Interview de Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture, à France Info le 6 septembre 2023 sur les violences urbaines, la préparation des festivals et des JO 2024, le budget du ministère et les crédits alloués au Pass culture.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Rima ABDUL-MALAK.

RIMA ABDUL-MALAK
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
Un peu plus de deux mois après les émeutes vous lancez aujourd'hui une campagne pour faire venir plus de jeunes des quartiers dans les bibliothèques et les médiathèques, comment vous comptez vous y prendre ?

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, je crois énormément au pouvoir de la lecture pour se construire soi-même, se construire comme citoyen, pour se relier aux autres, pour ouvrir ses horizons, et quoi de plus beau qu'une bibliothèque pour donner envie de lire. Il y a 90 % des Français qui ont une bibliothèque à moins de 10 minutes de chez eux mais qui n'y vont pas forcément, et on veut dire aujourd'hui que ces bibliothèques ce ne sont pas seulement des étagères avec des livres dessus, mais des lieux de vie, des lieux de rencontre, des lieux où on peut emprunter parfois un instrument de musique ou jouer aux jeux vidéo, et surtout, effectivement, il y a eu une cinquantaine de bibliothèques qui ont été incendiées, attaquées, vandalisées, pendant les violences urbaines au début de l'été, et voir des images de livres qui partent en fumée en 2023 ça rappelle les pires pages de notre histoire, c'est intolérable, donc je pense vraiment…

JÉRÔME CHAPUIS
Comment vous expliquez que des jeunes comme ça s'en prennent…

RIMA ABDUL-MALAK
La réponse doit aussi être culturelle face à cette violence.

JÉRÔME CHAPUIS
Comment vous expliquez que des jeunes s'en soient pris comme ça à des bibliothèques ?

RIMA ABDUL-MALAK
Je ne pense pas qu'ils ont ciblé particulièrement des bibliothèques ou qu'ils voulaient absolument brûler des livres, c'était une colère aveugle dans un déferlement de violence et les bibliothèques étaient sur leur chemin, il y a aussi eu des quartiers où des habitants se sont mobilisés, ont pris des chaises, des tables, et se sont mis devant ces lieux de culture pour empêcher qu'ils brûlent, ils ont fait barrage de leur corps, donc je veux aussi leur rendre hommage, mais effectivement je pense que face à la violence on a aussi un phénomène d'addiction aux écrans, à tous les âges, ce n'est pas uniquement les jeunes, on voit bien une perte de la concentration… (coupure de son) un enjeu crucial pour lutter contre la violence.

SALHIA BRAKHLIA
Juste sur les bibliothèques qui ont été brûlées, est-ce que l'État aide les communes à reconstruire ?

RIMA ABDUL-MALAK
Bien sûr, on sera à leurs côtés pour la reconstruction, mais cette campagne pour inciter les Français à s'inscrire en bibliothèques, à y aller, à les protéger, à les faire vivre, c'est aussi de dire ce n'est pas uniquement les reconstruire, c'est les faire vivre, c'est d'y avoir des activités, donc aujourd'hui on lance 300 activités, animations, événements, un peu partout en France dans les bibliothèques, pour remobiliser autour de ce premier lieu de proximité, premier lieu d'accès à la lecture et à la culture.

JÉRÔME CHAPUIS
C'est déjà une manière de répondre à ces écrivains, acteurs, du milieu de la culture, qui signent une tribune dans le journal "Le Monde" et qui vous demande, au gouvernement, d'agir pour la lecture et pour l'écriture ?

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, c'est lié, écrire, lire, ça fait partie de la construction de la citoyenneté, de l'émancipation des individus, avec Gabriel ATTAL, ministre de l'Education, on va être engagé, on l'est déjà, par exemple moi je tiens beaucoup au quart d'heure de lecture à l'école qui existe, qui a été lancé par une association qui s'appelle "Silence on lit", que des recteurs nous aident à déployer dans tous les établissements scolaires, c'est s'arrêter 15 minutes par jour pour lire pour le plaisir.

JÉRÔME CHAPUIS
C'est un peu à rebours de tout ce qu'on faisait dans les écoles il y a quelque temps où il y avait beaucoup d'écrans, on disait il faut des écrans partout, là on a l'impression qu'il…

RIMA ABDUL-MALAK
Non, on a aussi besoin des écrans, parce que le monde dans lequel on vit, et on doit se construire comme adultes aussi en sachant utiliser les écrans, donc je ne suis pas en train de dire arrêtons tous les écrans, au contraire, mais on a besoin aussi de moments de concentration, de lecture et de travailler notre imagination, et ça passe par les personnages que les livres nous offrent.

SALHIA BRAKHLIA
Pardon Rima ABDUL-MALAK, j'essaie de comprendre, comment concrètement vous allez inciter, je ne sais pas moi, un jeune qui tient les murs dans un quartier, ou un guetteur qui gagne de l'argent juste en vérifiant si la police ne passe pas lors des trafics de drogue, à dire en fait il faudrait aller à la bibliothèque, comment vous arrivez à convaincre ces jeunes-là ?

RIMA ABDUL-MALAK
Ça on est dans les acteurs de terrain qui savent le faire, les associations, les bibliothécaires, les artistes, qui sont dans ces quartiers et qui savent aller parler à ces jeunes, et c'est aussi en ouvrant plus ces bibliothèques, plus une bibliothèque sera ouverte le soir, le dimanche, plus ces jeunes auront des possibilités de trouver des espaces, de rencontres, de calme, de travail, de lecture, de musique, et ça j'y crois vraiment, on a mis en place un Plan bibliothèque, qu'on amplifie, pour continuer à soutenir ces lieux.

JÉRÔME CHAPUIS
L'été prochain, dans moins d'un an, ce sont les Jeux Olympiques, avec votre collègue du ministère de l'Intérieur, Gérald DARMANIN, vous avez prévenu il y a quelques mois que les forces de l'ordre ne pourraient pas se déployer partout parce qu'elles vont être très occupées par les compétitions, est-ce que vous avez prévu de faire annuler des festivals ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non. Les Jeux olympiques c'est une fois par siècle, c'est un événement exceptionnel qui va faire venir en France 10 millions de visiteurs, et évidemment qu'il faut sécuriser de manière exceptionnelle, parce que c'est hors normes, et donc la sécurisation sera hors normes, et il était important de discuter avec les festivals, alors je ne parle pas de tous les festivals de France, il y a 7000 festivals en France, je parle d'une vingtaine de festivals qui sont d'une ampleur telle, qu'elle nécessite une sécurisation spéciale, donc cette vingtaine de festivals on a engagé toute une concertation ces derniers mois avec eux, et aujourd'hui ils ont modifié leur date, à quelques jours près pour certains, pour pouvoir eux aussi être pleinement sécurisés, et que les festivaliers soient en sécurité quand ils vont au festival, et pas tomber en même temps que les temps forts des Jeux olympiques.

SALHIA BRAKHLIA
Mais il y a quand même une incertitude concernant le festival Lollapalooza apparemment.

RIMA ABDUL-MALAK
Alors, c'est le seul festival pour lequel on cherche encore une solution…

JÉRÔME CHAPUIS
Ça c'est à Paris, à Longchamp.

RIMA ABDUL-MALAK
Tous les autres ont confirmé leur date et leur lieu, Lollapalooza est en Ile-de-France et on a un deux, trois pistes sur lesquelles on travaille avec eux et j'ai bon espoir que dans les 15 prochains jours on trouve une solution pour maintenir aussi Lollapalooza.

JÉRÔME CHAPUIS
Il y a aussi un autre problème, ce sont les salles, comme par exemple l'Accor Arena à Paris, le Paris La Défense Arena, tout ça elles vont être mobilisées…

RIMA ABDUL-MALAK
Pour les épreuves, oui.

JÉRÔME CHAPUIS
Pour les épreuves, le Syndicat national du spectacle musical estime la perte de chiffre d'affaires à plus de 160 millions d'euros, ça se compense ça ?

RIMA ABDUL-MALAK
Alors, ces salles ne sont pas que des salles de concerts, ce sont des salles qui ont déjà accueilli aussi des événements sportifs, d'autres types d'événements, les Jeux olympiques on sait depuis 2017 qu'ils vont avoir lieu et qu'ils vont forcément mobiliser, le Stade de France, des grandes salles comme l'Accor Arena ou d'autres, donc on échange évidemment avec les syndicats des producteurs pour discuter, trouver des solutions, mais tout ça avait été anticipé.

SALHIA BRAKHLIA
Eux ils vous demandent de compenser un manque à gagner pour la filière musicale, donc est-ce que vous vous êtes prêts à compenser la perte ?

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, mais les concerts pourront avoir lieu dans les festivals, il y aura plein d'autres lieux où on pourra faire des concerts en France, il y aura des tournées de grands groupes internationaux qui auront lieu cet été, à l'été 24…

SALHIA BRAKHLIA
Vous leur dites trouvez d'autres endroits, mais pas les salles de concerts ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, non, mais l'été 2024 va être aussi culturel que sportif.

JÉRÔME CHAPUIS
Il y a un autre exemple très emblématique à Paris, ce sont les bouquinistes, on en a parlé, ils s'inquiètent parce que pendant notamment toutes les cérémonies d'ouverture ils ne vont pas pouvoir être présents sur les lieux, qu'est-ce qu'on fait ?

RIMA ABDUL-MALAK
Les bouquinistes c'est l'âme de Paris, c'est vrai qu'on y est tous très très attachés, et pendant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, qui est une cérémonie absolument exceptionnelle, pour la première fois elle sera sur la Seine, et effectivement les bouquinistes ça pose aussi des questions de sécurité pour eux-mêmes, puisqu'il va y avoir des mouvements de foule peut-être, il faut revoir avec leurs emplacements, et la mairie de Paris leur a fait des propositions, notamment de créer un village des bouquinistes pour pouvoir vendre leurs livres anciens, leurs produits, dans un lieu dédié sur lequel il y aura une communication particulière…

SALHIA BRAKHLIA
Mais ils disent ce n'est pas pareil, eux ils vivent du passage en fait des touristes, des Parisiens…

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, mais le jour même de la cérémonie d'ouverture, et les quelques jours avant de préparation et de démontage quelques jours après, ça nécessite de s'adapter, et je pense que dans le dialogue, j'ai confiance dans le fait qu'on va réussir et je serai vigilante pour que les solutions proposées par la mairie de Paris soient satisfaisantes.

JÉRÔME CHAPUIS
Rima ABDUL-MALAK, ministre de la Culture, vous restez avec nous, dans quelques secondes on va parler du budget qui est en préparation, c'est important, notamment pour votre ministère, ce sera juste après le Fil info.

(…)

SALHIA BRAKHLIA
Avec la ministre de la Culture, Rima ABDUL-MALAK. Élisabeth BORNE a demandé à tous les ministères, à tous les ministres de trouver des économies. Vous, dans quelle dépense allez-vous tailler ?

RIMA ABDUL-MALAK
Alors, oui, chaque ministre est amené à chercher des redéploiements, des marges de manœuvre notamment pour pouvoir financer la transition écologique. J'y tiens beaucoup puisque la Culture a sa part à prendre aussi pour réduire l'empreinte carbone par exemple des festivals, des grands musées, des grandes salles de spectacle ; on y travaille aussi. Moi, j'ai fait des propositions de réduction sur mes crédits d'investissement c'est-à-dire le décalage de certains chantiers où le phasage différent de certains travaux pour prioriser les travaux vers la transition écologique. Mais pour les crédits de fonctionnement du ministère de la Culture qui sont de 4,2 milliards hors audiovisuel public ; ce sont des crédits indispensables aujourd'hui pour poursuivre notre politique d'éducation artistique, de soutien aux artistes, de soutien au cinéma, de soutien aux salles.

SALHIA BRAKHLIA
Et qu'est-ce que vous remettez à plus tard du coup ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, mais là on est encore en discussion. Le budget n'est pas finalisé ; on n'a pas encore eu tous les arbitrages. Et ça sera fin septembre qu'on annonce le budget.

SALHIA BRAKHLIA
Il est encore en discussion.

JÉRÔME CHAPUIS
Alors il est totalement exclu de tailler dans les dépenses liées au Pass Culture qui s'adresse aux 15-18 ans et qui, selon la Cour des comptes, coûte très cher ?

RIMA ABDUL-MALAK
Alors, la Cour des comptes a fait un rapport qui cible les débuts du Pass Culture, les prémices, la préfiguration. Aujourd'hui, c'est sûr que c'est un investissement pour le ministère de la Culture de 200 millions d'euros mais qui touche 3,2 millions de jeunes et qui facilite l'accès à la culture pour 3 millions de jeunes.

JÉRÔME CHAPUIS
On n'y touche pas ?

RIMA ABDUL-MALAK
Je n'y toucherais pas parce que pour moi, le Pass Culture est vraiment un outil d'accès, d'émancipation, d'épanouissement des jeunes.

SALHIA BRAKHLIA
Mais le problème, dit la Cour des comptes, c'est qu'en fait, quand il est lancé au début, c'est qu'on va trouver des partenariats privés ; or là, tout est à la charge de l'État. Il n'y a pas un problème ? Vous n'arrivez pas à trouver de partenaires privés ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, il y a des partenaires privés qui offrent des propositions culturelles qui ne sont pas payées par l'Etat et qui, du coup, s'ajoutent à la proposition artistique faite aux jeunes. Donc il y a des partenaires privés mais il y a des partenaires qu'on n'a pas voulu, non plus, prendre. Parce que par exemple, quand certaines banques demandaient d'avoir accès aux données des jeunes, on a dit non parce qu'on veut aussi préserver des jeunes. Donc il y a un travail qui sera fait à l'avenir pour développer plus le mécénat mais aujourd'hui, moi, c'est une dépense publique dont je suis fière. 200 millions pour que les jeunes aient accès à la culture à l'échelle du budget de l'Etat, honnêtement ce n'est pas une dépense si élevée et ces jeunes vont peut-être pour la première fois dans une librairie parce qu'on ne peut pas à commander sur Amazon avec le Pass Culture, on doit aller dans une librairie. Et comme vous connaissez mon attachement à la lecture, pour moi, c'est très important. C'est la première dépense des jeunes, c'est d'acheter des livres et pas que des mangas ; contrairement à ce que j'entends. 300 000 livres différents ont été achetés sur le Pass Culture. C'est d'aller au cinéma ; 4 millions et demi de places ont été prises par les jeunes sur le Pass Culture l'année dernière. C'est d'aller au théâtre, c'est d'acheter des instruments de musique, c'est de grandir avec la culture parce qu'on grandit heureux avec la culture.

JÉRÔME CHAPUIS
Rima ABDUL-MALAK, vous êtes sur France Info et est-ce que vous pouvez nous dire, ce matin, quel budget vous avez prévu d'accorder à l'audiovisuel public pour les cinq prochaines années ?

RIMA ABDUL-MALAK
Alors c'est encore en discussion là aussi puisque verdict à la fin du mois de septembre. Mais effectivement, j'ai proposé et obtenu qu'on puisse avoir un contrat d'objectifs et de moyens, une trajectoire sur cinq ans au lieu de trois précédemment, pour donner plus de visibilité à l'ensemble des chaînes de Radio-France, de France Télévisions, à l'INA, à France Médias Monde et à Arte.

JÉRÔME CHAPUIS
On rappelle que c'est une part de la TVA qui est fléchée maintenant, depuis un an, depuis qu'on a supprimé la redevance.

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, depuis la fin de la redevance, le modèle qui a été adopté par le Parlement, c'est une fraction de la TVA qui est déjà collectée, qui est fléchée vers l'audiovisuel public.

SALHIA BRAKHLIA
Mais alors ce n'est pas pérenne. Juste sur le montant du budget accordé à l'audiovisuel public, aujourd'hui c'est 3,8 milliards d'euros par an. Est-ce qu'on va les atteindre encore cette année ? Est-ce que ça va être pérennisé, ce montant au moins ?

RIMA ABDUL-MALAK
Là, on est encore en discussion. Moi, ce que je veux dire en tout cas, c'est que je vois à quel point les Français sont attachés aux chaînes de l'audiovisuel public. On voit le niveau des audiences, on voit l'attachement de tous les Français à ces médias. Et je sais le rôle qu'ils jouent en termes de pluralisme de l'information, de qualité de l'information vers les jeunes aussi, en termes d'éducation, la place du sport féminin aussi sur les chaînes de l'audiovisuel public.

SALHIA BRAKHLIA
Vous voulez donner à l'audiovisuel public les moyens de travailler correctement mais est-ce que ce sera à ce niveau-là ?

RIMA ABDUL-MALAK
Ces derniers mois, on a travaillé sur les grandes missions, les objectifs stratégiques pour les prochaines années. On y a travaillé avec les parlementaires, on y a travaillé avec toutes les entreprises, on y a travaillé avec tous les ministres concernés et aujourd'hui on est dans la dernière phase de négociation du budget.

JÉRÔME CHAPUIS
Il y avait un projet de fusion Radio France - France Télévisions ; ça en est où ? C'est abandonné ?

RIMA ABDUL-MALAK
Il y a une proposition de loi du Sénat pour imaginer soit une fusion soit une holding pour regrouper les forces de France Télévisions et Radio France. Sur le principe, j'entends l'enjeu qu'il y a derrière parce que je pense que les chaînes de l'audiovisuel public seront plus fortes en se rapprochant mais tout ne passe pas par des rapprochements et surtout ces rapprochements peuvent se faire sans un grand bigbang organisationnel et une usine à gaz qui créerait une superstructure qui s'appellerait une holding et qui complexifierait la hiérarchie, les prises de décision.

SALHIA BRAKHLIA
Rima ABDUL-MALAK, vous devez lancer prochainement les états généraux de l'information ; c'était une promesse du candidat Macron. C'est pour quand ?

RIMA ABDUL-MALAK
C'est d'ici la fin du mois et ce sont des états généraux qui vont être lancés, pilotés par un comité de pilotage indépendant avec cinq personnalités que Christophe DELOIRE dirigera en tant que secrétaire général de Reporters sans frontières, en tant que délégué général des états généraux à l'information. Moi, ce que j'en attends, c'est aussi un débat citoyen, pas qu'un débat d'experts ; que chacun-chacune se saisisse de cette question de comment on s'informe aujourd'hui. C'est un droit, c'est un bien commun.

SALHIA BRAKHLIA
Mais c'est quoi l'objectif ? Ça va servir à quoi d'organiser ces états généraux de l'information ? C'est quoi ? Mettre un cadre pour le métier de journaliste ?

RIMA ABDUL-MALAK
Ça peut aboutir à des évolutions législatives. J'espère qu'on aura des propositions pour renforcer l'indépendance de l'information notamment. Ça peut aboutir à des propositions pour lutter contre les ingérences étrangères. On voit de plus en plus une guerre de l'information qui se joue partout dans le monde, notamment avec la propagande russe mais pas uniquement. Ça peut aboutir à des expérimentations qui pourraient après améliorer notre politique d'éducation à l'information à l'école. Il y a énormément de sujets sur lesquels ce comité de pilotage va se pencher en toute indépendance.

JÉRÔME CHAPUIS
Vous voyez justement le risque qu'on dise "les pouvoirs publics veulent reprendre le contrôle de l'information" ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, non, justement, le but n'est pas du tout de contrôler. Moi, je suis extrêmement attachée à l'indépendance de l'information et des journalistes. Le but est de faire face à tous les défis d'aujourd'hui : les défis numériques, les défis des ingérences étrangères, les défis des fake news, de la désinformation. Et on a besoin à la fois d'un débat entre experts et un débat des citoyens plus largement pour se saisir de cet enjeu de la préservation d'une information fiable, libre, indépendante qui est fondamentale pour notre démocratie.

SALHIA BRAKHLIA
Rima ABDUL-MALAK, est-ce que vous lisez chaque semaine le Nouveau Journal du Dimanche dirigé par le journaliste d'être d'extrême droite, Geoffroy LEJEUNE ?

RIMA ABDUL-MALAK
Écoutez, je viens de parler de l'indépendance de l'information et il y a un autre principe fondamental dans notre démocratie, c'est le pluralisme de la presse. Donc un journal peut changer d'actionnaire (c'est légal) ; un journal peut être un journal d'opinion, ça existe en France, ça a toujours existé, c'est ça aussi le pluralisme de la presse. Et dans le cas du JDD, c'est un cas assez spécifique ou c'est ce qu'on a pu voir ; là, c'est un effacement d'une histoire de 75 ans portée par des journalistes qui ont défendu l'impartialité, un ADN d'impartialité. Et aujourd'hui, on a eu 40 jours de grève, des journalistes en majorité qui sont partis donc ce n'est plus le même JDD que ces 75 années d'histoire et une direction qui est arrivée et qui, par exemple, a refusé d'écrire dans la charte de déontologie des choses assez simples qui sont pourtant conformes à la loi comme l'engagement de ne pas publier de propos haineux, racistes, homophobes. C'est juste la loi ; pourquoi ne pas l'écrire ? C'est dans la charte déontologique d'énormément de médias.

SALHIA BRAKHLIA
Mais du coup, c'est pour ça que vous ne leur parlez pas au JDD ? Contrairement à votre collègue Sabrina AGRESTI-ROUBACHE, ministre de la Ville.

RIMA ABDUL-MALAK
Chacun est libre de ses choix. Quand on est ministre ou député, on a 1 000 manières de pouvoir s'exprimer. Je respecte les choix de chacun.

SALHIA BRAKHLIA
Mais on se pose la question de pourquoi il y a une telle différence au sein même du Gouvernement ? On se rappelle qu'Emmanuel MACRON lui-même a parlé plusieurs fois à Valeurs actuelles comme plusieurs des ministres. Là, pourquoi votre attitude change avec le JDD ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, moi, j'alerte sur un sujet qui, pour moi, éthique et déontologique et avec les états généraux de l'information, on entre dans une phase où on va discuter de comment on préserve l'indépendance de l'information par rapport aux intérêts de certains actionnaires, par rapport aux ingérences étrangères etc... Après chacun, encore une fois, est libre de ses choix et je redis mon attachement au pluralisme de la presse : la presse d'opinion a le droit d'exister dans ce pays et si on souhaite s'exprimer dans ces journaux-là pour toucher un maximum de monde, je ne vais pas m'y opposer.

JÉRÔME CHAPUIS
Et comme ministre de la Culture, est-ce que vous parlez, est-ce que vous avez des relations avec le groupe BOLLORÉ ? Est-ce que vous leur parlez ?

RIMA ABDUL-MALAK
Mais j'ai eu des échanges évidemment avec notamment CANAL+, vu que c'est un partenaire clé pour le financement du cinéma en France, il joue un rôle absolument crucial dans le financement du cinéma donc oui ; avec VIVENDI évidemment.

SALHIA BRAKHLIA
Mais depuis plusieurs mois, les relations sont tendues entre vous et le groupe BOLLORÉ justement.

RIMA ABDUL-MALAK
Non, mais ce n'est pas personnel.

SALHIA BRAKHLIA
Est-ce que vous avez appelé Vincent BOLLORE en lui faisant part de vos inquiétudes pour C8, CNews et le JDD ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, je n'ai pas appelé Vincent BOLLORÉ. Mais ce n'est pas personnel, ce n'est pas un enjeu personnel, c'est un enjeu pour la France, pour l'avenir de notre démocratie, de comment on préserve l'indépendance de la presse, l'indépendance des journalistes, de la qualité de l'information que produisent les journalistes en toute impartialité à l'avenir.

JÉRÔME CHAPUIS
Rima ABDUL-MALAK, la ministre de la Culture, vous restez avec nous. On verra dans une minute, on va parler du cinéma et notamment de ce qui se passe en ce moment à la Mostra de Venise. Ce sera juste après le fil info à 8h51.

(…)

JÉRÔME CHAPUIS
Et nous sommes toujours avec Rima ABDUL-MALAK, la ministre de la Culture. Le réalisateur Woody ALLEN accusé d'agression sexuelle par sa fille adoptive était présent ce week-end à la Mostra de Venise pour présenter son dernier film, film d'ailleurs tourné en français, "Coup de chance", est-ce que vous y voyez un symbole de l'impunité de certains artistes, on avait déjà eu ce débat au moment de Cannes avec Johnny DEPP ?

RIMA ABDUL-MALAK
Non, Venise est un grand festival qui accueille tous les cinémas du monde, mais c'est vrai que #MeToo est parti du monde du cinéma, qu'aujourd'hui moi ce qui m'importe c'est qu'est-ce que je peux faire en tant que ministre de la Culture pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, les harcèlement, dans le monde du cinéma, comme dans tous les champs de la culture, et on a pris à bras-le-corps ce sujet, on a mis en place des formations, on a mis en place des référents sur les violences, on a développé aussi la parité dans les équipes de tournage, donc cet enjeu-là de la place des femmes et de l'Égalité est très important et ne doit pas du tout être pris à la légère, pour autant ça ne veut pas dire qu'il faut cesser de présenter certains films.

SALHIA BRAKHLIA
Woody ALLEN qui en a profité pour donner son avis sur l'acte du patron de la Fédération espagnole de football qui avait embrassé publiquement sur la bouche une joueuse de foot, "embrasser cette footballeuse c'était une erreur, mais il ne l'a pas violée, c'était juste un baiser, c'était une amie, quel mal y a-t-il à ça ?" dit Woody ALLEN.

RIMA ABDUL-MALAK
Non, ce n'est pas juste un baiser, ça s'appelle une agression sexuelle, il suffit d'ouvrir un code pénal, ça s'appelle une agression sexuelle, et c'est puni par la loi, donc on ne minimise pas ce type d'actes sous la contrainte, c'est un baiser forcé, sous la contrainte, c'est une agression sexuelle, un point c'est tout.

JÉRÔME CHAPUIS
Plusieurs cinémas, Rima ABDUL-MALAK, à Paris, sont infestés par des punaises de lit, si on vous en parle c'est parce que le phénomène prend de l'ampleur, ça pourrait paraître anecdotique, mais ça peut aussi rebuter un certain nombre de clients de ces cinémas, vous pensez devoir vous engager sur ce sujet au ministère de la culture ?

RIMA ABDUL-MALAK
Je m'y engage en appelant tous les exploitants, les salles de cinéma concernées, il y a très peu de cas concernés, je veux juste rassurer là-dessus…

SALHIA BRAKHLIA
Il y a six cinémas parisiens là !

RIMA ABDUL-MALAK
Voilà, mais c'est très peu de cas, et ce sont des salles qui ont immédiatement réagi, qui ont mis en place tous les protocoles nécessaires, les traitements, vapeur à 180 degrés, les chiens spécialisés dans la détection des punaises de lit, et ont traité, sont en train de traiter le sujet, donc allons au cinéma parce qu'il y a énormément de beaux films à voir et que c'est magique.

JÉRÔME CHAPUIS
J'ai un autre un sujet qui concerne le cinéma, la grève à Hollywood qui est absolument historique, parce que ça fait maintenant des mois que ça dure, acteurs, scénaristes, s'inquiètent pour l'avenir de leur métier à cause de l'intelligence artificielle, est-ce qu'ils ont raison selon vous de s'inquiéter ?

RIMA ABDUL-MALAK
Oui, il y a des sujets d'inquiétudes parce qu'on se demande comment les métiers vont évoluer, est-ce que certains métiers pourront encore exister, donc forcément il y a des inquiétudes que j'entends, mais je pense que l'intelligence artificielle peut aussi être une chance, une chance pour développer l'accès à la culture, pour débusquer des fausses informations, pour assister les scénaristes, donc on a un gros enjeu devant nous, je pense, de formation, et c'est pour ça que nous on a lancé, j'ai annoncé à Cannes un grand plan de formation qui s'appelle "La grande fabrique de l'image", où on soutient une vingtaine d'organismes de formation, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros, pour améliorer notre formation à toutes les nouvelles technologies, à la création numérique, et utiliser l'intelligence artificielle dans le bon sens, il y a le bon côté de l'intelligence artificielle, utilisons-le, et luttons contre le mauvais côté, ça c'est l'enjeu de régulation au niveau européen, dont on discute avec tous mes collègues ministre de la Culture en Europe parce que ce n'est pas une régulation qu'on peut faire tout seul en France.

SALHIA BRAKHLIA
Parce que le mauvais côté c'est aussi la question des droits d'auteur, comment par exemple garantir que les contenus produits par des humains ne vont pas être noyés par des contenus produits par de l'intelligence artificielle.

RIMA ABDUL-MALAK
C'est sûr que l'intelligence utilise des données malaxées avec, au départ, aussi des artistes, des compositeurs, des auteurs, donc il y a un enjeu de répartition de cette valeur, de répartition des droits d'auteur, la France a toujours été pionnière dans la défense des droits d'auteur depuis Beaumarchais, on l'a portée sous forme de différentes directives au niveau européen et on sera en force de proposition en Europe pour porter aussi des propositions en la matière.

SALHIA BRAKHLIA
Quand vous dites "on sera", c'est quand ?

RIMA ABDUL-MALAK
C'est là, on a, dès octobre, de premières discussions franco-allemandes, puis des réunions avec les ministres de la Culture européens, et moi c'est un sujet que je vais porter, défendre, avec beaucoup de conviction.

JÉRÔME CHAPUIS
L'objectif c'est quoi, c'est d'éviter le plagiat à très grande échelle ?

RIMA ABDUL-MALAK
C'est déjà d'être transparent, de savoir quand l'IA est utilisée, pour pouvoir tracer…

JÉRÔME CHAPUIS
Ça veut dire, par exemple, il faut un label pour dire attention, ça, ça a été fabriqué par de l'intelligence artificielle ?

RIMA ABDUL-MALAK
Il va falloir définir comment on reconnaît qu'une image, une musique, une œuvre, une information, a utilisé de l'intelligence artificielle, il faut qu'on le sache, il faut que le public soit au courant, et puis derrière il faut voir comment on répartit la valeur, parce que c'est un travail de décennies avant, d'artistes, d'auteurs, de chercheurs, d'historiens, etc., comment cette valeur est répartie.

JÉRÔME CHAPUIS
Pour vous un livre écrit avec l'intelligence artificielle c'est de la culture ?

RIMA ABDUL-MALAK
Ça dépend la part humaine et la part machine, si c'est un auteur qui a utilisé un peu d'intelligence artificielle pour des recherches, mais que c'est lui qui signe le livre, c'est un roman ou un essai, bien sûr, si c'est un texte entièrement écrit par l'intelligence artificielle, est-ce de la littérature ?

JÉRÔME CHAPUIS
Tout ça est un peu vertigineux, merci beaucoup Rima ABDUL-MALAK d'avoir été avec nous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 septembre 2023