Texte intégral
Monsieur le Ministre, Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Vice-président du Sénat,
Madame la Vice-présidente de l'assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame la Maire de Paris / Monsieur le Premier adjoint à la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le président de l'association des fils et filles des déportés juifs de France, cher Serge KLARSFELD et chère Beate KLARSFELD,
Monsieur le président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, Cher Jonathan ARFI,
Monsieur le président du consistoire central, cher Elie KORCHIA,
Monsieur le Grand rabbin de France, cher Haïm KORSIA,
Monsieur le président de la fondation pour la mémoire de la Shoah, cher Pierre-François VEIL,
Monsieur le président du comité français pour YAD VASH EM, cher Patrick KLUGMAN,
Chère Yvette LEVI,
Les morts nous écoutent
Les morts nous écoutent et nous obligent en ce jour où nous faisons mémoire de tous les Juifs, femmes, hommes, enfants qui furent arrêtés, enfermés, maltraités puis déportés par les nazis avec la complicité de l'Etat français, les 16 et 17 juillet 1942, à Paris et dans sa banlieue.
Mais en reconnaissant le mal absolu qui a été fait, en désignant les auteurs et leurs complices, il nous faut aussi reconnaître le bien et ceux qui l'ont fait ; tous les Justes qui, en sauvant une personne, et parfois davantage, ont sauvé l'Humanité.
Huit décennies plus tard, le souvenir de la rafle du Vél d'hiv, est toujours présent en France ; il est de notre devoir de revenir chaque année en ces lieux. D'abord pour prendre la mesure de l'horreur qu'a constitué la Shoah et la collaboration française. Pour prendre acte, aussi, de l'échec du projet nazi - la disparition des Juifs d'Europe - et de celui de l'Etat français - la destruction de nos valeurs républicaines. Mais le combat contre l'idéologie qui a sous-tendu ces crimes ou a voulu les occulter n'est jamais achevé.
Quand commence la rafle du Vél d'Hiv au matin du 16 juillet 1942, cela fait plus de deux ans que Philippe Pétain a pris le pouvoir en France, à la suite de " l'étrange défaite " de juin 1940 face à l'agression allemande. Ce fut une défaite de l'esprit, une défaite de la volonté de combat. L'opportunité aussi, pour certains, d'imposer, à l'ombre de l'occupant nazi, une révolution nationale dont un peuple libre n'aurait pu vouloir.
En rejetant toutes les falsifications de l'histoire de la Shoah, les faits parlent. Et ils sont têtus comme le rappelle encore récemment l'historien Laurent Joly.
Si c'est bien l'occupant nazi qui inspire la mise en oeuvre d'une politique antisémite puis de déportation en vue de l'extermination, ces demandes trouvent dans l'Etat français un allié déterminant et déterminé. La collaboration est l'occasion d'exprimer l'antisémitisme historique de ces forces politiques tapies en France depuis la fin du XIXe siècle et à l'œuvre depuis l'Affaire Dreyfus.
Comme le rappelle l'historien Tal Bruttman, il ne faut que trois mois au régime de Vichy pour mettre en place une politique anti-juive sur son territoire. Dès le 18 octobre 1940 par la volonté du chef de l'Etat français, l'antisémitisme déferle librement sur la France, y compris dans les territoires qui en dépendent.
Ainsi, alors même qu'il n'y a pas d'occupation nazie en Algérie, les Juifs y sont frappés comme en métropole. Le commandement y fait même interner au Sahara des troupes de la légion étrangère parce qu'elles sont constituées en grande partie d' Allemands et de Polonais juifs qui dès les premiers jours de la guerre s'étaient engagés en masse pour défendre la France attaquée.
Les Français israélites sont chassés de la fonction publique et de nombreuses autres professions. Leurs libertés fondamentales sont bafouées ; ils sont spoliés ; les enfants sont arrachés des écoles. Le régime installé à Vichy accompagne " la folie criminelle de l'occupant " pour reprendre la formule du président Chirac.
C'est pourquoi quand, à la fin du printemps 1942, il faut fournir aux autorités occupantes des Juifs à déporter, l'Etat français s'organise à la demande de Pierre Laval ; on crée une commission. Des fonctionnaires français vont ainsi collaborer à la Solution finale décidée à VAN N E-ZÉ [Wannsee] quelques semaines plus tôt. On y trouve le secrétaire général à la police, Bousquet, le commissaire aux Questions juives, Darquier de Pellepoix. Elle fixe des objectifs aux forces de l'ordre françaises, une circulaire est diffusée le 8 juillet.
Le 16 au petit matin on frappe aux portes des foyers juifs préalablement identifiés par un " fichier juif ". En deux jours, 12 884 hommes, femmes et enfants juifs sont arrêtés par plus de 4 500 policiers. Les célibataires et les couples sans enfant sont ensuite envoyés au camp de Drancy. Les familles sont enfermées dans l'enceinte du Vélodrome d'Hiver. Pendant plusieurs jours, 8 160 personnes y sont entassées dans des conditions insoutenables. Parmi les témoignages qui nous sont parvenus, celui qui concerne Henri Ostrowiecki, âgé de quatre ans : il ne doit sa survie qu'au fait d'avoir été malade et ainsi séparé de sa mère à l'arrivée au Vél d'Hiv.
A la fin de l'été, 33 000 Juifs ont été déportés. Ils viennent s'ajouter aux victimes des convois partis depuis le 27 mars 1942, et qui se succèdent jusqu'en août 1944. Plus de 70 convois sont partis de France vers les camps, vers Auschwitz principalement mais aussi vers Sobibor et MAÏ-DA-NEK [Majdanek] ou encore vers KA-OU-NASSE [Kaunas].
En tout, près de 76 000 Juifs sont déportés de France vers l'extermination, dont plus de 10 000 enfants. Seuls 2 566 d'entre eux reviendront.
Pourtant, dans cette nuit de la haine, des consciences s'allument et la lumière des Justes éclaircit les ténèbres.
Dès les premières persécutions, des femmes et des hommes se lèvent et refusent.
Le jour même de la rafle du Vél d'Hiv, le capitaine Pierret, Juste parmi les Nations, et les sapeurs-pompiers de Paris donnent à boire aux victimes.
Alors que la rafle est en cours, le commissaire Gérard Persillon, lui Juste parmi les Nations, fournit une vraie-fausse carte d'identité à Perla HA-USSE-VALBE [Hauszwalb]. Elle échappe ainsi à la rafle, contrairement à ses parents ; il lui permet ensuite d'être cachée comme pensionnaire au collège de Limoux.
Le scandale moral du Vél d'Hiv marque tout le pays et des voix qui sont celles de l'humanité universelle s'élèvent. C'est l'archevêque de Toulouse, Jules Saliège, qui fait rappeler dans chaque église de son diocèse, le 23 août 1942, qu' " il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits tiennent à la nature de l'homme.
Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes, les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain ".
A cet instant, ce qui est en jeu est la nature démocratique, fondée sur l'Etat de droit, sur la reconnaissance et la défense concrète des libertés les plus fondamentales de notre Nation, malgré la défaite, malgré l'occupation, malgré le régime de Vichy. Cette haute conscience de ce qui devait perdurer dans notre Nation est aussi celle qui inspire d'autres Justes, comme Camille Ernst, secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, qui organise dès 1941 la mise en sûreté de plusieurs dizaines de familles juives.
L'engagement des Justes non seulement sauve des vies mais encore contient en lui des ferments de renouveau. Depuis 1941, Jeanne Brousse travaille au service des naturalisés de la préfecture de Haute-Savoie. Elle n'a que vingt ans. En 1942, une femme, Suzanne Aron lui demande des papiers, pour son mari et pour les trois enfants du rabbin de Valence. C'est pour Jeanne le début d'un engagement de résistante. Elle sera reconnue Juste en 1973. Et après la guerre, Suzanne Aron, elle, participe à la fondation de l'école Yabné à Paris. Cette école voulue par le Grand Rabbin Kaplan illustre la renaissance de la communauté juive en France après la Shoah. Elle est comme une manifestation de l'évidence de sa présence au sein de cette Nation qui est la sienne. Une école enfin, symbole par excellence d'avenir et d'espoir.
Face au mal de l'antisémitisme qui ne doit jamais prospérer par impunité ou par inaction, il faut une mobilisation collective sans cesse renouvelée.
L'exemple formidable du combat des rescapés ou des enfants des déportés, des associations et des institutions représentatives nous montre comment la lutte contre les bourreaux passe aussi par un travail d'histoire, puis par un travail de transmission de la mémoire.
Cela nous rappelle l'impérieuse nécessité d'écouter les derniers témoins. C'est aussi l'occasion de réaffirmer l'importance de l'étude, de la connaissance historique et, en définitive, de l'École qui fait la force de chaque génération nouvelle, la force de notre jeunesse face à l'antisémitisme et à toutes les formes de racisme et de xénophobie. Cette mobilisation est une lutte pour la transmission, l'histoire, l'éducation et l'École.
Vive la République !
Vive la France !
Source https://www.defense.gouv.fr, le 20 juillet 2023