Texte intégral
JEAN-RÉMI BAUDOT
Bonjour Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Le 9 août dernier, un incendie a coûté la vie à 10 personnes en situation de handicap, et un accompagnateur, dans un gîte à Wintzenheim en Alsace. Une enquête administrative a été lancée. Quelles en sont les conclusions ?
AURORE BERGÉ
Alors, déjà il y a eu un drame absolu que vous rappelez, puisque 9 personnes… 10 personnes en situation de handicap et un accompagnateur sont décédées dans un incendie. Il y a à la fois une enquête judiciaire, donc l'enquête judiciaire, elle dira les responsabilités pénales. Moi, j'ai immédiatement diligenté une inspection administrative pour comprendre s'il y avait eu des manquements, des fautes, et si des sanctions et surtout des modalités nouvelles devaient être mises en place ; à la fois vis-à-vis des entreprises, les deux entreprises qui occupaient le gîte, et vis-à-vis aussi, nous, de nos modalités, de l'organisation de l'État, et de la manière avec laquelle ces vacances adaptées, donc les vacances pour les personnes en situation de handicap, peuvent s'organiser. Ce que le rapport de l'IGAS démontre, donc c'est l'Inspection de l'administration sociale, qui a été en charge de cette enquête administrative, c'est que si on est très lucide et très honnête, il y a un peu un dysfonctionnement général. Un dysfonctionnement général, parce que je pense que pendant des années, la situation des personnes handicapées, et particulièrement les vacances d'été adaptées, ça n'intéressait pas grand monde, et que le drame de Wintzenheim a mis en lumière la manière avec laquelle ces vacances, eh bien, en vérité, n'ont pas été suffisamment encadrées, normées et penser.
Et donc il y a des mesures immédiates qui s'imposent. Les mesures immédiates qui s'imposent, c'est une instruction que moi je vais envoyer à l'ensemble des entreprises et associations qui organisent ces vacances adaptées, pour dire qu'évidemment il est impensable qu'elles puissent les organiser dans des lieux qui ne respectent pas des normes minimales en termes de sécurité et d'incendie. Dans le même temps…
AGATHE LAMBRET
Mais, ce que vous nous dites, Aurore BERGÉ, pardon, c'est que pendant des années, l'État, l'administration, les organisateurs, ont fermé les yeux sur des défaillances, en fait.
AURORE BERGÉ
Moi je pense qu'il faut être lucide et le dire comme ça. Parce que je crois que les personnes, qui sont les personnes les plus fragiles, les personnes les plus vulnérables dans notre société, pendant très longtemps on n'a pas eu envie de les voir, on n'a pas eu envie de traiter ces questions-là. Regardez, même géographiquement, où sont implantés ou pendant des années ont été implantés les centres pour les personnes en situation de handicap ? Ils ne sont pas dans le cœur de nos villes, dans le cœur de nos villages, ils ont été cachés, mis au fond des bois. Nous, ce qu'on veut, c'est avoir une société qui est inclusive et qui fait que les personnes en situation de handicap vivent comme tous les citoyens français, aient accès aux mêmes droits, aient accès au droit commun. Et pour les personnes, pour lesquelles au regard de leur pathologie ça n'est pas possible et qui auraient besoin par exemple en effet de vacances adaptées, au regard encore une fois de spécificité qui sont les leurs, de conditions médicales, alors il est impensable encore une fois que les conditions de sécurité, que nous, nous avons quand nous nous rendons dans un gîte ou dans un hôtel, ne soient pas respectées pour ces personnes.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Aurore BERGÉ, concrètement, les défaillances dont vous parlez, jusqu'à quels niveaux des services de l'État est-ce que vous avez pu les… le rapport peut les constater ?
AURORE BERGÉ
Eh bien, on a regardé concrètement quelle avait été la chaîne de décision qui avait fait que ces entreprises, une entreprise et une association, avaient pu avoir des agréments. Ce qu'on a constaté, c'est que la fameuse entreprise dans laquelle 10 personnes en situation de handicap sont décédées, et un animateur, eh bien en fait elle a eu un agrément provisoire, alors que juste avant, pendant 2 mois, elle avait continué à organiser des séjours, alors qu'elle n'avait plus aucun agrément. Donc, en vérité, tout ça, c'est dysfonctionnel. Ce qui compte…
AGATHE LAMBRET
C'est parce qu'il n'y a pas eu assez de contrôles ? Comment c'est possible ?
AURORE BERGÉ
Alors, ce qui compte, c'est, un, encore une fois, les actions immédiates, ce que je vous disais. Action immédiate, c'est une circulaire que moi je vais signer personnellement début de semaine prochaine, pour dire à toutes les entreprises : oui, vous avez des conditions de sécurité, de normes incendiée à respecter, et dire dans le même temps aux administrations, vous devez vérifier tous les agréments que vous avez délivrés, et tous les agréments que vous allez délivrer à l'avenir pour vérifier que ces attestations existent, et si elles n'existent pas, il est impensable encore une fois que ces séjours puissent s'organiser. Il faut aussi augmenter les effectifs. Moi j'ai obtenu qu'on double les effectifs des personnes qui sont dédiées justement, pour tout simplement vérifier, délivrer ces agréments, vérifier ces attestations.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Ça veut dire qu'on passe à combien de personnes, très concrètement ?
AURORE BERGÉ
Ça veut dire qu'on va passer à 110 personnes, donc plus d'une par département, qui va pouvoir se déployer et qui va spécifiquement s'occuper de ce sujet des vacances adaptées. Et ça veut dire qu'il faut aller plus loin, parce que notre enjeu c'est quoi ? C'est qu'encore une fois les personnes en situation de handicap évidemment puissent avoir accès aux loisirs, puissent avoir accès aux vacances. Moi, je ne veux pas, alors que je suis la ministre des personnes en situation de handicap, dire : eh bien écoutez, l'impact ça va être que moins de personnes vont partir en vacances. Non. Il faut que les personnes puissent partir en vacances, il faut que les familles aient un droit au répit, mais il faut évidemment que ça se fasse dans des conditions de sécurité absolue. Et donc ça veut dire que l'on va regarder précisément quelle est la grille de contrôle. Moi je veux qu'avant la fin de l'année on ait une nouvelle grille de contrôle, de manière à ce que pour les prochaines vacances, on n'ait plus de Wintzenheim, que ça ne puisse plus arriver dans notre pays. Et pour que ça ne puisse plus arriver…
AGATHE LAMBRET
Qu'il y ait des contrôles de sécurité, a priori.
AURORE BERGÉ
Il faut, on double les effectifs, pour garantir que ce soit le cas, on refait une vraie grille de contrôle, aujourd'hui on a une espèce d'instruction nationale qui fait plus d'une centaine de pages où la question de la sécurité elle est traitée presque avec deux petits mots, donc ça, ça suffit. On remet enfin de l'ordre dans les vacances adaptées, de manière à garantir la sécurité des personnes, sans, encore une fois jeter le discrédit sur celles et ceux qui les organisent, parce que dans la majorité des cas, et vous le voyez bien, ça se passe bien, dans des bonnes conditions d'accueil, de sécurité, avec des professionnels engagés, mais on a des cas où il y a des manquements évidents, et ces manquements ils peuvent conduire encore une fois à des situations douloureuses, à des situations de maltraitance, voire ils peuvent conduire à de tels niveaux de défaillances qu'à la fin vous envoyez des personnes vulnérables dans un gîte où il n'y avait même pas de normes incendies respectées.
AGATHE LAMBRET
Aurore BERGÉ, le Pape François arrive aujourd'hui à Marseille, pour avant tout sensibiliser sur la question des migrants. Est-ce que ce n'est pas aussi un message adressé au gouvernement français ?
AURORE BERGÉ
Je crois que c'est un message récurrent que le Pape a toujours passé. D'ailleurs je crois que ses prédécesseurs avant lui, sur la capacité qu'on avait à être dans un monde qui soit plus ouvert, plus généreux, apprennent notre responsabilité nous de gouvernance, et à la fois de garantir cette générosité et cet accueil mais aussi d'y mettre encore une fois des limites par rapport à nos propres capacités et par rapport à une situation dont on voit bien qu'en France il faut qu'on arrive à maintenir un équilibre.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Lui est quand même particulièrement investi sur la question des migrants. Son premier geste tout à l'heure à Marseille, ça va être d'aller se recueillir devant un monument à la mémoire des marins et des migrants disparus en mer, quand en France on a Gérald DARMANIN qui annonce que la France n'accueillera aucun migrant de Lampedusa, alors que l'Italie appelle à l'aide. Est-ce que ça c'est de la solidarité, vous qui êtes ministre de la Solidarité ?
AURORE BERGÉ
La solidarité, vous savez très bien que c'est une solidarité européenne sur les questions de migration, et ça montre bien, et l'exemple de l'Italie est très révélateur, puisque même Georgia MELONI, elle a fait appel à cette solidarité européenne. Elle n'a pas tourné le dos à l'Union européenne. Quand je vois que certains en France, diraient qu'il faudrait vivre de manière extrêmement isolée, eh bien vous voyez bien qu'en vérité ce n'est pas la réponse qui peut être apportée en matière d'immigration. Donc oui, on doit et on a des règles européennes, on a un pacte immigration qui est et qui va encore être renforcé, et donc si l'Italie veut faire jouer la solidarité européenne, ça veut dire qu'on regardera les situations. Vous imaginez…
JEAN-RÉMI BAUDOT
Est-ce qu'il n'est pas allé un peu vite, Gérald DARMANIN ? Parce qu'il dit "aucun", on ne sait pas si parmi les Sénégalais, puisqu'il a cité les Sénégalais par exemple, il n'y a pas des gens qui sont persécutés dans leur pays ?
AURORE BERGÉ
De toute façon, les situations elles vont être regardées individuellement, et vous savez bien surtout qu'il y a un cadre pour y répondre, et il y a un cadre à la fois européen, si jamais il devait y avoir ou pas répartition des migrants, et s'ils avaient vocation à rester ou pas sur le territoire. Par contre je pense qu'il y a un message très clair, qui doit être renvoyé, qui est que si la France veut continuer à pouvoir accueillir justement ceux que vous citez, qui sont ceux qui doivent pouvoir avoir accès à l'asile, alors il faut être évidemment extrêmement ferme sur l'immigration illégale.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Aurore BERGÉ, on se retrouve dans un instant, ministre des Solidarités et des Familles, on se retrouve juste après le fil Info d'Élie ABERGÉL, à 08h40 sur France Info.
Fil Info
AGATHE LAMBRET
Toujours avec Aurore BERGÉ, ministre des Solidarités et des Familles. On parlait à l'instant du drame de Lampedusa et de la fermeté de Gérald DARMANIN. A une autre époque, le président se montrait bien plus ouvert pourtant sur cette question de l'immigration. Qu'est-ce qui a changé ? Vous vous dites qu'aujourd'hui politiquement c'est la fermeté qui paye vis-à-vis des Français ?
AURORE BERGÉ
Non. Moi je pense qu'il y a toujours eu une nécessité d'équilibre et qu'en vérité sur les questions d'immigration, c'est toujours dur d'avoir des débats qui soient à peu près rationnels, apaisés, qui ne soient pas immédiatement teintés d'une politique qui n'est pas la meilleure d'entre elle. Typiquement regardez sur la question du projet de loi que nous on défend, il défend cette nécessité d'équilibre qui est comment on fait pour exécuter encore une fois des reconduites à la frontière, comment on reconduit la double peine pour ceux qui ont été condamnés pour des délits ou des crimes, qui purgent leur peine de prison en France mais qui doivent ensuite pouvoir être expulsés, et dans le même temps comment on fait pour régulariser ceux qui sont dans des métiers en tension et qui travaillent déjà dans notre pays.
AGATHE LAMBRET
Et vous n'êtes pas sûrs d'avoir la majorité absolue.
AURORE BERGÉ
Mais j'espère qu'on l'aura parce que je pense que c'est un sujet important.
AGATHE LAMBRET
La majorité de cette loi. En tout cas, les discours aujourd'hui entre eux c'est du pape et ceux du gouvernement n'ont rien à voir sur l'immigration, et pourtant le président va se rendre à la messe du pape samedi. Il a réussi aussi à décrocher un rendez-vous avec le pape. Est-ce qu'il n'y a pas un peu de récupération de la part du président ?
AURORE BERGÉ
Je crois qu'on a à la fois, vous le savez, il y. a toujours eu ce double statut du pape. Il est à la fois chef d'État, il en même temps chef de l'Église catholique et donc vous avez ce double statut qui s'exerce et qui fait que vous pouvez avoir un président de la République qui le reçoit, qui a une audience avec lui parce que c'est le chef de l'État, en tout cas au Vatican, et puis que vous avez un moment qui est un moment, je crois, important pour la communauté catholique dans notre pays et même sans doute au-delà. Et le fait que ça se passe en France comme le fait qu'on ait la visite de Charles III en France, je trouve que c'est aussi important en termes d'image qui est renvoyée par notre pays de se dire qu'à nouveau, des moments qui sont des moments importants se déroulent dans notre pays.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Il faut qu'on parle d'un cafouillage au sommet de l'État avec le gouvernement qui veut autoriser la revente à perte pour faire baisser le prix des carburants, sauf que TOTAL ainsi que les principaux distributeurs français ont annoncé qu'ils refusaient, eux, de vendre à perte. La loi, elle n'est pas encore née mais on a quand même l'impression qu'elle est déjà enterrée. Qu'est-ce qui s'est passé, là ?
AURORE BERGÉ
Moi ce que j'aimerais comprendre, c'est qu'est-ce qui s'est passé du côté de la grande distribution. Parce que moi, je les vois très régulièrement invités sur votre plateau et sur beaucoup de plateaux en disant que c'est à cause de l'État qu'ils ont énormément d'entraves et qu'ils ne peuvent pas agir.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Est-ce qu'ils ne parlaient pas en l'occurrence, par exemple, plutôt de l'alimentation sur la question de la vente à perte ?
AURORE BERGÉ
Y compris sur l'alimentation, parce que je sais qu'ils ont été auditionnés sur la question des négociations commerciales qu'il y a entre la grande distribution et les industriels une fois par an aujourd'hui, et qu'eux-mêmes finalement ont dit "ce n'est peut-être pas une bonne idée d'avancer la date, on ne sait pas". Bref. Moi ce que j'aimerais, c'est qu'on ait un discours clair et qui ne soit pas démago. Et en général malheureusement, on a des discours côté grande distribution qui peuvent être très démagogiques. Donc déjà qu'ils regardent leurs propres prix sur leurs propres marques de distributeurs pour garantir que celles-ci sont aux meilleurs prix, encore une fois, pour les Français et qu'encore une fois ils ne disent pas "c'est à cause de l'État qu'on ne peut pas faire" parce que quand on veut changer la loi, finalement, ils ne voudraient pas l'appliquer.
AGATHE LAMBRET
Mais peut-être qu'un peu de concertation, Aurore BERGÉ, aurait évité ce fiasco, non ? Donc on vient en discuter en amont.
AURORE BERGÉ
Écoutez, en tout cas ils ont été auditionnés. Moi ce que je veux, c'est juste qu'à un moment on puisse garantir l'emploi dans notre pays. Garantir l'emploi dans notre pays, c'est aussi soutenir les industriels qui, eux, recréent de l'emploi dans notre pays. Je pense que ça, c'est extrêmement important, et dans le même temps soutenir les Français face à une inflation dont on sait qu'elle peut être un choc pour beaucoup trop d'entre eux, avec le risque évidemment d'une forme de précarité. Donc après, on a une proposition qui est sur la table et, encore une fois, que la grande distribution appelait de ses vœux il n'y a pas si longtemps. Donc ils auront cette faculté ou pas, ça c'est le Parlement qui en décidera, qui votera qui ne votera pas la disposition. Les parlementaires sont libres de leur vote et de leur choix. En tout cas, moi j'aimerais comprendre le volte-face de la distribution.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Vous parliez de démagogie éventuelle de la part des distributeurs, mais est-ce que ce n'est pas aussi un peu démago de la part du gouvernement, pour un produit dont la moitié du prix est constituée de taxes, de venir en fait faire un peu la morale et mettre la responsabilité sur les distributeurs ?
AURORE BERGÉ
Non. Moi je ne crois pas qu'il faille faire la morale. Je pense que de toute façon, la morale ce n'est pas l'affaire de la vie politique. On est là pour prendre des décisions et faire des politiques…
JEAN-RÉMI BAUDOT
En l'occurrence, vous les rendez responsables du fait de ne pas vouloir vendre à perte.
AURORE BERGÉ
Non. Ce que je dis juste, c'est qu'il y a quand même… Vous parliez de cafouillage, mais il y a surtout un cafouillage de leur côté. Ils ont passé leur temps sur des plateaux de télévision à dire, encore une fois, "on n'a pas les moyens d'agir, on aimerait faire des choses, la loi nous en empêche". Là on se dit "changeons la loi".
JEAN-RÉMI BAUDOT
Mais vous connaissez trop la politique. Normalement on back un peu les sujets avant qu'ils soient annoncés au public. Là c'est comme si ça n'avait pas été préparé. Ça sort dans la presse dans la bouche de la Première ministre, et d'un coup tout le monde se rend compte que cette proposition est faite.
AURORE BERGÉ
Moi, je vous donne la réponse qui est la mienne. La réponse qui est la mienne, c'est qu'encore une fois on doit et garantir l'emploi, et faire en sorte que cet emploi paye dans notre pays - je pense que ça, c'est notre première responsabilité en lien avec les employeurs - et soutenir le pouvoir d'achat des personnes les plus fragiles. Et on sait bien que sur la question du carburant, c'est un enjeu qui est important pour beaucoup de Français sur les enjeux de mobilité. Donc cette possibilité, elle existera ou pas, ça dépendra des parlementaires…
AGATHE LAMBRET
Donc vous allez prendre le temps des parlementaires pour jouer à la roulette russe avec le pouvoir d'achat des Français.
AURORE BERGÉ
Non, ce n'est pas la roulette russe !
AGATHE LAMBRET
Parce que vous ne savez pas si, finalement, les distributeurs se saisiront de cette opportunité.
AURORE BERGÉ
Non mais attendez, moi je ne peux pas les obliger à se saisir d'une faculté qui leur serait accordée.
AGATHE LAMBRET
En tout cas même dans la majorité, Aurore BERGÉ, certains critiquent cette mesure notamment au MoDem. François BAYROU a dit que la revente à perte n'était pas une solution parce qu'il y avait toujours quelqu'un qui payait, et le Modem aussi propose que l'État prenne sa part de modifier la taxation du carburant. Jean-Rémi vous interrogeait là-dessus, 60 % qui revient à l'État. Est-ce que la logique ce n'est pas plutôt de plafonner les taxes ?
AURORE BERGÉ
Mais vous savez aussi que c'est une discussion de toute façon, je pense, qu'on aura parce qu'on va voir les textes budgétaires. Donc les questions de taxation, elles seront mises sur la table et y compris celle-ci. Je pense qu'il n'y a pas de tabou en la matière mais, vous le savez, la taxation notamment sur ces sujets-là elle a été largement d'ailleurs redistribuée aux Français par des baisses qui ont été consenties par l'État. Qui a financé les baisses sur le carburant pendant des mois ? C'est l'État. Et l'État c'est qui à la fin ? C'est tous les Français. Et donc à un moment, on a eu ce choix qui est un choix de responsabilité. C'était la même chose sur les questions énergétiques. On a mis 46 milliards dans le bouclier énergétique, on est le seul pays au monde à avoir subventionné les tarifs de l'énergie pour garantir que les plus fragiles n'aient pas une addition qui explose. Donc cette part la, l'État l'a faite de manière très conséquente.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Le gouvernement vient de présenter un plan de lutte contre la pauvreté. Aujourd'hui, un peu plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en France, c'est 15 % de la population. Demain grâce à ce plan, est-ce que vous avez des objectifs chiffrés pour faire baisser le taux de pauvreté en France ?
AURORE BERGÉ
Déjà ce qu'il faut rappeler, c'est qu'on a un modèle social qui fonctionne, et ce modèle social qui fonctionne évite à 5 millions de Français de tomber dans la pauvreté. Je pense que ça, c'est un chiffre qu'on ne dit pas assez mais ça veut dire quand même…
JEAN-RÉMI BAUDOT
Avec la redistribution ?
AURORE BERGÉ
Avec la redistribution. On est le pays le plus redistributif au monde. Ça veut dire que les impôts des Français, la manière avec laquelle la solidarité nationale est organisée empêche 5 millions de personnes chaque année de basculer dans la pauvreté.
AGATHE LAMBRET
Mais vous n'avez pas d'objectifs chiffrés alors.
AURORE BERGÉ
Mais parce que moi, je vais venir sur un plateau et vous dire "écoutez, en un coup de baguette magique je sais régler X situations, un million en moins, 2 millions en moins, 3 millions en moins". Moi ce que je veux, c'est qu'on arrive à avoir une situation où déjà on n'a plus de travailleurs pauvres dans notre pays. Ça c'est une situation qui est inacceptable. Et ça, c'est pour ça qu'il y aura une conférence sociale pour garantir que les personnes qui travaillent, elles ne puissent pas tomber dans la pauvreté. Moi je prends un exemple qui est le métier le plus féminin de France : les aides à domicile. Celles qui s'occupent de nos parents, nos grands-parents, des personnes en situation de handicap, aujourd'hui c'est 18 % taux de pauvreté parmi ces femmes qui travaillent. Ça, ça n'est pas normal et ça, ça veut dire que tout le monde doit prendre sa part. L'État, les collectivités, les employeurs parce qu'encore une fois, si on veut éviter de tomber dans la pauvreté, la meilleure des protections doit être un emploi mais un emploi qui protège et qui paye bien. Et pour tous les autres…
AGATHE LAMBRET
Et qu'est-ce qui va changer justement ? Parce que le précédent plan anti-pauvreté du gouvernement n'a pas permis de faire baisser la pauvreté. Aujourd'hui c'est 20 milliards sur 5 ans. Dans ces 20 milliards, qu'est-ce qu'il y a de nouveau concrètement ?
AURORE BERGÉ
Alors ce qu'il y a de nouveau, c'est tout ce qu'on fait sur la petite enfance. Parce que l'un des premiers freins à la reprise d'une activité, c'est quoi ? C'est je ne peux pas faire garder mon enfant ; et ça touche qui ? Ça touche d'abord des femmes ; et quelles femmes ? Les femmes qui sont dans des familles monoparentales donc ça c'est une vraie injustice criante. On met 6 milliards d'euros sur la table, sur le service public de la petite enfance, pour garantir qu'on ait une solution d'accueil, que ce soit en crèche auprès d'assistantes maternelles qui existe. Ça, c'est quelque chose de très concret. Et le faire notamment dans 1 000 crèches qui sont des crèches à vocation d'insertion professionnelle. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que vous avez des berceaux dans ces crèches qui sont réservés pour les personnes qui doivent retrouver un emploi, parce que si vous ne pouvez pas vous rendre à un entretien d'embauche, vous ne pouvez pas reprendre une activité professionnelle. C'est la question du logement parce qu'aujourd'hui, ce qui coûte et ce qui pèse le plus dans le panier moyen des ménages, c'est quoi ? C'est le coût du logement. Et donc c'est-ce qu'on met sur la table, à la fois non seulement sur des situations de crise, l'hébergement d'urgence, mais surtout pour avoir un vrai parcours résidentiel pour les personnes.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Je vous coupe. On va revenir dans un instant sur la question des crèches, mais à 8h50 c'est l'heure du fil info avec Élie ABERGÉL.
Fil Info
AGATHE LAMBRET
Toujours avec Aurore BERGÉ, ministre des Solidarités et des Familles. On parlait à l'instant des crèches, justement, deux livres enquêtes ont révélé les pratiques, les maltraitances de certaines crèches privées. Qu'est-ce qui va changer désormais ? Il y a notamment une loi qui prévoit des contrôles, plus de contrôles.
AURORE BERGÉ
Alors, c'est ce qu'on a voté. Moi j'étais en Commission des affaires sociales à l'Assemblée, il y a deux nuits, parce que c'est dans la nuit qu'on a voté cette disposition qui est très importante. En fait c'est un peu aberrant, mais jusque-là, l'État n'avait pas le droit de faire des contrôles directement au siège de ces grands groupes. Là on va pouvoir le faire si la loi est définitivement adoptée. Ça veut dire concrètement, qu'o va pouvoir envoyer les services de l'État, vérifier les livres de comptes, faire toute la transparence nécessaire, pour vérifier qu'au regard du nombre d'enfants, de bébés qui sont accueillis, eh bien il y a bien les commandes qui vont en face. Vérifier aussi qu'il n'y a pas un risque de trop de turn-over parmi le personnel. Et le vrai sujet qu'on a, si on est là aussi très lucide, c'est une pénurie de professionnels. Pénurie de professionnels, parce que pendant des années ces professionnels ils n'ont pas été assez revalorisés, ils n'ont pas été assez reconnus, et là, on agit très concrètement. A partir du 1e janvier, on met 200 millions d'euros sur la table, chaque année, pour revaloriser ces professionnels. Mais…
AGATHE LAMBRET
Mais c'est sous conditions, cette revalorisation, c'est ça ?
AURORE BERGÉ
Voilà. Moi ce que j'ai dit, c'est que ce serait exactement sous conditions, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un euro de ces revalorisations qui ira à une entreprise, si elle n'a pas une convention collective qui est forte en termes de protection sociale des salariés, ça veut dire formation professionnelle, mobilité professionnelle, reprise de l'ancienneté, et évidemment conditions de travail et rémunération. Là, ça veut dire que là, l'État et l'argent public vont être très directement fléchés, aiguillés, pour mieux revaloriser ces professionnels.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Aujourd'hui, une auxiliaire de crèche elle est rémunérée au niveau du Smic, donc à peine 1 400 € net par mois. Est-ce que ça pourrait changer grâce à ces 200 millions ?
AURORE BERGÉ
Eh bien ce serait à peu près l'équivalent de 1 800 € de plus par an, donc l'équivalent d'un peu plus d'un 13e mois. Donc oui, quand vous êtes à ce niveau de rémunération, ça change la vie, mais je pense qu'il faut aller plus loin. Il faut réfléchir à de nouvelles organisations du temps de travail. La semaine de 4 jours par exemple, sur ce type de métier, aurait évidemment du sens, parce que vous êtes sur des métiers où vous ne pouvez pas télétravailler. Donc les seules vraies modalités nouvelles d'organisation du temps de travail, ça pourrait être ça. Il faut essayer d'être innovant, parce qu'on a besoin d'attirer des professionnels, et les attirer, eh bien c'est faire en sorte qu'elles soient dans les meilleures conditions de travail possibles, parce qu'à la fin elles s'occupent de ce dont on a de plus précieux, elles s'occupent de nos enfants.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Vous avez d'ailleurs vous-même des enfants, sans trahir évidemment un secret, est-ce que la maman que vous êtes, juge que la ministre que vous êtes en fait assez sur ces questions ?
AURORE BERGÉ
Eh bien elle juge sans doute qu'il faudrait en faire encore plus. Ce que je vois c'est surtout ce qu'on est en train de faire, et c'est ça qui compte, c'est qu'à la fin, vous savez, quand vous avez un enfant en crèche, vous y allez deux fois par jour, vous le déposez le matin, vous allez le récupérer le soir, vous échangez avec les professionnels, les parents échangent…
AURORE BERGÉ
Et c'est votre cas aujourd'hui, votre enfant est à la crèche.
AURORE BERGÉ
Oui, ma fille elle est en crèche et donc vous vous échangez très directement avec les professionnels. Moi d'ailleurs je veux qu'on ait plus de rôles pour les parents à la crèche. Quand vous avez un enfant qui est à l'école, vous avez des parents qui sont des parents d'élèves, qui sont des parents référents, je veux que ce soit la même chose pour les crèches, je veux que les parents ils aient leur mot à dire, pas pour fliquer les professionnels, mais pour qu'il y ait un dialogue fructueux, utile, avec ces professionnels qui sont souvent des femmes, très souvent des femmes, très engagées, mais encore une fois, pendant des années, un, il n'y avait pas de culture du contrôle, cette culture maintenant elle existe et elle va être renforcée avec la loi qui change. Il n'y avait pas une vraie reconnaissance du travail qui était fait par les professionnels, on se disait qu'après tout ce qui se passait en crèche ce n'était pas bien important la construction d'un enfant. Aujourd'hui on sait que c'est déterminant ce qui se passe dans les premiers, mille premiers jours de la vie de l'enfant, donc c'est toute la société qui doit changer par rapport à ça.
AGATHE LAMBRET
Aurore BERGÉ, en parlant de bas salaires, de travailleurs essentiels aussi, Valérie PÉCRESSE veut instaurer un Smic francilien, c'est un Smic à 9 % de plus en Ile-de-France, parce que la vie est plus élevée en région parisienne. Est-ce que c'est une bonne idée ?
AURORE BERGÉ
Eh bien, le risque de cette mesure, même si je comprends la philosophe, c'est de se dire que derrière, certains diront que vous avez des disparités territoriales qui existent. Le vrai sujet de l'Ile-de-France sur la vie chère, c'est quoi ? C'est le logement. Donc notre vraie préoccupation si on veut surtout que les Français, les Franciliens vivent bien, c'est qu'ils aient accès à un logement, et c'est là aussi que chacun fasse sa part, que soit les collectivités, je le dis aussi à certaines collectivités qui aujourd'hui ne s'engagent pas ou pas assez sur la question du logement social. Or, on doit pouvoir loger. Les métiers essentiels dont on parle, quand vous êtes auxiliaire de puériculture en crèche, et que vous devez travailler à Paris dans le 7e arrondissement, et que vous habitez à une heure et demie, 2 heures de votre lieu de travail, comment vous tenez sur le long terme ? Eh bien en fait, vous ne tenez. Et on a besoin…
AGATHE LAMBRET
Les loyers à Paris sont loin d'être les mêmes qu'à Limoges, donc on peut attendre l'action du gouvernement, des collectivités…
AURORE BERGÉ
Oui, mais on peut peut-être garantir aussi, et c'est tout le travail qu'on fait au sein du gouvernement, que sur des métiers qui sont des métiers essentiels, eh bien à un moment ils puissent aussi loger à proximité de leur travail. Et donc ça c'est la question de l'attribution aussi des logements sociaux, de manière à ce que des travailleurs, qui sont des travailleurs essentiels, ils ne soient pas relégués, mais qu'ils aient le droit aussi de vivre à proximité de leur lieu de travail, ce qui garantira sans doute que ces travaux, ces métiers soient mieux reconnus, mieux valorisés, et qu'il y ait plus de professionnels qui veuillent s'y engager.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Aurore BERGÉ, des manifestations contre les violences policières et le racisme se sont prévues demain, à l'appel d'organisations et notamment de la France insoumise. Est-ce que vous comprenez cette colère et est-ce que comme certains vous pensez qu'il faudrait interdire ces marches ?
AURORE BERGÉ
Moi je ne comprends évidemment pas cette manifestation, parce que déjà mélanger comme mot d'ordre, violences policières, et moi j'ai toujours récusé ce terme, il faut assumer qu'il peut y avoir parfois des faits de violence, mais ne pas dire qu'il y a des faits de violence qui seraient systémiques de la part de l'ensemble de nos policiers et nos gendarmes, ça n'est pas le cas. Et accoler le terme "violences policières et racisme", ça veut dire jeter un discrédit sur toute une profession, en montrant du doigt les policiers, en leur mettant une cible dans le dos, et en disant qu'ils sont racistes. Ça n'est pas le cas, et si on veut avoir encore une fois des hommes et des femmes qui s'engagent dans ces métiers, eh bien c'est en ayant un minimum de respect à leur égard, et pas en allant marcher contre eux et en leur mettant des cibles dans le dos.
AGATHE LAMBRET
Il faudrait sanctionner les députés qui s‘y rendent, ou pas ?
AURORE BERGÉ
Moi j'ai toujours dit que je pense que quand on s'y rend dans sa qualité de député, avec son écharpe tricolore, c'est une insulte pour moi vis-à-vis de l'Assemblée nationale, que de le faire. On est député de la Nation, donc on représente l'ensemble des Français. Je ne me sens pas très représentée par des députés, qui avec leur écharpe, vont dans ce type de manifestation.
JEAN-RÉMI BAUDOT
Aurore BERGÉ, merci beaucoup, ministre des Solidarités et des Familles.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 septembre 2023