Texte intégral
Q - Bonsoir, Olivier Becht.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'être là. Aujourd'hui, vous avez présenté un plan " Osez l'export ", qui est en direction surtout des TPE et des PME, pour essayer de les convaincre de changer de culture et de leur dire " il faut aller exporter ". Il y a des secteurs où ça marche très bien...la cosmétologie, le luxe, évidemment, ça cartonne, mais il y a d'autres secteurs où ça ne cartonne pas. Vous allez nous expliquez en quoi consiste ce plan. Les 13 mesures que vous avez annoncées. Juste, d'abord, peut-être pour qu'on comprenne bien l'enjeu : le dernier chiffre que vous avez publié, je crois que c'était 54 milliards de déficit...
R - Oui.
Q - C'était pour le premier semestre 2023. Bon. En petite amélioration quand même. Et là, vous voyez se profiler quoi, sur le dernier trimestre ?
R - Il est un peu tôt pour faire des estimations sur le deuxième semestre, parce qu'on a encore.
Q - C'est pour cela que je dis " trimestre ", c'est pour avoir une tendance, je ne vous demande pas un chiffre, évidemment.
R - Je pense, j'espère en tout cas que la tendance qui était celle du premier semestre va se confirmer au deuxième semestre, avec une réduction encore du déficit, qui est due, quand même il faut le dire, en grande partie au reflux du déficit que nous avions l'année dernière sur l'énergie. Je rappelle simplement les trois composantes de notre déficit commercial : à peu près la moitié l'an dernier sur l'énergie, une crise énergétique, on a été obligés d'importer beaucoup plus d'énergie, elle coûtait beaucoup plus cher. Et en plus, l'euro s'était déprécié par rapport au dollar. Ça, c'est essentiellement conjoncturel. On peut espérer que la même conjoncture, dans le sens inverse, efface une partie de ce déficit. Il y a ensuite le déficit structurel de notre commerce extérieur, vous avez parfaitement raison de dire que celui-ci dure malheureusement depuis 20 ans. Et il faut qu'il s'arrête. Pourquoi ? Parce que ce déficit est dû en partie à la désindustrialisation, et en partie à la faiblesse de nos PME à l'exportation. Nous sommes en train d'oeuvrer sur les trois parties du déficit. Sur l'énergie, c'est la transition énergétique, c'est le fait de renouveler notre parc nucléaire, de produire de plus en plus d'énergie renouvelable, qui permettra demain d'avoir moins d'importations de pétrole et de gaz. La ré-industrialisation est en marche. On a mis en place, déjà, 300 usines qui se sont réimplantées sur le territoire. Ça prendra du temps, évidemment. On a pris 30 ans pour désindustrialiser...
Q - Il faudra 30 ans pour qu'on retrouve, ou 20 ans, pour qu'on retrouve un commerce extérieur équilibré, vous pensez ?
R - Non. Il faudra une décennie pour réindustrialiser le pays, c'est certain. En ce qui concerne les PME, en revanche, là, on peut agir à court terme, parce que lorsqu'on regarde nos voisins, on se rend compte qu'en France, et c'est le succès de la Team France Export, lancée en 2018 dans la Stratégie de Roubaix, on est passé de 125.000 à 150.000 entreprises exportatrices, mais c'est toujours moins que nos amis italiens qui sont à plus de 200.000 et toujours moins que nos amis allemands qui sont à plus de 300.000.
Q - Et l'Italie qu'on regarde souvent d'une manière un peu condescendante, finalement, ils ont une économie avec beaucoup plus de PME, ETI, que nous, et ils exportent !
R - Eh bien, c'est un pays qui a, comme beaucoup, autour de nous, la culture de l'export. C'est-à-dire que pour une petite et moyenne entreprise, l'exportation, c'est naturel, on ne se pose pas la question, ça fait partie de la stratégie de croissance. Ce n'est pas le cas chez nous, et c'est ça qu'il faut changer. Et ça, on peut le changer à court terme, et c'est le coeur du plan export.
Q - (...) Les grands des industriels qui exportent, c'est l'aéronautique, le premier poste le plus important ? Quand il y a une commande Airbus, tout va mieux ?
R - Evidemment, quand l'aéronautique se porte bien, le commerce extérieur va mieux. Mais les grands postes, en réalité, c'est l'aéronautique, c'est le luxe aussi, français...
Q - En numéro 1, c'est le luxe ou c'est l'aéronautique ?
R - C'est l'aéronautique. Sur les excédents commerciaux, c'est l'aéronautique. Mais derrière, nous avons le luxe, les cosmétiques, nous avons la pharmacie, et une partie du secteur agricole aussi...
Q - Une partie, vous avez raison de le dire, vous jouez un peu sur les mots, Olivier Becht...
R - Les céréales.
Q - parce qu'on était exportateur, on ne l'est plus, en termes d'agriculture.
R - On est sur certains secteurs de gros exportateurs. Sur les vins et spiritueux, sur les céréales, sur les fromages, le secteur laitier, la filière laitière, c'est 40% de son chiffre à l'exportation. Donc on a encore des grands secteurs agricoles. C'est vrai que nous ne le sommes plus sur les fruits et légumes. Nous ne le sommes plus sur la viande, et c'est évidemment un sujet qui doit nous amener à être plus souverains demain, y compris en matière alimentaire. Et c'est ce que nous sommes aussi en train de corriger avec Marc Fesneau et les filières agricoles.
Q - Vous pensez qu'à la fin de l'année on sera au-delà des 100 milliards, ou pas ? Ou vous espérez qu'on sera dessous ?
R - Je ne suis pas voyant extralucide. Je ne sais pas. Ça va dépendre de la conjoncture, vous l'avez dit vous-même, à l'instant sur votre antenne, qu'est-ce qui va se passer sur les taux d'intérêt, demain, est-ce qu'il va y avoir encore un resserrement monétaire, comment les entreprises vont se comporter sur leurs dépenses d'investissement, est-ce qu'en matière énergétique on aura un début d'hiver qui sera plutôt froid ou plutôt tempéré ? Tout cela, ça va jouer. Ce qui est important, ce n'est pas de savoir si l'on sera au-dessus ou en dessous de 100 milliards, ce qui est important, c'est la tendance, c'est-à-dire est-ce que l'on est capable de redescendre, aujourd'hui, notre déficit commercial, et ça, je suis persuadé qu'on va le faire. Et ce qui est important surtout, c'est les mesures que l'on prend et l'engagement des entreprises à réduire. Parce que moi, je suis persuadé que la France peut et doit redevenir une grande puissance commerciale. On en a les atouts, on fait parmi les meilleurs produits au monde. Et ces produits, il faut les vendre, dans le monde entier. C'est un impératif pour le pays, mais c'est un impératif aussi pour les entreprises.
Q - Alors, vous voyez, c'est un peu, juste pour vous provoquer, pardonnez-moi, Monsieur le Ministre, on parlait d'un déficit qui pourrait éventuellement dépasser ou autour des 100 milliards, puisqu'on est déjà à mi-course à 54 milliards, là, vous allez mettre, sur plusieurs années, 125 millions. On se dit " tiens, est-ce que c'est totalement en rapport à la hauteur de l'enjeu ?"
R - Mais si je mettais 100 milliards, ça ne changerait pas davantage. Le coeur de notre déficit, je viens de le dire, c'est d'un côté la désindustrialisation, et là, pour réindustrialiser le pays, on met 54 milliards d'euros, c'est le plan France 2030, et c'est la faiblesse de nos PME à l'exportation. La faiblesse de nos PME à l'exportation est essentiellement due à l'absence de réflexe export, de logique export d'une grande partie de nos PME, qui se disent "finalement, on a un marché local, on a un marché national sur lequel on se trouve bien, on arrive peu ou prou à maintenir la viabilité de l'entreprise, si on va à l'export, c'est un risque". Eh bien, moi, je souhaite démontrer que c'est l'inverse, c'est-à-dire que c'est en n'allant pas à l'export qu'on prend le risque...
Q - D'où le plan "Osez l'export"...
R - Voilà, d'où le plan. Tout à fait.
Q - Avec 3 points clés, 13 mesures. C'est le moment de nous les donner.
R - On va commencer dans l'ordre, on va commencer par ce qui, à mon sens, est l'axe le plus important, c'est investir dans l'humain et dans les territoires pour donner ce réflexe export. Parce que je le disais à l'instant, vous pouvez mettre des milliards sur la table, si le chef d'entreprise n'a pas envie d'aller à l'export, il ne va pas à l'export. Qu'est-ce que nous allons faire concrètement ? La première chose que nous allons faire, c'est que nous allons mettre la Team France Export sur le terrain pour aller voir individuellement chaque chef d'entreprise qui aujourd'hui n'exporte pas ou exporte très peu, en lui disant la chose suivante : nous vivons dans un monde de chocs, un monde de chocs qui en plus s'accélèrent - chocs sanitaires, chocs géopolitiques avec la guerre, choc de l'inflation, également le choc climatique etc.- et on ne sait pas ce qu'il en sera pour l'avenir. Vous ne dépendez que d'un seul marché. Vous mettez tous vos oeufs dans le même panier, le fameux marché régional ou national, le marché se retourne, votre entreprise est morte. Donc diversifier les risques, c'est aller à l'export. Deuxièmement, les chefs d'entreprise nous disent " oui, mais moi, j'aimerais bien aller à l'xporte, mais vous comprenez, mon entreprise est petite, je n'ai pas les moyens des grands groupes, je veux de l'humain, il me faut des ressources humaines pour... on avait les VIE à l'international, eh bien on invente le VTE, le volontaire territorial à l'export, c'est-à-dire des jeunes, bien formés, qui vont venir dans l'entreprise pour épauler le chef d'entreprise, pour calibrer à la fois l'offre export et l'entreprise elle-même pour aller à l'exportation.
Q - Il y en aura combien sur le terrain, si j'ose dire ?
R - Il y en aura, si je puis me permettre, autant que de nécessaire. Sur les VIE, nous sommes aujourd'hui à 10.000 VIE par an. On va bientôt engager le 100.000ème VIE. Donc les VTE, nous allons monter en puissance, et j'espère qu'il y en aura bientôt autant que de nécessaire pour l'ensemble des entreprises, pour les porter. On va mettre aussi en place une Académie de l'export, c'est-à-dire former, à l'intérieur de l'entreprise, les cadres, les salariés, pour aller, justement, vers l'exportation. Et puis, derrière, on va développer un deuxième axe, qui me semble important, c'est accompagner les entreprises, davantage, sur les salons...
Q - Dans les salons, dans les foires internationales, les choses comme ça ?
R - Oui, et sur les grandes plateformes. Quand on regarde, aujourd'hui, vous voyez, derrière vous, il y a ce magnifique porte-containers, aujourd'hui, 90% du commerce international passe par la mer. Mais la réalité de la transaction, c'est que 80% du commerce "B to B" se passe sur Internet. La relation se passe sur Internet. Et donc, si on veut pouvoir attraper ces clients, il faut être sur Internet. Les Français ne sont pas assez sur Internet. Nous allons mettre sur les grandes plateformes, avec le développement des e-vitrines françaises, pour faire en sorte que nos entreprises soient présentes partout dans le monde. Ça ne sert à rien de faire les meilleurs produits du monde, si on ne le sait pas, et si on n'est pas capable de les vendre dans le monde entier.
Q - Il y a de super VRP pour cela, cela s'appelle le Président de la République française ou le Premier ministre, et souvent, du reste, c'est ce que vous disent les patrons de PME, lorsqu'ils vont à l'étranger, en Chine, ou je ne sais où, ils emmènent des grandes entreprises - donc effectivement il y a tout le CAC 40 qui est dans l'avion - mais ils emmènent très peu de PME, PMI, alors que les Allemands, on se souvient d'Angela Merkel, elle arrivait avec des wagons de patrons de PME et PMI. Il faut aussi changer la culture au niveau politique, non ?
R - Figurez-vous que c'est ce que le Président de la République a dit lundi matin à la conférence des Ambassadrices et des ambassadeurs...
Q - Mais cela fait quelque temps qu'il est président.
R - D'abord, je pense que l'un n'exclut pas l'autre. On a besoin de nos grandes entreprises ; c'est aussi elles qui tirent le commerce international.
Q - Tout à fait, on a besoin des deux.
R - Et nous avons besoin des PME et des PMI. Il se trouve que j'ai fait l'année dernière une quarantaine de déplacements dans le monde, et que dans chacun de mes déplacements, j'ai emporté des délégations avec Business France, avec les chambres de commerce et d'industrie françaises à l'international, avec la BPI, j'ai emmené des PME, des PMI. Je peux vous dire que dans chaque pays, on défend les marchés, et que lorsqu'elles vont à l'international nos PME sont plébiscitées. Nous avons des produits qui font rêver et des services qui font rêver. Chaque fois que nous nous déplaçons, il y a des affaires à la fin de la délégation.
Q - Et votre plan, il commence tout de suite, j'ai envie de dire. S'il y en a qui nous écoutent, qui nous regardent, allez-y !
R - Le cap est très clair : le cap, c'est 200.000 entreprises exportatrices en 2030. C'est le fait de retrouver, à l'horizon 2030, on va dire un équilibre, idéalement un excédent, dans nos échanges avec le monde. Pour y arriver, il faut démarrer tout de suite ! Voilà. Le plan a été lancé cet après-midi, et nous avons déjà fait, d'ailleurs, des premiers déplacements en Île-de-France, je le ferai dans l'ensemble des régions françaises. Il faut y aller. Il faut aller vite et aller loin.
Q - Puisque vous parlez beaucoup de réindustrialisation, en disant "ça passe par là, le succès de la France à l'export", c'était le moment de décaler la suppression de la CVAE, Olivier Becht ?
R - Si on veut être totalement objectif, nous avons baisser les impôts de production dans le dernier mandat de 10 milliards d'euros, nous avons ramené le taux d'imposition des sociétés de 33,3 à 25%, et nous avons supprimé, l'année dernière, la première part de la CVAE à 4 milliards. Il reste 4 milliards à supprimer, on va le faire de manière lissée.
Q - Oui, Elisabeth Borne, à ce même micro, l'a expliqué.
R - On va le faire de manière lissée et autant...
Q - C'est dommage, non ? C'est un peu contradictoire.
R - Excusez-moi, mais est-ce que, si on avait baissé de 4 milliards tout de suite, est-ce qu'on aurait eu les 200.000 entreprises exportatrices demain ? Non. Donc, il faut aussi se concentrer sur l'équilibre des finances publiques et faire en sorte que les engagements soient tenus. Les 4 milliards seront supprimés. Ils seront supprimés de manière lissée et, en attendant, nous accompagnons encore davantage nos entreprises pour faire en sorte qu'elles exportent davantage.
Q - Toute dernière question, sur le Gabon, parce qu'on sait que l'enjeu est très important pour les entreprises françaises, très présentes au Gabon, est-ce que... je ne sais pas... qu'est-ce que vous avez mis en place ? Qu'est-ce que vous leur conseillez au niveau..., puisque vous défendez au ministère des affaires étrangères ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est que nous suivons la situation au Gabon avec la plus grande attention, nous veillons tout particulièrement à la sécurité de nos ressortissants, de la communauté française, et également, bien sûr, de nos entreprises. Nous avons condamné le coup d'Etat, et bien sûr nous sommes en faveur d'un processus démocratique, à la fois libre et transparent. Nous continuons à suivre cette situation, de manière extrêmement attentive, encore une fois pour veiller à la sécurité des ressortissants et des entreprises.
Q - Objectif à l'export, c'est 200.000 entreprises, c'est ça, 200.000 PMI PME ?
R - Le cap est clair : 2030, nous avons 200.000 entreprises exportatrices, et nous essayons de retrouver l'équilibre, et peut-être même un excédent, dans nos rapports avec le monde. C'est un objectif qui est à portée de main.
Q - Attention, c'est enregistré. Vous viendrez nous voir, Olivier Becht !
R - Je viendrai vous voir en 2030, et je viendrai vous voir avant,...
Q - A la fin de l'année
R -... parce que nous avons des objectifs de tendance. Le résultat ne se gagnera pas entre 2029 et 2030. Il se gagne dès aujourd'hui. Il se gagne sur le terrain, avec nos entreprises, car ce sont elles qui font l'export.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2023