Interview de M. Olivier Becht, ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, à Radio France Internationale le 18 juillet 2023, sur le sommet entre l'Union européenne et la Communauté des États d'Amérique latine et des caraïbes (CELAC) et l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande.

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Intervenant(s) : 
  • Olivier Becht - Ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Bonjour Olivier Becht.

R - Bonjour.

Q - Le sommet entre l'Union européenne et la Communauté des Etats d'Amérique latine et des caraïbes s'est ouvert hier à Bruxelles, il va se poursuivre aujourd'hui. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a affirmé hier à cette occasion sa volonté de conclure le plus tôt possible l'accord de libre-échange avec le Mercosur, le Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay. Cet accord conclu en 2019 n'a toujours pas été ratifié. Est-ce que l'impatience de Mme von der Leyen signifie que les obstacles qui subsistaient ont été surmontés ?

R - Alors à ce jour non, les obstacles n'ont pas encore été surmontés. D'abord, bien sûr, nous nous réjouissons qu'il puisse y avoir un jour un accord avec les pays d'Amérique latine, ce sont des partenaires importants. D'ailleurs nous avons un accord qui est signé aujourd'hui avec le Chili, qui est important, notamment sur les matières premières, sur le lithium, parce que ça ne sert à rien de construire des méga-factory de batteries si on n'a pas le lithium pour mettre à l'intérieur. Donc des accords avec l'Amérique Latine, oui c'est important, mais pas à n'importe quelles conditions. La France a posé trois conditions, elles sont extrêmement claires et nous les avons répétées, à la fois la Commission européenne, et à nos amis d'Amérique latine, ainsi qu'évidemment à nos amis européens : c'est les accords de Paris comme clause essentielle de l'accord commercial...

Q - En matière environnementale.

R - En matière environnementale ; c'est le respect du chapitre sur le développement durable, que nous mettons aujourd'hui dans les accords de commerce, avec la possibilité de prendre des sanctions ; et ce sont des mesures miroir, qui permettent d'assurer une concurrence loyale vis-à-vis de nos propres producteurs, c'est-à-dire que les règles, et notamment environnementales et sanitaires, qui sont imposées à nos producteurs, le sont également pour les producteurs qui souhaitent exporter dans l'Union européenne.

Q - Qu'est-ce qui bloque précisément aujourd'hui sur ces questions environnementales et sur ces accords miroir, c'est-à-dire en effet la réciprocité sur les normes de production ?

R - Alors, nous attendons maintenant le retour des pays du Mercosur à l'offre qui a été faite par la Commission européenne. Ils doivent faire une contre-proposition. Mais la ligne de Paris elle est très claire : ce sont les accords de Paris comme clause essentielle parce qu'on ne transige pas aujourd'hui avec le climat ; c'est le chapitre développement durable, notamment avec la question de la déforestation, mais accompagné de sanctions parce qu'il faut évidemment pouvoir contrôler tout cela ; et ce sont les fameuses mesures miroir pour protéger nos agriculteurs également, puisque notre souveraineté alimentaire est essentielle au niveau européen.

Q - Il y a quelques jours, un autre accord de libre-échange a été conclu entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande. Au moment où l'on parle beaucoup de souveraineté alimentaire, de relocalisation, est-ce que ce type d'accord a encore du sens ?

R - Oui, bien sûr il a du sens, et notamment parce que l'accord Nouvelle-Zélande, c'est un accord de type nouveau. Vous savez, pendant très longtemps on a dit les accords de libre-échange, en fait c'est une sorte de cheval de Troie de l'ultralibéralisme, qui se fait au détriment finalement de nos normes environnementales, sanitaires, écologiques, etc. Pendant très longtemps d'ailleurs c'était vrai. Eh bien l'accord Nouvelle-Zélande, c'est une révolution que nous avons menée puisqu'il met l'humain et la planète au coeur de tout. C'est le respect des accords de l'OIT, l'Organisation internationale du travail, pour lutter notamment contre le travail forcé ou le travail des enfants. Ce sont justement les fameuses mesures miroir, pour imposer les mêmes normes que celles auxquelles nos producteurs sont astreints en Europe. Ce sont les accords de Paris, c'est la lutte contre la déforestation... Donc nous sommes aujourd'hui véritablement dans des accords commerciaux d'un type nouveau, qui vont changer le commerce international, qui va se recentrer autour de l'humain et de la planète. On ne fait pas en fait, si vous voulez, d'échanges 360 degrés ; ce sont des échanges qui sont faits dans l'intérêt à la fois des Etats mais aussi des citoyens, pour avoir les meilleurs produits aux meilleurs prix possibles.

Q - Mais est-ce qu'on ne peut pas s'interroger sur la pertinence d'importer des produits en provenance d'un pays qui est à 19 000 kilomètres de nous ?

R - Mais on ne va pas importer, si vous voulez, des tomates de Nouvelle-Zélande que l'on peut produire près de chez nous.

Q - On va importer de la viande notamment.

R - On peut importer de la viande, mais on va aussi, si vous voulez, exporter des produits français, par exemple des fromages, des vins, qui sont des vins également de grande qualité. Et donc c'est au bénéfice aussi de nos économies. Je pense qu'il faut rester ouvert sur le commerce mondial, il faut effectivement optimiser pour éviter de faire venir de l'autre bout de la planète des produits que l'on peut produire ou que l'on produit déjà chez nous, mais je pense qu'il faut rester, si vous voulez, dans cet esprit d'ouverture qui a toujours été celui de l'enrichissement des nations. Il ne faut pas se replier, même au regard de la question du changement climatique, on ne peut pas se refermer sur soi-même. Les nations qui se sont refermées ont toujours été celles qui se sont le plus appauvries dans le monde.

Q - La Russie refuse de reconduire l'accord sur les céréales avec l'Ukraine, dans quelle mesure cela peut-il nous affecter ?

R - Alors, d'abord c'est une décision très grave de la part de la Russie, dont elle porte seule la responsabilité aujourd'hui. Nous appelons la Russie d'ailleurs à changer de position le plus rapidement possible, parce que justement elle met en danger la sécurité mondiale. Alors, nous avons aujourd'hui un certain nombre de réponses possibles. D'abord nous avons les corridors solidaires européens pour essayer de sortir le grain d'Ukraine sans passer par la mer Noire où la Russie peut mettre en place cet espèce de blocus sur les sorties. Nous avons déjà fait sortir depuis mars 2022 à peu près 38 millions de tonnes de grains de l'Ukraine. Et nous mettons également en place le fameux plan FARM, qui permet là aussi d'aider, les pays qui en ont le plus besoin à avoir accès aux céréales. Pour la France, c'est 870 millions d'euros d'aides que nous avons déjà mis sur la table.

Q - On a appris hier soir qu'Emmanuel Macron avait décidé de confirmer Elisabeth Borne à Matignon. C'est une information surprenante dans la mesure où il n'avait jamais annoncé qu'il était question qu'elle parte. Quel sens faut-il donner à cette annonce ?

R - D'abord moi je trouve que la Première ministre a fait un travail extraordinaire. Depuis un an, elle a surmonté avec beaucoup de courage et de compétences toutes les crises auxquelles notre pays a été confronté. Ensuite, si vous voulez, la composition du gouvernement, comme le choix de la Première ministre, est un choix qui relève du Président de la République. Le Président de la République nomme la Première ministre ou le Premier ministre, et sur proposition de celle-ci, il nomme les ministres.

Q - Oui, mais c'est rare d'annoncer à un de ses collaborateurs, pour reprendre un terme employé par d'autres il y a quelques années, d'annoncer qu'on n'est pas viré.

R - Je laisse...

Q - En général vous êtes nommé, vous êtes viré, mais on vient rarement vous dire "tiens je te garde."

R - On sait qu'on était dans une période qui était celle des 100 jours, qui amenait, à la fin des 100 jours, la confirmation du gouvernement, avec les ajustements que la Première ministre a annoncés, qui permet de rentrer dans une nouvelle période politique. C'est un signal qui est donné par le Président de la République, il s'exprimera, je crois, lui-même, dans les prochains jours, et il donnera... voilà, les raisons pour lesquelles il a fait les choix qu'il a faits.

Q - De quelle nature devrait être, selon vous, son intervention justement dans ces prochains jours ?

R - Je laisse le Président de la République seul maître de la nature de ses déclarations, qu'il fait toujours dans l'intérêt de la France.

Q - Des ajustements, nous dit-on, vont avoir lieu au sein du gouvernement dans les tout prochains jours, c'est-à-dire un remaniement, il y a donc des ministres qui vont dîner ce soir à l'Elysée. Vous y serez ?

R - Oui, j'y serai.

Q - Et qui seront remerciés demain ou après-demain, vous ne savez pas si ça sera votre cas ?

R - Encore une fois, c'est le jeu politique et c'est nos institutions qui le veulent ainsi, c'est l'article 8 de notre Constitution française, qui dit que le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, nomme les ministres et met fin à leurs fonctions. Lorsqu'on s'engage à servir la France, on le fait toujours avec honneur, et avec le sens du devoir, et on se plie évidemment aux règles qui sont mises en place par notre Constitution.

Q - Merci Olivier Becht.

R - Je vous en prie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2023