Entretien de M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, avec BFM Business le 8 août 2023, sur le commerce extérieur de la France.

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  • Olivier Becht - Ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Média : BFM Business

Texte intégral

Q - Des chiffres qui permettent de retrouver un peu d'espoir après une année 2022 historiquement désastreuse pour le commerce extérieur de la France, avec un déficit commercial à l'époque, souvenez-vous, supérieur à 163 milliards d'euros. On revient sur le premier semestre de cette année, avec des résultats en amélioration. Et, pour en parler, nous sommes tout de suite en ligne avec le ministre délégué au commerce extérieur et à l'attractivité. Bonsoir, Olivier Becht. Merci beaucoup d'être avec nous sur BFM Business. Monsieur le Ministre, la première explication, ce sont quand même les prix, qui ont largement reculé par rapport à l'année dernière, surtout dans l'énergie ?

R - On a effectivement le recul du déficit de l'énergie, qui s'explique à la fois par le redémarrage de nos centrales nucléaires, qui étaient en maintenance l'année dernière, après deux années de Covid, et qui a nécessité d'importer beaucoup plus d'énergie. Nous avons les prix de l'énergie qui ont reculé sur les marchés, mais qui ne sont pas encore de retour totalement au niveau du pré-Covid. Et il y aussi le taux de change entre l'euro et le dollar qui, rappelez-vous, s'était pas mal déprécié l'année dernière ; il est aujourd'hui un peu meilleur. Tout cela, ça aide au niveau de l'énergie et ça explique, effectivement, que la balance des biens revienne d'un déficit qui était de 89 milliards au semestre 2 de l'année 2022 à 54,4 milliards d'euros sur ce semestre 2023. En revanche, il y a, au-delà de l'énergie, une véritable amélioration, de l'ordre de 7 milliards, lorsque l'on enlève l'énergie, qui est due, en réalité, à la bonne performance d'un certain nombre de secteurs. Je pense notamment à l'aéronautique. Je pense à l'automobile, aussi, qui bondit de +8%, grâce notamment à la vente de véhicules électriques. Je pense aux cosmétiques, qui bondissent de 7%, et même au textile, qui bondit de 3%. Donc il ne faut pas mettre ce bon résultat exclusivement sur le compte de l'énergie, c'est aussi la bonne performance de nos entreprises, de nos grands groupes, mais aussi de nos PME, puisqu'elles sont de plus en plus nombreuses à exporter.

Q - On va revenir sur tout ça dans le détail avec vous, bien sûr, Monsieur le Ministre. J'aimerais quand même qu'on reste encore un instant sur cette question de l'énergie, qui est centrale. L'an dernier, la moitié du déficit de la balance commerciale s'expliquait par l'énergie : des coûts astronomiques, le fait que la France a aussi dû importer de l'électricité pour la première fois depuis 40 ans à cause du problème de corrosion, entre autres. À l'avenir, on va être moins dépendants de ces variations de prix ou c'est quelque chose qui est difficile à garantir ?

R - Alors, on le sera vraisemblablement moins vis-à-vis de l'électricité, puisque nous allons désormais produire le niveau de production que nous avions en électricité grâce au nucléaire. D'ailleurs, nous recommençons à exporter de l'électricité, ce qui montre que, là aussi, la balance énergétique s'améliore. En revanche, sur l'énergie, nous demeurons évidemment dépendants des importations de gaz ou de pétrole. Nous avons besoin de pétrole pour faire voler nos avions, pour faire naviguer nos navires de fret ou encore, bien sûr, pour faire rouler la plupart de nos automobiles. Donc, cette dépendance, on ne va pas s'en passer rapidement, et donc, forcément, nous sommes plus sensibles à la volatilité des prix de marché.

Q - La France, elle finalement redevenue exportatrice d'énergie depuis le début de l'année, essentiellement vers le Royaume-Uni et vers l'Italie. Il y a quand même un autre pays voisin qui risque d'avoir besoin de nous cet hiver, c'est l'Allemagne, qui a mis hors service sa dernière centrale nucléaire. Les Allemands, ils ont répondu présent l'hiver dernier pour nous aider quand on était en difficulté, à ce moment-là, on a importé de l'énergie de chez eux. Est-ce que la France va aussi répondre présent pour eux l'hiver prochain si jamais c'est nécessaire ?

R - Oui, bien sûr. D'ailleurs, c'est ce que nous faisons déjà. Nous avons repris nos exportations d'énergie vis-à-vis de nos voisins européens et nous répondrons présent vis-à-vis de nos voisins et amis allemands s'ils ont besoin de davantage d'électricité, puisque nous sommes désormais, grâce au redémarrage de ces centrales nucléaires, en capacité de retrouver notre niveau de production.

Q - Au-delà des questions d'énergie, Monsieur le Ministre, c'est celle de la consommation que vous regardez. On ne peut pas dire que, malheureusement, les indicateurs, à ce niveau-là, soient très positifs. L'Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Chine, tous multiplient les mesures pour avantager leurs entreprises nationales, dans un contexte international qu'on connaît tous, qui est très compliqué. C'est quoi, la stratégie de la France, justement, dans ce contexte ?

R - Eh bien, écoutez, la stratégie de la France est à la fois de continuer à appuyer ses grands groupes, ceux qui tirent la croissance de nos exportations. Vous l'avez dit : l'aéronautique, les cosmétiques, le luxe, bien sûr le secteur agricole, mais aussi la pharmacie, la chimie, et désormais aussi l'automobile, c'est une bonne nouvelle. Et puis, la stratégie, c'est surtout, aujourd'hui, de pousser nos petites et moyennes entreprises à l'export. Nous avons des chiffres très encourageants, nous avons plus de 148.000 entreprises qui sont désormais à l'export. Mais cela reste insuffisant, notamment par rapport à nos voisins ; les Italiens en ont 200.000, les Allemands 300.000-350.000. Donc il faut porter ces petites et moyennes entreprises à l'export. Elles le savent, lorsqu'elles vont à l'export, c'est une stratégie gagnante. D'abord, parce qu'elles diversifient les risques, elles ne mettent pas tous les oeufs dans le même panier, comme on dit, donc s'il y a un marché qui se retourne, elles ne sont pas dépendants d'un marché unique, elles sont dans la diversification de leurs risques. Et puis, derrière, c'est aussi une stratégie gagnante en termes de chiffre d'affaire, puisque les entreprises qui vont à l'export gagnent généralement, dès la première année, plus de 150.000 euros de chiffre d'affaires. C'est évidemment quelque chose de très important pour nos PME, parce que ça permet aussi de créer de l'emploi derrière et puis de distribuer de meilleurs salaires dans les entreprises. C'est une stratégie qui est gagnante-gagnante.

Q - C'est vrai que les entreprises françaises se remettent effectivement à exporter. On le voit dans les chiffres : +9,2% depuis 2021, en nombre d'entreprises, vous le disiez, on est autour de 148.000 entreprises françaises exportatrices. L'objectif, c'est 200.000 en 2030, l'objectif que s'est fixé le Gouvernement. Est-ce qu'il vous paraît atteignable et dans quelle mesure vous allez aussi accompagner ces entreprises pour leur permettre d'atteindre ce niveau-là ?

R - Eh bien, non seulement il me paraît atteignable, j'aimerais bien même d'ailleurs l'atteindre avant 2030. Je pense qu'il faut se fixer des objectifs ambitieux. Le chemin que nous avons mené, depuis maintenant quelques années, montre que nous pouvons y arriver, grâce notamment à la fameuse stratégie de Roubaix et à la mise en place de la Team France Export, et la réponse est oui, nous allons encore davantage accompagner les entreprises, avec la Team France. Un nouveau plan export sera dévoilé par le Gouvernement, d'ici à la fin août, et l'objectif, c'est vraiment de prendre en charge l'accompagnement des entreprises, puisque nous pouvons démontrer aujourd'hui que 94% des entreprises qui sont accompagnées se maintiennent à l'export l'année suivante et les années suivantes, alors que moins de 40% des entreprises qui ne sont pas accompagnées arrivent à se maintenir à l'export. Donc on voit bien que l'export est un pari, c'est un pari gagnant, mais c'est un pari gagnant si on se fait bien accompagner. On a aujourd'hui tout un écosystème, grâce à Business France, grâce aux chambres de commerce et d'industrie, grâce à Bpifrance, aux Régions, mais aussi aux conseillers du commerce extérieur de la France, pour y arriver. Avec des moyens financiers derrière, il n'y a pas de raison qu'on fasse moins bien que nos amis italiens ou que nos amis allemands.

Q - Olivier Becht, c'est une annonce que vous faites, ce soir, sur BFM Business : un plan export, qui sera annoncé à la fin du mois d'août par le Gouvernement. Sans tout dévoiler, est-ce qu'on peut avoir les grands axes ? Sur quoi va se concentrer ce plan ?

R - Je ne vais pas évidemment dévoiler aujourd'hui l'intégralité des mesures, mais l'esprit de ce plan, c'est de faire en sorte que les PME aient le réflexe export. Et ça, c'est d'abord un état d'esprit qu'il faut donner à l'ensemble des chefs d'entreprise aujourd'hui qui, évidemment, sont en capacité d'aller à l'exportation. Nous allons donc faire beaucoup de porte-à-porte pour accompagner les chefs d'entreprise dans la réflexion vers l'export. Nous allons mettre des moyens, y compris des moyens humains, au service des entreprises, pour les aider à l'intérieur de l'entreprise à aller à l'exportation, en plus de ce qui existe aujourd'hui, déjà, à l'international, par exemple avec les VIE. Ce sont des mesures très concrètes, très pragmatiques, qui auront vraiment pour objet d'accompagner le chef d'entreprise dans sa démarche d'internationalisation. Je suis certain que nombre de chefs d'entreprise répondront présent à l'appel, parce qu'aller à l'exportation, encore une fois, c'est bon pour l'entreprise, ça permet de diversifier les risques, dans une période où l'on voit bien que les chocs se multiplient, les chocs sanitaires, démographiques, climatiques, géopolitiques. Donc il est important de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Et puis derrière, c'est important pour la France aussi, parce que la situation dans laquelle nous sommes, maintenant, depuis vingt ans, lorsque l'on importe plus que l'on exporte, eh bien, au final, on appauvrit le pays. Ce n'est pas un déficit public, mais c'est un déficit de la nation, c'est la France qui s'appauvrit. Et moi, je suis persuadé que la France peut redevenir une grande puissance exportatrice. Elle l'était par le passé. Elle a tous les atouts pour le redevenir. Il y a bien sûr la réindustrialisation qui est compliquée, mais le fait de porter nos PME à l'export, ce doit être aujourd'hui une grande cause nationale.

Q - C'est un sacré teasing que nous vous faites. On suivra ça, bien sûr, à la fin du mois d'août, pour l'essentiel de ce plan. Pour conclure, très rapidement, avec vous, Olivier Becht : on mise sur quoi, là, sur un déficit commercial, à la fin de l'année, qui serait autour de quoi ? Selon les estimations, si on poursuit sur cette lancée-là, on serait autour des 100 milliards, donc quand même bien meilleur que l'an dernier. C'est à peu près ce que vous visez ?

R - Ecoutez, je ne vise pas de chiffres en particulier, d'abord parce que, par définition, le deuxième semestre est encore incertain, nous ne savons pas dans quel contexte nous allons évoluer, à la fois sur le plan géopolitique, sur le plan économique, vous l'avez dit, le prix des matières premières, pour certaines, peut repartir à la hausse. La Chine redémarre très lentement. Et puis, il y a bien sûr des hypothèques, on le voit bien aujourd'hui, avec la crise que nous avons dans le Sahel.

Q - Il faudra faire le mieux possible, donc ?

R - L'objectif, c'est de faire le mieux possible, de porter toutes nos entreprises qui le peuvent à l'exportation, et d'avoir un déficit qui régresse très fortement par rapport à l'année dernière.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 août 2023