Conférence de presse de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à New York le 18 septembre 2023.

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Circonstance : 78e Assemblée générale des Nations unies

Texte intégral

Bonjour à toutes et tous,

Madame la Secrétaire d'État,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais vous présenter, comme c'est la tradition, les principaux enjeux, tels que nous les voyons, de cette semaine de haut-niveau de l'Assemblée générale des Nations unies.

Tout d'abord, sachez que la délégation française que j'ai l'honneur de conduire est composée de : Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique ; Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et de la Prévention ; Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la Mer ; Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la Biodiversité ; et, pour ce qui concerne le pôle Europe et Affaires étrangères, Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d'État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, que je remercie d'être à mes côtés ici aujourd'hui.

Cette Assemblée générale intervient, vous le savez, dans un contexte de mise en cause et d'atteintes graves à la gouvernance internationale.

Un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie, a envahi son voisin, en dehors de tout cadre moral, légal et politique, et a agressé un État souverain et indépendant, l'Ukraine. Les effets de cette guerre sur l'ordre international sont massifs et indéniables : le Conseil de sécurité s'en trouve entravé, tandis que des défis qui devraient nous réunir ici et ailleurs, sont utilisés comme des armes géopolitiques : l'arme de l'énergie a été utilisée, et désormais c'est l'arme alimentaire, que la Russie exploite dans un chantage absolument sans scrupules.

C'est la raison pour laquelle j'ai voulu ouvrir cette semaine, dès hier après mon arrivée, avec Mme Cindy McCain, la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial, et annoncer le financement par la France de livraisons de céréales au Nigeria et au Soudan, des céréales venues d'Ukraine et dont la Russie essaye de priver ceux qui en ont besoin, particulièrement les pays les plus fragiles. Je voudrais souligner qu'en deux ans, nos financements au PAM auront triplé puisque j'ai pu annoncer à Mme McCain 40 millions d'euros supplémentaires. Vous le voyez, il y a ceux qui détruisent et menacent et ceux qui construisent, en particulier la possibilité pour tous de se nourrir à leur faim, et la France est de ceux-là. Voilà une première action qui illustre l'esprit dans lequel nous allons travailler au cours de cette semaine de haut niveau.

Le risque, évidemment, dans ce monde dont nous voyons qu'il est menacé de grands désordres, de plus en plus, c'est le chacun pour soi et l'accroissement des tensions. La ligne de conduite de la France sera de montrer qu'un autre chemin est possible, avec les autres puissances, les autres pays intéressés à la paix et à la coopération internationales. Notre message principal est simple, il formera le fil conducteur de cette semaine : il y a des pays qui croient dans les principes de la Charte, la paix par le droit, la coopération internationale, le dialogue, les solutions collectives aux défis communs et qui travaillent à les mettre en œuvre. La France est de ceux-là.

Cette semaine, nous agirons selon trois axes prioritairement :

Le premier de ces axes, c'est celui des enjeux communs à notre humanité, qui doivent évidemment nous réunir.

D'abord, le climat et l'environnement évidemment, qui étaient au centre du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, les 22 et 23 juin derniers. Ce sujet a uni des pays du Nord et du Sud, nombreux, et en réalité une très vaste majorité de la communauté internationale. Si la France est autant mobilisée, aussi vite et avec autant d'efforts, c'est tout simplement parce que nous devons le voir, collectivement, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Nous devons collectivement agir plus et plus vite pour relever les défis globaux qui nous concernent tous : la lutte contre la pauvreté, la santé, la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité. Je pourrai en citer d'autres.

Sur tous ces sujets importants pour notre avenir, importants pour notre planète, importants pour notre humanité, je reprends le mot : la France est à l'initiative. Elle l'est avec le Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial, que je viens de citer, et j'appellerai cette semaine toutes les nations qui ne l'auraient pas encore fait à endosser le "Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète" qui résulte du Sommet de juin. Plus de 30 États ont d'ores-et-déjà rejoint cet appel à plus d'efficacité, plus de prise de responsabilités dans la gouvernance financière internationale. Mais nous devons être plus nombreux : cette cause est juste et cet effort collectif est indispensable. Je lancerai cet appel au Sommet sur les Objectifs de développement durable tout à l'heure, ce lundi.

Avec le président du gouvernement d'Espagne, Pedro Sánchez, et le président du Conseil européen, Charles Michel, je présiderai mardi après-midi une réunion sur l'architecture financière internationale pour prolonger cette dynamique de Paris et continuer d'œuvrer à réduire la fracture Nord-Sud. J'appellerai à une mobilisation de nos partenaires pour permettre une mobilisation collective des financements.

Je participerai par ailleurs mercredi au Sommet pour l'ambition climatique organisé par le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres. J'y annoncerai que la France dépasse dès cette année les engagements pris pour les financements pour le climat, qui contribuent à relever les défis immenses auxquels nous faisons face : la réduction des émissions, en premier lieu, qui exige évidemment de nouveaux efforts et en particulier de nouveaux efforts en vue de la sortie progressive des énergies fossiles ; mais aussi l'adaptation et la prise en compte de la situation particulièrement difficile des pays les plus vulnérables.

Ainsi, au total, en 2022, ce sont 7,2 milliards d'euros que la France aura consacrés à la finance climat. Au-delà de son engagement : elle fait partie des quelques pays qui tiennent leurs engagements, et qui non seulement tiennent leurs engagements, mais qui les accroissent.

La France est également engagée pour une protection ambitieuse des océans, les océans ce sont les deux tiers de la surface du globe et aussi notre patrimoine commun. Alors après l'accord historique aux Nations unies, une négociation longue de quinze ans, je signerai ce mercredi, en présence du Secrétaire d'État Hervé Berville, le traité international pour la protection de la haute-mer, dit BBNJ, et j'exposerai les objectifs de la Conférence des Nations unies sur les océans de juin 2025, conférence qui est coorganisée, vous le savez, par la France et le Costa Rica et qui se tiendra à Nice au mois de juin 2025.

Le but est simple : nous devons protéger les poumons de la planète, dont font partie les océans, comme les forêts. Et pour cela, nous devons élever le niveau d'ambition collective, rassembler la communauté scientifique pour qu'elle puisse faire un bilan de santé régulier des océans, c'est ce qui était sorti des négociations récentes ici, et, bien sûr, mobiliser les financements nécessaires, qui sont d'ailleurs à ce jour mal comptabilisés, mal comptés, c'est aussi un axe d'effort qui avait été souligné au moment de ces négociations et de leurs conclusions.

La santé mondiale sera également un enjeu important pour la délégation française. La pandémie de Covid-19 a bouleversé nos vies partout sur la planète, pendant plus de deux ans. Mon collègue et ami Aurélien Rousseau et moi-même, nous rappellerons l'engagement historique de la France sur les questions de santé mondiale. Je le ferai en participant au sommet sur la préparation, la prévention et la réponse aux pandémies, mercredi. Notre soutien, et c'est un soutien constant, un engagement de longue date de la France, résulte dans la mobilisation de moyens très importants par la France. Ils s'élèvent à près de 2 milliards d'euros par an, et ceci au bénéfice de tous : je pense à l'initiative COVAX que nous avons portée, ou à notre place de contributeur essentiel aux grands fonds dédiés aux questions de santé, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ONUSIDA dont nous sommes le deuxième contributeur, et désormais le Fonds pandémie où nous avons pris une place importante, en ralliant à notre contribution celles des Néerlandais et des Espagnols. Notre engagement est également en faveur de la régulation et de la coopération, et nous agirons concrètement pour faire progresser les négociations sur un accord international sur les pandémies.

Cette action de solidarité française, elle se mesure et je voudrais y consacrer quelques brefs développements. Elle a des effets tangibles : en 2022, la France est devenue le quatrième bailleur mondial en termes d'aide publique au développement. Ces fonds permettent d'agir concrètement dans les luttes contre la pauvreté, pour relever les grands défis environnementaux, climatiques, pour appuyer partout dans le monde des programmes d'éducation ambitieux et accessibles à tous ou pour agir au bénéfice de la santé et au bénéfice de l'alimentation des plus démunis.

La France a augmenté de 50 % son aide publique au développement depuis 2017. C'était un engagement pris par le Président de la République, et il a été tenu. Et non seulement il a été tenu mais, là aussi, il a été dépassé puisqu'en 2022 la France a pu consacrer 0,56 % de son PIB au partenariat pour le développement, l'investissement solidaire, 0,56 % de son PIB pour une cible fixée par la loi à 0,55 %. Cette place que la France a prise dans tous les domaines essentiels de la vie humaine, nous avons toutes les raisons d'en être fiers, nous faisons ce que nous devons, et nous le faisons plus que d'autres.

Deuxième axe de cette semaine : nous devons collectivement nous attacher à traiter les crises qui fracturent notre monde et elles sont nombreuses. Et nous devons le faire sur la base de nos principes communs, c'est-à-dire tout simplement les principes de la Charte des Nations unies.

Le Conseil de sécurité se réunira mercredi, en présence du Président Zelensky pour examiner la grave violation de la Charte des Nations unies que représente la guerre d'agression russe contre l'Ukraine, examiner aussi ses conséquences négatives, parce qu'il y en a pour l'ensemble de la Communauté internationale.

Je porterai au Conseil de sécurité le témoignage d'un constat simple : celui que la guerre d'agression dans laquelle la Russie a choisi de s'engager contre l'Ukraine - et je dis "choisi" car c'est bien un choix délibéré, il n'y a pas d'autre mot, tant aucun des arguments avancés par la Russie ne permet de la justifier. Cette guerre d'agression choisie par la Russie menace les fondements mêmes de notre sécurité collective.

Cette agression est la négation, la violation des principes les plus fondamentaux de la Charte des Nations unies, qu'il s'agisse du respect de la souveraineté des États ou de leur intégrité territoriale, du règlement pacifique des différends ou, plus fondamentalement, de la primauté du droit sur la force. Et c'est, au fond, une remise en question de l'idéal qui fonde les Nations unies.

Comme je l'ai dit en ouverture, je rappellerai aussi que c'est la Russie qui empêche l'exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire. Sans blocus russe de la Mer noire, pas de difficultés d'exportation ; que c'est la Russie qui bombarde les infrastructures portuaires à Odessa et alentours, qui détruit des centaines de milliers de tonnes de céréales ; et que c'est la Russie qui a, seule, mis fin à l'initiative céréalière en Mer noire, conduisant à une hausse des prix dont elle bénéficie massivement.

Je rappellerai bien sûr que la résignation face à cette agression n'est pas de mise. Tout règlement de la crise qui conduirait à récompenser l'attitude de la Russie en validant des pseudo-annexions, illégales, de pans entiers du territoire d'un autre pays, l'Ukraine, ne ferait que poser les jalons de conflits futurs. Je veux le dire et le redire : si cette agression devait être récompensée, une autre agression se reproduira là ou ailleurs, n'en doutons pas. Voilà pourquoi cette question nous concerne tous, tout membre de la communauté internationale, et pas seulement les Européens, pas seulement les Ukrainiens, qui bien sûr sont concernés au premier chef, attaqués dans leur existence même et dans leur identité. Cette affaire nous concerne tous pour cette raison : il en va de la paix et de la sécurité internationales.

Je marquerai aussi bien sûr l'engagement constant de la France pour la lutte contre l'impunité des crimes commis en Ukraine et notre soutien au travail des juridictions ukrainiennes comme à celui de la Cour pénale internationale, lors de la réunion ministérielle de jeudi du Groupe des Pays amis sur la Responsabilité découlant de l'Agression contre l'Ukraine.

La France organisera enfin ce mardi, en plus de la rencontre d'hier avec la directrice du PAM, une réunion sur la sécurité alimentaire mondiale. Avec le PAM, le FIDA, l'Ukraine et de nombreux pays, nous y soulignerons une réalité très simple : personne ne peut ni ne doit prendre pour cible les infrastructures agricoles. Le faire, c'est immoral, c'est indigne, c'est irresponsable, et il faut le dire. C'est le sens d'une déclaration que nous ferons à l'occasion de cette réunion pour que le plus grand nombre s'y rallie.

Autre géographie, autre crise : au Moyen-Orient, la France est également engagée pour la stabilité et la prospérité de la région. Avec l'Irak, nous organiserons ainsi ce mercredi une réunion pour préparer le troisième sommet dit "de Bagdad" qui aura lieu fin novembre à Bagdad, et auquel se rendra le Président de la République française. Je participerai ce matin à une réunion ministérielle sur le Proche-Orient, co-organisée par l'Union européenne, la Ligue arabe et l'Arabie saoudite, avec l'espoir bien sûr de restaurer un horizon politique, cet horizon politique qui fait cruellement défaut, avec tous les dangers qui s'y attachent.

Enfin, la France sera à l'initiative, avec l'Allemagne, d'une rencontre sur le Soudan, une crise qui s'aggrave et qui est une véritable tragédie pour des millions et des millions de victimes innocentes, meurtries, déplacées, qu'elles soient déplacées au sein du pays même, au Soudan ou dans les pays avoisinants. A cet égard, il est nécessaire que les différentes initiatives qui existent se coordonnent mieux afin de tracer le chemin d'une solution politique au conflit.

La situation au Niger, bien sûr, sera aussi discutée pendant cette semaine, notamment dans un certain nombre d'entretiens bilatéraux. Comme le reste de la communauté internationale la France condamne cette tentative de coup d'État et ne reconnaît que le Président démocratiquement élu et son gouvernement. Comme eux tous, elle exige le retour à l'ordre constitutionnel et, depuis le début, la France soutient résolument les efforts de la CEDEAO qui est en première ligne pour faire reculer les putschistes et rétablir l'ordre constitutionnel dans ce pays.

Enfin, troisième axe de travail de cette semaine : la promotion et la défense des droits de l'Homme. Vous m'entendez souvent parler de ce sujet mais si je le fais cette fois, c'est aussi parce cette année marquera le 75e anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

La promotion et la défense des droits de l'Homme, ça vaut aussi, pour les droits des femmes, souvenons-nous du fameux aphorisme de Mme Merkel, auquel je souscris pleinement. Je co-présiderai demain un événement en soutien aux femmes afghanes pour condamner, avec nos partenaires présents, leur effacement de la société que leur impose le régime taliban. Je co-présiderai aussi mercredi une réunion des diplomaties féministes comme nous l'avions fait l'an dernier, avec l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas, le Chili et la Mongolie, où j'étais à la fin de mois de juin pour promouvoir la diplomatie féministe avec nombres d'homologues venant de plusieurs régions du monde.

La promotion et la défense de ces droits, cela vaut aussi pour les droits des personnes LGBT+. A ce titre, je participerai à la réunion organisée par mes collègues néerlandaise et argentin. Dans cette réunion comme eux, je porterai l'appel à mettre fin partout dans le monde à la criminalisation de l'homosexualité, c'est le principal axe d'effort pour nous sur ce thème. Et vous voyez que non seulement certains pays n'ont pas mis fin à cette criminalisation, mais que d'autres y procèdent, c'est absolument inacceptable. L'intolérable prend souvent racine dans l'intolérance, une occasion de plus de le rappeler donc ne l'oublions pas.

Enfin, j'inviterai également nos partenaires à rejoindre notre appel pour renforcer la protection du personnel humanitaire qui est un engagement constant de la France, avec toute la préoccupation qui s'attache à la multiplication d'actes contre le personnel humanitaire. Nous le ferons vendredi à l'occasion d'une réunion avec l'ONU et le CICR.

Voici donc exposé à grands traits le programme de cette semaine et les axes d'effort qui seront les nôtres lors de cette Assemblée générale des Nations unies. Chaque ministre et secrétaire d'État a son programme particulier, mais tous l'auront pour appuyer les trois axes que je viens de vous décrire. Mme Zacharopoulou, par exemple, a participé hier à une réunion sur les femmes, vu que nous doublons notre soutien aux organisations féministes. Hervé Berville sera à mes côtés pour la signature du traité BBNJ. Aurélien Rousseau traitera des questions de santé, nous serons parfois ensemble, et parfois nous répartissons nos forces sur l'ensemble des segments qu'il faut couvrir. Agnès Pannier-Runacher sera à mes côtés vendredi pour l'entretien avec le président de la COP28, etc. Voilà donc notre plan d?action, quelques grandes lignes directrices, et les principaux éléments de notre programme. S'y ajoutent nombre de contacts bilatéraux, ou d'autres encore, je n'ai pas encore mentionné le traditionnel dîner d'hier soir sur le Proche-Orient par exemple qui se réunit toujours le dimanche soir avant l'ouverture du segment du haut-niveau de l'Assemblée générale.

Voilà, mesdames et messieurs, quelques éléments pour votre information, et je l'espère votre bonne compréhension, de ce que nous essayons de faire lors de cette Assemblée générale. Je suis bien sûr maintenant à votre disposition pour répondre à quelques questions.

Q - (ANSA) - Thank you Madam Minister for this press conference and good luck for the week on behalf of the UN Correspondent Association. My question is: the French Minister of Interior is travelling to Rome, to discuss the European cooperation regarding the influx of migrants to Lampedusa. What is the goal and is France ready to help? And also, if I may, what's your comment on the invitation from Lega leader and Minister of the Italian government Salvini to Marine Le Pen to attend the Lega gathering in Pontida? Thank you so much.

R - Sur cette tragédie qu'est l'afflux de migrants et depuis des années, même si nous voyons en ce moment, un moment particulier difficile, je veux redire comme le Président de la République, comme toutes nos autorités, notre entière solidarité avec l'Italie. Je l'ai déjà fait, mais puisque vous m'en offrez l'occasion, Madame, je la réitère. L'Italie est exposée par sa géographie, à proximité des côtes d'Afrique du Nord. La réponse doit être trouvée évidemment dans la coopération entre Européens et leur solidarité avec l'Italie, ainsi que dans la coopération des Européens avec la Tunisie en particulier en ce moment ; il s'est trouvé dans le passé que j'aurais cité d'autres pays.

Notre priorité, vous avez vu le plan 10 points qu'a annoncé la présidente de la Commission européenne, c'est d'abord la prévention des départs, c'est le plus important. Et nous devons travailler pour cela avec nos partenaires. Un certain nombre de mécanismes a été défini déjà il y a plusieurs mois. Prévention des départs plus efficace ; protection de nos frontières plus efficace - elle passe par Frontex notamment ; lutte acharnée contre les passeurs et les trafiquants d'êtres humains, il s'agit d'un trafic honteux, misérable, nous devons être sans pitié avec les passeurs et les trafiquants d'êtres humains.

Et puis, nous devons avancer sans tarder maintenant pour finaliser le pacte "asile et migration" au sein de l'Union européenne, avant la fin de cette année, vraiment. Ce pacte est négocié au niveau des ministres de l'Intérieur, et il a permis de grandes avancées, un accord s'est fait. Il prévoit notamment le traitement des demandeurs d'asile aux frontières de façon à pouvoir distinguer plus vite, plus tôt, ceux des migrants qui sont des personnes persécutées dans leurs pays d'origine et qui, à ce titre, peuvent bénéficier de l'asile, relèvent de la Convention de Genève, et les distinguer des migrants irréguliers. Et puis, il faudra obtenir, mais c'est un sujet bien connu et de long terme, une meilleure coopération des pays d'origine et des pays de transit, avec en particulier pour ce qui concerne les pays d'origine, toute la question des retours, sur laquelle nous avons progressé mais pas suffisamment.

Le ministre de l'Intérieur français s'est exprimé notamment ce matin, il a indiqué qu'il se rendrait en Italie. Nous avons tous eu, les uns et les autres, des contacts avec nos homologues respectifs. J'ai eu Antonio Tajani il y a quelques jours. Nous nous reverrons cet après-midi en format européen, puisque nous avons une réunion informelle des 27 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne tout à l'heure. Et bien sûr, cela fera partie des questions que nous voulons évoquer à 27 pour rechercher cette solidarité de façon efficace dans les trois priorités en particulier que je viens de citer.

Enfin, vous m'avez interrogée, Madame, sur des éléments de politique intérieure que je ne saurai commenter, d'autant qu'ils relèvent très largement en premier lieu de la politique intérieure italienne. Mais je veux redire que, contrairement à ce que certains démagogues veulent faire croire, la réponse est dans la coopération entre Européens. Faire croire autre chose, c'est vraiment une méthode indigne pour tenter de profiter des malheurs du monde à des fins de politique intérieure. Je me dois le souligner aussi simplement que ça, et le condamner par la même façon.

Q (AFP) - J'ai une question sur l'Ukraine, je voulais savoir si vous allez rencontrer le président ukrainien Zelensky qui va être présent ? Et si oui, quel message vous allez porter ? Et que répondez-vous à ceux qui ont l'impression qu'il y a une possibilité de lassitude dans l'aide à l'Ukraine. Et dans la mesure où ce conflit s'enlise, est-ce qu'il y a une place pour la diplomatie et pour reparler d'un plan de paix ?

R - Nous verrons tous les membres du Conseil de sécurité, peut-être quelques autres à d'autres occasions, le président Zelensky lors de la réunion du Conseil de sécurité mercredi. Nous répéterons, je crois avoir été assez précise, l'ensemble des messages importants que nous ne cessons de passer à propos de cette guerre : une guerre choisie sans raison, une guerre d'agression ; une guerre qui menace l'existence même, l'indépendance d'un pays souverain, indépendant, européen qu'est l'Ukraine ; une guerre qui viole les principes les plus fondamentaux de la Charte des Nations unies ; une guerre qui a des conséquences négatives sur l'ensemble des pays de la planète affectés par les actions de la Russie, l'énergie, la sécurité alimentaire, les tensions. Ce qui ne doit pas être un exemple car ce serait terrible : une agression qui prospère et qu'on laisse prospérer.

Tout ceci, nous le dirons de même que nous dénoncerons les exactions commises par la Russie : les crimes de guerre, peut-être les crimes contre l'humanité, la nécessité de soutenir la justice internationale, parce qu'il n'y aura pas de paix durable sans justice. Et puis ces actions cyniques qui conduisent ce pays à vouloir entretenir des dépendances sur le plan alimentaire de pays qui ont besoin des exportations de céréales et des biens alimentaires pour nourrir leurs populations.

Tout ceci m'amène aussi à vous redire ce que je crois avoir déjà dit dans mon introduction : nous soutiendrons l'Ukraine parce que nous sommes fidèles à ces principes, dans cette Assemblée générale ce sera répété, et dans nos comportements depuis le début, parce que nous sommes fidèles à la promesse que nous lui avons faite, parce que nous sommes fidèles à nos valeurs. Mais aussi parce que c'est notre intérêt, il en va de la paix et de la stabilité, il en va du respect de l'ordre international, il en va de la capacité des États membres de la communauté internationale de vivre ensemble et ce vivre ensemble ne peut se trouver que par le plein respect des principes fondamentaux de la Charte.

Voilà tout ce que nous rappellerons, en encourageant et je termine par-là, Madame, les efforts de paix ukrainiens. L'Ukraine depuis le début, avant même cette guerre, et y compris depuis le déclenchement de cette guerre d'agression par la Russie, parle de paix, présente des propositions de paix, promeut son plan de paix. Nous avons beaucoup progressé par rapport à la première présentation par le président Zelensky de son plan en 10 points au moment du sommet du G20 en novembre dernier. Vous avez vu les réunions de Copenhague, puis de Djeddah, avec plus de 40 pays qui se réunissent pour voir comment faire progresser ce plan, voir comment décliner les principes qui ont été énoncés par le président Zelensky en actions opérationnelles. Beaucoup de pays qui parlaient peu à l'Ukraine se sont retrouvés à Djeddah : plus de 40 pays, c'est un bon signe. Nous devons continuer à progresser, faire en sorte que progressivement le cercle s'élargisse. Prenons en compte le fait que la très grande majorité de la communauté internationale s'exprime sur les mêmes termes de condamnation de cette agression, de recherche de la paix. La Russie adopte une autre attitude. Cette Assemblée générale lui a demandé à plusieurs reprises, expressément, clairement, à une très forte majorité venant de pays de toutes les régions du monde, contre une petite poignée d'États, et d'États que je ne citerai pas parce qu'on voit qu'ils se retrouvent non seulement peu nombreux mais en mauvaise compagnie les uns avec les autres.

Q (CBS News) - This year's gathering by your account has war, lack of funding for food, surge of global displacement. The Global South is complaining that the UN is not fit for purpose for 2023. Do you believe that UN reform is possible in some kind of timely way, and how can it be done? Thank you.

R - Les crises sont nombreuses, on en a évoqué quelques-unes. Mais j'ai bien pris soin de préciser que cette Assemblée générale, dans son segment de haut niveau cette semaine, ne traitera pas que des crises, même si nous devons évidemment traiter ce qui menace la paix et la stabilité internationales, et par conséquent aussi la prospérité des États membres de l'ONU. Elle traitera bien sûr de ça mais elle traitera aussi des enjeux globaux, des défis que nous devons collectivement affronter ensemble et que nous ne résoudrons qu'ensemble, par un effort collectif plus important que celui que nous faisons même si d'ores et déjà il y a eu beaucoup de progrès. Je les ai cités : le climat, l'environnement, les océans, l'éducation, la santé. Donc, non, nous ne serons pas seulement, même si nous devons les traiter, pris par la gestion des crises.

Nous nous réunissons aussi pour faire progresser cette conscience qu'il y a des enjeux qui unissent l'humanité. Nous en faisons nous-mêmes, dans notre action, un axe d'efforts et la France entend être l'un de ces pays qui veut développer la coopération, qui veut montrer qu'un autre chemin est possible, qui s'emploie à le rechercher avec ses partenaires, parce que nous pouvons agir collectivement et nous devons le faire. N'oublions pas que face au changement climatique par exemple, nous sommes tous dans le même bateau. Il n'y a pas de planète de rechange. Nous devons tous agir, dans la même direction ; nous avons tous intérêt à agir dans la même direction. Alors, comment ? Un certain nombre de voies ont été tracées. Je les ai rappelées. Le Sommet de Paris des 22 et 23 juin a permis de grandes avancées, avec un consensus qui s'est forgé dans tous les États qui ont participé : ils étaient plus d'une centaine. Les organisations internationales étaient là, et pas seulement les organisations, institutions financières internationales, mais au-delà. Le Secrétaire général des Nations unies était là. Maintenant il faut décliner ce consensus, ici lors de l'Assemblée générale, bientôt à Marrakech lors de la réunion de la Banque mondiale, par exemple, et du FMI, à la COP 28 et ainsi de suite. Nous pouvons progresser, la voie est tracée.

Et je voudrais répondre aussi à votre appellation "Global South" parce qu'au risque de me répéter - certains d'entre vous m'entendent dire ça assez souvent - je crois que c'est une expression erronée. La planète est vaste, elle est diverse, et quand j'entends le ministre russe des Affaires étrangères parler du "Global South" comme si la Russie faisait partie du Sud, cela ne manque pas de m'interpeler, de trouver que c'est à la lettre quelque chose d'inexact, peut-être même que c'est une expression trompeuse et qui vise à vous tromper. La Russie n'est pas un pays du Sud. La Chine est plus qu'un "grand émergent" : une grande puissance économique et politique. Donc traitons les situations une à une.

Et bien sûr tout cet effort suppose des progrès dans la réforme de la gouvernance mondiale. C'était l'un des thèmes du sommet de Paris. Y compris, mais pas seulement, au sein des Nations unies. La France est de longue date un promoteur d'une réforme des Nations unies, avec plusieurs axes, la réforme du Conseil de sécurité qui devrait s'élargir pour être plus représentatif et ouvert à d'autres pays que ceux qui actuellement le composent, une réforme aussi du droit de veto. On voit par cette terrible guerre que fait la Russie en Ukraine, que le Conseil de sécurité est paralysé par le comportement aberrant d'un pays violant tous les principes de la Charte. Qu'en tant que membre des Nations unies, mais qui plus est membre permanent du Conseil de sécurité, il devrait non seulement respecter, mais veiller à faire respecter, plus que d'autres, par tous les États membres.

Q (Al Jazeera) - You spoke earlier about fractions in the global economy. My question is : what is your reaction to the US-Iranian prisoners swap that happened today. Do you think it's a good sign for the possible restarting of talks around the JCPOA ?

R - Je n'ai pas d'information précise sur l'accord, si accord il y a eu, qui a pu être conclu entre les États-Unis et l'Iran. Vous me permettrez de ne pas commenter cette partie-là de la question tout en vous encourageant à chercher quels peuvent être les termes de cet accord. Votre question était un peu différente puisque vous me demandiez si cela peut amener à espérer un autre comportement de la part de l'Iran. Je n'en suis pas sûre. Je pense qu'il faut distinguer les deux, même si tout ce qui apaise les tensions ne peut qu'être accueilli positivement. Toute baisse des tensions est positive, dont acte. L'Iran, dans son attitude depuis plusieurs années, mais y compris récemment, ne démontre pas sa volonté de coopérer avec les Nations unies, ou avec l'agence de Vienne, n'a pas respecté les engagements qui avaient été pris par ce pays le 4 mars, que ce soit sur ses engagements anciens vis-à-vis de l'AIEA ou sur ce que nous lui demandons, qui est de stopper ses activités de prolifération, préoccupantes, menaçantes même. Et donc au dernier Conseil des gouverneurs vous avez vu qu'une déclaration a été adoptée, réunissant de très nombreux États, plus que la fois précédente, pour exprimer cette préoccupation et pour souhaiter que l'Iran coopère, comme ce sont ses obligations internationales, en particulier avec l'Agence de Vienne, et respecte ses propres engagements. Donc l'avenir dira si nous trouvons une meilleure coopération avec les autorités de ce pays. C'est une question qui reste ouverte.

Q (Bloomberg)- I have a question about Ukraine. There are a lot of calls from countries supporting peace negociations. I'm talking about Brazil, India, the UAE. I know that you responded in your answer and said that you support the Ukrainian peace plan which was discussed in Djeddah, but what do you think in general about the prospect of negociated settlement. Thank you.

Je pense mais ça ne vous surprendra pas, puisque nous le disons - pourtant c'est une évidence - depuis toujours : c'est à l'Ukraine de décider, si elle le souhaite, si elle le peut, quand des négociations s'ouvriront. C'est son pays qui est concerné au premier chef, c'est son existence qui est en jeu. Aujourd'hui vous savez que l'Ukraine est le seul des deux pays à parler de paix. La Russie a choisi la guerre ; l'Ukraine ne l'a pas choisie. La Russie a envahi une partie du territoire ukrainien ; l'Ukraine ne menaçait pas la Russie. La Russie bombarde, jour après jour, ce pays, y compris en bombardant des infrastructures civiles ou en visant les populations civiles ce qui est constitutif, en droit international, d'un crime de guerre. Et pourtant c'est l'Ukraine qui parle de paix, c'est l'Ukraine qui présente un plan de paix, qui le fait progresser dans la communauté internationale. Alors même que de son côté la Russie ne donne aucun signe, d'aucune sorte, de sa disponibilité à négocier, si ce n'est le rappel de ce qu'elle avait demandé au mois de mars ou d'avril dernier, qui était purement et simplement une demande de reddition de l'Ukraine, ce qui est inacceptable. Donc nous soutenons l'Ukraine dans ses efforts.

Q (RTL) - Sur la situation au Niger, au fur et à mesure que les jours passent, est-ce que cela vous inquiète de plus en plus ? Est-ce que la France maintient sa politique de maintien de l'Ambassadeur ? Est-ce qu'on peut avoir aussi des nouvelles de lui ?

Sur le Niger, les choses sont simples. On pourrait bien sûr y passer beaucoup de temps, mais je voudrais rappeler que l'ensemble de la communauté internationale – ONU, Union africaine, CEDEAO, Europe, États-Unis, je pourrais en citer d'autres – a condamné cette tentative de coup d'état militaire, a demandé le rétablissement de l'ordre constitutionnel. Le président Bazoum est un président qui a été démocratiquement élu, et pour ce qui nous concerne nous n'avons eu d'autre ligne que de le rappeler : condamnation, demande de libération, retour à l'ordre constitutionnel, soutien aux efforts des pays de la région. La CEDEAO est compétente et a pris un certain nombre de prises de position et de mesures. Elle est en première ligne. Nous sommes à ses côtés. Nous la soutenons dans ses efforts pour rétablir l'ordre constitutionnel. Voilà où nous en sommes sur le plan du traitement de cette crise.

Notre ambassadeur va bien. Je redis qu'il est en sécurité, que sa situation certainement n'est pas la plus agréable du monde, et qu'elle n'est pas justifiée. Notre ambassadeur a été accrédité par les autorités légitimes du Niger. Et donc il est à son poste et il restera à son poste tant que nous le souhaitons. Nous n'avons pas à reconnaître des décisions d'un pouvoir qui n'a aucune légitimité. Nous regardons en permanence l'évolution de sa situation, l'évolution de la situation générale, les conditions de sécurité. Mais ça n'est pas sur une injonction qu'une décision sera prise.

Je vous remercie de votre intérêt. Merci à toutes et à tous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2023