choses et dont il envisage de les gérer demain ou après-demain. Bien que le calme soit globalement revenu sur le territoire national, il est difficile de savoir ce qui va se passer dans les jours qui viennent. C'est pourquoi nous demeurerons extrêmement attentifs au cours des heures et des jours à venir.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je veux d'abord rendre hommage à la police, aux gendarmes et aux pompiers du Val-d'Oise. La plupart des Français les soutiennent et certains s'expriment sur les événements actuels d'une manière parfois effrayante, parce qu'ils sont exaspérés. Ce qui s'est passé, indéniablement, est un drame. Pour autant, est-ce que cela justifie ce que nous avons vécu ? Pour moi, en aucun cas. Je fais partie de ces élus qui se posent donc des questions concernant l'emploi de l'argent public dépensé depuis des années pour certains quartiers, dans le cadre de la politique de la ville, pour laquelle je me suis pourtant beaucoup battue.

Je veux aujourd'hui vous poser des questions sur des sujets dont on ne veut pas parler.

Vous nous dites que la plupart des gens qui ont été arrêtés à l'occasion des derniers événements sont français. D'accord, mais cela ne veut plus rien dire. Je voudrais savoir si nous pourrons enfin savoir un jour qui sont ces enfants issus de l'immigration pour lesquels les choses ont été ratées : ils ne se considèrent pas comme français et ils ont une haine de la France que je n'avais jamais ressentie. On entend dire à des personnes d'origine africaine et intégrées des choses telles que : « Toi, tu es noir dehors mais tu es blanc dedans. » Cette phrase n'est pas neutre, elle indique que quelque chose a été collectivement raté. Aurons-nous l'honnêteté de dire que la plupart des jeunes qui ont commis des exactions depuis quatre ou cinq jours sont issus de l'immigration ? C'est une réalité factuelle. La nier ne nous permettra pas d'avancer.

Alors, je m'interroge : qui est responsable de cette haine de la France, alors que notre pays a accueilli sans réserve les parents et les grands-parents de ces enfants ? Deux ou trois générations après, nous en sommes là. Ne pas vouloir nous donner les chiffres sur les enfants issus de l'immigration qui ont pillé, cassé, ne nous permettra pas d'avancer. Ces enfants n'ont pas bénéficié au sein de leur famille d'une transmission de leur propre histoire. Or l'histoire familiale se transmet et se défend. Si nous ne parlons pas de cette réalité, nous n'avancerons pas.

M. Jérôme Durain. - Je crois pour ma part qu'il n'y a qu'une seule catégorie de Français, les Français, et il y a les 10% de personnes interpellées qui n'ont pas la nationalité française, comme l'indiquait le ministre. Vouloir aller plus loin dans le détail génétique des populations concernées me paraît un peu choquant.

Je dois d'abord vous dire, monsieur le ministre, que nous sommes satisfaits du dispositif de sécurité qui a été mis en œuvre. Dans ces situations difficiles, les forces de l'ordre ont fait preuve d'efforts et de coordination, toutes catégories confondues, pour que la situation s'apaise. Nous espérons tous que cet apaisement sera durable. J'ai à l'esprit, dans mon propre département, à Mâcon, l'excellent travail mené sous l'autorité du préfet par les différentes catégories des forces de l'ordre : gendarmes mobiles, GIGN, commissariat local, brigades anticriminalité. Il faut leur rendre hommage.

Je souhaite vous poser trois questions.

La première porte sur la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) et l'article L. 435-1 du code de sécurité intérieure, dont on a beaucoup débattu concernant le refus d'obtempérer. Le garde des sceaux indique ne pas être hostile à un réexamen des dispositions applicables. Notre proposition en la matière est toujours sur la table. Avez-vous des chiffres comparés concernant les refus d'obtempérer du côté de la police et du côté de la gendarmerie ? Ces chiffres pourraient nous éclairer sur la façon dont ces événements se produisent sur le territoire national.

Deuxièmement, je souhaite vous interroger sur les déclarations d'un bloc syndical majoritaire dans la police, qui nous ont beaucoup choqués. Je voudrais que l'on s'inquiète de ce qui a été écrit dans un tract dans lequel des syndicats policiers veulent s'en prendre aux nuisibles et se déclarent en guerre, voire en résistance.

Troisièmement, j'aimerais savoir ce que vous pensez des milices de citoyens, notamment de quelques militaires à Lorient, qui se sont organisés spontanément pour venir en aide aux forces de l'ordre. C'est aussi pour nous un motif d'inquiétude.

Mme Brigitte Lherbier. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué un nombre important de mineurs interpellés au cours des émeutes. Le Président Macron a insisté sur la nécessité d'une reprise en main de l'autorité parentale sur ces enfants délinquants. Je suis absolument d'accord. Mais j'aimerais que vous soyez mon messager auprès du Président pour évoquer le besoin d'entendre aussi les enfants en bas âge en souffrance dans leur foyer. Dans le Nord, 270 enfants sont sous ordonnance judiciaire de placement depuis plusieurs mois, mais, bien qu'ils soient considérés en grand danger, ces ordonnances ne sont pas suivies d'effet, faute de places dans les foyers, largement occupés par les mineurs étrangers isolés, et faute d'assistants familiaux compétents. Il s'agit d'enrayer le cycle de la violence dès le plus jeune âge. Rien n'excuse les dégâts occasionnés au cours des derniers jours et rien ne justifierait de ne pas appliquer des peines exemplaires aux mineurs violents et à leurs familles indifférentes. Nous allons devoir travailler ensemble pour prendre nos responsabilités et sauver notre République, mais, en amont, un travail de reprise en main de l'enfance en danger est inévitable ; les départements font de leur mieux, mais l'État doit les soutenir. Les enfants en danger appellent au secours, le nombre des violences familiales explose. Ne laissons pas les enfants évoluer dans ces violences. Je vous conjure de transmettre ce message au Président de la République, monsieur le ministre.

M. François Bonhomme. - Monsieur le ministre, comme beaucoup de nos concitoyens, je me suis demandé face à ces images comment un fait divers tragique avait pu mettre à feu et à sang tant de villes dans notre pays. Je partage avec la très grande majorité des Français un mélange de sidération, de stupeur, de tristesse et de solidarité totale à l'égard de nos forces de sécurité, policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers. Les dégâts occasionnés sont considérables et entraîneront des dépenses colossales pour remettre en état les bâtiments publics et indemniser les commerçants touchés.

De nombreuses questions de fond méritent d'être posées et seront traitées dans les semaines et les mois qui viennent. La colère ne peut en rien justifier l'usage de la violence. Vous avez donc, monsieur le ministre, tout notre soutien. Ce n'est pas votre ministère qui est en cause, la question première concerne évidemment l'école et le rapport spécifique que l'on observe en France à l'égard de l'autorité et de tout ce qui est vertical. Aucune figure de l'autorité - juge, professeur, maire, forces de l'ordre - n'échappe à la contestation.

J'en profite pour dénoncer ici un discours de complaisance entendu ici ou là, qui consiste à imputer la responsabilité de cet embrasement à d'autres facteurs, qui, en l'espèce, n'ont pas joué : le racisme, l'insuffisance de la politique de la ville, le mépris social ou la discrimination dont l'État serait l'agent. Tout cela relève du déni et mène à l'irresponsabilité. Je rappelle qu'il y a une France tranquille, silencieuse, sidérée par cette explosion de violence et qui aspire avant tout à un retour à la paix, à l'ordre et à la sécurité. C'est, je vous le rappelle, la première des libertés.

Je veux maintenant aborder deux points particuliers, qui me semblent être nouveaux.

Le premier concerne l'âge des émeutiers : un grand nombre de personnes interpellées ont moins de 16 ou 17 ans. C'est une jeunesse hyperconnectée mais aussi complètement déculturée, socialement déstructurée, totalement dépourvue de retenue. C'est vraiment un marqueur du renoncement d'un certain nombre de nos institutions, notamment de l'école, qui ont été très affaiblies.

Le deuxième concerne l'usage détourné qui a été fait des mortiers d'artifice. Comment se fait-il qu'aujourd'hui, en France, l'on puisse s'en procurer aussi facilement, sur internet notamment, alors que cela ne sert qu'à cibler nos forces de l'ordre ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le ministre, depuis le début des troubles et après la mort du jeune Nahel, vous avez tenu des propos que nous estimons responsables et tenté de faire revenir la paix civile. Dans le contexte qui est le nôtre, un tel pari n'est jamais gagné d'avance.

Bien heureux celui qui pense avoir la solution, avez-vous dit. En effet, nous devons nous garder de tout simplisme. Cependant, deux types de questions se posent déjà, auxquelles nous, parlementaires, devons répondre.

La première vous a été posée par Jérôme Durain lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement : comment réconcilier la police et la population ? Comment faire face à des situations qui peuvent être perçues comme des pratiques discriminatoires, sans les nier ni les caricaturer ?

Par ailleurs, je souhaite vous entendre au sujet des modalités d'intervention des forces de l'ordre. Ne pensez-vous pas qu'il soit nécessaire de recadrer ou de préciser les conditions d'usage des armes ? Trois séances de tir par an sont sans doute insuffisantes pour permettre aux effectifs de réagir convenablement. Toute la formation des policiers est sans doute à prendre en compte dans notre réflexion et je lui ajoute la question de la rémunération et de la considération que nous devons apporter aux forces de l'ordre. Il convient ici de mentionner le véritable serpent de mer que représentent les millions d'heures supplémentaires non payées et qui expliquent que nos forces de l'ordre sont aujourd'hui exténuées, peu à même d'accomplir leur mission sereinement.

Mme Catherine Di Folco. - L'écoute d'un reportage radio m'a inquiétée. Le journaliste se trouvait sur la place Bellecour, à Lyon, et tendait son micro à de jeunes émeutiers. Ces derniers disaient vouloir renoncer à leurs actions du soir, en raison des nombreux effectifs des forces de l'ordre déployés. « Mais ne t'inquiète pas », disaient-ils au journaliste, « nous reviendrons quand ce sera le moment ». Je suis inquiète, monsieur le ministre, car vous ne pourrez pas disposer indéfiniment des effectifs et dispositifs mis en place par la préfecture. Que pensez-vous faire pour éviter une nouvelle flambée de violence une fois les forces de l'ordre redéployées ?

M. Alain Marc. - Je souhaite tout d'abord rendre hommage aux forces de l'ordre et aux sapeurs-pompiers, et vous apporter tout notre soutien, monsieur le ministre, dans vos actions de protection des biens et des personnes.

Nous, sénateurs, sommes les représentants institutionnels et constitutionnels des communes. Nous savons tous le rôle essentiel joué par les maires, dans le mieux-vivre des populations mais également dans la résolution de nombreux litiges. Monsieur le ministre, il me semble que vous avez donné aux forces de l'ordre des consignes pour protéger les élus, qui sont pris pour cible par ceux qui ne supportent pas notre démocratie. Quelle forme prendra désormais cette coopération ? Comptez-vous travailler avec le ministre de l'éducation nationale, afin que le rôle et la portée symbolique de nos institutions soient de nouveau enseignés dans les établissements scolaires ?

M. Patrick Kanner. - " Nous pensons que l'immigration fait partie de la France et des Français, depuis toujours. L'immigration est un fait qui fait aussi la France, qui a fait son passé et qui fera sans doute son avenir. Il ne sert à rien d'être contre. Que veut dire être contre le mouvement des hommes sur la terre ? " Cette phrase fut prononcée à l'Assemblée nationale par Gérald Darmanin, en décembre 2022 et j'aurais pu la signer. Je pense, madame Eustache-Brinio, qu'il ne faut pas avoir des propos caricaturaux, qui mettent de l'huile sur le feu. Je vous invite d'ailleurs à lire l'excellent ouvrage de François Héran, professeur au Collège de France, intitulé Immigration : le grand déni.

Monsieur le ministre, nous chercherons à comprendre les causes, à les analyser et à formuler des propositions. Au nom de mon groupe politique, j'ai demandé l'organisation d'un débat parlementaire dans le cadre de l'article 50-1 de la Constitution ; j'espère que Mme Borne répondra favorablement à cette sollicitation, qui relève de sa seule autorité. Les présidents de groupes ont été conviés à Matignon il y a deux jours pour une rencontre de travail, au cours de laquelle j'ai pu interroger Mme Borne sur la formation des policiers ainsi que sur l'interprétation et l'évaluation de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

J'ai cependant une question complémentaire à vous adresser sur un sujet précis, qui prend tout son sens dans le débat actuel : la généralisation des caméras-piéton. Je ne vous cache pas ma surprise face à la réponse de la Première ministre à ce sujet : celle-ci m'a indiqué que les caméras-piéton, auxquelles je suis très favorable, étaient généralisées et opérationnelles, tout en précisant que les deux motards incriminés à Nanterre n'en portaient pas ! Certes, les caméras-piéton ne constituent pas une solution miracle, mais elles permettent sûrement d'apaiser un contrôle entre une personne interpellée et un agent des forces de l'ordre. Mme Borne a affirmé que les motards ne portaient jamais de caméras-piéton car cela était impossible techniquement. Qu'est-ce qui, pour les motards, constitue un empêchement technique au port de telles caméras ? J'estime que l'enquête judiciaire ne doit pas s'appuyer uniquement sur la vidéosurveillance ou sur des vidéos enregistrées par des témoins de la scène. Sans cette vidéosurveillance et sans ces témoins, qu'aurions-nous pu comprendre de la situation ?

Mme Éliane Assassi. - D'autres collègues l'ont dit avant moi, mais je le répète : rien ne justifie les violences, mais rien ne justifie non plus la mort d'un enfant de 17 ans, que les choses soient claires.

J'étais également présente à la réunion convoquée par la Première ministre, à laquelle j'ai expliqué que nous avions traversé deux phases : celle de l'émotion, puis celle des violences, que je condamne très fortement. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été saccagé sur le territoire ni sur les scandaleuses attaques à l'encontre de certains élus. Certes, la situation est moins tendue aujourd'hui, mais nous ne sommes pas à l'abri d'une possible troisième phase. C'est pourquoi j'estime que les réponses à apporter doivent être à court, à moyen et à long terme.

Je me limiterai au sujet de la sécurité et du maintien de l'ordre ; j'ai conscience que l'équation entre prévention, accompagnement et protection est un véritable défi, que les policiers doivent relever au quotidien. C'est un métier difficile. La situation actuelle est d'autant plus inquiétante que certaines personnes dans la classe politique donnent dans la surenchère, font des amalgames douteux, établissent des liens entre sécurité et immigration. Lorsqu'un enfant de 8 ans, dans une cour d'école, a le teint foncé, il est immédiatement perçu comme immigré, alors que c'est peut-être son arrière-grand-père qui a le premier émigré en France. Cet enfant est Français !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas le sujet !

Mme Éliane Assassi. - Si, c'est la question ! J'alerte donc sur le risque, avec de tels propos, de mettre de l'huile sur le feu.

J'estime que, en tant qu'hommes et femmes politiques, et surtout en tant que parlementaires, nous ne pouvons pas nous exonérer d'un certain nombre de responsabilités. Certes, le Gouvernement propose des lois, mais il nous revient de les voter. Nous sommes donc, nous aussi, responsables de la présente situation. Puisque nous votons les lois, nous avons conféré leurs missions aux policiers.

Monsieur le ministre, plusieurs sujets me tiennent à coeur, lorsqu'il est question de la police : celui de la formation des policiers et celui du retour à une police de proximité. Depuis que cette dernière n'est plus implantée sur tout le territoire, les liens se sont délités entre les forces de police et la jeunesse. Je ne blâme pas Nicolas Sarkozy ; je dresse simplement un constat. Je souhaite que vous puissiez nous indiquer si vous avez l'intention de redonner des missions de proximité à nos policiers.

Mme Françoise Gatel. - Monsieur le ministre, je vous remercie très sincèrement pour votre engagement total et votre transparence. Je remercie également les forces de l'ordre, si sollicitées, si éprouvées, parfois même accablées.

Mes collègues ont exposé différents versants de la problématique, ce qui prouve que nous devons nous inscrire dans une approche systémique. Je pense en effet que les causes et les réponses sont multiples et que, au-delà même de la crise que nous traversons actuellement, le mal est profond. La révolte couve, y compris dans nos campagnes, puisque cette révolte urbaine fait suite à celle des milieux ruraux. Nous connaissons tous des personnes, d'ordinaire modérées, qui disent vouloir changer de vote lors des prochaines échéances, qui s'affranchissent de tous les tabous sur certains sujets et témoignent d'une attente très forte de retour à l'ordre, au vivre-ensemble. Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre : l'ordre et la sécurité sont la meilleure protection des plus faibles.

En Afrique, on estime qu'il faut tout un village pour éduquer un enfant. Je suis parfaitement d'accord. Monsieur le ministre, vous êtes chargé des questions de sécurité, mais nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur la prévention. La famille est le premier lieu d'éducation et personne ne remet en cause le principe de responsabilité individuelle. Je suis ainsi très sensible aux propos de Mme Lherbier sur la nécessité de protéger les enfants, de leur donner une chance de s'émanciper et de s'éduquer, parfois en leur faisant, hélas, quitter leur famille pour être pris en charge par des lieux d'éducation positive.

Je suis d'accord avec le point de vue de Mme Assassi. Dans les zones de gendarmerie, les gendarmes exercent au milieu de la population. J'ai été maire, j'ai vu le commandant de la gendarmerie jouer au football avec des jeunes, qui allaient dans la même école que ses enfants. Je ne souhaite pas transformer le policier en coach sportif, mais le fait d'être au contact direct et quotidien de la population permet de porter sur elle un regard différent. Les moments de tension ne sont alors plus des face-à-face. Je pense qu'une police « de proximité » serait un bon outil de prévention.

J'estime qu'il nous faut réfléchir aux conditions de vie et aux assignations à résidence de certaines personnes, à la campagne comme à la ville. Si nous confions aux élus locaux la gestion du logement social, la mixité sociale serait renforcée, tandis que les tensions et les ghettos se réduiraient. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Mme Dominique Vérien. - Je souhaite tout d'abord saluer les nombreux habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qui se sont engagés pour sauver des bâtiments et essayer d'empêcher toutes ces détériorations, dont ils avaient conscience d'être les premières victimes.

Une véritable organisation semble exister derrière ces émeutes. D'ailleurs, le fait que les personnes interpellées soient de moins en moins jeunes au fil de vos investigations le prouve. Quelle est cette organisation ? Est-elle liée au trafic de drogue, comme on le pense souvent ? Qui profite du chaos ?

Vous avez dit que les forces de sûreté intérieure ont saisi 300 kilogrammes de mortier. Doit-on craindre un réarmement des émeutiers ? Que faire pour réduire leur pouvoir ?

Enfin, je souhaite aborder le sujet des mères célibataires. Je crois en l'autorité parentale et me refuse à dire qu'une femme serait forcément plus faible qu'un homme. Malgré tout, le maire de L'Haÿ-les-Roses a partagé la détresse de certaines mères, dépassées ou elles-mêmes victimes de leurs enfants, qui sont souvent tombés sous l'influence des organisateurs que je mentionnais à l'instant. Où sont les pères ? Je veux exprimer ma colère : quand je vois le père de Nahel se porter partie civile, je me dis qu'il faut avoir bien peu de fierté pour ne pas avoir été présent pour élever son fils mais tenter de profiter de sa mort.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Il a souvent été fait mention, dans les médias notamment, des émeutes dites de 2005, mais les choses sont très différentes aujourd'hui. En 2005, la France a connu vingt et un jours d'émeutes et c'est après le dixième jour que le Gouvernement, sur décision du Président de la République, a instauré l'état d'urgence. Les troubles ont persisté malgré cette décision, et seule une vague de froid a réussi à calmer les ardeurs des délinquants et émeutiers. Ceux-ci étaient alors bien plus âgés que les interpellés d'aujourd'hui. J'ai demandé un comparatif sur ce sujet, qui ne m'a pas encore été remis. De plus, moins de villes avaient été frappées. Marseille, par exemple, n'avait pas été touchée, protégée, disait-on, par les trafiquants de drogue. Enfin, les réseaux sociaux n'existaient pas encore et les chaînes d'information en continu étaient encore marginales. Les décideurs politiques avaient fait preuve d'un défaut de jugement sur l'affaire initiale, ce qui a contribué à attiser les tensions, et les émeutes ont fait émerger des revendications sociales, qui ont donné lieu à des plans, comme le « plan Borloo ».

Aujourd'hui, la situation est bien différente : quatre jours d'émeutes et pas de recours à l'état d'urgence, du moins jusqu'à présent. À ce propos, certains nous reprochent de ne pas avoir recouru à l'état d'urgence, mais je ne pense pas que cette procédure nous aurait beaucoup aidés. Je n'ai pas proposé le recours à l'état d'urgence au Président de la République et à la Première ministre, parce que son principal avantage réside dans la faculté de procéder à des perquisitions administratives, c'est-à-dire de donner au ministère de l'intérieur les pouvoirs des procureurs de la République et des juges. Or, dans la présente situation, nous ne faisons pas face à une organisation criminelle au sens strict, donc le recours aux perquisitions administratives serait inefficace. J'ai plutôt fait le pari que la démonstration de force et d'interpellations serait de nature à calmer une partie des émeutiers.

D'après les chiffres du ministère de l'intérieur, ces derniers étaient entre 8 000 et 12 000, une donnée nécessairement approximative, s'agissant de groupes mobiles et cagoulés, mais qui montre bien que ce ne sont pas des centaines de milliers de personnes issues de quartiers dans lesquels vivent des millions de personnes qui se sont rebellées contre la République. Bien que les images soient extrêmement choquantes, que les dégradations soient très importantes, que 800 policiers et gendarmes soient blessés - aucun n'a, fort heureusement, de pronostic vital engagé -, ces troubles ont été causés par quelques milliers de personnes tout au plus. Le problème est très important, bien sûr, mais il ne nous permet pas pour autant de généraliser sur l'attitude des habitants des quartiers populaires.

Je souhaite ensuite évoquer le sujet de la police, ce qui me permettra de répondre à la question de Mme de La Gontrie ; je prie en passant le sénateur Durain, dont je respecte profondément le travail, de bien vouloir m'excuser si je n'ai pas été complet dans ma réponse à sa question lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. J'estime que l'opposition entre police nationale et gendarmerie nationale est sans fondement. D'abord, les zones de gendarmerie concentrent 25 % des actes de délinquance, contre 75 % pour les zones police, et ces deux types de délinquance ne sont pas comparables. Ensuite, le Parlement et le ministre de l'intérieur réfléchissaient déjà, voilà quelques années, à une réforme de la gendarmerie nationale, puisque le débat faisant suite à l'affaire dite « Traoré » tournait déjà autour des mêmes problématiques : racisme supposé, mauvaises conditions d'interpellation... J'estime que police et gendarmerie ont chacune leurs forces, mais qu'elles ne font pas le même métier. Je constate cependant que 80 % des interventions des gendarmes mobiles s'effectuent en zone de police.

Je souhaite faire une parenthèse sur le rapport entre police et population. Je n'apprécie pas beaucoup cette expression parce que, à mes yeux, policiers et gendarmes sont dans la population, ils ne sont pas à part. Ils ont des enfants, qui vont à l'école, ils ont des logements, ils se marient, changent de métier, discutent avec leur boulanger ou leur voisin... Ils ont une vie en dehors de la caserne ou du commissariat. Je trouve insultant qu'on puisse les distinguer de la population, même si je comprends l'idée derrière de tels propos.

Pour revenir à la distinction entre police et gendarmerie, je ne crois pas qu'il y ait, dans le statut et dans la formation de la gendarmerie nationale, quoi que ce soit qui puisse faciliter les rapports avec la population. D'ailleurs, dans les villes en zone de gendarmerie qui ont connu une croissance récente, comme Libourne ou Persan, les difficultés sont similaires. Je ne pense pas qu'il y ait une martingale. L'objectif de mon ministère consiste à prendre le meilleur de chacune de ces forces. C'est pourquoi il faut faire attention aux oppositions.

Les forces de l'ordre sont le réceptacle de tous les échecs de la société. Les policiers et gendarmes sont les urgentistes de la société, si j'ose dire. Chez un individu qui fume et boit toute la journée, qui est stressé et en surcharge pondérale, et qui ne respecte pas son corps, un AVC ou une crise cardiaque n'est guère surprenant. Les pompiers ou le Samu interviendront le plus rapidement et le plus efficacement possible, avec les technologies les plus modernes possible, et sauveront ou non la vie de cette personne. Si cette dernière décède, personne n'ira penser que l'urgentiste est à blâmer et qu'il faudrait mieux le former. Sans doute pourrait-on encore améliorer sa prise en charge, par une meilleure formation ou plus de moyens, mais cet urgentiste n'est pas personnellement responsable de cette mort. De même, si le patient survit, ce ne sont pas les préconisations de l'urgentiste qui le pousseront à réformer son hygiène de vie. De la même façon, des faits médiatiques complexes se cristallisent autour des forces de l'ordre. Chaque jour, le ministère de l'intérieur est confronté à des horreurs qui, fort heureusement, ne sont pas toujours portées à la connaissance du public. Police et justice marquent le bout d'une chaîne de difficultés auxquelles la société n'a pas apporté de solution.

Alors oui, les policiers sont parfois dans des situations de tensions, personnelles ou managériales, mais il nous faut garder à l'esprit la surcharge physique et psychologique qui est la leur. Quand l'éducation marche, quand l'intégration est réussie, quand la politique du logement est efficace, le travail des policiers est allégé.

Madame de La Gontrie, je vous remercie, vous et l'ensemble du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de vos propos. C'est un policier, et non pas la police dans son intégralité, qui a été mis en examen. Un policier peut-il commettre des erreurs ? Bien sûr. Faut-il améliorer la formation ? Sans aucun doute, et je vous remercie d'avoir adopté l'allongement de quatre mois de la formation initiale des gardiens de la paix. Faut-il faire davantage ? Sans doute. Faut-il mieux sélectionner les policiers ? Très certainement.

Je vous rappelle toutefois que je suis à la tête d'un ministère où, mis à part les commissaires de police, les nouvelles recrues sont généralement des enfants, âgés de 18 à 20 ans, qui n'ont pas fait de longues études et qui choisissent le service de la Nation. Au ministère de la justice, la situation est tout autre, puisque les postes sont accessibles par concours, au niveau bac+5. De même, dans l'éducation nationale, les fonctionnaires sont tout aussi mal payés que les policiers mais disposent d'un capital social bien plus élevé. Mon ministère doit lui-même former ces jeunes, qui font le choix de la police ou de la gendarmerie, ce qui suppose un effort supplémentaire, d'autant qu'existent en plus l'exercice de la contrainte légitime et donc la responsabilité des armes. C'est pourquoi ma première question aux jeunes policiers porte toujours sur leurs motivations.

Oui, le travail des policiers et gendarmes doit sans cesse être amélioré et ce travail ne sera jamais terminé. Je suis le premier à condamner, par exemple, le tutoiement. Que la personne contrôlée ait 15 ans, soit en situation irrégulière ou directeur d'une grande entreprise, elle doit être vouvoyée. C'est sans doute plus facile à dire dans un fauteuil du Sénat que sur le terrain, mais c'est dans les valeurs de la police nationale. Police et population ne sont pas deux bandes rivales qui s'affrontent. C'est la raison pour laquelle, monsieur Durain, j'ai pris des dispositions après des manifestations de policiers cagoulés.

Je vous rejoins également, madame de La Gontrie, sur l'insuffisance des trois tirs administratifs, notamment des tirs « en mouvement ». Lors de mon arrivée au ministère de l'intérieur, seuls 60 % des policiers avaient validé leurs trois tirs administratifs. Or leur administration est responsable de leur sécurité. C'est donc la réalisation de ces trois tirs que vérifie en premier l'IGPN ou l'IGGN lors de leurs enquêtes. Un policier qui n'a pas réalisé ces tirs peut être sanctionné, alors même qu'il n'est pas lui-même responsable de cette situation : les stands de tir sont insuffisants et les temps de formation trop courts. C'est nous, formateurs des policiers, qui sommes responsables. Vous avez donc raison, il nous faut largement améliorer cela.

Vous avez également raison, il nous faut faire un effort de compréhension du monde dans lequel vivent les policiers et gendarmes. Peut-être ces derniers ne s'interrogent-ils pas assez sur leur pratique, par manque de temps, de formation, d'actions de la part de leur administration, d'encadrement managérial...

Malgré tout, abroger la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique n'est pas la solution. Ce n'est pas parce qu'un policier enfreint la loi que celle-ci doit être changée. Je constate d'ailleurs que certaines personnes m'invitent désormais à légiférer sous le coup de l'émotion.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas ce que l'on dit.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Ce policier, qui a le droit à la présomption d'innocence, n'a manifestement, de mon point de vue - je ne suis pas spécialiste de la question -, pas respecté la loi de 2017. Changer une loi sous prétexte qu'un individu l'enfreint est absurde ! Si un automobiliste roule à 180 kilomètres par heure sur l'autoroute, baisser la limitation de vitesse de 130 à 120 kilomètres par heure ne résoudra rien, puisque la vitesse autorisée n'est déjà pas respectée ! Je ne dis pas qu'il ne faut pas réfléchir aux conditions d'emploi des forces, mais cette réponse me paraît simpliste et précipitée.

Par ailleurs, l'intervention de la police et de la gendarmerie nationales est la conséquence de dix ans de difficultés dans notre pays, qui ont commencé avec les attentats : attentats terroristes, violences inexcusables qui relèvent des violences urbaines ou de forcenés qui ouvrent le feu, refus d'obtempérer...

À ce sujet, en 2022, les forces de l'ordre ont consigné 25 800 refus d'obtempérer, soit un refus d'obtempérer toutes les vingt minutes. Parmi eux, 5 329 ont eu lieu dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort. Entre 2016 et 2022, les refus d'obtempérer ont augmenté de 5,8%, mais de 27,3% dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort. Dans le cas de refus d'obtempérer après demande de l'arrêt du véhicule par le policier ayant constaté l'infraction, l'augmentation est de 126%. La récidive par le même conducteur au volant d'un même véhicule a augmenté quant à elle de 155%.

Dans ce contexte, constate-t-on un recours accru aux armes et une augmentation des tirs ? La réponse est non. Il n'y a pas, comme j'ai pu le lire, de multiplication par cinq des tirs, en zone de police comme en zone de gendarmerie. Les chiffres de 2013 font mention de 226 déclarations de tirs, opérationnels et accidentels, dont 133 tirs sur des véhicules en mouvement. En 2016, année au cours de laquelle M. Cazeneuve a sans doute lancé la réflexion autour de son projet de loi, on a recensé 255 tirs administratifs, 313 usages de l'arme volontaires opérationnels, 181 sur véhicules en mouvement. En 2017, année de la loi initiée par M. Cazeneuve, on recensait 394 tirs opérationnels, 429 usages de l'arme volontaires opérationnels, 255 tirs sur véhicules en mouvement. En 2021, on a enregistré 290 tirs opérationnels, 341 usages de l'arme volontaires opérationnels, 201 tirs sur véhicules en mouvement. En 2022, première année pleine après la crise du covid-19, on a enregistré 285 déclarations de tirs opérationnels, 317 usages de l'arme volontaires opérationnels, 168 tirs sur des véhicules en mouvement. Autrement dit, contrairement à ce que l'on raconte, la police et la gendarmerie font face à de plus en plus de refus d'obtempérer, mais utilisent de moins en moins leurs armes. C'est la vérité des chiffres. J'ai le détail entre police et gendarmerie et cette baisse s'observe dans les deux forces ; je pourrai vous les fournir.

Le ministre de l'intérieur peut se poser des questions face à l'immense force dont disposent les forces de l'ordre et au pouvoir de contrainte légitime que leur consent le Parlement. Reconnaissons toutefois que la loi qui vient d'être adoptée, augmentant de quatre mois, c'est-à-dire d'un tiers, la durée de la formation initiale et de 50% celle de la formation continue, n'a pas encore produit ses effets, puisque nous sommes encore dans la première année budgétaire de son application. Je le répète, néanmoins : non, contrairement à ce que j'ai entendu, les policiers et gendarmes ne tirent pas plus qu'avant, mais, oui, les refus d'obtempérer augmentent. Ces refus d'obtempérer ont de nombreuses causes : conduite sans permis, tentative de fuite après cambriolage, consommation de drogue ou d'alcool, dégradation du respect de l'autorité... Mais il est faux de parler d'une augmentation des consignes de tirs et des tirs en cas de refus d'obtempérer.

Madame Eustache-Brinio, vous posez une question difficile. Je ne puis vous fournir de données scientifiques, puisque nous n'avons pas encore établi de liste précise des personnes interpellées. Le Président de la République a demandé au garde des sceaux et à moi-même de conduire une étude sociologique pour établir le profil de ces personnes, et je suis certain que celle-ci sera rendue publique. Pour ma part, j'ai visité une quinzaine de commissariats en quatre jours, la nuit. La première chose que je fais quand je visite le poste de garde, c'est de demander la liste des personnes gardées à vue et ce qu'elles ont fait. Jusqu'à présent, nombre d'entre elles avaient été interpellées pour violences intrafamiliales. Oui, il y a des gens qui, apparemment, pourraient être issus de l'immigration, mais il y a aussi beaucoup de Kévin et de Mattéo, si je peux me permettre. Aussi, une explication uniquement identitaire me paraîtrait erronée. Surtout, une telle lecture constituerait une critique assez forte de ce qu'il s'est passé auparavant car, si je fais un rapide calcul, les émeutiers, qui ont 17 ans en moyenne, sont nés sous la présidence de Jacques Chirac.

Autrement dit, légiférer immédiatement sur une question migratoire me semble déjà trop tard, madame la sénatrice. En revanche, la question de l'intégration et de la réussite de l'assimilation est intéressante, mais la poser en termes uniquement identitaires serait trop simpliste. L'explication sociale est-elle plus satisfaisante ? Je ne le crois pas non plus, car elle constitue une insulte envers toutes les familles modestes qui travaillent et respectent l'ordre. La précarité ne pousse pas toujours à attaquer des bibliothèques, des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des bureaux de poste. Dans ma ville, ou dans les quartiers populaires de Reims que j'ai visités, les bureaux de poste ont été attaqués, rendant difficile la réception des aides sociales par les familles des émeutiers eux-mêmes.

Je suis moi-même issu de l'immigration et d'une famille modeste, et j'estime qu'il revient à chaque individu de s'extraire de son déterminisme, avec l'aide de la République. Des réflexes identitaires ou communautaires peuvent exister, tout comme des réflexes de classe sociale, mais la République, elle, ne discrimine pas les individus sur des critères sociaux ou ethniques. Je ne suis pas naïf, mais je ne veux pas tout confondre. J'ai toujours combattu les discours qui consistaient à dire que certains individus étaient intrinsèquement, dans leur essence même, prédéterminés, discours qui rendent difficile à comprendre l'engagement de certains de ces individus dans l'armée ou la police françaises. Je rencontre beaucoup d'enfants issus de l'immigration au sein de la police nationale, de la BRI, de la gendarmerie nationale, des forces armées. La réponse à nos questions s'appuient sur plus d'intégration, plus d'action de la République pour les aider à s'intégrer, plus de responsabilisation individuelle, et non pas sur un déterminisme ethnique et social.

Monsieur Durain, j'ai désapprouvé le communiqué du syndicat Alliance. J'ai d'ailleurs précisé sur une chaîne de grande écoute, au journal télévisé de TF1, que ces mots n'étaient pas les miens. Cela étant dit, la liberté syndicale s'applique à tous. Je ne corrige aucun communiqué d'aucun syndicat ; je ne suis pas membre du syndicat Alliance, ni d'aucun syndicat, et je n'ai pas à exercer de police de la pensée. Le syndicat Alliance a publié son communiqué, qui a provoqué des discussions politiques, auxquelles il s'attendait sans doute, d'ailleurs. J'ai exprimé ma désapprobation, surtout dans un tel contexte, aux responsables du syndicat, pour qui j'ai par ailleurs le plus grand respect, comme pour tous les syndicats de policiers, qui font un travail difficile et défendent l'intérêt des fonctionnaires de police.

Cela étant dit, peut-être que beaucoup de policiers et gendarmes approuvent ce communiqué ou considèrent que l'État n'en fait pas assez ou estiment que leur rémunération est insuffisante, mais ils ont tous répondu à l'appel de la République. Je n'ai pas connu un mouvement de grève ou de désapprobation. Je le répète, malgré les dix enquêtes de l'IGPN ou de l'IGGN, si l'on a pu mener les dizaines de milliers d'interventions qui ont permis d'interpeller 4 000 personnes, alors que les maisons brûlaient, que le RAID était envoyé pour libérer des élus coincés dans leur mairie, que le GIGN était envoyé pour arrêter des émeutiers - à Torcy, de jeunes recrues du GIGN m'ont expliqué n'avoir été que quatre pour faire face à cinquante émeutiers mais avoir procédé aux arrestations -, c'est que les forces de l'ordre ont été au rendez-vous quand la République avait besoin d'elles.

Cela étant dit, les syndicats sont libres d'écrire ce qu'ils veulent et vous êtes libre, monsieur le sénateur, de critiquer leurs propos.

L'existence des milices, à Angers et à Chambéry notamment, a été documentée par le ministère de l'intérieur. Nous avons procédé à des interpellations et les personnes concernées ont été présentées devant la justice. Comme l'a souligné le président Buffet, des militants d'ultragauche ont pris part à des attaques, de manière marginale, certes, mais réelle, notamment dans le quartier du Mirail, à Toulouse. Leur objectif était de réaliser une « convergence des luttes », mais ils n'y ont pas réussi. Parmi les personnes interpellées, moins de 2% étaient connues des services de renseignement et, à ma connaissance, une seule était fichée S. La convergence des luttes souhaitée n'a donc pas eu lieu. Oui, les milices d'extrême droite doivent être absolument combattues - nous travaillons d'ailleurs en ce moment même à d'éventuelles dissolutions -, tout comme doit être combattue l'ultragauche, qui profite de la situation et veut abattre notre système républicain.

Par ailleurs, une manifestation de certains militaires a eu lieu à Lorient en dehors de tout cadre. Je remercie le ministère des armées d'avoir ouvert une enquête sur ces évènements.

Je ne peux qu'être d'accord avec votre intervention, madame Lherbier. Moi aussi, je serais curieux de savoir le nombre d'adolescents ou jeunes adultes interpellés qui étaient suivis par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou qui ont connu une histoire familiale dégradée ; peut-être l'étude commandée par le Président de la République nous apportera-t-elle des réponses à ce sujet. Peut-être qu'il n'existe aucun lien, mais peut-être aussi qu'un enfant qui a traversé des situations difficiles a tendance à les reproduire. À ce propos, Philippe Seguin avait un jour prononcé cette jolie phrase : " l'adulte est toujours l'enfant qu'il était. " Je suis d'accord, d'où l'importance des parents et du cadre familial.

Monsieur Bonhomme, il est indispensable de changer la législation sur les mortiers, afin de réglementer notre travail de poursuites et d'action. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Vous m'interrogez sur la situation précise de Lyon, madame Di Folco. J'ai passé cinq nuits dans des centres opérationnels, ce qui m'a permis de constater que les villes qui étaient équipées de caméras de vidéosurveillance et qui permettaient aux policiers d'intervenir sur ces vidéos - Lyon ne le permet pas, madame la sénatrice - ont apporté une réponse plus efficace que les autres. C'est un fait. J'ai donc demandé à ce que soient étudiés les liens entre arrêt des émeutes, travail de la police judiciaire et présence de caméras de vidéoprotection.

Monsieur Kanner, vous avez soulevé la question des caméras-piéton et vous avez mille fois raison. Je salue la loi portée par M. Cazeneuve, qui a permis l'installation de ces caméras. À mon arrivée à ministère de l'intérieur, ces dernières étaient au nombre de 11 000, elles sont aujourd'hui 53 000 et seront encore plus nombreuses à l'avenir. Les anciens modèles étaient peu performants, mais les caméras actuelles sont individualisées et identifiées, et leur contenu pourra, grâce à la loi du 25 mars 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, être obtenu en direct dans les centres opérationnels. La consigne de mon ministère est donc, comme pour le relevé d'identité opérateur (RIO), de porter ces caméras-piéton.

Comme vous, monsieur Kanner, j'ai été surpris que les motards de la DOPC ne les portent pas. Je pensai tout d'abord à une faute de la hiérarchie, mais ce n'est pas le cas. En réalité, l'équipement des motards est tel qu'il ne permet pas d'enfiler le harnais de la caméra. Le problème est technique et peut être résolu. En tant que ministre, j'en porte la responsabilité et vous annonce que la situation va changer. J'ai en effet donné la consigne que tous les motards, de la police comme de la gendarmerie, puissent porter les caméras-piéton d'ici à la fin de l'année.

Madame Assassi, je n'ai pas d'idéologie fixe au sujet de la police. Je souhaite juste que tout fonctionne, dans les meilleures conditions possible. J'ai été maire d'une commune qui connaît des difficultés et a été durement touchée, et j'ai toujours considéré les policiers de mon commissariat comme une police de proximité. Les brigades spécialisées de terrain (BST) font un travail de proximité, elles connaissent les noms des médiateurs et des habitants, elles sont présentes dans leur territoire. Néanmoins, le travail des policiers n'est pas celui de médiateur social. D'ailleurs, il n'est pas demandé au médiateur social de remplir les missions du policier. À mes yeux, la police municipale est une forme de police de proximité. Je suis toujours étonné d'entendre des maires réclamer plus de police de proximité alors même qu'ils disposent de 100, 200, 300 policiers municipaux sur leur territoire.

Cela étant dit, oui, nous souhaitons augmenter les effectifs pour qu'ils soient plus « en présence » et moins en intervention. Nous créons des postes dans la police nationale pour que les policiers puissent procéder à des interpellations mais aussi renforcer leur présence sur la voie publique. Ce qui empêche les policiers d'être présents pour dire bonjour aux commerçants, d'aller en bas des tours des quartiers ou de discuter avec les élus, ce ne sont pas les consignes du ministre de l'intérieur ou des préfets, c'est notre manque structurel d'effectifs, qui nous empêche même de répondre à tous les appels passés au 17. Je pourrais d'ailleurs vous fournir les statistiques qui démontrent la croissance des appels passés à ce numéro, notamment pour les violences intrafamiliales. Nous avons un problème de ressources humaines, auquel nous essayons d'apporter une solution.

Je suis étonné par " deux petits faits ", comme dirait Stendhal. D'une part, j'ai vu un reportage télévisé sur une chaîne d'information en continu. Un monsieur cagoulé disait : " Les policiers n'arrêtent pas de nous contrôler. Pourtant, on ne fait rien, on ne fait que vendre du shit. " La police de proximité ne peut pas ne pas contrôler ce type de comportements ! Deuxièmement, lors de ma visite au commissariat de Dreux, tandis que je saluais le procureur de la République, une policière entendait en audition un jeune de 14 ou 15 ans, accompagné de son avocate et de sa mère. Cette dernière m'interpelle : " Monsieur le ministre, c'est incroyable, pourquoi sommes-nous ici ? Mon fils n'a rien fait ! " L'autorité judiciaire lui rappelle alors que son fils était dans les rues à trois heures du matin et se servait dans des commerces pillés. La mère a alors répondu : " Il n'a rien fait ! Il venait juste se servir, ce n'est pas lui qui avait cassé la vitre ! "

Ainsi, sans doute le ministère de l'intérieur peut-il toujours améliorer le travail des forces de l'ordre, je ne sous-estime pas cette question, mais il existe aussi une part de la population qui ne reconnaît plus du tout l'autorité et il y a aussi une part de la population qui est complice de sa progéniture. Certains parents se servent pendant les émeutes. Il y a deux jours, j'ai reçu un témoignage de la police de Paris, qui avait interpellé un jeune responsable d'avoir cassé un magasin. L'interpellation a eu lieu chez lui, et son père est resté dans son fauteuil, devant la télévision, durant toute l'opération. Lorsque les policiers lui ont expliqué les agissements de son fils, celui-ci a répondu : " Lequel ? Qu'est-ce qu'il a encore fait ? ", sans jamais se lever ni éteindre la télévision. Par conséquent, s'il est toujours possible d'améliorer la formation de la police nationale, la société a peut-être également un travail à faire...

Pour vous répondre, Mme Vérien, le travail judiciaire me donnera peut-être tort, mais je ne crois pas en l'existence d'une organisation, c'est-à-dire d'une structure avec une hiérarchie, des financements, une préparation spécifique... Les violences étaient sans doute spontanées. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ne m'a pas paru opportun de recourir aux perquisitions administratives, dans le cadre de l'état d'urgence ; elles auraient constitué une atteinte aux libertés publiques sans accroître l'efficacité du travail de la police. Je ne dis pas qu'il ne faut jamais y recourir, je dis simplement que, dans ce cas précis, j'estimais ne pas en avoir besoin pour rétablir l'ordre.

En revanche, il y a bien eu une organisation sur les réseaux. Les réseaux sociaux ont joué un rôle dans le mimétisme et dans la compétition entre territoires, ce qui explique sans doute les mobilisations dans certaines villes de taille moyenne, mais il y a aussi l'échange de messages. Je tiens à rappeler que, si le garde des sceaux est le ministre des libertés individuelles, je suis le ministre des libertés publiques. Les écoutes à l'ancienne sont peu efficaces, de nos jours. Tout le monde discute sur Telegram, WhatsApp ou Signal, sur les messageries dites cryptées ou sur les réseaux sociaux comme Facebook, Snapchat ou Instagram.

Or le ministre de l'intérieur n'a pas les moyens légaux de surveiller les échanges d'informations sur ces plateformes. Il ne peut le faire que dans le cas très précis, que vous lui avez accordé, de la menace terroriste. Aux Français qui me demandent pourquoi je n'interviens pas, je réponds donc : j'appartiens au pouvoir exécutif, je suis un ministre qui applique les lois de la République. Je peux faire de la captation à distance et mettre sur écoute des téléphones pour des menaces de type terroriste. Je suis d'ailleurs très contrôlé : les mises sur écoute et les surveillances de réseaux sociaux que je demande doivent être signées par trois autres personnes et par une autorité administrative indépendante, que vous entendez périodiquement en audition. Elles ne sont donc pas décidées à la légère. Je ne peux pas surveiller les réseaux sociaux, les messageries ou les téléphones pour des cas de grande violence urbaine, de délinquance ou de trafic de drogue.

Une question vous est donc posée, mesdames et messieurs les sénateurs : si vous voulez que police ait les moyens, sous le contrôle du juge et des autorités administratives indépendantes, de casser les réseaux de trafic, notamment de drogue, il faudra étudier la possibilité que les forces de l'ordre aient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, dans le cadre de la législation, comme ce fut le cas pour les écoutes téléphoniques. Sans cela, la situation d'aujourd'hui va se répéter, sans être en mesure de l'anticiper. Dans le contexte actuel, ce n'est que deux jours après l'interpellation des individus et l'ouverture d'enquêtes judiciaires que l'on a pu, selon les mots du garde des sceaux, " péter les comptes ". Tant que nous resterons dans ce type de fonctionnement, nos résultats judiciaires viendront toujours après les faits. Si vous souhaitez installer une écoute téléphonique en amont, il faudra donner à la police et à la gendarmerie les pouvoirs, encadrés, de le faire. La question est très compliquée et je n'ai pas d'annonce particulière à faire ici. J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de faire cette demande depuis trois ans que j'ai l'honneur de m'adresser à votre commission.

Si organisation il y a eu, ce fut donc au sens " réseau moderne " du terme, par des échanges de messages. C'est une organisation « en volée de moineaux » et non pas une organisation criminelle. La situation sera peut-être différente à l'avenir, je ne sais pas. Mais cette organisation actuelle pose des difficultés aux forces de l'ordre, qui ne peuvent pas surveiller ce qui se passe sur ces réseaux que nous utilisons tous. Je soumets donc à votre sagacité cette réflexion.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci pour toutes ces explications et vos réponses à nos questions. Sans doute aurons-nous l'occasion d'en débattre encore, notamment lorsque vous aurez des éléments complémentaires à nous fournir. Je souhaite vous exprimer de nouveau notre entier soutien, ainsi que notre volonté d'aller plus loin dans l'analyse de fond et la vérité des situations, pour apporter une réponse pérenne et adaptée.


Source https://www.senat.fr, le 12 juillet 2023