Texte intégral
JOURNALISTE
Votre invité ce matin, Lionel, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, secrétaire d'Etat chargée de la Ville.
LIONEL GOUGELOT
Bonjour Sabrina AGRESTI-ROUBACHE.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Bonjour Lionel, bonjour à vous deux.
LIONEL GOUGELOT
Bienvenue sur Europe 1. Vous êtes bienvenue dans les studios d'Europe 1. Vous faites partie, si j'ai bien compris, des ministres du Gouvernement qui ne prennent pas de vacances, surtout après la période de tensions qu'ont connu beaucoup de quartier sensibles des grandes villes ou des villes moyennes, d'ailleurs, on va en reparler dans le cadre des émeutes le mois dernier. Vous avez chiffré à 1 milliard d'euros le bilan des dégâts provoqués par ces nuits de violences. Vous avez assuré que l'Etat sera aux côtés des élus pour réparer les dégâts. Comment, en quelques mots, concrètement ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Eh bien comment, on a fait quelque chose d'assez simple à l'Assemblée nationale, c'est que l'on a fait un PGL Reconstruction, donc un Projet de loi reconstruction, basé sur trois axes. Il fallait aller vite, pour permettre des solutions dérogatoires au droit commun, par exemple pour permettre aux maires qui ont été touchés sur des bâtiments publics, permettre aux écoles, permettre aux crèches, permettre aux centres sociaux d'être reconstruits rapidement. Mais si on passe par la phase appel d'offres, si on passe par la phase, on va dire, traditionnelle, ça va prendre des années.
LIONEL GOUGELOT
Ça va prendre des mois, oui, des années, oui.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Pas des mois, des années.
LIONEL GOUGELOT
Oui.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Donc on a permis, dans ce projet de loi, qui s'appelle Projet de loi reconstruction, ça a été fait en deux semaines, donc ça veut dire quand même quelque chose de notre capacité de réagir vite, à situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, par le droit, faire des choses dérogatoires, et leur permettre tout de suite, donc, déjà de fractionner, donc d'allotir, c'est ce que l'on appelle allotir, les appels d'offres, parce qu'il va falloir, ce sont des travaux publics, donc pour aller plus vite, donc ça veut dire découper les marchés, aller vite sur les marchés, c'est-à-dire ne plus avoir toutes les publicités, tout ce qu'on doit faire dans un appel d'offres classique, traditionnel. Donc ça c'est la première chose. Travailler avec les assureurs, c'est-à-dire demander tout de suite aux assureurs de prendre leur part sur des avances en trésorerie, parce que si, pareil, on prend un processus normal, ça prend des mois. Donc ça c'est la troisième chose. Et l'autre partie sur ce PJL reconstruction, c'est aussi de laisser les communes, donc les maires, décider de prioriser, de faire… c'est à leur main. C'est eux qui ont subi…
LIONEL GOUGELOT
Parce qu'elles ont une vision du terrain, une vision concrète de ce qui s'est passé, dans tel ou tel quartier.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument. Et ça a été très bien perçu. Alors, moi qui ai été 5 ans élue à la Chambre de commerce, on s'est beaucoup appuyé, donc Bruno LE MAIRE s'est beaucoup appuyé avec Olivia GREGOIRE, sur les réseaux consulaires, parce qu'on ne pense pas aux Chambres de commerce, mais c'est elles en réalité qui ont tous les liens avec les artisans et toutes les entreprises.
LIONEL GOUGELOT
Quelle lecture vous faites de ces événements, un mois après, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
La lecture, c'est qu'il y a une, comment dire, cette immense violence a été perçue très… les gens ont été choqués de ce qu'ils ont vu.
LIONEL GOUGELOT
Oui, bien sûr.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Moi je vous prends l'exemple de Marseille. Marseille, on n'a jamais été touché, ni par les émeutes, que ce soit en 98, je fais juste une digression marseillaise, c'est qu'en 98 quand on a un match contre l'Angleterre, où on a les hooligans sur le Vieux port, ce sont nous, c'est nous, moi, les jeunes des quartiers Nord, qui sont descendus sur le Vieux port pour prêter main forte aux forces de l'ordre, pour empêcher justement les hooligans de tout casser. Donc la lecture, c'est que les 13/18 ans ont été formatés beaucoup par les réseaux sociaux. Moi, je… en tout cas c'est ma lecture personnelle. Là où les petits Marseillais étaient à part, on va dire, on était une exception culturelle, on ne l'a plus, c'est-à-dire que les jeunes se ressemblent du Havre à Marseille, de Lyon en passant par Niort. Donc, la lecture c'est que déjà la déconnexion, parce que vous savez, ces jeunes sur les réseaux sociaux, et on l'a vu, puisque tout est passé par les réseaux sociaux, vous vous rappelez bien de l'idée de dire, à un moment donné « on coupe », c'est qu'ils ont été formatés mais ils sont dans une immense solitude avec les autres. La réalité c'est ça, c'est que l'on a une jeunesse qui se sent seule, et qui n'a pas la conscience de ce qu'elle fait. Et encore une fois, par rapport aux forces de l'ordre, par rapport à la police, qu'est-ce que m'ont dit les gens ? On veut plus de police et mieux de police. Et la lecture que je fais aussi, c'est que la demande, parce que c'est basique de dire « on veut du bleu ». Non, on veut une police plus proche, à côté de nous, mais parce que la police protège. Les mamans dans les quartiers, elles vous disent quoi, les parents ? Ils me disent : je préfère avoir affaire à la police, parce qu'elle nous protège, plutôt qu'à avoir affaire à des casseurs, violents, qui sont capables de faire n'importe quoi.
LIONEL GOUGELOT
C'est la raison pour laquelle votre secrétariat d'Etat à la Ville est rattaché au ministère de l'Intérieur…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Absolument.
LIONEL GOUGELOT
Ça veut dire qu'il faut aussi, que tout cela doit passer par la nécessité d'un retour à l'ordre plus affirmé ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Pas de retour à l'ordre. Comment vous voulez, enfin, comment vous voulez que le pays tienne et que notre République tienne s'il n'y a pas un retour à l'ordre ? L'ordre républicain c'est ce qui protège les gens. Pareil, vous savez, moi j'ai entendu beaucoup, moi qui viens de là, d'un quartier, je suis en visite officielle dans mon quartier, le quartier de mon enfance, c'est qu'on a fait une lecture très basique, oh mon dieu, rattachement à Gérald DARMANIN, donc au ministère de l'Intérieur, signifie autorité. Non, c'était une demande en fait de la population en disant, les politiques de la ville, vous voyez bien quand même, parfois le décalage et l'éloignement des uns et des autres, de la police envers les citoyens et des citoyens envers la police. Donc, rattacher les politiques de la ville, entre autres, au ministère de l'Intérieur, était une nécessité, c'était très…
LIONEL GOUGELOT
Parce que tout commence par-là, la sécurité, le calme…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
C'est tout ce que les gens vous demandent. Les gens, vous savez, ils ont trois sujets : la sécurité, le pouvoir d'achat et l'éducation. Donc vous savez c'est assez basique et j'ai un ministère très transversal justement, qui me permet de travailler avec tous les ministères, sans qu'aucun ministère se fasse concurrence.
LIONEL GOUGELOT
On a souvent tendance à réduire la politique de la ville, Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, à l'action dans les quartiers sensibles des grandes agglomérations. Est-ce que vous allez également orienter vos actions sur les quartiers des villes moyennes, celles qui connaissent aussi des difficultés ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Mais c'est la première, Lionel, c'est la première chose que j'ai dite, que ce soit en séminaire avec la Première ministre, ma première sortie médias c'était ça, c'était de dire : est-ce que vous pensez que les jeunes qui sont éloignés de tout, dans les petites villes, les villes moyennes, on l'a vu sur les violences urbaines qu'on a subies…
LIONEL GOUGELOT
Oui oui oui.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
… est moins malheureux qu'un jeune dans le 9.3 ou dans les quartiers Nord de Marseille ? Ce n'est pas vrai, la misère est la même de partout, la colère la même de partout …coupure son… pas uniquement à la ministre, des quartiers Nord de Marseille, des banlieues parisiennes, mais bien la ministre. La preuve, je fais beaucoup de déplacements dans des petites villes, dans les villes moyennes, et j'ai déjà vu villes et banlieues, par exemple tous les maires on s'est connecté, on a fait une visio, où je leur ai parlé et je leur ai tenu ce discours. Et en plus de ça, c'est là aussi où il y a beaucoup de demandes, c'est-à-dire les attentes sont immenses dans ces zones, donc je serai bien la ministre de toutes les villes. C'est pour ça que je parle des politiques, c'est les politiques de la ville, et pas la politique de la ville.
LIONEL GOUGELOT
Vous vous souvenez que Jean-Louis BORLOO, en 2002 il avait été lui aussi ministre de la Ville…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui.
LIONEL GOUGELOT
Et il disait que la politique de la Ville, ce n'était pas une question de moyens ou de budget, mais de savoir comment bien utiliser les moyens. Est-ce que c'est votre philosophie également ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Eh bien, non seulement c'est ma philosophie, je l'ai dit, je ne serai pas… Moi, la politique du chéquier je ne connais pas, les milliards je ne sais pas compter, je dis ça sera, en tout cas sur mon ministère, la politique non pas du chéquier, mais bien du porte-monnaie.
LIONEL GOUGELOT
Parce que vous savez ce que l'on dit, vous connaissez le discours convenu…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Oui, je connais ça par coeur !
LIONEL GOUGELOT
On dépense des milliards pour les quartiers, et les problèmes demeurent.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
C'est ce qu'on a dit au président de la République quand il a fait sa visite officielle à Marseille, à la Busserine, sur le Plan Marseille en grand, les gens de la Busserine ont dit : " Monsieur le Président, vous parlez de millions et de milliards, mais nous on ne les voit pas ". Donc je veux une politique à hauteur d'homme, je veux parler sur des montants que moi je maîtrise, c'est-à-dire des centaines de milliers d'euros, je veux des projets avec les élus, notamment par les contrats de villes, alors il y a quand même beaucoup d'argent, parce que penser que les politiques de la ville sont dénuées, ce n'est pas vrai. Dire que peut-être, par exemple le sujet de l'écologie, j'ai dit « je veux plus de bleu », d'accord, mais plus de vert aussi. Je veux de l'équité, je ne veux pas, ce n'est pas, l'égalité ça ne veut plus trop rien dire, je veux de l'équité, je veux que tout le monde, que ce soit dans les petites villes, les villes moyennes, les banlieues, les quartiers Nord de Marseille, tout le monde ait accès à la même chose : mieux manger, mieux dormir, mieux se protéger, mieux apprendre, mieux être sécurisé…
LIONEL GOUGELOT
Mais justement, mieux apprendre, il y a aussi, comment dirais-je, un problème fondamental, c'est celui de l'éducation, tout commence à l'école. On pourrait aussi imaginer que le ministère de la Ville soit rattaché au ministère de l'Education nationale.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Alors, vous savez quoi ? Le président de la République, il n'a pas attendu les émeutes pour venir lancer à Marseille par exemple Quartiers 2030. Et dans Quartiers 2030, il a annoncé une mesure, toute simple, et je vais beaucoup travailler avec Gabriel ATTAL, le ministre de l'Education nationale, le 08h00/18h00, pour les collégiens, sur l'accueil des jeunes. De dire : plus aucun ado n'aura, il n'y aura plus, il aura toujours un prof, toujours un adulte en face de lui, de 08h00 à 18h00, parce qu'on travaille sur la famille monoparentale, donc ça, ça sera un sujet par exemple avec ma collègue Aurore BERGE, parce que l'Education nationale, sur le périscolaire et l'extrascolaire, les gamins arrêtent l'école au 15 juin, ça c'est de l'extrascolaire, c'est plus du périscolaire. Donc, avec Gabriel ATTAL, que j'ai vu hier, donc on est en train de travailler à des mesures, mais je vous le redis, par exemple dans Quartiers 2030, c'est ce qu'on a appelé comme ça, la première, celle-là, et la deuxième, donc c'est le 08h00/18h00, le généraliser, c'est l'une de mes missions de la rentrée, et l'accueil des enfants à partir de 2 ans, à l'école.
LIONEL GOUGELOT
Le chantier est colossal.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Il est colossal, mais vous savez, qu'est-ce qu'on à perdre à essayer de faire…
LIONEL GOUGELOT
Comment vous réagissez, quand vous entendez les sceptiques qui vous disent « c'est perdu, il y a des territoires qui sont abandonnés…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non…
LIONEL GOUGELOT
… qui sont en état de sécession pratiquement ?
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Non, si vous pensez… Moi je suis une enfant des quartiers pauvres de Marseille, vous imaginez ce que vous me dites et ce que les autres disent ?
LIONEL GOUGELOT
Non non, mais…
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Si on pense que c'est foutu, on arrête. Non. Moi ce que je pense, c'est qu'il y a toujours de l'espoir. Je viens de là, donc je vois bien moi ce qui n'a pas marché pendant des années, et surtout on ne peut pas tenir ce discours, on est la France, on est en France, on est la 6e puissance mondiale. Est-ce que nous on peut, on a le droit de capituler ? Non. J'ai beaucoup voyagé moi dans ma vie, j'ai fait beaucoup de films. Dans mon dans mon catalogue il y a un film qui s'appelle « Territoires perdus de la République », mais on ne montre pas que ce qui ne va pas, on montre des solutions. Moi je suis une fille de solutions, et il ne faut pas grand-chose, c'est pour ça que je reviens sur la politique du porte-monnaie et non pas celle du chéquier. BORLOO l'avait dit avant moi. Hier je discutais…
LIONEL GOUGELOT
Il y a 20 ans.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Je discutais avec Philippe RIO, le maire de Grigny, " Meilleur maire du monde ", hier on s'en est amusé. Qu'est-ce qu'on se disait ? On sait que les moyens sont là, mais sécuriser mieux, parce qu'on parlait du ministère de l'Intérieur, mais de dépenser mieux. Ça c'est un axe.
LIONEL GOUGELOT
Merci Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, merci d'avoir été dans les studios d'Europe 1 ce matin.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Merci à vous.
LIONEL GOUGELOT
Secrétaire d'Etat chargée de la Ville. Bonne journée.
SABRINA AGRESTI-ROUBACHE
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 août 2023