Texte intégral
C'est un plaisir de me retrouver devant vous afin de vous présenter, comme de coutume, les principaux résultats du Conseil européen des 29 et 30 juin. Ce Conseil européen a tout d'abord permis de faire le point sur la situation en Ukraine et notamment sur le rôle que joue actuellement l'Union européenne en matière de défense et sécurité. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont ainsi commencé le Conseil européen avec un échange avec le Secrétaire général de l'OTAN, en préparation du Sommet des 11 et 12 juillet à Vilnius. Les Etats-membres se sont engagés collectivement à ce que l'UE et chacun de ses Etats membres puissent contribuer aux futures garanties de sécurité qui aideront l'Ukraine à se défendre dans la durée. Il s'agit - collectivement et individuellement - de soutenir l'Ukraine afin qu'elle soit en mesure de dissuader toute agression ou tentative de déstabilisation. Le Président avait évoqué cette question dans son discours à Bratislava le 31 mai dernier et il était important que les chefs d'Etat puissent en discuter à 27 avant le Sommet de Vilnius.
Sur le plan des équipements, vous le savez, la situation est évolutive sur le terrain. Afin de répondre aux besoins ukrainiens dans la durée, tout en couvrant les nôtres, il nous faut accélérer le passage à une économie de guerre. À court terme, l'Union européenne a doublé la capacité de soutien militaire à l'Ukraine à travers la Facilité européenne pour la paix. C'est une mesure essentielle mais nous devons faire plus : les chefs d'Etat ont ainsi poursuivi les discussions sur la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles et particulièrement des priorités stratégiques au plan européen en matière de défense. Il s'agit de construire une industrie de défense européenne, capable de répondre à ces priorités, en y consacrant les moyens européens nécessaires.
Nous avons demandé à la Commission de nous présenter des propositions concrètes, d'ici la fin de l'année dans le cadre du Programme européen d'investissement dans la défense (Edip). Enfin, la stabilité du continent ne sera assurée durablement qu'avec une famille européenne unie. Le Conseil européen a donc été l'occasion d'échanger sur la progression de l'Ukraine et de la Moldavie sur leur chemin vers l'adhésion à l'UE. Nous pouvons en tirer plusieurs leçons : une reconnaissance formelle des progrès accomplis ; un grand consensus des Etats membres pour accompagner les Etats candidats sur la voie européenne ; la tenue d'un rendez-vous important à Grenade au mois d'octobre où un rapport formel sera rendu.
Enfin, un consensus a vu le jour sur la nécessité de transformer notre Union pour l'arrivée de nouveaux Etats membres. Vous le savez, j'ai lancé avec mon homologue allemande un groupe de travail pour nourrir cette discussion. Ces travaux seront rendus à l'automne. Je me réjouis que vous ayez mis cette question à l'ordre du jour de votre réunion avec la commission du Bundestag en mai dernier. Ces réflexions ne manqueront pas d'alimenter leurs travaux, tout comme ceux des Etats membres.
Ce Conseil européen a également été l'occasion de faire le suivi sur un autre pilier de la souveraineté européenne : les enjeux de compétitivité et de sécurité économique. Le Commissaire européen chargé du marché intérieur, Thierry Breton, a eu l'occasion de vous en faire une présentation détaillée lors de son audition le mois dernier. Encore une fois, nous avons beaucoup progressé en quelques mois.
Tout d'abord, la réforme du marché de l'électricité nous aidera à offrir des prix plus bas et plus stables, et d'investir encore plus dans les sources décarbonées. Les chefs d'Etat et gouvernement se sont accordés pour achever ces négociations bien avant la fin de l'année. Ensuite, la réforme de nos règles budgétaires européennes permettra d'encourager les investissements nécessaires pour la transition écologique et aider à une croissance durable, tout en favorisant les conditions de soutenabilité de nos finances publiques.
Enfin, nous allons accélérer la réindustrialisation du continent et assurer son leadership dans l'innovation. Depuis le dernier Conseil européen ont été soumis aux Etats membres le cadre temporaire pour les aides d'Etat, un règlement européen sur les semi-conducteurs, un règlement sur les matières premières critiques et la législation sur l'industrie net-zéro. C'est à la fois un choc de simplification bureaucratique et une politique industrielle moderne pour les secteurs les plus importants pour la transition énergétique et climatique.
Enfin, comme la France l'avait réclamé, la Commission européenne a présenté une proposition pour créer le fonds de souveraineté qui viendra soutenir les investissements stratégiques dans toute l'Union. Il pourra offrir le complément de financement nécessaire aux investissements essentiels et les simplifications que de nombreux acteurs attendent pour déployer des projets industriels stratégiques pour notre Union.
Il y a aussi un pan de souveraineté que tous les Français attendent, notamment depuis la crise Covid : la santé. Il s'agit d'assurer sur le sol européen la production de médicaments essentiels. Pour cela, des objectifs de production sur le sol européen seront fixés avec les instruments financiers et réglementaires nécessaires pour les atteindre, comme nous le faisons par exemple sur les puces électroniques.
Sur la question de la sécurité économique européenne, il s'agit de protéger le marché intérieur contre la concurrence déloyale, d'exiger la réciprocité en matière d'ouverture des marchés publics, de nous prémunir contre des achats d'entreprises stratégiques sur notre sol ou d'investissements qui nuiraient à notre souveraineté - je pense, par exemple, à la protection de nos données - tout en se fixant des règles sur les transferts technologiques. Il s'agit là encore de consolider la souveraineté de l'Union européenne.
Enfin, les chefs d'Etat ont consacré une partie de nos échanges aux migrations. Nous avons fait des progrès notables pour ce qui concerne la dimension interne : l'accord trouvé sur les deux textes majeurs du Pacte asile et migration, que nous avions fortement portés lors de la présidence française du Conseil de l'Union, l'année dernière, est une avancée importante, la première sur un sujet qui était bloqué depuis dix ans. Ces textes permettent d'équilibrer responsabilité et solidarité, de renforcer les frontières extérieures, tout en traitant plus rapidement les demandes d'asile, et assurant plus efficacement notre sécurité.
Si le travail accompli conjointement sous Présidence suédoise, et depuis la Présidence française, est à saluer, les discussions entre chefs d'Etat n'ont pas permis d'adopter de conclusions consensuelles sur les sujets migratoires. Cela est regrettable, car il faut être clair : le sujet migratoire doit plus que jamais être traité à 27, et aucun Etat membre ne peut faire face seul à ces enjeux. L'adoption du Pacte asile migration, d'ici la fin de la mandature, doit rester un de nos objectifs majeurs, sans que les positions d'aucun Etat membre ne soient ignorées.
Sur la dimension externe des migrations, nous allons poursuivre les travaux dans la ligne des progrès avec la Tunisie, que nous gagnerons à reproduire avec d'autres pays de la région.
Les chefs d'Etat ont abordé d'autres sujets d'importance lors de ce Conseil européen : notre relation avec la Chine, à la fois pour l'engager à jouer un rôle constructif s'agissant de la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine, et en ce qui concerne nos échanges économiques - qui doivent être équilibrés et sans nuire à nos intérêts stratégiques. Une discussion porte aussi sur l'implication qui doit être celle de l'Union européenne pour le règlement de la question chypriote, les tensions entre le Kosovo et la Serbie, ainsi que la préparation du sommet qui se tiendra en juillet entre l'Union, les Etats latino-américains et Caraïbes.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, voilà en quelques mots les résultats de ce Conseil européen. Mais je ne doute pas que vos questions me fourniront l'occasion de revenir plus en détail sur l'un ou l'autre point.
(...)
Je vous remercie pour ces questions extrêmement complètes. Le soutien militaire à l'Ukraine appelle trois points principaux. Le premier concerne l'Act in Support of Ammunition Production (Asap), le deuxième l'industrie et la capacité à produire des équipements militaires avec l'Edip et le troisième la formation.
L'Asap est le plan de soutien à l'Ukraine en matière de munitions pour augmenter les capacités de production des industriels et tenir dans la durée. Nous allons pousser en faveur de cette proposition ambitieuse de la Commission à l'Union, tout en étant attentifs à ce que soient respectées les compétences des Etats membres et préservés les intérêts de nos industriels.
Sur le volet des munitions, il convient d'évoquer le programme européen d'investissement dans la défense. Il faut changer la donne en matière de coopération industrielle européenne dans le domaine de la défense, c'est-à-dire investir davantage dans la R&D, réduire nos dépendances stratégiques et accélérer la production et la réindustrialisation dans ce domaine.
Nous allons insister pour que l'Asap dispose d'un budget suffisant, mais il faut également promouvoir les investissements privés. À cet effet, nous allons devoir adapter la réglementation européenne et notamment intégrer la défense dans les politiques économiques et industrielles de l'UE, ce qui constitue une nouveauté depuis l'agenda de Versailles.
La formation des soldats ukrainiens doit aussi être mentionnée. D'ici à la fin de l'année, 30 0000 soldats ukrainiens auront été formés sur le sol européen. Il faudra continuer, afin qu'ils puissent tenir dans la durée.
S'agissant d'Osmose et du Parlement européen, la situation progresse. Des échanges sont en cours avec le Parlement sur la manière d'utiliser le bâtiment. Nous respectons les procédures internes en cours. Les quatre collectivités signataires du contrat triennal sont associées à toutes ces discussions. Je me tiens à votre disposition pour vous fournir plus de détails au fil des évolutions.
M. François, vous avez évoqué l'Ukraine, mais aussi le pacte asile-immigration. Le Président de la République a été très clair : la paix se fera aux conditions de l'Ukraine, quand celle-ci aura décidé que le moment est venu de s'asseoir à la table des négociations. Nous suivons avec attention le type de garanties que l'Europe, ses Etats membres et les Etats-Unis peuvent offrir à l'Ukraine, afin de dissuader des pays hostiles de réattaquer ou de soutenir une attaque envers l'Ukraine.
S'agissant du pacte asile-immigration, on ne fera jamais entièrement plaisir ni à l'extrême droite, ni à l'extrême-gauche. Nous œuvrons à une solution humaine, équilibrée et responsable, qui fait preuve de solidarité. Cela fait dix ans que ces discussions patinent. Mais nous sommes parvenus à trouver un accord qui renforce à la fois les frontières extérieures et la solidarité intérieure : nous ne pouvons pas laisser les pays de première entrée être les seuls à recevoir les demandeurs d'asile. Les traitements de demandes d'asile vont être accélérés et les procédures de retour ou d'intégration le seront également. Humanité, solidarité et responsabilité sont nos piliers. Comme je l'ai dit, cela ne satisfera aucun des extrêmes, et cela ne satisfait d'ailleurs pas les gouvernements d'extrême-droite entre eux, puisque des débats ont agité la Pologne, la Hongrie et l'Italie.
M. Bompard, la réponse à l'IRA ne se réduit pas au fonds de souveraineté. Le volant simplification, qui passe par des aides d'Etat accélérées et simplifiées, bénéficiera essentiellement aux grands pays ; raison pour laquelle la France a demandé un fonds de souveraineté pour que les financements puissent aussi bénéficier à des plus petits pays. Il n'y a donc pas seulement 10 milliards, mais aussi des aides d'Etat, ainsi que la flexibilité que nous demandons dans l'usage des fonds NextGenerationEU pour de nombreux pays. Au total, il s'agit de 400 milliards, face aux 367 milliards américains.
S'agissant de la révision du cadre financier pluriannuel, il s'agit d'une révision de mi-parcours. La visibilité sur les sept prochaines années a été fournie aux agriculteurs. Des marges de manœuvre ont été prévues pour faire face à des crises et nous avons demandé à la Commission comment elle comptait utiliser le fonds de réserve précisément en cas de crise, afin de faire face à l'inflation.
La procédure de l'article 7 se poursuit et je rappelle que la Hongrie n'a pas touché la plupart des fonds auxquels elle pourrait prétendre si elle respectait l'Etat de droit et si elle n'était pas sous le mécanisme de conditionnalité. Rien ne l'empêche à ce stade d'assurer la présidence tournante du conseil et il existe des garde-fous, puisque la continuité dans les trios se poursuit. Nous exigerons qu'elle respecte son impartialité et qu'elle favorise un consensus entre les Etats membres.
M. Seitlinger, vous avez raison : nous devons produire en Europe les médicaments essentiels dont nous avons besoin. Dans l'agenda de compétitivité et de sécurité économique figure la réindustrialisation dans le domaine de la santé. Des usines ont ouvert, dont deux en France et une en Autriche. Le processus se poursuivra.
La protection du marché intérieure est essentielle pour s'assurer que des Etats tiers ne prennent pas de parts de marché parce qu'ils subventionneraient de manière excessive la production chez eux. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, nous ne reproduirons pas les erreurs commises pour les panneaux photovoltaïques. Des procédures sont en cours pour nous assurer que les Etats qui subventionnent leurs entreprises de manière excessive seront poursuivies et que les entreprises utilisant le dumping seront taxées ou verront leurs exportations vers l'UE limitées.
Ensuite, dans chaque accord commercial, nous demandons que les pays avec lesquels nous contractons respectent nos normes sociales et environnementales. C'est le cas de l'accord avec la Nouvelle Zélande. Mais l'UE n'a pas signé l'accord avec la Chine, qui était en cours de négociation.
Mme Gérard, nous avons soutenu le compromis adopté par le Conseil, puisqu'il donne un cadre solide, flexible et ambitieux pour restaurer les écosystèmes terrestres, marins, urbains, forestiers et agricoles, les polinisateurs et la connectivité des rivières. L'orientation générale a été adoptée et nous espérons qu'elle fournira un signal assez fort pour les députés européens qui doivent à nouveau voter sur le texte dans quelques jours.
La Turquie est importante pour permettre l'exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire. Ce pays a un rôle clef dans le cadre de l'élargissement de l'OTAN à la Suède, mais aussi pour la stabilité en Méditerranée orientale ou dans le Caucase. Ces trois sujets sont des conditions à toute reprise de discussions plus poussées avec ce pays.
(...)
Mme Klinkert, deux discussions sont en cours, à la fois sur le règlement Asap et sur le programme européen d'investissement dans la défense. Ceux-ci doivent nous permettre de capitaliser pour décliner la construction de cette industrie de la défense. Asap est doté de 500 millions d'euros, mais il s'agit surtout d'un cap politique important franchi : pour la première fois, on mobilise le budget européen pour renforcer les capacités de production de munitions et de missiles. L'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (Edirpa) a fait l'objet d'un accord en trilogue fin juin, pour permettre le soutien à l'acquisition conjointe auprès de l'industrie européenne.
À travers ces deux instruments, nous souhaitons que la Commission présente à l'automne une proposition pour avoir un instrument d'investissement de long terme dans la défense européenne, en tirant partie de l'expérience d'Asap, et qui permette de faire levier sur l'industrie de défense existante au niveau national.
Mme Le Grip, un dialogue important est effectivement intervenu sur la Chine et sur Taïwan. Quand on pense sécurité économique et résilience des chaînes de production, on constate que Taïwan concentre une immense partie de la production de semi-conducteurs. Il est donc nécessaire d'accélérer, notamment en réponse à l'IRA, la production stratégique de semi-conducteurs, de manière coordonnée.
Nous avons déjà débuté des investissements significatifs : nous avons ouvert des usines de fabrication de puces, de batteries et d'autres technologies stratégiques en France, comme dans tous les pays de l'UE. La réponse européenne a été rapide, notamment grâce à la clause de transparence, mais nous devons accélérer cette mise en œuvre : la simplification doit être drastique et il nous faut débloquer plus de financements. Le fonds de souveraineté est une étape et nous devrons aller plus vite dans les autorisations de détail de flexibilité des fonds. À cet égard, il faut rajouter la réforme du marché de l'électricité, qui sera essentielle pour disposer de prix de l'énergie compétitifs, soit un socle pour conserver les entreprises sur le sol européen.
M. Haddad, la proposition de la Première ministre Kallas est effectivement intéressante. Il me paraît très clair que la question du financement et donc d'un emprunt européen se posera. S'agissant du Kosovo et de la Serbie, le Président de la République française, le chancelier allemand et Josep Borrell ont eu des discussions très poussées pendant le sommet de la Communauté politique européenne. L'idée consiste à faire en sorte que chacune des parties mette en place les engagements qui avaient été pris dans le cadre des accords de l'UE précédents. Nous suivons ce dossier au jour le jour, et son évolution est d'autant plus importante que les Balkans ont une perspective européenne.
S'agissant des énergies renouvelables, la situation est effectivement paradoxale. Nous passons une grande partie de notre temps à promouvoir le nucléaire, dans la mesure où 70% de notre énergie est décarbonée. Aujourd'hui, nous négocions pour faire reconnaître l'importance de l'effort français pour développer les énergies renouvelables et pour que tous les textes européens reconnaissent la part stratégique du nucléaire, puisqu'elle permet de décarboner notre électricité. L'alliance des pays du nucléaire doit nous aider à faire levier.
(Q - Pouvez-vous faire un point sur la position de l'exécutif quant à l'acte sur l'intelligence artificielle ?)
R - Nous souhaitons développer une approche assez équilibrée. Il s'agit à la fois de bénéficier des développements et de l'innovation qu'apporte l'intelligence artificielle, tout en établissant un cadre pour sécuriser les conséquences que pourraient avoir un développement que nous ne maîtriserions pas nécessairement. Cet équilibre est difficile à trouver, mais nous voulons atterrir rapidement, à la fois pour ne pas freiner cette innovation, mais aussi pour nous assurer que les effets négatifs soient limités. Quoi qu'il en soit, cette technologie devra faire l'objet de régulations fréquentes.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2023