Interview de Mme Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles à BFMTV le 7 septembre 2023 sur des cas de maltraitance dans les crèches privées.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Aurore BERGÉ.

AURORE BERGÉ
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes la ministre des Solidarités et des Familles. Merci d'avoir choisi RMC et BFM TV pour venir réagir. Ce scandale, dont on parle depuis 24h, le scandale des crèches privées, on aurait pu en parler plus tôt, il y a d'autres enquêtes qui avaient déjà été menées, on y reviendra. Mais là, c'est deux livres chocs qui sortent en même temps, l'un qui s'appelle "Le prix du berceau, ce que la privatisation des crèches fait aux enfants". Et l'autre qui s'appelle "Babyzness", on a bien compris, crèches privées, l'enquête inédite. Ces enquêtes, elles montrent un système qui, quasiment, de manière structurelle, entraîne un certain nombre de mauvais traitements des enfants, de rationnements même parfois. De nombreux témoignages aussi qui nous arrivent, notamment depuis hier. Ce matin, sur RMC, j'avais Samira qui m'a appelée, il était 06h40, elle m'appelait pour me raconter ce qu'elle avait découvert, ce que sa famille avait découvert dans la crèche de son petit-fils dans la Vienne. Écoutez.

SAMIRA
Tous les bébés étaient en pleurs, depuis 12h15, aucun goûter, rien, ils n'ont pas changé les couches, il s'est retrouvé avec une couche remplie d'excréments, mon petit-fils en crise de larmes, tous les enfants étaient en crise de larmes. Ma fille a filmé, c'était un crève-cœur quand j'ai vu la vidéo.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que l'État a abandonné les enfants au privé ?

AURORE BERGÉ
Alors, si vous permettez, je voulais prendre le temps de reposer quelques éléments, d'abord, je pense que pendant des années, ce qui se passait dans les crèches, ça n'intéressait pas grand monde, parce que, ce qui se passait pour nos enfants de 0 à 3 ans, ça n'intéressait pas grand monde ; il a fallu Boris CYRULNIK, il a fallu qu'on s'intéresse aux 1.000 premiers jours de la vie de l'enfant pour se dire que leur vie, elle commençait peut-être avant qu'ils aient un cartable sur le dos, et avant qu'ils entrent à l'école, ça, c'était quand même un peu le point de départ collectif qui a été le nôtre. Et donc, il y a eu concrètement, qu'est-ce qui se passe à partir du moment où nos enfants ne sont pas chez nous, à partir du moment où nos enfants, on doit les faire garder, parce que les familles font des choix, et qu'elles font aussi souvent ce qu'elles peuvent, et parfois, c'est des enfants gardés à domicile, souvent des enfants gardés par des assistantes maternelles, c'est le premier mode de garde après les grands-parents, et puis, après, les enfants qui sont gardés dans des crèches, et là, en général, les parents, ils ne font pas vraiment un choix, j'ai envie de dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais enfin, il y a quand même une chose qui a changé, Aurore BERGÉ, et ça, il faut le dire, c'est que moi, je veux bien qu'on se soit tout d'un coup intéressé, comme si avant, on ne s'intéressait pas à ce que…

AURORE BERGÉ
On s'y intéressait beaucoup moins…

APOLLINE DE MALHERBE
Moi, j'ai un peu du mal à le croire…

AURORE BERGÉ
Les politiques publiques s'y intéressaient très peu…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais il y a quand même une chose qui a changé, c'est qu'avant, les crèches, c'était publique, et puis qu'un jour…

AURORE BERGÉ
À 80 %…

APOLLINE DE MALHERBE
Et puis qu'un jour, l'État, il a dit : eh bien, finalement, on n'a pas le temps, on n'a pas les moyens, donc on va déléguer ça au privé.

AURORE BERGÉ
C'est un peu plus complexe que ça, et vous le savez bien. Déjà, aujourd'hui, il y a 20 % de crèches qui sont des crèches privées, donc, on ne peut pas dire que tout d'un coup, il y a eu un basculement…

APOLLINE DE MALHERBE
Non, non, non, attention, Aurore BERGE…

AURORE BERGÉ
Ça augmente…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est 20 % du nombre de places de berceaux, mais c'est 90 % des nouvelles crèches, c'est-à-dire aujourd'hui…

AURORE BERGÉ
Ça augmente de manière très puissante…

APOLLINE DE MALHERBE
Les crèches sont privées, toutes les nouvelles crèches sont privées, l'État n'en fait plus…

AURORE BERGÉ
Apolline de MALHERBE, alors, attendez, déjà, ce n'est pas l'État en général qui a fait les crèches, ce sont les municipalités qui faisaient des crèches…

APOLLINE DE MALHERBE
Les collectivités publiques…

AURORE BERGÉ
Ce sont les collectivités locales qui faisaient les crèches, les collectivités locales qui aujourd'hui continuent d'en faire ou qui font un autre choix que de dire : on va déléguer, on fait des délégations de service public, et donc, on choisit des opérateurs. Et là, elles ont le choix, elles peuvent faire appel au secteur associatif. Par exemple, La Croix-Rouge opère des crèches dans notre pays, elles peuvent faire appel aux UNAF par exemple pour le faire, elles peuvent le garder en gestion directe, ou elles peuvent faire appel à des crèches privées. La question qu'on se pose à partir du moment où on voit qu'il y a un modèle qui est beaucoup plus éclaté qu'avant, où on a en effet du privé, du privé lucratif notamment, qui s'est intéressé à ce business aussi que sont celui des crèches. La question qui doit se poser, elle est double. Elle est la question du contrôle. Concrètement, qui contrôle, comment on contrôle, est-ce qu'on contrôle l'accès, à la fois sur place dans les établissements, à la fois dans les grands groupes privés ? Et c'est là-dessus qu'il faut changer la donne. Et la question des professionnelles de ces crèches qui aujourd'hui ne sont pas assez nombreuses, et si elles ne sont pas assez nombreuses, c'est parce qu'elles ne sont pas assez rémunérées, pas assez valorisées, pas assez reconnues, pas assez formées…

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, on va revenir très précisément sur les moyens que vous allez mettre pour qu'il y ait davantage de contrôles, pour qu'il y ait en effet peut-être davantage de personnels, de nombre de personnes par rapport aux enfants. Mais, vous l'avez dit, le privé à but lucratif a compris qu'il y avait là un business. Pardon, mais est-ce que la responsabilité, encore une fois, ce n'est pas que l'État, à un moment, s'est désintéressé de ce secteur, qui est un secteur de services public, et qu'il l'a délégué à des entreprises privées dont le but, vous l'avez vous-même dit, est de faire des profits et du business…

AURORE BERGÉ
Comme toute entreprise privée…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce sont des entreprises dans lesquelles des fonds d'investissement sont rentrés. Peut-on confier les plus vulnérables de ce pays, et c'est exactement la même question qu'on se posait face au scandale d'ORPEA et des personnes âgées dans les maisons de retraite à but lucratif, est-ce possible, est-ce que le modèle n'est pas un modèle qui entraîne mécaniquement ces dérives ?

AURORE BERGÉ
C'est possible si et seulement si on met des garde fous. C'est ça la vérité. La vérité, c'est que la question, elle n'est pas juste le modèle économique. Quand on a lancé une grande inspection de l'IGAS, l'IGAS, c'est l'Inspection Générale des Affaires Sociales, on a eu, il y a un an, le décès d'une petite fille dans une crèche qui a, je pense, bouleversé toute la France.

APOLLINE DE MALHERBE
C'était à Lyon…

AURORE BERGÉ
C'était à Lyon, c'était en juin dernier. Une petite fille qui a été tuée, voilà ce qu'il faut dire. Donc il y a eu une inspection…

APOLLINE DE MALHERBE
On l'a fait boire, ce n'est pas qu'elle est tombée sur une bouteille de détergent…

AURORE BERGÉ
Non, non, elle a été tuée…

APOLLINE DE MALHERBE
Je dis les mots…

AURORE BERGÉ
Elle a été tuée. Et donc il y a une inspection de l'IGAS qui a été lancée. C'est-à-dire que l'État a lancé une inspection pendant des mois. C'est 45.000 témoignages qui ont été recueillis, bien plus que pour tous les livres qui vont s'additionner. Ces rapports, ils ont été rendus publics. Et ils ont démontré qu'il pouvait y avoir des cas de maltraitances, quels que soient les modèles économiques des crèches, quels que soient les types de gestionnaires, et que la première, en vérité, des maltraitances, c'était la question de la pénurie de professionnelles. Et c'est ce que les professionnelles elles-mêmes, je mets au féminin, parce que c'est massivement des femmes, elles-mêmes nous disent, c'est qu'elles ont peur de devenir maltraitantes parce qu'elles n'ont pas suffisamment de temps auprès de nos touts petits, auprès de nos enfants. Et donc le premier enjeu, qui est le mien, c'est comment on fait pour recruter des professionnelles qui soient qualifiées, qui soient formées, qui soient accompagnées, et donc comment on fait pour les revaloriser ? Et la question des contrôles. Je veux juste dire un mot sur les contrôles. Il y a deux types de contrôles, il y a les contrôles qu'on doit faire directement sur place, dans les établissements, ce sont les PMI, les Protections Maternelles et Infantiles, qui sont en responsabilité de ces contrôles…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais eux-mêmes disent qu'ils n'ont pas suffisamment d'agents formés pour faire ces contrôles.

AURORE BERGÉ
Les départements mettent des moyens. C'est les départements qui contrôlent les PMI, qui mettent les moyens. Moi, ce que je veux, ce n'est pas qu'on se renvoie la balle et les responsabilités, c'est qu'on travaille main dans la main avec les départements pour se dire comment on fait mieux, comment on a un système d'alerte, qui est un système d'alerte national. Comment les professionnelles elles-mêmes peuvent nous alerter si elles voient des pratiques qui ne correspondent pas à la norme, à la qualité qu'on doit avoir pour l'accueil et la protection de nos enfants, comment les parents…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous vous engagez sur quoi ? C'est-à-dire que, Aurore BERGÉ, vous le disiez, il y a eu ce rapport de l'IGAS, pardon, mais enfin, le rapport de l'IGAS, il date d'avril dernier.

AURORE BERGÉ
Du printemps.

APOLLINE DE MALHERBE
Qu'est-ce qu'il dit ce rapport de l'IGAS, qui est donc l'Inspection Générale des Affaires Sociales, ce n'est pas les journalistes qui…

AURORE BERGÉ
Oui, bien sûr, c'est l'Etat qui a demandé un rapport…

APOLLINE DE MALHERBE
C'est l'État qui a mené cette enquête de manière systématique dans tous les départements de France. Il fait état, je cite, de témoignages d'enfants à qui on ne donne pas à boire, comme ça, on change moins les couches, qu'on laisse trop longtemps dans leurs couches souillées, que l'on humilie, que l'on insulte, en disant : tu chouines pour rien, tu sens mauvais, que l'on force à manger ou même que l'on maltraite physiquement, en leur tirant les cheveux ou en les attachant à un radiateur. Ça, c'est le rapport que vous avez reçu noir sur blanc en avril dernier. Qu'est-ce qui a changé depuis avril ?

AURORE BERGÉ
Qu'est-ce qui a changé, 1°) : la question des contrôles, de manière à ce que les contrôles soient beaucoup plus systématiques, directement dans les crèches, dans les établissements, et quand je parle de contrôles, ça veut dire des contrôles sur place et des contrôles inopinés. On ne prévient pas évidemment qu'on va arriver et que ces contrôles seront réalisés. Ce qui va changer, c'est un système d'alerte beaucoup plus systématique, encore une fois, pour que les parents puissent alerter, pour que les professionnelles elles-mêmes puissent alerter. Ce qui va changer, c'est aussi la loi. Parce qu'en vérité, on n'avait pas le droit, l'État n'avait pas le droit d'aller contrôler les grands groupes privés. En gros, je n'avais pas le droit d'aller au siège des grands groupes privés pour dire : maintenant, je veux tous les documents, je veux les contrats de travail, je veux avoir accès à vos comptes…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous pouvez le faire désormais.

AURORE BERGÉ
On va changer la loi, si les parlementaires en décident, dès le mois de septembre sur ce sujet-là, de manière à ce qu'on puisse envoyer toutes les inspections nécessaires directement au siège de ces grands groupes privés. Donc, ça veut dire, encore une fois…

APOLLINE DE MALHERBE
Ce sont principalement quatre grands groupes privés…

AURORE BERGÉ
Quatre grands groupes….

APOLLINE DE MALHERBE
Qui sont les opérateurs de ces crèches privées.

AURORE BERGÉ
Et donc, si vous avez à la fois des contrôles sur place, si vous instaurez cette culture du contrôle qui n'était pas la norme avant, pour voir concrètement ce qui se passe dans ces établissements, des établissements qui sont, il faut quand même bien dire, quand… moi, c'est mon cas, quand vous déposez votre enfant à la crèche le matin…

APOLLINE DE MALHERBE
Je pense qu'ils sont nombreux à nous écouter ce matin, il est 08h40…

AURORE BERGÉ
Mais évidemment…

APOLLINE DE MALHERBE
A s'apprêter ou alors, à avoir déjà déposé leur enfant à la crèche…

AURORE BERGÉ
Mais quand vous êtes un parent qui dépose son enfant à la crèche…

APOLLINE DE MALHERBE
Peuvent-ils avoir confiance ?

AURORE BERGÉ
Ils doivent avoir confiance.

APOLLINE DE MALHERBE
Non, mais ils doivent, moi, je veux bien, mais est-ce qu'ils peuvent ?

AURORE BERGÉ
Mais non, mais moi, je leur dis ça, je leur dis : parlez aux professionnelles, parce que quand vous déposez votre enfant à la crèche, quand vous allez rechercher votre enfant à la crèche, vous n'êtes pas à la porte de la crèche, vous entrez dans la section des petits, des moyens, des grands, vous voyez votre enfant, vous échangez avec le professionnel, vous dites le matin quand vous arrivez, comment votre enfant a dormi, à quelle heure il a mangé, quand vous le récupérez le soir, vous posez des questions aux professionnelles, vous voyez ce qui se passe. Et donc, on doit avoir ce dialogue, beaucoup plus poussé, entre les parents et entre les professionnelles, et instaurer cette culture, qui est une culture du contrôle qui doit être nouvelle.

APOLLINE DE MALHERBE
En gros, ce que vous dites, c'est : ce n'est pas notre problème, c'est à vous les parents de faire votre boulot…

AURORE BERGÉ
Mais bien sûr que non, ce que je dis, c'est que notre responsabilité qu'il y ait des contrôles, ce que je dis, c'est qu'on va le faire main dans la main avec les départements pour garantir que ces contrôles existent, pour garantir que ces systèmes d'alerte existent. Ce que je dis aussi, c'est que, contrairement aux EHPAD, où les familles rentrent rarement, tous les jours, et deux fois par jour, on voit la crèche et on voit les professionnelles…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc il y a une question…

AURORE BERGÉ
Et ce que je dis, enfin, c'est que pour la première fois, on va pouvoir contrôler parce qu'on change la loi, parce qu'on change la loi, les grands groupes privés directement sur leurs pratiques, et ça doit être systématique…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais là, je vous repose la question du nombre de personnes qui peuvent faire ces contrôles. L'IGAS estime qu'il n'y a pas suffisamment de personnes sur le territoire pour faire ces contrôles, déjà, dans les crèches, et vous, vous allez rajouter un autre échelon de contrôles, c'est très bien, qui est le siège de ces entreprises. Mais sauf que vous allez… si vous ne rajoutez pas plus d'agents qui seront en mesure de faire ces contrôles…

AURORE BERGÉ
On a augmenté de manière massive….

APOLLINE DE MALHERBE
Ça va être encore pire…

AURORE BERGÉ
On a augmenté de manière massive, au niveau de l'État, les personnes qui sont habilitées à réaliser des contrôles.

APOLLINE DE MALHERBE
Combien ?

AURORE BERGÉ
Eh bien, là, on augmente encore les effectifs de plus de 120 personnes, qui permet de se déployer dans les différents départements. Et les départements eux-mêmes se sont engagés évidemment à augmenter leurs effectifs pour réaliser des contrôles. Donc là, chaque département va pouvoir le faire et doit pouvoir le faire.

APOLLINE DE MALHERBE
L'autre question, c'est le nombre d'adultes par enfant. Ça cette règle, elle est fixée par l'État, elle est fixée par l'administration. La règle aujourd'hui, c'est 1 adulte pour 6 enfants. On a eu de nombreux témoignages, je le disais, et notamment Pia, qui est une directrice de crèche, qui aime son boulot, qui dit : ça reste un métier de passion et qui dit d'ailleurs que tous ceux qui le font le font avec beaucoup de dévotion…

AURORE BERGÉ
Dévouement…

APOLLINE DE MALHERBE
De dévouement. Ils y passent beaucoup de temps, et avec beaucoup de passion. Elle dit : le problème, c'est qu'on est épuisé…

AURORE BERGÉ
Pas assez…

APOLLINE DE MALHERBE
On est épuisé parce qu'on n'est pas suffisamment nombreux. Et elle m'a demandé de vous poser la question : est ce qu'il ne faut pas augmenter ce chiffre ? C'est vous qui donnez cette règle aux entreprises. Est-ce qu'il ne faut pas plus que 1 adulte pour 6 enfants ?

AURORE BERGÉ
Elle a raison, et c'est ce qu'on va faire. Je veux qu'on passe à un taux d'encadrement de 1 pour 5. C'est ça notre objectif…

APOLLINE DE MALHERBE
De 1 pour 5 ?

AURORE BERGÉ
De 1 pour 5 partout…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez changer la règle…

AURORE BERGÉ
On va changer la règle…

APOLLINE DE MALHERBE
Et les entreprises privées vont devoir s'adapter.

AURORE BERGÉ
Elles vont devoir s'adapter. Je suis consciente aussi que vous ne pourrez pas demander aux crèches privées, dans les 48h, de passer de 1 pour 6, à 1 pour 5. Mais ce que je dis aussi aux groupes privés, c'est que la première des mesures à prendre pour faire en sorte qu'il y ait un taux d'encadrement qui soit supérieur, qu'il y ait plus de professionnels, c'est que ces métiers doivent être plus attractifs. Je leur demande de réfléchir à l'organisation de leur temps de travail. On peut en crèche avoir des modèles qui sont plus innovants, où les personnes vont travailler sur des semaines, de trois jours ou des semaines de quatre jours, parce que ce sont des métiers qui sont des métiers difficiles, qui sont des métiers pénibles. Je leur demande de revaloriser leurs personnels. Au 1er janvier 2024, l'État, mon gouvernement, met 200 millions d'euros sur la table chaque année. Chaque année, on va mettre 200 millions d'euros sur la table pour revaloriser les personnels. Mais, je ne mettrai pas et je ne donnerai pas 1 euro de cet argent aux groupes privés si dans le même temps, ils n'ont pas des conventions collectives qui sont enfin au niveau vis-à-vis des personnels. Si dans le même temps, il n'y a pas des engagements très clairs sur la qualité d'accueil. Par contre, on a déjà des groupes, notamment associatifs, où on sait que les choses se passent très bien. Eux, dès le 1er janvier 2024 pourront revaloriser…

AURORE BERGÉ
La petite différence, c'est peut-être le but non lucratif, est-ce qu'il n'y a pas quand même, et j'y reviens, un problème de modèle ? Il y a eu le scandale ORPEA, il y a le scandale des crèches privées. Ce sont quatre groupes, on le disait, quatre principales entreprises qui font à elles seules 1,1 à 1,4 milliard d'euros de chiffre d'affaires par an. Est-ce qu'il n'y a pas un problème de modèle ? Est-ce que vous ne vous êtes pas posé la question peut-être de renationaliser le service de la petite enfance ?

AURORE BERGÉ
Bien sûr que si que je me suis posé la question. Je me suis posé la question quand je lis le rapport de l'IGAS. Je me pose la question quand je vois les témoignages de : est-ce que le modèle économique, par lui-même, en vérité, définit ou pas la manière…

APOLLINE DE MALHERBE
Faire de l'argent…

AURORE BERGÉ
La manière avec laquelle ensuite on travaille. Sauf qu'à la fin, ce sont des professionnelles qui s'engagent, ce sont des femmes qui s'engagent, qui ont été formées, qui sont des auxiliaires de puériculture, et qui s'engagent, quel que soit le type de crèches, et qui s'engagent avec la même dévotion, avec le même dévouement, avec la même vocation, et qui n'ont qu'une envie, c'est de s'occuper de nos tout petits enfants, et qu'elles le fassent encore une fois dans une crèche privée, dans une crèche publique, dans une crèche associative, on ne peut pas remettre en cause l'engagement qui est celui des professionnelles. Par contre, nous, ce que l'on doit garantir, c'est garantir la sécurité de nos enfants, quel que soit le mode de garde, c'est garantir la qualité d'accueil de nos enfants et leur épanouissement, leur sécurité affective, quel que soit le mode de garde, et c'est garantir le bien-être au travail de ces professionnels qui font un travail extraordinairement exigeant et difficile, quel que soit encore une fois le mode de garde et quel que soit le modèle économique. D'où les contrôles qui vont être faits et d'où le fait, je le redis, que quand on met 200 millions d'euros sur la table, il n'y aura pas 1 € pour des groupes privés, s'ils ne se mettent pas au niveau.

APOLLINE DE MALHERBE
On l'a vu avec des dizaines de services d'urgences qui ont dû fermer cet été, je rappelais qu'il y a eu le scandale des personnes âgées. Est-ce qu'aujourd'hui il n'y a pas un problème, tout simplement, d'effondrement de notre service public ?

AURORE BERGÉ
Non, parce que, à la fin, vous avez un État qui s'engage. Qu'est ce qui se passe ? C'est-à-dire que nous, on a à la fois des moyens qui sont déployés, qui sont déployés par les CAF notamment, pour faire en sorte que ce qui reste à payer chaque mois aux parents, soit le plus raisonnable possible. Parce que les parents, encore une fois, ils font ce qu'ils peuvent. Les parents, ils vont travailler le matin et ils doivent pouvoir juste être sereins à partir du moment où ils ont déposé leur enfant, que ce soit auprès d'une assistante maternelle, que ce soit en crèche, que ce soit en le laissant à domicile. Et donc il faut accompagner les parents. Donc, en vérité, on met énormément d'argent public pour garantir l'accueil de nos enfants et le mode de garde de nos enfants.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est précisément d'ailleurs le point.

AURORE BERGÉ
D'où la nécessité, encore une fois, des contrôles.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est ce qui est très frappant et pour que tous ceux qui nous écoutent et nous regardent, le comprennent bien…

AURORE BERGÉ
Il n'y a pas un désengagement.

APOLLINE DE MALHERBE
… c'est qu'au fond c'est un véritable partenariat entre les aides publiques et ces entreprises privées. C'est exactement comme pour ORPEA, c'est-à-dire que le personnel, il est majoritairement payé par les aides, par le budget que l'État alloue…

AURORE BERGÉ
Que l'État délivre, oui, bien sûr.

APOLLINE DE MALHERBE
… à ces entreprises privées. C'est ce modèle qui est quand même, voilà, ces entreprises privées, elles sont une partie de leurs frais de fonctionnement, sont couverts en réalité par vous, par l'État.

AURORE BERGÉ
Oui, parce qu'on aide les familles. Parce que qu'est-ce que vous voulez que je dise, moi, ce matin ? Je vais dire à toutes les familles qui nous regardent, qui en général, encore une fois, ont fait ce qu'elles ont pu, avec ce qu'elles ont trouvé à proximité de chez elles, que ce soit une crèche privée, une crèche associative, une crèche publique, leur dire, en fait, vous n'avez pas eu d'autre choix que de mettre votre enfant dans la crèche qui est à proximité de chez vous, et du jour au lendemain, l'État ne va plus vous aider. Et donc cela va vous coûter plus cher. Et donc si ça se trouve, vous ne serez plus en capacité de faire garder votre enfant, alors que dans la majorité des cas, et heureusement, les choses se passent bien. Moi ce qui m'importe, c'est le service qui est rendu à nos enfants, c'est le service qui est rendu à nos familles. Je ne peux pas dire que l'État va se désengager, parce que le modèle économique ici ou là on considérerait que ça ne serait pas le bon.

APOLLINE DE MALHERBE
Précisément, est-ce qu'il faudrait que vous vous réengagiez, et je vous pose à nouveau la question, ces crèches privées représentent 90 % des nouvelles places en crèche qui sont créées depuis plusieurs années. Est-ce que vous ne voulez pas changer ce ratio et demander aux collectivités de privilégier un retour à un modèle de crèches publiques pour toutes les ouvertures de crèches à partir de maintenant ?

AURORE BERGÉ
Je crois et j'espère aussi que, à la fois le rapport de l'IGAS, que peut être les alertes, les livres, vont à la fois changer durablement les pratiques de ces grands groupes privés pour garantir d'abord la qualité et le bien-être, et de nos enfants et des professionnels…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais ces auteurs, ils parlent d'enfants comme de chiffres dans un tableau Excel, avec vraiment combien chaque enfant rapporte…

AURORE BERGÉ
Mais ça, c'est notre responsabilité de garantir que ça ne soit pas le cas.

APOLLINE DE MALHERBE
… ils parlent notamment de la question du nombre de repas par enfant, c'est-à-dire que, au lieu de commander un peu plus de repas qu'il n'y a d'enfants, c'est exactement l'inverse, ils commandent moins de repas qu'il n'y a d'enfants, donc ce sont des enfants qui rentrent chez eux et qui sont affamés. Ce sont des enfants qui parfois ne boivent pas.

AURORE BERGÉ
Attendez, déjà, moi, un, je ne veux pas que les téléspectateurs et les auditeurs qui nous écoutent se disent, en écoutant cette émission, que dans toutes les crèches de notre pays, ça se passe comme ça. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai. Dans toutes les crèches de notre pays, on a d'abord des professionnels qui s'engagent, qui ne sont pas assez payés…

APOLLINE DE MALHERBE
Et d'ailleurs je précise…

AURORE BERGÉ
Qui ne sont pas assez payés, et on va les revaloriser…

APOLLINE DE MALHERBE
… que ces deux livres disent tout le bien qu'ils pensent des professionnels…

AURORE BERGÉ
Oui, mais donc, vous voyez bien que si à la fin on donne le sentiment que partout il y a de la maltraitance, qu'on fait souffrir nos enfants, vous imaginez bien que si on avait la moindre suspicion, si les départements ont la moindre suspicion sur un établissement, évidemment que cet établissement doit être fermé et immédiatement. Si les établissements ne respectent pas le taux d'encadrement tel qu'il est demandé, ces établissements doivent être immédiatement fermés. Et donc, encore une fois, on va renforcer ces contrôles à la fois sur place, et on va renforcer les contrôles sur les grands groupes privés, et on va accepter de mettre plus de moyens, à partir du moment où ils seront mis au niveau. Je ne veux pas qu'on donne le sentiment que ces professionnels seraient des professionnels maltraitants. Aujourd'hui, on en manque de ces professionnels. Vous imaginez aussi, et ça c'est…

APOLLINE DE MALHERBE
Et c'est aussi pour ça, elles disent être épuisées, parce qu'elles ne sont pas suffisamment nombreuses.

AURORE BERGÉ
… mon travail aussi en tant que ministre des Familles, de leur dire, de leur dire quand même tout tout l'engagement qui est le leur, et de le reconnaître et de les en remercier.

APOLLINE DE MALHERBE
Et vous avez précisé, et vous avez précisé Aurore BERGE, et c'est très important, que vous allez changer le nombre d'adultes par enfant, avec l'objectif d'atteindre le nombre d'un adulte pour cinq enfants. Je voudrais que l'on parle aussi des Restos du Cœur et de la question des associations…

AURORE BERGÉ
Bien sûr.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre des Solidarités, et précisément autour de ce mot de solidarité, il y a un débat gauche/droite, notamment autour de la question du don de 10 millions d'euros qui a été fait par le groupe LVMH pour les Restos du Cœur. Vous diriez solidarité ou vous diriez que c'est de la charité, sachant que la charité, LFI notamment dit "on n'en veut pas".

AURORE BERGÉ
En fait, je crois qu'il n'y a qu'en France que ce débat existe. Il n'y a qu'en France où quand vous avez une grande entreprise qui fait un chèque de 10 millions d'euros, au lieu de lui dire merci on préfère l'engueuler. Je ne crois pas qu'un grand groupe comme LVMH, au regard aussi d'ailleurs des produits qui sont ceux que commercialise cette marque, voit son chiffre d'affaires augmenter demain parce qu'il a fait un chèque de 10 millions d'euros, sans demander de défiscalisation par ailleurs. Ils ont fait un chèque de 10 millions d'euros parce qu'on a une situation exceptionnelle qui justifie que tout le monde contribue, qui justifie que l'État fasse sa part, 156 millions d'euros sur l'aide alimentaire, parce que c'est une urgence pour garantir aux 4 millions de Français qui malheureusement aujourd'hui, ont besoin d'aide alimentaire, de pouvoir y recourir, mais qui justifie aussi, et c'était le sens de l'appel que j'ai lancé, que des grandes entreprises qui réussissent en France, grâce à la France, eh bien aussi contribuent à cet effort national. Et je crois que c'est important qu'elles y aient répondu, TOTAL y a répondu, les grandes banques comme le CRÉDIT MUTUEL ou la BNP y ont répondu, et surtout des milliers de petits donateurs y ont répondu, et tant mieux en vérité.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'au moment où on se parle, Aurore BERGE, une semaine après cet appel, ce SOS du patron des Restos du Cœur, le compte y est globalement ? Est-ce que les caisses ont été renflouées par tous ces dons ?

AURORE BERGÉ
Ce qu'on a dit au président des Restos du Cœur, comme ce que l'on a dit à tous les responsables de toutes les associations de l'aide alimentaire, c'est qu'on se reparlait fin septembre et qu'on garantirait, quoi qu'il arrive, que leur budget soit bouclé. Il n'y aura pas 1 € qui manquera aux Restos du Cœur à la fin du mois de septembre. Et donc l'engagement qu'on a pris, c'est de regarder précisément à la fois en fonction des dons et si jamais on venait à manquer, alors évidemment, l'État sera au rendez-vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Aurore BERGE d'avoir répondu à mes questions ce matin.

AURORE BERGÉ
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes la ministre des Solidarités et des Familles.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2023