Texte intégral
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, pour clore cette semaine d'intenses travaux parlementaires, en commission, en séance et même en commission mixte paritaire, nous recevons M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le ministre, nous n'avons pas eu l'occasion de vous entendre au cours de ce semestre, alors même que les sujets dont vous avez la charge constituent une part importante de l'activité de notre commission et, au-delà, des préoccupations des Français.
J'ai donc souhaité que nous puissions échanger avant la fin de cette session extraordinaire, sans thème précis, afin de nous permettre d'aborder ensemble les questions d'actualité de votre ministère. Ces sujets seront donc peut-être assez divers.
Je vous invite à commencer par faire un point, au début de l'été, sur la situation des établissements de santé. Des tensions comparables à celles de l'année dernière sont-elles à attendre ? Élisabeth Doineau m'a d'ailleurs transmis une question au sujet de son département de la Mayenne.
Par ailleurs, je souhaite que vous nous éclairiez sur l'état d'avancement de deux grands chantiers : d'une part, les Assises de la pédiatrie, lancées par vous-même en décembre dernier, qui furent l'occasion pour nous de recevoir Adrien Taquet, ainsi que le professeur Christèle Gras-Le Guen, la pédiatre qui l'accompagne dans cette mission, pour qu'ils nous transmettent une feuille de route ; de l'autre, la réforme de la gouvernance et du financement des établissements de santé, lancée par le Président de République à l'occasion de ses voeux aux professionnels de santé, en janvier 2023. Nous avions d'ailleurs organisé deux tables rondes au sujet de la réforme, au cours desquelles nous avions reçu le professeur Claris, ainsi que les présidents de commissions médicales d'établissements (CME) et les représentants des directions des hôpitaux. J'en profite pour signaler que, à mes yeux, la réforme de la gouvernance des hôpitaux n'était pas une priorité. Hier, nous recevions au sujet du financement des établissements de santé les représentants de la Fédération hospitalière de France (FHF), de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) et d'Unicancer.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. - Je me réjouis que la commission des affaires sociales ait souhaité m'entendre ce matin dans le cadre de cette audition, dont la date correspond presque à l'anniversaire de mon arrivée au ministère de la santé et de la prévention, le 4 juillet 2022, ainsi qu'à ma première audition dans cette configuration.
À l'époque, j'ai d'emblée été amené à engager un travail de fond avec les parlementaires, sur l'examen des derniers textes relatifs à l'urgence sanitaire et la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023. Avant même d'être ministre, j'étais venu vous rendre compte des avancées de la mission flash qui m'avait été confiée par le Président de la République. Depuis lors, vos visages me sont devenus familiers, et je tiens à saluer la qualité des nombreux travaux que nous avons menés au Parlement tout au long de l'année. Surtout, à l'approche du renouvellement sénatorial, je salue les sénateurs qui vont passer le témoin, notamment vous, madame la présidente Deroche, avec qui j'ai pris un plaisir sincère à travailler. Je souhaite par ailleurs une bonne campagne à tous les candidats. J'en profite pour rendre hommage à la qualité des débats, souvent contradictoires mais toujours constructifs, qui se sont déroulés au Sénat et ont permis de coconstruire et de faire avancer de multiples travaux au service des Français et de notre santé collective.
J'envisage aussi cette audition de portée générale comme l'occasion de faire le bilan de l'année écoulée et de tracer des perspectives pour la suite. Vous le savez, les défis auxquels est confronté notre système de santé sont nombreux, il reste beaucoup à faire.
Dans un contexte de forte pression démographique conjuguée à une raréfaction des effectifs soignants, pour des raisons structurelles pouvant être exacerbées par des tensions conjoncturelles, l'accès aux soins est aujourd'hui la priorité des Français dans le champ de la santé. C'est la raison pour laquelle la feuille de route fixée par le Président de la République a fait de l'accès équitable à la santé, partout et pour tous, sa colonne vertébrale. En tant que ministre de la santé et de la prévention, je m'emploie à avancer dans la transformation de notre système, guidé par la lutte contre toutes les inégalités d'accès à la santé, qu'elles soient sociales, liées à des vulnérabilités particulières comme le grand âge ou le handicap, ou géographiques. Je sais, sans exclure les autres, que les enjeux de territorialisation de la santé, de lutte contre la désertification médicale, préoccupent tout particulièrement les représentants de la diversité de nos régions que vous êtes.
Comme vous, je suis conscient que les problèmes locaux appellent des réponses adaptées aux spécificités de chaque territoire et ma méthode n'a jamais varié. Elle consiste à activer des leviers nationaux nouveaux et à identifier des besoins sur le terrain, grâce notamment à la démarche du Conseil national de la refondation (CNR) en santé, pour cibler les soutiens, expérimenter les outils, appuyer la mobilisation des professionnels de santé, des citoyens et des élus. Je veux être un ministre qui libère les solutions dans les territoires, qui s'engage clairement en faveur d'une territorialisation de politique de la santé, afin que nous puissions répondre efficacement aux besoins. Ainsi, nous avons reconnu un droit de dérogation aux agences régionales de santé (ARS).
Au cours de ma toute première audition devant vous, alors que je n'étais pas encore ministre, je plaidai pour une fluidification de la réponse aux soins non programmés dans les services d'urgence, dans un contexte de préparation aux tensions de l'été 2022. Il me semble opportun de commencer ma présentation sur ce point, un an après le lancement de la mission flash, non seulement parce que l'été 2023 présentera des défis supplémentaires, comme l'accueil de la coupe du monde de rugby, mais aussi parce que les problèmes rencontrés aux urgences sont le reflet de difficultés qui parcourent l'ensemble de notre système de santé et qui se cristallisent dans les services d'urgence. En effet, ces derniers sont la partie émergée de l'iceberg et illustrent les difficultés de l'amont, c'est-à-dire la médecine de ville et la couverture des soins non programmés, et de l'aval, c'est-à-dire dans les hôpitaux, avec le manque de lits et les questions liées à l'organisation de la permanence des soins et de la complémentarité entre la médecine de ville et l'hôpital.
Les solutions trouvées l'été dernier au travers de la mission flash ont montré toute leur efficacité avec, pour la première fois depuis vingt ans, une baisse inédite de 5 % de la fréquentation de nos services d'urgence. Ce premier acquis constitue un socle sur lequel nous devons résolument nous appuyer pour continuer de consolider l'ensemble de la chaîne de réponse aux soins non programmés.
À l'approche de l'été, la fluidité des filières de prise en charge est un enjeu fort. Sous l'égide des ARS, l'ensemble des mesures qui ont fait leurs preuves l'été dernier ont été reconduites, voire, pour un certain nombre d'entre elles, pérennisées. Les ARS disposent donc d'une boîte à outils permettant de mobiliser toutes les mesures utiles à l'échelle de chaque territoire, pour répondre aux besoins de santé de la population. Par exemple, l'intervention de sages-femmes libérales en établissements de santé est mieux organisée et facilitée, dans le cadre des discussions conventionnelles en cours avec leurs représentants.
Pour garantir à chacun de nos concitoyens une réponse adaptée aux besoins, le service d'accès aux soins (SAS) couvrira prochainement l'ensemble du territoire. Il couvre actuellement plus de 50 % de la population et 34 services sont opérationnels. L'implantation dans l'ensemble des départements est en cours et sera effective d'ici à la fin de l'année. J'ai rappelé mercredi dernier aux différents partenaires l'objectif de ce maillage avec, en plus, la possibilité d'ajouter des filières spécifiques de prise en charge dans la régulation médicale, que ce soit pour la pédiatrie, la psychiatrie ou la gériatrie. L'engagement des professionnels qui participent au SAS est soutenu. La rémunération des médecins généralistes qui assurent la régulation téléphonique ou l'effection des soins a été inscrite dans le règlement arbitral, à hauteur de 15 euros pour les actes réalisés à la demande de la régulation médicale, et de 100 euros par heure pour l'activité de régulation.
Les efforts menés pour mieux valoriser le métier d'assistant de régulation médicale, devenu profession de santé à la faveur de la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, se poursuivent avec un plan d'action spécifique, qui inclut un recrutement accru ainsi qu'une revalorisation de leurs revenus.
Plus généralement, pour soutenir l'ensemble des services, tenir l'engagement d'une plus grande reconnaissance des soignants qui s'engagent à l'hôpital et reconnaître la pénibilité, les mesures de doublement des indemnités de garde de nuit et de week-end pour le personnel paramédical sont prolongées, tout comme la multiplication par 1,5 de l'indemnité de garde pour les praticiens hospitaliers, qui est prolongée jusqu'à l'aboutissement des discussions engagées pour mieux rémunérer de façon pérenne la sujétion et la pénibilité de ce travail de nuit.
Par ailleurs, la valorisation financière des soins critiques a été étendue aux puériculteurs et auxiliaires de puériculture, dans les services d'urgences, de réanimation et de soins critiques.
Les mesures de valorisation du point d'indice bénéficieront bien sûr à l'ensemble des agents de la fonction publique hospitalière (FPH).
Afin d'assurer une réponse médicale juste et adaptée dans tous les territoires, il est primordial de donner à nos concitoyens les bons réflexes pour l'été qui arrive. Une grande campagne d'information portée par les ARS sera lancée et permettra de rappeler les gestes simples pour faire face à certaines situations : canicule, piqûres de guêpe, etc. Surtout, il sera rappelé que, si votre médecin traitant n'est pas joignable et si vous ne trouvez pas de médecin mais faites face à une urgence, il faut composer le 15. Ce numéro permet en effet de soulager les urgences et d'apporter une réponse adaptée.
En parallèle, les capacités d'hospitalisation sont dorénavant gérées à l'échelle territoriale. Nous sommes revenus à une gestion qui a fait ses preuves pendant la crise de la covid-19, c'est-à-dire à une gestion territoriale des lits disponibles qui associe public et privé, pour faciliter les hospitalisations à partir des urgences. La coopération à l'échelle territoriale entre public et privé est un élément clef qui va nous permettre de faciliter les prises en charge pendant l'été.
Dans cette perspective, le droit de dérogation des ARS a été élargi depuis le 7 avril dernier, ce qui leur permet de déployer plus rapidement les solutions travaillées localement, grâce aux CNR territoriaux. Ces solutions peuvent être pérennisées grâce à la proposition de loi portée par le député Frédéric Valletoux, qui devrait arriver prochainement dans l'hémicycle.
J'ai également pris l'engagement d'animer, tout au long de l'été, des temps de dialogue avec les professionnels et les ARS, comme j'avais pu le faire pendant la mise en application de la lutte contre les dérives de l'intérim médical.
Tout est mis en place pour que, dans nos territoires, nos concitoyens puissent avoir, cet été et au-delà, la réponse plus adaptée à leurs besoins de santé.
Cette mobilisation estivale s'appuie en outre sur des évolutions structurelles du système de santé engagées depuis plusieurs mois et qui sont le fruit d'un travail de coconstruction, ambitieux et soutenu, avec les parlementaires.
La santé compte parmi les domaines les plus prolifiques au cours de la session parlementaire écoulée. En plus des textes budgétaires traditionnels, nous avons enrichi et adopté de nombreuses propositions de loi. J'ai notamment à l'esprit la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, qu'un travail constructif en commission mixte paritaire avait permis d'enrichir de nombreuses mesures utiles visant à renforcer la mobilisation des collectifs interprofessionnels et permettre aux Français d'accéder plus rapidement à une réponse. Grâce aux débats parlementaires transpartisans de grande qualité, nous avons collectivement pu faire de ce texte un vecteur pour de nombreuses avancées qui n'étaient pas prévues dans le dispositif initial, comme la possibilité pour les personnes souffrant de diabète de se faire prescrire des orthèses plantaires et des soins directement par les pédicures-podologues, la révision annuelle des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) par les professionnels de santé, la possibilité pour le pharmacien de renouveler les traitements chroniques pour une durée maximale de trois mois lorsque le médecin prescripteur n'est pas disponible, ou encore la possibilité pour les infirmiers formés à cette fin de prendre en charge le traitement des plaies chroniques en exercice coordonné.
Ce mouvement de confiance envers nos professionnels de santé, d'accélération du décloisonnement du système, de meilleur partage des compétences, soutient l'accomplissement de nos objectifs fondamentaux, fixés comme cap par le Président de la République. Tout ce que j'ai mentionné sur la préparation de l'été et le renforcement de la réponse collective contribue à désengorger nos services d'urgence. Toute l'efficacité d'organisation permet de gagner du temps soignant et libérer de la ressource médicale pour ceux qui en ont le plus besoin.
Ainsi, je peux vous annoncer que le grand plan d'aller-vers mis en place pour les patients en affection de longue durée qui ne disposaient pas de médecin traitant, a déjà permis de rapprocher 53 000 d'entre eux d'un médecin traitant. Ce résultat peut paraître important ou dérisoire ; cela correspond à la population d'une ville comme Bobigny.
La proposition de loi déposée par le sénateur Bruno Retailleau, cosignée par de nombreux membres de la Haute Assemblée, pour instaurer la quatrième année du diplôme d'études spécialisées (DES) de médecine générale, orientée en zones sous-denses a été retranscrite dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Nous avons créé un modèle inédit de rémunération, qui favorise l'installation des généralistes dans les territoires qui en manquent le plus. Le rapport sur cette quatrième année m'a été remis, les dernières signatures sont collectées et la mise en application est prévue pour la rentrée prochaine, comme je m'y étais engagé.
Plusieurs autres propositions de loi sont à mettre à notre actif, comme la proposition de loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, de Fadila Khattabi, qui a permis de renforcer l'arsenal de lutte contre toutes les formes de fraude sociale, une question à laquelle je sais les sénateurs attachés. La proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche, de Sandrine Josso, vient quant à elle d'être adoptée définitivement et renforce la logique de parcours de santé pluriprofessionnels sur l'enjeu spécifique des interruptions spontanées de grossesse. Elle a fait l'objet d'amendements sénatoriaux qui ont permis une meilleure protection des femmes victimes de discrimination en milieu professionnel.
Enfin, la proposition de loi Valletoux vise à moderniser le fonctionnement de notre système de santé pour faciliter l'émergence de réponses territorialisées. Nous aurons également à travailler ensemble sur le prochain budget de la sécurité sociale, qui nous occupe déjà puisqu'il comporte des enjeux importants pour accélérer le virage préventif, consolider l'attractivité des carrières des soignants et réformer notre hôpital, notamment son mode de financement. Je ne doute pas que vous aurez des questions sur ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre écoute. Ce lien avec la commission des affaires sociales est précieux à mes yeux. Vous pouvez croire en ma volonté ferme de travailler en bonne intelligence avec vous tous et de vous impliquer dans les différents pans de l'action que je mène. Je reste bien sûr à votre entière disposition pour répondre à vos questions.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans une question qu'elle m'a transmise à votre attention, Élisabeth Doineau évoquait la situation en Mayenne - fermetures de services d'urgences et appels au 15 -, mais vous avez largement développé ce point.
Notre rapporteure générale souhaitait par ailleurs savoir si vous aviez prévu des renforts au sein des centres de régulation.
M. François Braun, ministre. - La mise en place d'une régulation médicale préalable à l'entrée dans les services d'urgence prendra tout son sens cet été avec un nombre accru de fermetures temporaires de ces services. Néanmoins, l'été dernier, nous avions vu que les fermetures ne remettaient en rien en cause la sécurité et la qualité des soins pour les urgences vitales. De nouveau, nous pouvons affirmer que la prise en charge de ces dernières reste assurée.
Le renforcement de la régulation médicale porte d'abord sur les assistants de régulation médicale (ARM), pour lesquels nous avons engagé une grande campagne de recrutement. En réponse à leur demande forte et pressante en ce sens, après la triste affaire de Naomi Musenga survenue à Strasbourg, leur métier est désormais reconnu comme une profession de santé. Il s'y appliquera une grille indiciaire spécifique. Nous avons mis en place des centres de formation à l'attention des ARM. Pour moitié théorique et pour moitié pratique, leur formation atteindra un volume annuel d'approximativement 1 500 heures. Dès avant la crise qui les a touchés, nous nous étions engagés à ce que chaque ARM valide sa formation avant la fin de l'année 2023 ; à l'été dernier, la mesure avait fait l'objet d'un premier report à fin 2024 ; nous devons la reporter de nouveau, en raison d'un recrutement à présent bien plus important. Ce recrutement s'effectue pour l'heure sur la base d'une formation minimale correspond à la formation précédente, avec l'engagement, pour l'instant assorti d'une perspective à fin 2025 ou 2026, que tous les nouveaux recrutés passeront par le mécanisme de la validation des acquis de l'expérience (VAE).
Depuis un an, un changement de paradigme intervient dans la fréquentation des urgences. L'investissement personnel des médecins hospitaliers, des ARM et, plus encore, des médecins généralistes, y contribue. Ces derniers ont mis en place des solutions qui, lorsqu'aucun d'eux n'est disponible, évitent d'orienter systématiquement les patients vers les urgences. De plus en plus de maisons médicales de garde sont ainsi déployées, garantissant la continuité des soins. Je vous citais l'exemple de patients en affection de longue durée (ALD) qui ont pu retrouver un médecin traitant avec l'intervention des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Un autre exemple, mis en évidence lors des sessions du CNR en santé, a trait aux équipes paramédicales de médecine d'urgence. À la demande de la régulation médicale, il est possible d'engager une infirmière avec un recours à la télémédecine. En Normandie, des expérimentations ont montré que le dispositif permettait d'éviter l'hospitalisation à 70 % des patients.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - Sur l'hôpital, qu'en est-il des deux réformes que le Président de la République a annoncées, celle de la gouvernance hospitalière d'une part, celle de la tarification à l'activité d'autre part ? Est-ce le bon moment de les engager ?
M. François Braun, ministre. - Oui...
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Eh bien, voilà une bonne nouvelle ! À ceci près que l'échéance était fixée au 1er juin pour la réforme de la gouvernance... Le Gouvernement n'a-t-il pas plutôt constaté que, révisé en 2021, le droit actuel répondait déjà au besoin de rééquilibrage du binôme directeur-président de CME, sous réserve peut-être de ménager encore un peu de temps aux intéressés ? Est-ce vraiment pour vous la priorité du moment ?
En ce qui concerne la tarification à l'activité (T2A), nous avons entendu les représentants des présidents de CME et des directeurs d'établissement. De nouveau, jugez-vous le moment opportun pour une réforme en la matière ? Dans l'affirmative, quel calendrier estimez-vous réaliste de lui associer ? Comme cela nous a été exposé hier au cours d'une audition, le problème ne tient-il pas concomitamment aux tarifs et à la qualité de la prise en charge des patients ?
Quel niveau d'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) imaginez-vous, dans son volet hospitalier, pour le PLFSS 2024 qui sera soumis à votre arbitrage ?
M. François Braun, ministre. - Il est encore un peu tôt pour vous répondre.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous pourriez déjà avoir une idée ; les fédérations hospitalières que nous recevions hier nous ont communiqué un chiffre !
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est un chiffre souhaité
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Sans doute n'est-ce que celui qu'elles espèrent, mais il donne une première idée. Les fédérations n'ont pas non plus manqué de saluer la garantie de financement dont elles ont bénéficié entre 2020 et 2022. Elles en reconnaissent unanimement le caractère indispensable. En 2023, bien que moins généreuse, sa nouvelle version avec une « sécurisation modulée à l'activité » leur apparaît également nécessaire ; peut-être ménage-t-elle aussi des marges de manoeuvre pour un futur Ondam hospitalier ?
Une question sur la lutte contre l'antibiorésistance et le problème des patients qui se présentent à l'hôpital avec des contaminations croisées : le PLFSS 2024 pourrait-il inclure la prise en charge des Trod et des PCR, afin d'assurer le dépistage de ces patients porteurs de germes et pour lesquels nous ne disposons à ce jour pas de réponse antibiotique ? Si je déposais un amendement en ce sens, il encourrait l'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution.
Dernière question au sujet de l'hôpital : on annonce que le déficit actuel atteindrait environ 1 milliard d'euros ; l'urgence n'est-elle pas de s'en occuper, surtout dans un contexte de vacance de 30 % des postes en milieu hospitalier ?
Sur la ville, la proposition de loi de Frédéric Valletoux n'attisera-t-elle pas la crispation des médecins ? Envisagez-vous une réouverture des négociations conventionnelles avec l'assurance maladie ? Envisagez-vous un véritable projet de loi santé, tel que nous l'attendons ?
La commission d'enquête relative aux pénuries de médicaments a rendu publiques, ce matin, ses conclusions. Par quelles mesures lutterez-vous contre les ruptures et les tensions d'approvisionnement ? Nous avons pris connaissance de la liste des 450 médicaments essentiels. Des professionnels de santé indépendants la critiquent. La retiendrez-vous en l'état ou préféreriez-vous la modifier ?
Que pouvez-vous nous dire des ambitions poursuivies par la dernière LFSS sur les rendez-vous de prévention et sur le déploiement de ce dispositif ?
La fédération Unicancer nous faisait hier état d'une recrudescence des cancers. Un rapport sévère de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe la politique de dépistage. Quelles suites lui donnerez-vous ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Un médecin généraliste de mon département, qui enseigne à la faculté de médecine de Nantes, m'a fait part d'une baisse des crédits affectés à la formation de médecins maîtres de stage universitaires, ce qui l'inquiète au moment même où l'on veut renforcer l'action de ces derniers par une quatrième année d'internat.
M. François Braun, ministre. - Au sujet de la gouvernance de l'hôpital, après avoir rédigé un premier rapport, le professeur Claris en a écrit un second à ma demande, afin d'établir rapidement un bilan du premier. Les questions de gouvernance et de médicalisation de la gouvernance restent en effet prégnantes dans l'ensemble des établissements. Le second rapport recommande donc de s'assurer que les mesures retenues dans le premier rapport ont bien été mises en application. J'ai demandé aux ARS de le vérifier.
Médicaliser la gouvernance consiste à améliorer le lien entre médecins et directeur d'établissement dans une logique, non plus seulement d'offre de soins - ce qui correspond à un raisonnement financier -, mais de réponse aux besoins de la population en matière de santé - ce qui correspond à une approche beaucoup plus médicale.
Pour autant, il faut être réaliste : d'une part, nous avons besoin des médecins auprès des patients ; d'autre part, nous ne disposons pas d'un vivier suffisant de médecins expérimentés qui souhaiteraient s'orienter davantage vers un rôle de gouvernance, lequel peut s'avérer extrêmement prenant. J'en ai discuté avec les présidents de CME : leurs occupations sont déjà nombreuses. C'est pourquoi je préfère progresser par paliers : faire d'abord le point de ce qui existe puis, à la suite du rapport qu'Olivier Claris et Nadiège Baille, ancienne directrice du centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, m'ont remis, mettre en place avant la fin de l'année le contrat de gouvernance entre les présidents de CME et les directeurs d'établissement. Le contrat de gouvernance répartira les responsabilités des uns et des autres. Il sera tous les ans soumis à l'évaluation du conseil de surveillance de l'établissement.
En arrière-plan de la mesure, nous mettons en place des formations destinées aux médecins que le « management » d'établissements intéresse. Je n'entends pas pour autant susciter dès le début de leur formation une vocation de manageur. Il s'agit plutôt de s'appuyer dans un premier temps sur l'expérience de médecins cliniciens pour participer à le gestion des établissements. Des formations existent déjà, au sein de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, de certaines facultés, ou encore à Sciences Po Lille. Elles forment les médecins au « management » et à la complexité de l'hôpital, en particulier à son financement.
Nous pouvons nous fixer un objectif à cinq ans pour affecter plus de médecins à des postes de gouvernance dans les établissements ; mais toujours, comme dans toutes les politiques que je conduis, en favorisant l'engagement à l'échelle d'un territoire. S'agit-il d'une priorité ? Oui, en se donnant le temps de la mettre en place, parce qu'elle contribue au passage d'une logique d'offre de soins à la réponse aux besoins de santé de la population, notre solution pour surmonter les difficultés présentes.
Comme n'importe quel autre mode de financement, la T2A n'est pas mauvaise en soi. Le problème tient à ce que tout mode de financement conduit, au bout d'un certain temps, à des dérives, qui le rendent inadapté. La T2A correspond à un mode de financement qui s'appuie sur l'offre de soins, mais nullement à la transformation que le Gouvernement conduit dans le sens d'une réponse aux besoins de santé de la population.
Nous avons versé une dotation globale de (DG) à tous les établissements publics et privés non lucratifs jusqu'à ce que l'on découvre que certains d'entre eux travaillaient de moins en moins mais gagnaient toujours plus d'argent quand d'autres, au contraire, devaient ou voulaient travailler davantage mais n'y parvenaient plus, faute de moyens financiers. Les prix de la journée d'hospitalisation ont entraîné une autre dérive qui s'est accentuée avec la T2A, celle d'établissements qui commençaient à sélectionner leurs patients ou les activités en fonction des prix de journée les plus intéressants.
La T2A est issue du grand programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), importé par Jean de Kervasdoué des États-Unis et qui permet de classer les patients dans des groupes homogènes de malades (GHM) correspondant à un coût à peu près unique. Je rappelle que ce système prenait pour référence l'accouchement normal, qui équivalait à 1 000 points. La valeur du point changeait selon le budget dont l'hôpital disposait, ce qui ne permettait guère d'avoir une vision à long terme. La T2A a accentué des dérives concurrentielles entre établissements publics eux-mêmes et entre établissements publics et privés, avec des groupes homogènes de séjour (GHS) et des GHM plus « rentables » que d'autres.
De mon expérience de l'hôpital, je garde le souvenir de réunions absurdes entre la direction et les chefs de pôle, au cours desquelles on nous présentait des diagrammes de parts de marché. Concurrentiel, ce système concentrait les efforts sur des activités rentables et négligeait celles qui l'étaient beaucoup moins. Dans l'est de la Moselle par exemple, on trouvait plus de chirurgiens capables de poser une prothèse de hanche que de pneumologues aptes à soigner les pathologies respiratoires liées à l'amiante ou consécutives aux travaux des mines. Ceci est tout à fait contraire à la politique que je mène.
Des prémices de nouveaux objectifs apparaissaient néanmoins déjà avec la T2A. On commençait en effet à parler de qualité, de parcours et de financements dédiés. Clairement, l'idée est d'aller plus loin. Il s'agit non pas de renoncer à la T2A, mais de sortir du tout-T2A. Les premiers jalons seront dans le PLFSS, selon trois axes.
Le premier consiste en un compartiment de financement à la mission. Il sera le financement socle d'activités comme la maternité ou la réanimation. Il s'apparente à un financement populationnel. Les financements des missions d'intérêt général y seront intégrés. Avec la gradation des soins, il contribuera à redonner du sens à l'hôpital de proximité. Un financement spécifique sera consacré à ceux des établissements qui, bien qu'indispensables à la réponse aux besoins de santé d'un secteur médical, n'ont pas une activité suffisante pour leur permettre de persister dans ce secteur.
Un deuxième compartiment financera des objectifs de santé publique. Nous y retrouverons l'incitation financière à l'amélioration de la qualité (Ifaq), simplifiée et stabilisée, des objectifs territoriaux de santé publique, dont la permanence des soins et le partage de sa pénibilité entre établissements publics et privés. À titre d'exemple, si dans un même secteur géographique, un établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic), une clinique privée et un hôpital public comptent tous les trois, sans que l'activité le justifie véritablement, un service de chirurgie vasculaire avec chacun deux spécialistes, la permanence des soins repose exclusivement sur l'hôpital public, soit sur deux chirurgiens qui travaillent un jour sur deux de garde. C'est, à tous points de vue, déraisonnable. Il s'agit de dire que, à l'échelle de ce territoire, le besoin existe d'une garde de chirurgie vasculaire et que les six chirurgiens y participeront.
Un dernier compartiment reste consacré au financement à l'activité. Certaines activités particulières, extrêmement onéreuses, nécessitent en effet un financement spécifique.
Cela s'apparente à une extension à l'ensemble de l'hôpital du modèle qui fonctionne depuis deux ans pour les urgences.
Les travaux sur le prochain Ondam sont en cours. Cet Ondam sera particulièrement intéressant, avec un choix affiché du Président de la République et du Gouvernement de définir la santé comme une priorité, avec un premier budget hors covid-19, mais difficile en raison de l'augmentation continue des dépenses inhérente au vieillissement de la population, au coût des médicaments et à l'inflation qui touchera encore l'année prochaine nos établissements. Pour appuyer la politique de santé, il me faudra trouver des marges de manoeuvre. J'y travaille.
Ces marges de manoeuvre répondront non pas à la volonté de réaliser des économies, mais à une logique de santé publique. Vous évoquiez l'antibiorésistance ; elle constitue typiquement pour moi un objectif de santé publique. Diminuer les prescriptions d'antibiotiques - dont nous sommes en France plus fortement prescripteurs que nos voisins européens - représente concomitamment un bien pour la santé publique et un gain pour nos finances, c'est-à-dire l'occasion d'une marge de manoeuvre tant pour l'hôpital que pour la ville. Autre exemple, nous lançons à la rentrée prochaine le nouveau plan de lutte contre le tabac. Le tabagisme reste un fléau, avec 75 000 morts par an. Les pathologies liées au tabac représentent un coût de 1 milliard d'euros pour la sécurité sociale. Quoi qu'on en dise, ce qui marche le mieux pour diminuer le nombre des fumeurs et, par conséquent, celui des malades, c'est d'augmenter le prix du paquet de cigarettes. Je porte ainsi la volonté d'une augmentation progressive de ce prix dans les années qui viennent, avec une harmonisation des taxes sur tous les produits du tabac et de la nicotine. On peut jouer sur les mots, mais j'estime pour ma part que la nicotine est effectivement un produit du tabac ; je souhaite d'ailleurs, à titre préventif, interdire les puffs, ces cigarettes parfumées à usage unique.
À quelles cibles seront destinées les marges de manoeuvre que nous voulons ménager ? Je citerai l'attractivité des métiers et surtout de nos établissements, la reconnaissance de la pénibilité du travail de nuit et le week-end, que notre société post-covid accepte de moins en moins alors que des professions de santé n'y échappent pas, la lutte contre les pénuries de médicaments - et pas seulement à l'échelle française comme le souligne le rapport de la commission d'enquête sénatoriale adopté le 4 juillet dernier -, la politique de prévention, autour de laquelle doit enfin s'axer le système de santé.
J'ajoute que l'augmentation structurelle de l'Ondam avoisine 2,6 %. L'objectif, c'est évident, consiste à aller au-delà.
Vous parlez d'un déficit des établissements d'environ 1 milliard d'euros. Je confirme qu'il est de cet ordre.
Quant à la vacance de 30 % des postes, je pense que la réponse tient dans la politique d'attractivité que nous entendons mener.
En ce qui concerne la ville, j'assume une part des responsabilités dans le fait que les négociations de la nouvelle convention médicale n'aient pas abouti. Sans doute, d'autres discussions devant l'Assemblée nationale ont-elles perturbé l'état d'esprit des médecins généralistes, pourtant particulièrement ouverts à une évolution de leur profession, y compris dans son mode de financement. Je continue bien entendu à discuter avec leurs représentants. Nous nous sommes donné un objectif commun de rouvrir les négociations conventionnelles lorsque nous serons sûrs qu'elles aboutiront. Bien qu'il ne satisfasse personne - ni les généralistes ni le ministère de la santé et de la prévention -, le règlement arbitral en vigueur nous donne deux ans pour y parvenir. Je souhaite évidemment réengager les négociations avant cette échéance. À ce stade, nous sommes globalement d'accord sur la cible à atteindre ; nous discutons encore du chemin pour l'atteindre, mais je reste optimiste sur ce point.
Une réforme de notre système de santé est essentielle et nous nous accordons sur le fait que nous ne saurions nous en tenir à la situation actuelle. Il y a deux façons de s'y prendre : construire pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, un grand projet de loi de santé ou profiter de l'ensemble des vecteurs législatifs pour marquer des jalons dans le sens que nous voulons. C'est pour l'instant cette seconde voie que je privilégie. Les discussions que nous avons eues au Parlement, vos votes, m'invitent à penser qu'elle est la bonne. Si elle est peut-être moins visible, elle nous permettra d'avancer plus vite.
Un mot sur la liste des 450 médicaments essentiels. Alors que l'on a pour la première fois demandé à plus de 400 professionnels de terrain, de quasiment toutes les sociétés savantes, de donner leur avis, d'avoir une méthodologie de classement tout à fait transparente en classant les médicaments selon deux critères - un critère sur l'aspect indispensable du médicament et un critère sur la fréquence de son utilisation -, la liste qu'ils ont dressée essuie d'ores et déjà la critique. Je crois qu'il faut avancer pas à pas. On parle de cette liste de médicaments essentiels depuis plusieurs années. Après les Américains et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous parvenons à notre tour à en obtenir une, conforme à la logique européenne de lutte contre les pénuries.
Je comprends qu'on puisse s'étonner du contenu de cette liste, par exemple de la présence du gel utilisé pour les échographies. Cependant, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) classe effectivement ce produit comme un médicament. Faute de gel, on ne ferait plus d'échographie. J'assume donc le fait qu'il figure sur la liste. Certains soulignent aussi qu'elle comprend plusieurs médicaments d'une même classe thérapeutique, par exemple les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Les professionnels de santé ont reconnu la nécessité de maintenir des IPP. Or, vu le volume d'IPP prescrits, n'en garder qu'un seul dans la liste ne permettrait pas à l'entreprise qui le produit de le fournir en quantité suffisante. C'est pourquoi, très pragmatiquement, il a paru préférable d'en inscrire plusieurs. Je veux continuer à déployer cette approche de terrain, qui est celle du CNR.
Comme je m'y étais engagé, nous progressons sur les rendez-vous de prévention. C'est loin d'être simple et je pensais avancer plus vite. Mais ils se mettront en place le 1er octobre prochain, très probablement sur une seule classe d'âge jusqu'à la fin de l'année, puis en se généralisant aux trois classes d'âge prévues à partir du 1er janvier 2024. Plusieurs enjeux les concernent. Il s'agit d'abord que les professionnels de santé y adhèrent pleinement, puis que nos concitoyens s'y rendent, enfin qu'ils ouvrent sur un parcours de santé et des prises en charge. Ces rendez-vous de prévention rejoignent nos efforts en matière de sport-santé, pour lequel Amélie Oudéa-Castéra, Jean-Christophe Combe et moi-même avons lancé la mission Delandre. Celle-ci vient de nous remettre des conclusions qui nous conduiront, en principe le 14 septembre prochain, à annoncer des engagements forts sur une politique interministérielle de sport-santé. Une telle politique alimentera, comme le plan obésité ou le plan de lutte contre le tabac, les parcours mis en place à l'issue des rendez-vous de prévention.
La quatrième année du diplôme d'études spécialisées (DES) de médecine générale a été décidée, ainsi que son programme. Sa nouveauté tient à un mode spécifique de financement pour l'activité libérale. Les docteurs juniors en médecine générale percevront, outre une rémunération salariée comme l'ensemble des docteurs juniors, une rémunération en fonction des actes qu'ils réaliseront, dans la limite d'un plafond défini à 4 500 euros, afin de ne pas accuser d'écart par rapport aux autres spécialités.
La formation des maîtres de stage universitaires (MSU) a donné lieu à un important flottement sur le rôle des uns et des autres, entre l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) et des syndicats qui disposent de leurs propres organismes de formation. Nous avons besoin de maîtres de stage universitaires, particulièrement dans les déserts médicaux, et je vous invite à vous y faire les ambassadeurs auprès des généralistes pour qu'ils le deviennent. En 2026, des docteurs juniors seront affectés en zones sous-dotées. Fin juin, nous avons informé l'ANDPC de l'augmentation de son budget et de la nécessité qu'elle forme en trois ans suffisamment de maîtres de stage universitaires de médecine générale pour arriver à un effectif d'à peu près 15 000 à 16 000 praticiens.
M. Bernard Jomier. - J'irai plus loin sur la question fondamentale que vous a posée Corinne Imbert : quelles évolutions législatives estimez-vous nécessaires pour notre système de santé dans l'année qui s'ouvre ? Le débat sur un grand projet de loi de santé me laisse plutôt indifférent. La vraie question tient à la direction que doit prendre l'évolution de notre système de santé.
Le nombre important de propositions de loi ne vous a pas échappé. Nous ne nous plaçons pas dans une opposition systématique et avons par exemple voté conjointement avec la majorité au Sénat la dernière proposition de loi Rist. Pour autant, nous restons dubitatifs sur les évolutions du système de santé. Demain se tiendra au Sénat un colloque coorganisé par plusieurs associations d'élus, dont l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) ou Élus, santé publique et territoires (ESPT), et des sociétés savantes comme la société française de santé publique (SFSP), sur le thème « Collectivités territoriales et santé : le temps des compétences ». Sur ce sujet, vous vous êtes contenté de nous dire que vous vous félicitiez de la parution d'une circulaire qui ouvre une dérogation aux ARS. C'est là de la verticalité descendante de l'État. Or une véritable territorialisation de la santé renvoie nécessairement aux collectivités territoriales et aux acteurs locaux de la santé, dans une dynamique ascendante.
Estimez-vous ou non que le cadre législatif actuel est satisfaisant ? J'aimerais que vous approfondissiez la réponse que vous avez commencé à donner à Corinne Imbert.
Par ailleurs, notre système de santé se caractérise par un phénomène de financiarisation doublé d'un phénomène d'ubérisation, avec les dérives que cela emporte. À votre avis, disposons-nous des outils pour y répondre ? Dans l'affirmative, je trouve bien faible la réponse de l'État ; dans le cas contraire, attendez-vous que nous adoptions de nouvelles dispositions pour lutter contre ce phénomène ?
M. Laurent Burgoa. - Le cannabis à usage médical fait depuis deux ans l'objet d'une expérimentation. Prolongée d'une année supplémentaire par la dernière LFSS, l'expérimentation parviendra à son terme le 30 mars 2024. Sa généralisation sera-t-elle inscrite au prochain PLFSS ? Dans l'affirmative, à quelles conditions ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Des mesures exceptionnelles, notamment en matière de revalorisation des gardes et des astreintes, ont été consenties aux hôpitaux publics, qui traversent une crise profonde et ne sont pas encore tirés d'affaire. Le secteur hospitalier privé non lucratif, qui concourt aussi au service public de l'hôpital et assure des urgences, n'est pas, sur ce terrain, à égalité. Il attend toujours un alignement de ses charges sociales et fiscales sur le régime de l'hôpital public. Sa demande ne paraît pas extravagante. Les établissements associatifs mutualistes subissent encore plus profondément la crise et sont peu à peu rachetés partout en France par de grands groupes privés commerciaux. Dans le territoire dont je suis élu, le Rhône, la clinique mutualiste Les Portes du Sud à Feyzin, qui a un service de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et des urgences, ainsi que l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui lui est rattaché, ont dû demander leur placement en redressement judiciaire. À Lyon, un centre de santé mutualiste menace de fermer. Chaque fois, le risque de reprise par le secteur privé commercial se précise. Quelles mesures conjoncturelles et structurelles comptez-vous prendre pour protéger ce tiers secteur ?
Ma deuxième question porte sur les inquiétudes relatives aux simulations de l'impact financier de la réforme de financement des soins médicaux et de réadaptation (SMR) et de la psychiatrie. Elle inquiète, pour des raisons différentes d'ailleurs, le secteur public et le secteur privé commercial. On nous avait dit que cette réforme était neutre, c'est-à-dire qu'il y aurait 80 % de gagnants et uniquement 20 % de perdants, ceux qui étaient en enveloppe ouverte et qui, depuis des années, créaient de facto de nouvelles places.
Nous en sommes à la troisième évaluation. Une quatrième évaluation est-elle en cours ? Sera-t-elle plus satisfaisante, en particulier pour le secteur public ? Vous le savez, le secteur public, contraint par une enveloppe fermée, souffre aujourd'hui des retards cumulés de financement des SMR et de la psychiatrie. À l'inverse, le secteur privé, financé à l'acte, avec une enveloppe ouverte, a créé 80 % des nouvelles places ou a repris les places d'un secteur public asphyxié. Cela a à voir avec le phénomène de financiarisation qui a été évoqué.
Enfin, une question subsidiaire sur les marges de manoeuvre dont vous avez parlé à propos de la lutte contre le tabac : à quand une lutte équivalente contre l'alcool ?
Mme Corinne Féret. - Monsieur le ministre, je souhaite également vous interroger sur la situation de la psychiatrie en France et plus précisément dans le département dont je suis élue, le Calvados.
La psychiatrie est le parent pauvre de notre système de santé et, en 2017 déjà, la ministre de la santé reconnaissait qu'elle avait fait l'objet d'un abandon. Année après année, la LFSS n'apporte aucune réponse susceptible d'améliorer la situation de ce secteur. Les personnels exercent leur métier dans des conditions difficiles que la crise de la covid-19 n'a fait qu'aggraver. Avec cette crise, la détérioration de la santé mentale des enfants s'est accentuée, de même que le manque d'accompagnement de leurs parents. Les files d'attente s'allongent dans les centres médico-psychologiques et les centres médico-psycho-pédagogiques alors qu'au même moment, partout, des lits, voire des unités entières, ferment, à tel point que la prise en charge même des patients suscite de l'inquiétude.
Je vous parle du Calvados, car, à l'établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, les équipes ne cessent d'alerter sur le manque de personnel, les fermetures de lits, le manque de financements. Elles ont participé au mouvement de grève du 3 juillet dernier et elles demandent plus de moyens et une véritable reconnaissance de leur métier et de leur engagement quotidien auprès de tous ceux qui ont besoin de leurs services, en particulier dans le secteur public.
Quelles mesures entendez-vous prendre pour améliorer une situation qui n'est plus acceptable en 2023 ?
M. François Braun, ministre. - Concernant, tout d'abord, la territorialisation et la manière dont on peut la rendre plus visible, je suis intimement convaincu que les solutions doivent être mises en place au niveau des territoires. Elles doivent l'être selon une logique non pas descendante mais ascendante.
La logique ascendante correspond à celle des CNR en santé, dont je reste un fervent défenseur en dépit de tout ce qui a pu être dit à leur sujet. En effet, ils représentent exactement ce que je souhaite faire en matière de santé, c'est-à-dire territorialiser les réponses. Cela veut dire étudier ce qui fonctionne dans les territoires - permanence des soins, prise en charge des patients sans médecin traitant, psychiatrie -, et les innovations y sont nombreuses, puis rendre ces innovations visibles dès lors qu'elles fonctionnent, ce qui nous place dans une logique ascendante. Enfin, nous les mettons à la disposition de l'ensemble des territoires : c'est la logique descendante, ou la deuxième phase du CNR, celle au cours de laquelle ces fameux outils sont mis à la disposition de tous, pour avancer.
L'ARS, qui représente les territoires, n'est pas là pour faire les choses à leur place ; son rôle est plutôt d'aider chaque territoire à mettre en oeuvre des solutions. La solution est ainsi construite selon cette logique CNR, entre les professionnels de santé, les citoyens et les élus, au sein de chaque territoire.
Pour répondre à ces enjeux, il existe des contrats territoriaux de santé - qui ont d'ailleurs une composante psychiatrique - mais c'est une coquille vide : ils sont peu utilisés et on n'y retrouve pas tout le monde. Ainsi, je ne pense pas qu'il faille prendre de nouvelles mesures législatives : puisque ces contrats territoriaux de santé existent, je les englobe dans la logique des CNR et c'est à leur échelon que la politique sera construite, que les idées seront remontées et le budget nécessaire alloué. À ce propos, j'ai mis 30 millions d'euros de côté dans le cadre du fonds d'intervention régional (FIR), pour favoriser justement le lancement des projets et déployer ce qui fonctionne bien. C'est dans cette logique continue - ascendante puis descendante - du CNR que des décisions sont prises à l'échelon national. En somme, le pouvoir de dérogation des ARS s'exerce, certes, dans un sens descendant, mais il naît d'une demande des territoires.
Par exemple, le déploiement de 100 médicobus dans les territoires les plus en difficulté, que la Première ministre a annoncé, correspond à un dispositif existant que j'ai vu fonctionner, dont on peut tirer un mode d'emploi et qui peut être étendu ailleurs avec l'aide de l'État.
Le principe du guichet unique est un autre sujet à l'échelle des territoires, également issu des CNR et intégré à la loi Rist. S'il concernait jusqu'à présent l'installation des médecins dans les territoires, nous l'étendons désormais à leur maintien. Il s'agit d'un point d'entrée unique pour le professionnel de santé, où ce dernier retrouvera le conseil départemental, le conseil régional, la caisse primaire d'assurance maladie et l'ARS. Ce guichet unique mettra à sa disposition l'ensemble des aides et des soutiens nécessaires à son installation dans les territoires. Pour définir, à partir de ce qui existe, le modèle à déployer dans cette logique de guichet unique, j'ai confié une mission au député Jean-François Rousset.
Ainsi, nous avons les outils. Il faut simplement leur donner corps.
Pour terminer sur la territorialisation, je souligne l'importance de la proposition de loi Valletoux concernant la logique de permanence des soins et sa territorialisation, la reconnaissance de l'échelon des territoires de santé dans le cadre du CNR et dans le cadre territorial. Tout cela est contenu dans cette proposition de loi, qui a été adoptée à l'Assemblée et que je vous inviterai à voter très prochainement afin d'avancer dans le sens de la régionalisation.
À propos de la financiarisation et de l'ubérisation de la santé, la proposition de loi Valletoux prévoit le contrôle des comptes des cliniques. Vous faites sans doute allusion aussi au groupe Ramsay et à la polémique autour de l'offre de prétendues téléconsultations avec des médecins sur abonnement au prix de 14 euros. Je suis rassuré de savoir que seules 30 personnes sont abonnées : les Français ont su faire la différence entre téléconsultation et simple conseil médical. Le prochain PLFSS sera l'occasion de discuter des limites de la téléconsultation afin d'éviter toute dérive.
Une autre dérive se dessine autour des centres de soins non programmés, des structures ouvertes de 8 heures à 19 heures, fermées le samedi et le dimanche, et, donc, la nuit. Certains sont financés par des fonds régionaux ; c'est le cas notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes, où ils fonctionnent de 10 heures à 20 heures, 7 jours sur 7, répondant ainsi au besoin de santé de la population. Je lance une mission au deuxième semestre de l'année pour y voir plus clair sur leur modèle économique. Il n'est pas concevable que ces structures ne participent pas à la permanence des soins : si elles souhaitent persister, elles devront le faire.
Concernant le cannabis thérapeutique, la fin de l'expérimentation est effectivement prévue en mars 2024 après un prolongement d'un an en l'absence des 3 000 cas indispensables pour tirer des conclusions. À l'issue de cette phase, nous nous dirigerons vers une évaluation du produit par la HAS. Comme d'autres pays nous ayant précédés sur la question, nous pourrions considérer que le cannabis thérapeutique peut entrer dans la pharmacopée. Réponse en 2024, dans le respect des procédures de reconnaissance d'un produit comme médicament.
Au sujet de la problématique de l'hôpital et, en particulier, celle des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), c'est-à-dire ce qui touche à la revalorisation des gardes et des astreintes, ou encore au plan d'attractivité des personnels non médicaux et des personnels médicaux, les Espic sont effectivement concernés par les mesures qui seront prises, y compris par les mesures portant sur la fonction publique hospitalière. Ils sont concernés au même titre que les établissements publics, car c'est aussi cela la logique de droits et de devoirs : on a les mêmes droits dès lors que l'on répond aux mêmes devoirs. C'est particulièrement vrai sur la question de la permanence des soins.
Concernant la problématique des charges sociales, des travaux sont en cours dans le cadre de la réforme du financement, je n'ai donc pas encore de conclusions à vous donner.
La clinique de Vénissieux, que vous avez évoquée, recherche activement un repreneur, d'après l'ARS, mais je n'en sais pas plus.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Un repreneur privé serait un problème.
M. François Braun, ministre. - Notre système de santé fonctionne sur ses deux jambes. Il a besoin d'équilibre pour avancer. Entre les deux, il y a les participants au service public hospitalier (PSPH)...
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est justement cette jambe qui est écrasée.
M. François Braun, ministre. - Dans mes réflexions, j'intègre bien les PSPH au cadre public.
Concernant à présent le financement des soins de suite et réadaptation (SSR), la réforme est entrée en application le 1er juillet 2023. C'est, d'un point de vue financier, une réforme à blanc en 2024 - des établissements gagnent un peu d'argent, d'autres en perdent -, avant une montée progressive entre 2025 et 2027. Une difficulté a été identifiée entre le SSR polyvalent et les SSR très spécialisés. Par rapport au SSR d'orthopédie-traumatologie, par exemple, le SSR de neurologie est beaucoup plus lourd. À ma demande, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) travaille avec les professionnels de santé pour revaloriser la rééducation neurologique, qui est un enjeu majeur compte tenu des pathologies neuro-vasculaires.
Concernant la lutte contre l'alcool, l'idée de taxes comportementales fait partie des réflexions. Elles pourraient également s'appliquer à la question des jeux en ligne, mais je ne peux pas vous en dire plus : nous en discuterons dans le cadre du prochain PLFSS.
Concernant la psychiatrie, il est évident qu'il y a une difficulté. Par rapport à l'ensemble des filières de soins, il faut quand même reconnaître que les chiffres ne sont pas si mauvais : nous avons 15 500 psychiatres en France, dont 1 500 psychiatres libéraux exclusifs, ce qui nous place au-delà de la moyenne européenne, en quatrième position parmi les 27 pays de l'Union européenne en densité de psychiatres. Cela représente 20 psychiatres pour 100 000 habitants. Par ailleurs, nous comptons 59 000 infirmiers psychiatriques principalement concentrés dans les hôpitaux.
Ces données chiffrées pourraient être rassurantes, car elles constituent une réponse, mais, quand on entre dans le détail, c'est effectivement plus inquiétant. Notre préoccupation va avant tout à la répartition des psychiatres sur nos 600 établissements psychiatriques. Elle concerne aussi le manque d'attractivité de ces métiers, particulièrement dans le domaine de la pédopsychiatrie, aujourd'hui sinistrée. Les jeunes ne s'inscrivent plus dans les filières psychiatriques pour deux raisons. D'une part, en libéral, l'activité n'est pas valorisée. Dans ce secteur, en effet, deux spécialités ont un revenu inférieur à celui des médecins généralistes : les pédiatres et les psychiatres. D'autre part, en milieu hospitalier, les conditions d'exercice sont difficiles. Les impératifs administratifs liés à l'hospitalisation sous contrainte ou tout ce qui concerne les contentions sont lourds. Des solutions sont sur la table pour redonner du temps aux professionnels et limiter au strict nécessaire toutes les tâches bureaucratiques ou administratives.
Toutefois, des solutions fonctionnent. Je pense à MonSoutienPsy, qui enregistrera bientôt 600 000 consultations, aux Maisons des adolescents, qui ont maintenant essaimé dans tous les départements avec une prise en charge de 100 000 adolescents et autant de familles, au secourisme en santé mentale déployé déjà très largement avec 43 000 secouristes et, enfin, aux infirmières en pratique avancée (IPA), un dispositif qui se déploie encore insuffisamment mais dont la Cour des comptes suggère d'augmenter l'importance. Je travaille donc à une réforme complète de la formation du métier d'infirmière.
Les enjeux de la psychiatrie dépassent donc ceux de l'hospitalisation sous contrainte. La vraie question est celle de l'attractivité de cette profession ainsi que de la meilleure répartition des psychiatres et des unités psychiatriques sur notre territoire.
Mme Pascale Gruny. - Ma première question porte sur les données de santé et, plus précisément, d'une part, sur la disponibilité des données de santé auprès de la plateforme de stockage, le Health Data hub, avec un sujet sur l'hébergement viable sécurisé, et, d'autre part, sur la gestion encore assurée par la caisse nationale d'assurance maladie, qui conduit parfois à rendre disponibles les données pour des projets de recherche bénéficiant de l'aval du comité d'éthique et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) dans un délai de plus de dix-huit mois.
Ma deuxième question porte sur la bronchiolite. Les Assises de la pédiatrie ont-elles permis d'avancer sur le sujet ?
J'ai également une remarque au sujet du stage effectué au cours de la quatrième année de médecine. En raison de la configuration géographique de nos départements, certains territoires sont enclavés dans d'autres et, par le fait, sont oubliés dans la répartition des stagiaires.
Par ailleurs, avez-vous prévu de travailler sur un texte prenant en compte la prévention santé dans la fonction publique ?
Mme Laurence Cohen. - Les urgentistes franciliens ont menacé de transférer d'office les patients sévères vers les hôpitaux psychiatriques de leur secteur au bout de quarante-huit heures. Selon le professeur Antoine Pelissolo, chef de service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor dans le département dont je suis élue, il y a un an, 150 patients psychiatriques avaient passé quarante-huit heures aux urgences. Aujourd'hui, c'est le double, avec 300 patients qui restent sur des brancards de contention entre 3 et 7 jours.
La cellule régionale d'appui à la recherche de lits d'hospitalisation croule sous les appels, notamment dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis. En un an, les urgentistes de l'hôpital Henri-Mondor ont sollicité cette cellule 516 fois, l'hôpital du Kremlin-Bicêtre 208 fois. Par comparaison, les urgentistes de la Pitié Salpêtrière l'ont appelée 11 fois. La solution proposée par l'ARS n'en est pas une, car la cellule régionale, en ne tenant plus compte du secteur, peut imposer un patient en surnombre, ce qui est une vraie catastrophe. J'aimerais savoir ce que vous comptez faire par rapport à cette situation dramatique.
Ma deuxième question porte sur l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps). Quand vous avez été entendu par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments, je vous ai signalé que 40 à 50 équivalents temps plein (ETP) étaient menacés au sein de l'Ageps. Vous deviez revenir vers moi sur ce sujet. Avez-vous aujourd'hui des éléments à partager avec nous ?
Concernant la pénurie de médicaments, je vous demande de nous recevoir, la présidente de la commission d'enquête et moi-même, pour que nous vous donnions des détails sur le rapport que nous avons produit.
Concernant, enfin, l'établissement de la liste des médicaments essentiels, il semble que la méthode d'élaboration ne fasse pas l'unanimité, notamment auprès de la HAS. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme Michelle Meunier. - Monsieur le ministre, ma question se situe à la limite de votre portefeuille : elle concerne la sécurité numérique. Comme vous le savez, on assiste depuis quelque temps à des piratages contre des centres hospitaliers. Quand les attaquants comprennent qu'ils n'obtiendront pas d'argent, ils n'hésitent plus désormais à divulguer des gigaoctets de contenus sensibles sur les données de santé. Comment pensez-vous pouvoir aider les hôpitaux, en France, à se doter de systèmes de sécurité informatique capables de lutter contre ces cyberattaques ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je m'inquiète aussi de la dérive marchande de notre système de santé et je voudrais vous interpeller sur les centres de soins non programmés qui prolifèrent en ce moment. Mon attention a été appelée sur le cas du CHU de Toulouse, car 70 % des urgences sont aujourd'hui orientées vers l'hôpital public, contre 2 % à 3 % pour le secteur privé. Bien entendu, les urgences les plus graves sont envoyées à l'hôpital public, qui se trouve de plus en plus étouffé.
Par ailleurs, nombre d'urgentistes sont allés chercher dans les CNSP des conditions plus confortables d'exercice de leur métier. Ces centres fonctionnent effectivement de 8 heures à 20 heures, mais jamais la nuit ni le week-end. Que va-t-on faire de ces centres ? Va-t-on, comme vous le dites, les obliger à participer au moins aux tours de garde ?
Comment éviter, en outre, le rachat des centres de soins primaires, qui fonctionnent aujourd'hui avec les médecins libéraux et la Croix-Rouge et qui pourraient être « ubérisés » demain ? La recherche du bénéfice à tout prix, dans l'accès à la santé, est quelque chose qui doit nous inquiéter.
M. François Braun, ministre. - Concernant, tout d'abord, MonSoutienPsy; je vous confirme les données de juin 2023, qui font état de 585 839 consultations prises par 131 127 patients. En effet, seuls 2 300 psychologues y prennent part, ce qui est très largement insuffisant. J'en discuterai avec eux, mais, vous le savez, les psychologues ne sont pas des professionnels de santé ; ils n'ont, par conséquent, pas accès aux dossiers médicaux, ce qui est indispensable pour prendre en charge, en premiers secours, des patients psychiatriques.
Concernant la disponibilité des données de santé, je rappelle qu'elles sont essentielles pour répondre aux besoins de santé de la population, depuis le diagnostic initial jusqu'à l'évaluation des mesures que nous mettons en place.
Notre principe est celui d'un hébergement souverain de ces données. C'est l'objectif donné par le Président de la République. Il faut le faire en France et, à tout le moins, à l'échelon européen. Nous avons beaucoup de données de santé disponibles dans notre pays : nous devons les rendre cohérentes, notamment en les croisant avec celle du Health Data Hub, ou entrepôt de données de santé, pour en tirer la substantifique moelle. Je lie cet enjeu à celui, tout à fait majeur, de Mon espace santé, ce carnet de santé numérique pour l'ensemble de nos concitoyens. Je souhaite, d'ailleurs, le rattacher à notre politique de prévention, car il est un outil de suivi précieux sur le temps long, je pense par exemple à l'obésité de l'enfant qui peut être étudiée sur une durée de vingt ans.
Sur le cas de Reims, nous verrons cela prochainement avec le doyen de l'UFR de médecine de l'université, Mme Pham.
Concernant la prévention de la santé dans la fonction publique, et plus précisément la santé des soignants, j'en ai confié la mission à Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. Le rapport n'est pas encore finalisé. Des questionnaires ont été envoyés puis remplis par environ 50 000 soignants : leur analyse est en cours.
L'enjeu sur la sécurité des soignants est grand lui aussi. J'attends les résultats d'un audit sur la sécurité demandé à tous les établissements de santé.
Concernant la psychiatrie en Île-de-France, j'ai effectivement été alerté de cette situation compliquée. Néanmoins, je ne désapprouve pas le droit de dérogation dont disposent les ARS. Lorsqu'un secteur est saturé, il est bon de sortir de ce secteur pour se diriger vers un autre, susceptible lui d'accueillir les patients. De ce point de vue, la plateforme de régulation régionale qui a été mise en place est une bonne chose. Sans doute faut-il la doter de plus de moyens. Elle répond à cette logique territoriale dont je parlais tout à l'heure, particulièrement utile pour l'aval des services d'urgences d'une façon générale.
Concernant l'Ageps, d'après mes informations, il n'y a pas de menace de suppression d'emplois. Nous menons une réflexion sur l'évolution de ses activités, une réflexion liée, comme vous le savez, à la question des pénuries de médicaments.
Mme Laurence Cohen. - Ainsi, depuis notre commission d'enquête, aucune suite n'a été donnée au projet de suppression d'emplois ? Nous servons donc à quelque chose...
M. François Braun, ministre. - À propos des pénuries de médicaments, je vous accueille dès que possible, bien entendu. Je suis extrêmement attentif à ce sujet. C'est d'ailleurs une politique qui est menée à l'échelon européen et, dans ce cadre, la France soutient une proposition belge sur la lutte contre les pénuries comportant quatre axes : le premier porte sur la solidarité européenne ou sur la possibilité d'aider les pays en difficulté sur certains produits ; le deuxième porte sur la souveraineté européenne à la production des principes actifs ; le troisième porte sur la transparence en matière de production des produits de santé, notamment sur les questions de prix ; et le quatrième porte sur l'élaboration d'une liste de médicaments essentiels à l'échelon européen.
Vous m'interrogiez sur ce dernier point et, je le répète, même si la HAS n'a pas été consultée pour l'élaboration de la liste française, la méthodologie me satisfait, car la parole a été donnée de manière équilibrée à la fois aux professionnels de terrain et aux experts.
La question sur les cyberattaques vient à propos. J'étais ce matin à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui, depuis hier 19 heures, a lancé dans deux de ses établissements, et pendant vingt-quatre heures, un exercice d'une ampleur inégalée en France. Il illustre notre stratégie sur le risque cyber. Outre le respect des mesures barrières et la conduite d'audits, elle consiste, de concert avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), à sensibiliser les établissements aux bonnes pratiques et aux bons réflexes à adopter en cas d'attaque. Tous les établissements identifiés comme essentiels ont déjà réalisé un exercice cette année et en feront d'autres. Nous mettons, davantage encore, l'accent sur les établissements les plus directement concernés par l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Il s'agit de se préparer au mieux à d'éventuelles attaques, dont nous avons mesuré le danger qu'elles représentent au cours de l'été 2022.
La dernière attaque en date, à Rennes, a très vite été bloquée. C'est ce vers quoi nous devons tendre, face à un risque qui s'accroît. Sans entrer dans les détails des diverses attaques survenues, leurs causes tiennent principalement soit à des mises à jour qui ne sont pas effectuées en temps et en heure sur des failles pourtant identifiées, soit à l'ouverture de pièces jointes de courriels.
Je termine avec la dérive marchande. Oui, les centres de soins immédiats non programmés qui s'installent devront participer à la permanence des soins. C'est, comme je vous le disais, un principe de droits et de devoirs, et je m'en fixe l'objectif. J'attends néanmoins une évaluation du modèle financier de ces services, qui sont souvent une porte d'entrée pour des établissements privés. Non rentables en tant que tels, parce que le simple paiement à l'acte ne suffit pas à garantir leur équilibre, ils sollicitent le financement public attribué aux urgences. Ils devront donc rendre des comptes.
Quand, à Toulouse, des services privés ne prennent en charge que 4 %, semble-t-il, des urgences, nous sommes confrontés à un vrai problème de régulation médicale et d'orientation. Des initiatives à Lyon, que j'avais dupliquées à Metz, consistaient à réunir l'ensemble des acteurs locaux autour d'une même table et à leur demander quel type de patients ils prenaient. Ma réflexion sur la permanence territoriale des soins nous conduit ainsi à redéfinir les secteurs, à identifier qui répond aux besoins et à nous mettre collectivement d'accord sur la répartition des patients.
Dans les services d'urgence privés et les centres de soins immédiats non programmés, les urgentistes ne gagnent pas mieux leur vie ; ils bénéficient simplement de meilleures conditions de travail, puisqu'ils ne travaillent plus la nuit ni le week-end. Désormais, ils devront participer à l'effort global et travailler la nuit et le week-end.
M. Alain Milon. - Pour avoir eu l'honneur de rapporter toutes les grandes lois de santé depuis la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, je pense que des lois de ce type sont le meilleur moyen d'éluder les difficultés. Avant le vote de la loi HPST, l'Assemblée nationale avait traité des ARS le dernier jour, entre minuit et deux heures du matin. Avant celui de la loi santé que Marisol Touraine portait, nous n'avions consacré que deux heures à l'examen de dispositifs aussi importants que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ou les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en raison de sujets parasites tels que les taxes sur le tabac et l'alcool, qui nous avaient mobilisés plus d'une journée. Je vous rejoins donc sans réserve quand il s'agit de dire que les grandes lois sont la meilleure façon de parasiter les transformations majeures à mettre en place...
Je vous rejoins encore sur l'importance de l'effort de territorialisation et de proximité du soin. Cependant, je m'inquiète de l'attitude de l'État qui consiste, lors qu'il va vers les territoires, à solliciter le financement des collectivités pour ses propres réalisations et, en cas de refus, à refuser à son tour le sien. Attention donc à la manière dont nous allons demander aux collectivités territoriales de financer les maisons de santé, les CPTS, les hôpitaux locaux, etc. C'est un danger que nous avions déjà rencontré dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) et que nous avions essayé de limiter par l'instauration de conditions inspirées des lois de décentralisation de 1983 en matière d'éducation nationale.
Je rejoins par ailleurs Bernard Jomier sur le constat d'une financiarisation et d'une ubérisation de la santé. Quoiqu'on fasse d'intéressant et d'utile sur la réorganisation du financement de la santé, il faudra revenir à des questions d'ordre général et national relatives à la répartition des financements et des paiements entre l'assurance maladie et les mutuelles. La commission des affaires sociales en a discuté avec la Cour des comptes : la France dépense 250 milliards d'euros par an pour la santé de ses concitoyens, mais elle les dépense certainement mal ; comment mieux employer ces dépenses ?
Monsieur le ministre, la question extrêmement technique que je souhaite vous poser sur les soins sans consentement ne requiert pas de réponse immédiate ; il s'agit en fait d'une question écrite que je vous avais adressée il y a deux mois et à laquelle je n'ai reçu aucune réponse. La division du contrôle et des questions du Sénat m'a autorisé à la poser de nouveau. Je vous la renverrai donc en vous demandant, cette fois-ci, une réponse écrite.
Mme Laurence Rossignol. - J'ai deux questions et un cadeau pour le ministre !
Quel est votre point de vue sur les différentes propositions de loi qui visent à supprimer l'aide médicale d'État pour lui substituer une aide d'urgence ?
Au sujet des IPA, qui interviennent en psychiatrie, avez-vous veillé à ce que leur rémunération ne soit pas supérieure à celle des psychologues cliniciens qui exercent au sein de l'hôpital public ? J'attire votre attention sur le fait que le niveau de salaire d'embauche de ces derniers demeure très bas. Or, si je vous entends bien, le secteur de la psychiatrie entend s'appuyer aussi sur leurs compétences, mais encore faudrait-il leur proposer des salaires corrects.
Quant au cadeau, je me déplace pour vous l'apporter : il s'agit du rapport d'information que la délégation au droit des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes vient de produire sur la santé des femmes au travail.
M. François Braun, ministre. - Je vous remercie, madame la sénatrice.
Mme Laurence Rossignol. - J'imagine qu'un membre de votre cabinet le regardera...
M. François Braun, ministre. - Mais moi aussi !
Mme Laurence Rossignol. - Vous y trouverez des propositions qui concernent autant la santé que le travail.
Mme Nadia Sollogoub. - Je suis élue dans la Nièvre. À Nevers, l'hôpital public se porte particulièrement mal et nous sommes heureux de pouvoir compter aussi sur une clinique privée. J'apprécie donc de vous entendre dire que le système de santé prend appui sur les deux secteurs, le public et le privé. Pourtant, ce dernier n'est appelé à participer aux GHT ni aux conseils territoriaux de santé (CTS). Un déséquilibre manifeste apparaît dans nos travaux. On a l'impression que, plutôt que d'être complémentaires, ces deux secteurs se livrent sur le terrain à une forme de concurrence, en particulier dans le recrutement des infirmières.
Je me réjouis que nous ayons abordé le sujet des maîtres de stage universitaires en médecine générale. Pour ma part, je demande systématiquement à tous les médecins généralistes de mon département s'ils en exercent bien les fonctions. Ils me répondent en général qu'ils doivent se rendre à Dijon pour se former, ce qui s'avère extrêmement compliqué pour eux, qui sont déjà débordés. Par ailleurs, si les maîtres de stage ont tous vocation à avoir un stagiaire avec l'instauration d'une quatrième année, nombre d'entre eux n'en ont pas pour l'instant. Enfin, au sujet des crédits de formation, un changement, me semble-t-il, est intervenu : désormais, quand les médecins généralistes se forment à la maîtrise de stage, la formation s'impute sur leur crédit global de formation, de sorte qu'il leur faut choisir...
M. François Braun, ministre. - Non, ils ont un quota.
Mme Nadia Sollogoub. - C'est ce que l'on m'avait rapporté...
J'en viens aux praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Nous tenons tous au maintien de l'excellent niveau de formation de nos médecins et il ne s'agit pas d'accepter n'importe qui, n'importe comment. Néanmoins, si une différence s'impose entre les médecins en provenance d'États extérieurs à l'Union européenne et ceux qui résident en France de longue date, qui en connaissent le système de santé et en maîtrisent la langue, on leur prescrit parfois certaines choses impossibles à réaliser : notamment des formations dans lesquelles aucune place n'est disponible ou qui, parce qu'elles s'organisent en plusieurs sessions, les privent trop longtemps de ressources.
Je crois que 100 millions d'euros étaient consacrés au covid long. Cette somme a-t-elle suffi à la prise en charge correcte des très nombreux malades que leur affection soumet à de grandes difficultés ? Vous avez évoqué un premier budget hors covid-19, mais il me semble au contraire que nous nous inscrirons désormais toujours dans des budgets covid-19 ; ne perdons pas de vue les covid longs.
Mme Annie Le Houerou. - Je me réjouis d'entendre que la contribution à la permanence de soins sera mieux répartie. Je pense que cette nouvelle répartition apporte l'une des réponses à l'urgence de la situation. Nous assistons en effet à une fuite des médecins des hôpitaux qui rejoignent les centres de soins non programmés et à l'organisation de deux circuits parallèles. La première raison en tient à la permanence des soins.
Ma question concerne votre politique de suspension des maternités. Je souhaite connaître votre avis sur les maternités de niveau 1 : suivez-vous les recommandations du rapport Yves Ville ?
Pour avoir participé à plusieurs conseils d'administration d'établissements de santé psychiatrique, je puis vous dire que l'inquiétude prévaut dans ce secteur sur l'application d'un critère de financement populationnel, en raison de sa très grande complexité.
Vous avez parlé de libérer les initiatives territoriales. La formation onéreuse du personnel paramédical - kinésithérapeutes, ergothérapeutes, infirmières - relève de la compétence des régions. Or celles-ci ne disposent à ce jour pas de la capacité financière pour l'assurer et répondre aux besoins de santé. L'accompagnement des étudiants eux-mêmes reste difficile et beaucoup d'entre eux se retrouvent en situation de précarité.
Pour assurer leur fonctionnement, un certain nombre d'établissements, notamment des hôpitaux de proximité, recourent largement aux Padhue. Cette année, quelque 800 d'entre eux se portent candidats à la régularisation, pour une vingtaine de places seulement. Autant dire que c'est presque « Mission : impossible », alors que, au bord de la rupture, notre système de santé a besoin de leurs services.
En matière de prévention, la caisse primaire d'assurance maladie nous invite aimablement par courrier à ne pas omettre certaines consultations de dépistage. Or, passé cette information, je constate que dans mon département, aucun service médical de consultation ne peut proposer de rendez-vous avant un délai d'un an. C'est un scandale !
Mme Brigitte Devésa. - Je vous remercie de toutes vos réponses, monsieur le ministre. Je souhaite pour ma part vous poser une question sur les médecins exclus du Ségur de la santé, dont les dispositions ont été étendues par décret en 2022 à tout le personnel soignant. Or la loi de finances rectificative pour 2022 qui portait cette mesure n'a pas transformé la prime Ségur des médecins en complément de traitement indiciaire.
J'ai été interpellée en outre par les médecins de la protection maternelle et infantile de mon département, car on observe une aggravation de l'état de santé des enfants, pour lesquels la prévention et le repérage médical précoce sont essentiels. Du reste, les médecins m'ont également alertée sur la difficulté de recruter dans ce domaine.
Si vous ne pouvez me répondre dans l'immédiat, je le comprendrai.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, notre commission doit adopter la semaine prochaine un rapport d'information sur les données de santé. Par ailleurs, nous aurons sans doute à étudier la question des Padhue au cours de la prochaine session.
M. François Braun, ministre. - Monsieur Milon, si je vous ai bien compris, si je vous présente un grand projet de loi de santé, ce sera que je veux cacher quelque chose ; je serai donc prudent...
Sur l'ubérisation, terme employé à plusieurs reprises, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, si j'ose dire. Il y a aussi un aspect de l'ubérisation qui fonctionne très bien : c'est Entr'Actes, outil utilisé par les professionnels de santé d'une CPTS. Par exemple, si un médecin généraliste a besoin d'un scanner dans les vingt-quatre heures pour l'un de ses patients, il peut demander cet acte via l'application et les radiologues connectés qui ont un créneau disponible proposent leurs services. On entend souvent l'ubérisation en mauvaise part, mais il y a aussi des aspects positifs, qu'il convient de conserver.
Monsieur Milon, je veux profiter de votre question pour vous présenter mes excuses pour mon délai de réponse à votre question écrite, d'autant que le raccourcissement de nos délais de réponse est un objectif fixé par la Première ministre. Vous le savez, mes services sont ceux qui reçoivent le plus de questions écrites - c'est colossal -, alors que leurs effectifs sont en grande tension. Nous faisons le maximum, nous avons rattrapé quelques mois de retard, mais il reste des délais et je suis le premier gêné, quand je signe un courrier, de voir la date de la question...
Madame Rossignol, vous me posez la question de l'AME. Ma position à ce sujet est claire : ce dispositif, tel qu'il existe, me paraît très bon et il faut le préserver. L'augmentation du coût global de l'AME n'est nullement liée à l'augmentation du coût moyen par bénéficiaire de l'AME, il est directement lié au nombre de bénéficiaires. Il n'y a donc pas de dérive. C'est un coût important en volume mais très faible comparativement au budget global de la santé. Enfin, c'est une nécessité non seulement de santé publique, évidemment - cela évite les contagions, donc les épidémies, en cas de maladie infectieuse -, mais aussi d'humanisme ; or notre système de santé est humaniste et doit le rester.
Sur la rémunération des IPA par rapport aux psychologues cliniciens, il n'y a pas de lien évident entre les deux : ils n'ont pas fait les mêmes études et n'ont pas les mêmes modes d'exercice, puisque les psychologues cliniciens ont 30 % de leur activité préservée pour faire de la formation. Bref, c'est difficilement comparable en l'état. Néanmoins, je cherche à ce que les personnes travaillant dans le domaine de la santé soient rémunérées le mieux et le plus justement possible par rapport à leur valeur. Je suis très attentif à la situation des psychologues cliniciens, mais leurs conditions d'exercice sont tellement différentes de celles des IPA que la comparaison m'est difficile.
Concernant la formation des maîtres de stage universitaires, je vous confirme, madame Sollogoub, que ces temps de formation sont hors quota, donc il n'y a pas de choix à faire entre l'encadrement d'un stagiaire et une autre formation. C'est le cas depuis plus d'un an, donc il faut que les médecins l'aient bien en tête. En outre, ils bénéficient de toutes sortes de formations différentes, assurées le cas échéant par des organismes rattachés à leur syndicat professionnel. La gamme est donc très large et ils n'ont pas besoin de se rendre chaque fois à Dijon ou ailleurs. Ils doivent négocier avec leurs partenaires syndicaux pour avoir des formations locales, cela semble largement atteignable.
En ce qui concerne les Padhue, il faut d'abord se réjouir d'avoir résorbé le stock d'un peu plus de 3 000 personnes qui attendaient depuis très longtemps.
Le principe de ce statut repose sur l'obtention d'un examen d'évaluation des compétences générales en médecine et la validation éventuelle de la spécialité. Pour celle-ci, il y a des jurys par spécialité, portés par le conseil de l'ordre et auxquels participent des professionnels de santé - je l'ai fait pendant plusieurs années pour la médecine d'urgence - ainsi qu'un représentant du ministre de la santé. À l'issue du parcours de la personne, ce jury définit des moyens complémentaires, selon qu'il est ou non nécessaire de compléter la formation ; cela peut aller d'un stage de six mois à une formation complémentaire de trois ans, selon le parcours du titulaire. C'est donc un dispositif adapté aux compétences professionnelles. La proposition de loi déposée par M. Valletoux permet, d'une part, de faciliter et d'accélérer les procédures actuelles et, d'autre part, d'introduire le « passeport talents » pour les professionnels de santé - médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes. Grâce à ce titre, qui existe déjà pour les chercheurs, un médecin qui signerait un contrat avec un établissement français avant de venir dans notre pays pourrait demeurer treize mois sur le territoire national et, en cas de réussite à son examen à l'issue de cette période, pourrait bénéficier d'un visa de quatre ans avec la possibilité de faire venir sa famille. C'est la question du salaire minimum qui justifie un distinguo entre le « passeport talents » des professionnels de santé et celui des chercheurs. Environ 2500 praticiens devraient réussir l'examen cette année.
S'agissant de la prévention et l'aval, vous avez raison. Je ne veux pas de réponse ponctuelle mais la mise en place de parcours clairement identifiés pour les trois âges clés de la vie, ce qui prend du temps. Nous devrions être prêts au 1er octobre pour la première tranche d'âge identifiée. Il faut définir la façon dont on prévient les personnes concernées, comment on les oriente vers les professionnels idoines, comment on construit l'aval derrière.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Quelle sera la première tranche d'âge ciblée ?
M. François Braun, ministre. - Même si l'arbitrage n'est pas définitif, cela devrait être la tranche 45-50 ans. En tout cas, on ne peut pas démarrer avec les trois tranches d'un coup pour de multiples raisons, notamment de communication.
Pour ce qui concerne les médecins de PMI, j'ai transmis votre remarque au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, qui a la main sur ce sujet.
S'agissant des maternités, je rappelle que le rapport de M. Yves Ville a été rédigé pour l'Académie de médecine et non pour le ministère. Si ses préconisations ne me lient donc pas, je reconnais qu'il est très bien fait et pose les vrais problèmes. Pendant des années, on a « garroté » l'hôpital - et donc les maternités - pour des raisons financières. Il en résulte une pénurie de professionnels susceptible de mettre en danger les femmes et les enfants au moment de l'accouchement. Une maternité doit disposer de trois types de spécialistes - le pédiatre, le gynécologue-obstétricien et l'anesthésiste - en permanence, y compris la nuit et le week-end, ce qui est une énorme difficulté. Ma responsabilité en tant que ministre est d'assurer la sécurité des femmes qui accouchent, ce qui n'est pas possible dans les établissements ne pouvant assurer la continuité, 24 heures sur 24, des trois spécialités dont j'ai parlé. Je ne veux pas davantage participer aux dérives de l'intérim ayant permis à certains professionnels d'être rémunérés 500 000 euros par an en maternité.
Nous devons donc nous réorganiser dans une logique territoriale. L'acte même de l'accouchement est à haut risque : s'il se passe bien dans 98 % des cas, il peut conduire à des conséquences dramatiques, pour la mère comme pour l'enfant, en cas de complications s'il n'y a pas le plateau technique adéquat. Comme le souligne Yves Ville, la période critique, à sécuriser à tout prix, se termine environ trois heures après l'accouchement. Au-delà, il n'y a plus de risques liés à l'acte d'accouchement. Ce délai semble très court mais je signale qu'à Mayotte, les femmes quittent la maternité à la quatrième heure et sont prises en charge dans des centres de soins.
Dès lors, l'expérimentation de clinique territoriale que nous mettons en place à Autun consiste à ne toucher ni à la structure ni au personnel de la maternité d'Autun qui continue de prendre en charge les parturientes avant l'accouchement, les femmes sont ensuite transférées au besoin au moyen de consultations avancées au Creusot, qui dispose d'un plateau technique complet, pour l'accouchement lui-même en ambulance avec une sage-femme, avant un retour dans les douze heures après l'accouchement à la maternité d'Autun qui assure la suite des soins. On arrive ainsi à sécuriser l'accouchement sans déstructurer le territoire. De toute façon, je le répète, nous n'avons pas le nombre de professionnels suffisant pour assurer un maillage complet.
Mme Annie Le Houerou. - On peut avoir la volonté d'atteindre ce nombre...
M. François Braun, ministre. - Nous avons cette volonté mais il s'agit de perspectives à dix ans puisque les sages-femmes n'assureront pas les accouchements les plus compliqués et que nous ne transformerons pas les chirurgiens esthétiques en gynécologues-obstétriciens.
Aux élus de terrain que vous êtes, je veux dire que je pense sincèrement qu'on ne peut plus tout faire partout parce que la médecine devient de plus en plus spécialisée et parce que les actes sont de plus en plus techniques. Il s'agit d'un principe ancien, qui se reflétait déjà quand, il y a vingt ans, on a dit qu'il fallait rapprocher les patients victimes d'un infarctus d'un plateau de coronarographie avant de revenir dans son établissement de départ 48 heures plus tard. Cela a fait réagir au début mais n'est désormais plus contesté par personne - et on a ainsi fait chuter la mortalité de façon remarquable.
Mais je ne veux en aucun cas dévitaliser les territoires. Parlant avec une collègue présidente de la CME d'un établissement situé dans une vallée de montagne qui craignait les conséquences du départ à la retraite de son chirurgien orthopédiste, je lui ai fait observer les risques qu'il y avait de ne disposer que d'un seul chirurgien. Ce qu'il convient de faire, c'est de continuer à organiser les consultations dans l'hôpital de proximité, éventuellement en téléconsultation pour l'anesthésie, au grand établissement situé plus loin pour l'acte lui-même avant un retour à l'établissement de proximité pour les suites de soins et la rééducation. C'est ce que nous devons construire demain. À défaut, vous me reprocheriez légitimement la hausse de la mortalité liées à certains actes. Nous devons être pragmatiques dans cette organisation - dans une logique de soins et non financière, les établissements de proximité devant d'ailleurs être sécurisés dans leur budget.
Mme Catherine Deroche, présidente. - C'est l'éternelle difficulté de concilier qualité et proximité. Nous avons tous des exemples à l'esprit. Dans un récent colloque au Sénat que j'ai parrainé sur les relations soignants - patients, a été soulignée l'importance de la prise en charge de la femme au moment de l'accouchement et plus particulièrement l'importante corrélation entre dépression post-partum et, bien plus tard, suicide des adolescents. À mon sens, la qualité de cette prise en charge devrait être un critère pris en compte en matière de financement des établissements.
Merci, Monsieur le ministre, d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Source https://www.senat.fr, le 24 juillet 2023