Interview de Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, à France 2 le 7 juillet 2023, sur l'explosion de violence après la mort du jeune Nahel et le service national universel (SNU).

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Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, bonjour Sarah EL HAÏRY.

SARAH EL HAÏRY
Bonjour.

JEFF WITTENBERG
Merci d’être avec nous ce matin. Vous êtes la personne qui incarne le service national universel, ce SNU voulu par Emmanuel MACRON. Alors c’est compliqué, ça prend du temps pour sa mise en place, on va en parler. On se demandera aussi si cela pourrait être une réponse à une partie, à la crise en tout cas que traverse une partie de la jeunesse et dont on a vu la traduction avec cette explosion de violence après la mort du jeune Nahel. Quel est d’ailleurs votre diagnostic à vous après ces terribles journées qu’ont connus de nombreux quartiers dans toute la France ? Qu’est-ce que ça dit de l’état de la jeunesse, votre secteur ministériel donc ?

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, suite à ce drame et à la mort de ce jeune garçon, il y a eu des émeutes et ça dit beaucoup de choses. Ça dit beaucoup de choses mais la priorité, c’est d’abord le retour à l’ordre, au calme. C’est la priorité des priorités. Mais ce que j’ai vu, c’est aussi une infime minorité de jeunes qui ont été émeutiers particulièrement jeunes. Le plus jeune avait 9 ans, une moyenne d’âge de 17 ans, pour certains…

JEFF WITTENBERG
Une infime minorité dites-vous.

SARAH EL HAÏRY
Bien sûr, c'est une infime minorité. Parce que moi au quotidien, je vois quoi ? Je vois des jeunes qui s’engagent chez les sapeurs-pompiers, des jeunes qui s’engagent dans des assos, des jeunes qui sont sidérés de voir leurs quartiers aussi brûlés, détruits, de voir des écoles détruites. Au quotidien je vois ces jeunes-là parce que je ne veux pas finalement qu’on les oublie et qu’eux deviennent invisibles à nos yeux. C’est pour eux que nous nous engageons. Par contre j’ai vu aussi dans l’expression de ces émeutiers plusieurs choses. La première, en tout cas en partie, ç’a été de brûler des symboles de la France, des écoles, des bibliothèques ou encore je pense aux mairies. Mais de l’autre côté, aussi des comportements de délinquants : aller piller un magasin pour des baskets, pour des téléphones.

JEFF WITTENBERG
Précisément derrière cette infime minorité pour reprendre votre expression, Madame EL HAÏRY, est-ce qu'il n’y a pas quand même un sentiment global de révolte, de colère, d'incompréhension de ces jeunes après ce qui s'est passé à Nanterre, et notamment de rapport avec la police ? Est-ce qu'il n'y a pas une réalité profonde dans le pays et dans une jeunesse de la France ?

SARAH EL HAÏRY
Quasiment aucun des jeunes émeutiers qui s'est retrouvé en comparution immédiate devant les juges n'a exprimé, en réalité, de lien direct ou de cause politique. Ce n'était pas le sujet. La réalité, c’est qu’il y a eu un drame, ce drame a créé un mouvement d'effroi dans notre pays, la justice est saisie et la vérité sera établie et c'est la priorité. Cependant ce que les profils des émeutiers montrent, c'est qu’il y a une part, un tiers eux au moins sont des mineurs, ont moins de 18 ans, et donc quelle est la place, la responsabilité des parents ? Là, c’est un enjeu énorme parce que ce n’est pas anodin.

JEFF WITTENBERG
On va parler de la responsabilité des parents. Je vous repose néanmoins la question : vous considérez, vous madame Sarah EL HAÏRY, qu'il n'y a pas de problème entre ce que ressentent non pas une infime minorité mais énormément de jeunes dans les quartiers, et notamment le rôle de la police qui est pointé, par exemple, par certains observateurs étrangers, par l'ONU, par diverses organisations ; qu'en pensez-vous ? Est-ce que tout va bien dans le meilleur des mondes là-dessus ? C’est une question.

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, je travaille au quotidien, c'est une question extrêmement claire. Je travaille au quotidien avec des associations qui renforcent le lien jeunesse-police. Je pense évidemment à Raid aventure dans le cadre du SNU, il y a des échanges pour construire cette compréhension respective. Mais la réalité elle est où ? Elle est que qui a rétabli l'ordre au quotidien dans ces quartiers, qui protège les plus fragiles d'entre eux, qui protège en réalité ceux qui en ont besoin ? Eh bien ce sont les policiers…

JEFF WITTENBERG
L’ordre au quotidien, il n’est pas rétabli. Excusez-moi de vous contredire.

SARAH EL HAÏRY
Excusez-moi. Aujourd'hui quand on voit la vitesse à laquelle le calme est revenu, en particulier dans les endroits où il y a eu des violences, c'est grâce aux 45 000 policiers et gendarmes qui se sont mobilisés, mais aussi grâce aux élus locaux qui sont sortis, aux animateurs et aux éducateurs dans ces quartiers qui ont appelé à la raison et au retour au calme mais aussi à la justice.

JEFF WITTENBERG
Ces mêmes élus locaux, pardon, disent que ça peut recommencer, qu’il suffira d’une autre étincelle parce que les problèmes de fond ne sont pas réglés. Qu'en pensez-vous ?

SARAH EL HAÏRY
Eh bien c'est pour ça que la réponse qui a été donnée encore juste hier par le président de la République, c'est : on ne va pas tomber dans les petites facilités qu'on entend par-ci par-là depuis quelques jours de réponse à l'emporte-pièce. La situation est importante, elle a une réelle gravité et cette gravité elle s'inscrit dans quelle place pour l'autorité, le civisme, la citoyenneté, le rôle de chacun, le rôle des parents bien sûr mais aussi la question du rôle individuel de ces jeunes.

JEFF WITTENBERG
Il faut aller sanctionner les parents, les mettre en cause même financièrement lorsqu'on considère qu'il y a un défaut d'éducation de leurs enfants ? Ce sont eux les responsables ?

SARAH EL HAÏRY
Quand vous faites venir au monde un enfant…

JEFF WITTENBERG
Je rappelle que c'est souvent des familles monoparentales et des mamans qui sont débordées en quelque sorte.

SARAH EL HAÏRY
La justice a un regard toujours très individuel sur la situation, mais quand vous avez un enfant de 11 ans dans la rue, il n'a rien à y faire, et donc la justice elle condamne à quoi ? À des stages de parentalité obligatoires, à l'interdiction d'avoir un jeune de 11 ans dans la rue. Bien sûr qu'il y a une responsabilité à tenir et un accompagnement humain évidemment qui l'accompagne, mais ne soyons pas…

JEFF WITTENBERG
Et des sanctions ? Et des sanctions ?

SARAH EL HAÏRY
Bien sûr, évidemment des sanctions.

JEFF WITTENBERG
Pour des familles qui ont déjà du mal parfois à joindre les deux bouts ?

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, les sanctions elles peuvent être multiples. Elles peuvent être financières, elles peuvent être éducatives mais on va être très clair : nous sommes dans notre pays, nous avons des droits, beaucoup de droits, eh bien nous avons aussi des devoirs. Et ces devoirs, eh bien c'est d'abord de s'occuper de ses enfants mais évidemment pour les majeurs, d'avoir des punitions et je crois que la justice rend des décisions fermes et c’est très. Bien

JEFF WITTENBERG
Madame EL HAÏRY, est-ce que vous pensez que Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur, a eu raison de dire que parmi les personnes qu'il avait vues dans les commissariats qui avaient été interpellés il y avait, je le cite, « des Kevin, des Matteo », une façon de dire que tous ces jeunes n'étaient pas d'origine immigrée de leurs parents ou de leurs grands-parents ? Est-ce que c'est une réalité ? Parce qu'ils avaient aussi en commun visiblement, et vous l'avez dit, une haine des institutions de la France, des mairies, des écoles ; c’est ce qui fait leur point commun à tous.

SARAH EL HAÏRY
Vous savez ce que je vois, c’est construire et reconstruire un lien avec la France, apprendre à aimer la France. Il se trouve qu’aujourd'hui, nous allons commémorer Léon GAUTIER, un grand homme, un homme qui s'est engagé après l'appel du général de GAULLE et le dernier des commandos Kieffer. C'est un homme qui a dit un jour à des jeunes qui faisaient le service national universel, qui lui ont posé la question très simplement et peut-être de manière très jeune : mais pourquoi vous êtes parti jusque-là ? Il leur a répondu : on m'a appris à aimer la France. Ces jeunes, nous avons besoin de les accompagner dans cet apprentissage de cet amour de la France, mais ne soyons pas naïfs. Quand Gérald DARMANIN dit ça, il dit quoi ? Il dit : ne tombez pas dans les stéréotypes qu'on essaye d'entendre aujourd'hui ou que le Front national, que l'extrême-droite, que le RN plaident sur quasiment tous les plateaux. Des enfants de l'immigration, il y en a dans notre pays mais la France ne regarde personne comme ça. Elle regarde chaque jeune, qu'il soit d'ailleurs jeune bénévole, engagé, qui essaie de s'en sortir ou jeune délinquant comme Français ou pas. 90 % des personnes qui ont été interpellées étaient françaises et c'est comme ça qu'on doit les regarder.

JEFF WITTENBERG
Vous avez fait vous-même la transition avec le service national universel que vous portez. Sa mise en place aux yeux des téléspectateurs, des Français qui nous écoutent ce matin, elle est compliquée. Le président avait dit, notamment même dans ses voeux le 31 décembre, qu'il allait le mettre en place, ce service national universel. Or la prochaine étape, c'est. 12 000 jeunes - excusez-moi – 12 semaines prises sur le temps scolaire à partir de la rentrée prochaine sur le mode facultatif. On est loin du service universel et obligatoire.

SARAH EL HAÏRY
Non, je vous assure ça se généralise très bien. Il se trouve que l'année dernière, 32 000 jeunes sont partis en séjour de cohésion.

JEFF WITTENBERG
Vous en espériez 50 000.

SARAH EL HAÏRY
C'était une année qui a permis à beaucoup de jeunes de partir. Cette année, c'est une nouveauté, beaucoup de jeunes en attente. Il y a plus de 10 000 jeunes sur liste d'attente pour les séjours de juin et de juillet, mais au-delà des jeunes en liste d'attente, qu’est-ce qu’ils font ces jeunes ?

JEFF WITTENBERG
Pourquoi ce n’est pas obligatoire ? C’est ce qu4avait laissé entendre le président. Vous y êtes favorable ?

SARAH EL HAÏRY
Mais la question de l'obligation, c'est une étape qui arrivera certainement un jour avec un débat parlementaire nécessaire mais ce sera un débat parlementaire. Mais avant d'aller chercher une modalité, c'est quoi la priorité ? Des jeunes qui donnent 12 jours de leur temps personnel de vacances, qui ensuite s'engagent dans des associations ou dans des collectivités, qui évidemment lèvent un drapeau mais au-delà de ça vivent de la mixité, qui ne s'affrontent mais dialoguent, qui dans le fond construisent une marche dans leur parcours de citoyenneté. Eh bien c'est une France bien plus unie et bien plus…

JEFF WITTENBERG
Mais pourquoi ne sont-ils pas convaincus alors ? Pourquoi le succès n'est-il pas au rendez-vous ?

SARAH EL HAÏRY
Eh bien détrompez-vous.

JEFF WITTENBERG
Pourquoi les enseignants, excusez-moi, et les parents d'élèves sont contre ce projet qui va enlever du temps scolaire ?

SARAH EL HAÏRY
Détrompez-vous. Il se trouve que 9 jeunes…

JEFF WITTENBERG
Et leurs syndicats.

SARAH EL HAÏRY
Quelques syndicats. 9 jeunes sur 10 sont très satisfaits quand ils le font. Un tiers des jeunes qui le font viennent parce qu'un autre jeune leur a dit à quel point ça les a transformés. Moi je suis fière de cette jeunesse qui s'est engagée et qui se mobilise. Maintenant, on a ouvert une nouvelle opportunité : celle de faire des classes engagées. C'est-à-dire qu’il y a l'engagement volontaire, personnel : c'est-ce qu’un certain nombre de jeunes font et je les salue d'ailleurs…

JEFF WITTENBERG
Et des classes entières qui pourront partir en SNU.

SARAH EL HAÏRY
Il y a environ 20 000 jeunes en ce moment même qui font des séjours de cohésion.

JEFF WITTENBERG
Vous en faites en tout cas la promotion.

SARAH EL HAÏRY
Ils sont beaux ces jeunes, c'est la jeunesse de France et demain ce sera des classes.

JEFF WITTENBERG
Vous êtes très enthousiaste. Vous avez dit : c’est le débat parlementaire qui tranchera. Vous, madame EL HAÏRY à titre personnel, vous considéreriez que l'obligation de faire ce service serait un progrès, qu’on revienne au service obligatoire ?

SARAH EL HAÏRY
Moi je n’ai aucun tabou sur les modalités. Par contre la certitude que j'ai, c4est plus de jeunes le feront, mieux le pays se portera.

JEFF WITTENBERG
Mais quel est votre sentiment, quelle est votre préférence ?

SARAH EL HAÏRY
Aujourd'hui je construis en réalité cette généralisation, un temps arrivera.

JEFF WITTENBERG
Vous ne voulez pas donner votre avis.

SARAH EL HAÏRY
Non, ce sera l'expression de la majorité parlementaire qui le souhaitera, mais je suis convaincue que chaque jeune qui le peut, peut le faire. D’ailleurs c’est gratuit parce que c’est l’investissement de la nation.

JEFF WITTENBERG
Dernière question qui n'a rien à voir. Votre collègue du gouvernement Marlène SCHIAPPA est dans la tourmente. La commission d'enquête du Sénat a pointé la gestion, dit-elle cette commission, accablante du fonds Marianne doté de 2 millions et demi d'euros. Elle peut rester au gouvernement madame SCHIAPPA ?

SARAH EL HAÏRY
Vous savez, moi je vais commencer par le fait que c'est d'abord notre gouvernement par la voix de Sonia BACKES qui a saisi l'Inspection générale pour un premier rapport.

JEFF WITTENBERG
Oui. Peut-elle rester au gouvernement ? Il nous reste quelques secondes.

SARAH EL HAÏRY
Ça reste l'article 8 de notre Constitution et c'est une décision qui appartient évidemment au président de la République, mais je ne veux pas une chose : que le les questions qui sont posées autour du fonds Marianne éludent le fond, le fond du sujet. Le fond du sujet, c'est la lutte contre l'islam radical, les conséquences qui ont amené à la décapitation du professeur Samuel PATY.

JEFF WITTENBERG
Mais il y a eu des erreurs pour le moins pointées.

SARAH EL HAÏRY
Plus que jamais la justice est saisie, on aura des conséquences et des conclusions, mais Marlène SCHIAPPA est une ministre engagée, ça c'est ce que j'ai vu pendant plus de trois ans au sein du gouvernement précédent et au sein de celui-là, mais n'oublions pas : le combat aujourd'hui il est contre les séparatistes quelles que soient leurs formes ou leurs origines parce que notre pays a besoin d’unité plus que jamais.

JEFF WITTENBERG
Vous l’avez dit. Merci beaucoup Sarah EL HAÏRY, secrétaire d'Etat chargée de la Jeunesse et du service national universel. Bonne journée.


Source : Service d’information du Gouvernement, le 18 juillet 2023