Texte intégral
JÉRÔME CADET
Bonjour Christophe BECHU.
CHRISTOPHE BECHU
Bonjour Jérôme CADET.
JEROME CADET
Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, merci d’être avec nous ce matin. Christophe BECHU, ce mois de juillet sera le plus chaud jamais enregistré sur Terre estime l’ONU, son secrétaire général, Antonio GUTERRES, dit que notre planète est entrée désormais dans l’ère de l’ébullition, vous revenez d’Inde où s’est tenu la semaine dernière le sommet du G20 des ministres de l’Environnement des 20 pays les plus industrialisés de la planète, et rien, pas d’accord sur le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025 malgré les alertes, c’est désespérant non ?
CHRISTOPHE BECHU
A certains égards ça l’est, et je peux vous assurer que, franchement, le sentiment d'amertume, presque d'écoeurement, devant l'impossibilité de se mettre d'accord à 20 pays, dans un contexte diplomatique, quand on voyait ce qui se passait à l'extérieur, dans le monde réel, vous l'avez dit, les records de température, la chaleur des océans qui est en train d'être documentée, les méga feux au Canada, et un blocage de la part de certains pays, refusant de parler ouvertement de charbon, refusant de parler ouvertement de la fin d’énergies fossiles, refusant de parler de pics d'émissions, et s'abritant, ou derrière des arguments de mauvaise foi, " ici ce n’est pas la COP et donc on n’est pas là pour prendre des engagements nouveaux ", ou derrière des prétextes pour diluer, pour retarder, pour rajouter une virgule, avec un décalage insupportable, et avec l'actualité, et avec ce que disent les scientifiques du GIEC, mais pas seulement.
JEROME CADET
De quels pays parle-t-on, Russie, Chine, Arabie saoudite ?
CHRISTOPHE BECHU
Exactement, le tiercé peut se faire dans plusieurs ordres, mais à la fin c'est bien ça, avec des refus, ou parce que ces pays sont eux-mêmes fortement producteurs, ou parce qu'ils ont des stratégiques de désalignement d'un point de vue géopolitique qui consistent à essayer de d'éviter qu’on ait des consensus internationaux, mais vraiment, je peux vous dire que pour les autres pays qui étaient là, y compris d’ailleurs pour l'Inde, qui a plutôt été aidante en faisant en sorte de prendre des engagements, il y a un sentiment de décalage par rapport à la réalité, d'impossibilité expliquer ce qui peut se passer dans une enceinte de ce type. Il y a une seule bonne nouvelle, si vous permettez Jérôme CADET, parce que quand même, et la bonne nouvelle c'est que sur la partie biodiversité, lutte contre la pollution plastique, là on a des conclusions inédites avec une prise de conscience de la nécessité de se mobiliser, qui n'existait pas auparavant.
JEROME CADET
Mais pendant ce temps-là la planète se réchauffe et à grande vitesse, les Chinois et les Saoudiens auraient même, selon le journal " Financial Times ", expliqué que le G20 n'était plus le bon cadre pour parler de réchauffement climatique, un autre participant décrit des tactiques de destruction du débat jamais vues, est-ce que vous parleriez de retour en arrière ?
CHRISTOPHE BECHU
Ce qui est très juste c’est qu’on a eu droit à " ici ce n’est pas la COP »", et on sent que pour une partie de ces pays l'enjeu ce n’était pas seulement de ne pas arriver à un accord, c'était qu'il n'y ait plus de COP, c’était qu’il n’y ait plus de G20, consacrés aux questions climatiques, comme si c'était une manière de dire que finalement le climat ça commence à bien faire et que si on a déjà une réunion par an c'est largement suffisant, alors que c'est le défi auquel on est tous confrontés et qui emporte tous les autres, économique, démographique, social, et donc on ne peut pas juste détourner le regard quand ça arrange certains.
JEROME CADET
Quand ces pays producteurs de pétrole et de gaz vous disent " tant qu'il y aura de la demande il continuera à y avoir de la production ", qu'est-ce que vous répondez, on l'achète nous ce gaz et ce pétrole ?
CHRISTOPHE BECHU
Mais, vous savez c'est exactement l'histoire de l’oeuf et de la poule, c'est-à-dire qu'à un moment, regardez le débat qu'on a sur la fin des voitures thermiques, avec des gens qui vous disent " on prend des risques pour notre industrie, vous vous rendez compte, on va faire en sorte de… ", si à un moment on ne décide pas de sortir de cette dépendance aux énergies fossiles on ira toujours trouver des justifications pour aller faire des nouveaux forages, pour aller continuer à extraire une partie de ce pétrole ou de ce gaz, alors que nous savons que c’est la première cause de réchauffement et que ce réchauffement est en train de produire un dérèglement généralisé de tout ce qui fait la vie sur Terre.
JEROME CADET
On peut tenir ce discours quand on a une compagnie française, TotalEnergies, qui précisément va faire des nouveaux forages ?
CHRISTOPHE BECHU
Je dirais que non seulement on peut, mais qu'on doit le faire.
JEROME CADET
Mais c'est contradictoire.
CHRISTOPHE BECHU
Mais, on parle de transition, ce que je suis en train d'expliquer c'est que précisément, si on veut sortir de cette dépendance, il faut qu'on assume des décisions qui consistent à sortir de la voiture thermique, à assumer un calendrier qui nous permet de diminuer la part de chauffage gaz, ça ne va pas se faire en claquant des doigts…
JEROME CADET
Mais est-ce que vous pouvez dire aux Saoudiens " arrêtez de faire des nouveaux forages ", quand nous-mêmes on a une compagnie nationale qui va en faire de nouveaux ?
CHRISTOPHE BECHU
Votre compagnie nationale dont vous parlez, vous savez qu'elle fait une part absolument faible désormais de son chiffre d'affaires en France et qu’elle est devenue mondiale, et que le fameux projet dont vous parlez il se fait à la demande des autorités locales dans un contexte malheureusement plus complexe…
JEROME CADET
En Ouganda, en Afrique.
CHRISTOPHE BECHU
Il n’y a plus aucun financement, il n'y a plus aucune assurance, il n'y a plus aucun crédit, de quelque sorte que ce soit, qui nous conduit aujourd'hui à soutenir de l'exploration fossile, quel que soit l'endroit dans le monde, mais la cohérence elle est d'abord chez nous d'accentuer notre propre baisse et de faire en sorte d'assumer la sortie des énergies fossiles, c'est à ce prix qu'on pourra ensuite faire en sorte d’aller…
JEROME CADET
Donc chacun chez soi, chacun ses responsabilités nationales ?
CHRISTOPHE BECHU
Non, c’est, on a besoin d'engagements internationaux, mais on ne peut pas s'abriter derrière les engagements internationaux pour ne pas faire d'efforts chez soi, ou pire, dire tant que les autres ne font pas d'efforts, je ne commence pas à en faire.
JEROME CADET
Chez nous, Christophe BECHU, l’actualité c'est la sécheresse qui touche de nombreuses régions, vous étiez hier dans le département de l'Hérault, est-ce que le mois de juillet pluvieux qu'on a vécu sur une partie du pays change la donne, où est-ce qu'on en est de l'état des nappes ?
CHRISTOPHE BECHU
Ce n’est malheureusement pas parce qu'il pleut qu'on n'a pas de problème de sécheresse, de la même manière que ce n’est pas parce que les températures sont plus basses que les normales pendant quelques jours qu'il n’y a pas de dérèglement climatique, et c'est plus compliqué à expliquer, j’ai bien conscience aujourd'hui, avec la météo sur toute une partie de la France, que ce n’est pas simple, mais on a 62% des nappes de ce pays qui sont en dessous des normales de saison et on en a 20% qui sont très basses, avec, en particulier, sur le pourtour méditerranéen, du côté de la vallée du Rhône et du Saône, une sécheresse l'été dernier qui nous a laissé des nappes vides et pas suffisamment de pluie pendant ce qu'on appelle la période de recharge. Les pluies d'été, les pluies de juin, c'est bien parce que ça permet de recharger un tout petit peu les milieux, mais il y en a beaucoup qui est absorbé par la végétation, parce qu'elle a soif, et il y en a beaucoup qui part en évapotranspiration, donc ce sont des pluies sont moins utiles que celles qu'on a pendant l'automne et pendant l'hiver. Donc, on a besoin d'être attentif, on a en ce moment dépassé le cap des 100 communes privées d'eau potable, sur une partie de ce pourtour méditerranéen…
JEROME CADET
Ça fait combien d’habitants ?
CHRISTOPHE BECHU
Un peu moins de 30.000 habitants quand on les additionne.
JEROME CADET
30.000 Français qui avaient de l'eau potable il y a quelques mois et qui ne l'ont plus aujourd'hui ?
CHRISTOPHE BECHU
Oui des gens qui avaient déjà des problèmes de l'été dernier, ou certains, je pense par exemple dans l'Hérault, c'est pour ça que j'y étais hier, qui n'avaient pas de problèmes l'année dernière, mais qui ont cette année, parce que précisément faute de pluie on s'est retrouvé avec des forages qui sont passés à sec et avec des travaux d'interconnexion, qui sont à conduire, mais qui ne l’ont pas été.
JEROME CADET
C’est un chiffre qui risque de grossir dans les semaines qui viennent ?
CHRISTOPHE BECHU
On est évidemment très vigilant, ce chiffre il avait dépassé les 700 l'été dernier dans le contexte que nous connaissons, ce sont 500 travaux de sécurisation, d'interconnexions de réseaux que le gouvernement a lancés en septembre dernier après l'été record qu'on a vécu, donc je pense qu'on sera à un niveau moins élevé, mais on aura certainement à nouveau beaucoup de communes concernées par des coupures ponctuelles ou temporaires comme c'est le cas.
JEROME CADET
On parle de l'eau Christophe BECHU, il y a en ce moment près de Bordeaux un projet de surf park, ce serait le premier en France, 20.000 mètres cubes d'eau pour surfer sur une vague artificielle, la ville de Canéjan a accordé le permis de construire, mais plusieurs associations ont déposé hier un recours, elles mettent en cause la consommation excessive d'eau, qu'est-ce que vous pensez de ce projet ?
CHRISTOPHE BECHU
J’en ai pris connaissance hier précisément puisqu’il y a eu un peu d'actualité médiatique sur tout ça, c'est un projet qui à ce stade n'a pas reçu un aval de l'Etat, vous l'avez dit, il a été validé par une municipalité sur le plan local, avec des promoteurs qui disent que ce n'est que de l'eau de pluie et des opposants qui disent en substance que, quand même, faire à 50 kilomètres du large un projet qui pourrait, si j'ai bien compris, brasser jusqu'à l'équivalent d'une centaine de piscines olympiques par an, que ce soit d'un point de vue énergétique ou d'un point de vue eau, ça interroge, le ministère va évidemment regarder le sujet.
JEROME CADET
Ça ne vous parait pas pertinent ?
CHRISTOPHE BECHU
A la minute c’est compliqué sur la base de 24 heures, si vous voulez, de recul, et de deux articles lus dans la presse, de vous donner un avis…
JEROME CADET
Mais des interrogations de votre côté si je comprends bien.
CHRISTOPHE BECHU
Les articles de presse soulèvent des interrogations qui me semblent légitime de la part du ministère de la Transition écologique, en tout cas du ministre que je suis.
JEROME CADET
L’actualité de ce 1er août c'est aussi la fin du ticket de caisse, obligatoire aujourd'hui, désormais les tickets de caisse ne sont plus distribués automatiquement, il faut les demander, tout cela pour lutter contre le gaspillage, est-ce que vous encourager les Français à ne plus demander ces tickets de caisse ?
CHRISTOPHE BECHU
C’est effectivement la fin du ticket de caisse, et juste, quand même, pour vous donner deux chiffres, 30 milliards, c’est le nombre de tickets qu’on imprime, et 90 , c’est le nombre de tickets qui sont imprégnés par du bisphénol qui est un perturbateur endocrinien, donc c’est à la fois un geste écologique de bon sens, même si, dans un certain nombre de cas, en particulier pour avoir une garantie, pour pouvoir avoir un justificatif, on peut toujours continuer à le demander, mais le geste écologique c’est évidemment de ne pas le demander et ça permet d’économiser des milliards de facturettes qui sont autant de consommation d’eau et d’énergie.
JEROME CADET
Comment on vérifie qu’il n’y a pas d’erreur dans l’addition, ce qui est quand même très régulièrement le cas, et c’est douloureux pour les Français, y compris en cette période d’inflation ?
CHRISTOPHE BECHU
C’est la raison pour laquelle on a repoussé cette date, et je le redis, celui qui veut garder son ticket de caisse il peut le demander, ce qui est aujourd’hui nouveau c’est qu’il n’y a plus l’obligation pour le commerçant de l’imprimer, donc ça avait déjà été devancé dans un certain nombre de commerces, si vous souhaitez vérifier ça peut se faire sur le terminal numérique, quand vous êtes dans un restaurant, avant que ça se termine vous pouvez simplement demander à ce qu’on vous imprime le ticket, mais si on a déjà la moitié des gens qui arrêtent de le demander c’est 15 milliards de tickets que nous économiserons.
JEROME CADET
Christophe BECHU, il m’est arrivé de vous lire dans " Le Journal du Dimanche ", ses journalistes sont en grève depuis 40 jours maintenant, ils protestent contre la nomination d’un proche d’Eric ZEMMOUR à la tête de la rédaction, Geoffroy LEJEUNE, qui prend ses fonctions aujourd’hui, est-ce que vous les soutenez ?
CHRISTOPHE BECHU
On a eu, j’ai eu l’occasion, d’être directement interpellé et de dire que je considère que la position d’un membre du gouvernement ne peut pas être de s’exprimer dans un conflit de nature éditoriale ou de ligne. Je comprends leur émotion, je suis frappé, je pense comme beaucoup de Français, et pas seulement comme les journalistes, par la constance de leur opposition à cette arrivée, parce que c’est assez rare de tenir 40 jours et d’avoir des taux de grévistes qui se maintiennent entre 95 et 100%, pour autant, au nom de la séparation des pouvoirs le gouvernement ne peut pas nommer ou décider qui va prendre la tête de tel ou tel journal, ce serait particulièrement choquant.
JEROME CADET
Vous pourriez répondre à une interview du " JDD " dans les prochaines semaines, dirigé par Geoffroy LEJEUNE ?
CHRISTOPHE BECHU
Ecoutez, j’adore faire de la politique fiction, je dois dire que le début du mois d’août se prête sans doute aussi à ce genre d’exercice estival, mais je répondrai à cette question le jour où elle me sera posée.
JEROME CADET
Merci à vous Christophe BECHU, invité de France Inter ce matin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
CHRISTOPHE BECHU
Merci Jérôme CADET.
JEROME CADET
Très bonne journée à vous.
Source : Service d’information du Gouvernement, le 2 août 2023