Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de M. Rafael Mariano Grossi, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, avec AFP, France 24 et RFI le 19 septembre 2023, sur le nucléaire iranien et sur la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q - Madame la Ministre, le 14 septembre, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont annoncé le maintien des sanctions contre l'Iran, tout en restant ouverts à une reprise éventuelle des négociations. Est-ce que les négociations sont encore à l'ordre du jour étant donné que l'Iran continue à enrichir de l'uranium, et que les relations sont très tendues avec les pays occidentaux et avec l'AIEA ?

R (Catherine Colonna) - Sur l'Iran, je crois qu'il faut dire l'essentiel, qui est que l'Iran poursuit son programme nucléaire, que c'est une source de très grande préoccupation, et que non seulement il ne tient pas ses engagements mais il met des entraves à l'action de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique, l'AIEA, que je remercie du rôle qu'elle joue dans ce dossier, comme d'une façon générale pour assurer la sûreté et la sécurité nucléaires. Je remercie également le Directeur général du rôle très important qui est le sien à cet égard. L'Iran met des entraves au travail de l'AIEA, que nous avons dénoncées : plusieurs pays dont la France l'ont fait hier. Nous demandons à l'Iran de respecter ses engagements, de poursuivre une désescalade et non pas une escalade, et s'il ne le faisait pas, il appartiendrait à l'Agence d'en tirer les conclusions sous forme d'un rapport, soumis ensuite à la décision des États.

Q - Justement, Monsieur Grossi, l'Agence a affirmé que l'Iran continuait à enrichir de l'uranium à 60%, un petit peu moins vite. Il y a aussi un problème de visa visiblement pour vos inspecteurs. Est-ce qu'on peut continuer à faire confiance à l'Iran ?

R (Rafael Grossi) - Comme Mme la Ministre vient de le dire, ce sont des entraves réelles, c'est du concret. Pour faire nos inspections, nous avons besoin d'un corps d'inspecteurs expérimentés. Les installations iraniennes sont très sophistiquées et cette capacité ne se fait pas en un jour. Cette action inattendue, je dirais, qu'on a du mal à comprendre, vient compliquer notre travail à un moment où, comme la Ministre Colonna vient de le dire, l'Iran continue à enrichir à des niveaux très élevés, près du grade militaire, et que nous n'avons pas, ou nous n'avons plus, la visibilité nécessaire pour donner les garanties que tout est en ordre. Donc j'espère, je le dis même en critiquant d'une manière très ferme cette mesure, je reste ouvert, avoir la possibilité de m'entretenir avec le gouvernement iranien pour qu'il redresse, change, cette trajectoire qui n'est pas la meilleure.

Q - Madame la Ministre, est-ce que l'accord qui vient d'être conclu entre Washington et Téhéran, avec à la clé un échange de prisonniers, pourrait permettre un apaisement, à la fois sur le dossier nucléaire avec l'Iran, et peut-être aussi est-ce que ça pourrait être de bon augure pour les Français qui sont actuellement retenus en Iran ?

R (Catherine Colonna) - Il y a quatre Français arbitrairement détenus en Iran. Je n'ai pas à commenter l'accord qui est intervenu entre les États-Unis d'Amérique et l'Iran. Je crois qu'il faut néanmoins être extrêmement vigilant à le distinguer du dossier nucléaire. Cela n'a rien à voir, ne faites pas de lien, ce ne serait pas avisé de le faire. Quant à savoir si cela permettrait une meilleure atmosphère sur le dossier nucléaire dont l'Agence a la charge, je laisserai le Directeur général répondre mais, je le redis, il est important de bien distinguer les deux, de ne pas faire de lien entre les deux.

R (Rafael Grossi) - Il faut être clair, je crois. Évidemment, les choses sont liées, mais à faire trop de liens, finalement, la confusion monte. Pour nous, notre zone de responsabilité est claire et on n'est pas là où on devrait l'être. Je remercie d'ailleurs l'appui de la France, l'appui de trois pays, qui se sont manifestés de manière très claire immédiatement après cette mesure de limitation. Vous savez, ce n'est pas une question de visa, c'est une question de décertification, c'est le fait que l'Iran retire un bon nombre d'inspecteurs très expérimentés de la liste des inspecteurs autorisés à faire partie de ces inspections-là. Donc c'est un problème grave, on parle d'une escalade.

(Catherine Colonna) - C'est une entrave manifeste au travail-même de l'AIEA, donc c'est inacceptable.

(Rafael Grossi) - Donc je veux comprendre, je suis à disposition, et j'espère que l'Iran acceptera cette invitation à reprendre un dialogue constructif.

(Catherine Colonna) - Peut-être un mot sur le rôle que joue l'Agence en Ukraine. Vous connaissez notre préoccupation sur la situation de la centrale de Zaporijjia. L'Agence a fait un travail remarquable pour pouvoir ramener ses inspecteurs sur place. Nous l'avons aidée en facilitant les contacts avec l'Ukraine qui est chez elle, Zaporijjia est ukrainienne, et en facilitant aussi, il y a près d'un an, des conversations avec la Russie, tant au niveau du Président de la République que de moi-même et de mon homologue. Néanmoins, nous restons extrêmement vigilants, et pour tout dire, inquiets. Donc je voudrais simplement souligner que la responsabilité aujourd'hui de cette situation incombe à la Russie qui occupe illégalement cette zone. Et cette occupation fait peser une menace sur la sûreté même de la centrale. Là aussi, je salue le travail de l'Agence que nous aidons diplomatiquement, mais aussi matériellement pour qu'elle accomplisse sa mission, et aussi financièrement puisqu'il le faut. Elle doit avoir les moyens financiers d'accomplir sa mission.

(Rafael Grossi) - Tout simplement, pour remercier ça, l'appui de la France a commencé dès le début de cette invasion, de la guerre. J'ai eu le Président de la République, j'ai eu Mme Colonna constamment, en appui, et ça a ouvert la voie à d'autres pays. Donc je continue à avoir besoin de la France, Madame la Ministre, et je la remercie pour cet appui qui est indispensable. La situation autour de Zaporijjia est vraiment très difficile, les opérations militaires augmentent. Ça rend la possibilité d'un accident nucléaire avec des conséquences radiologiques majeures toujours plus possible. Cette action et le soutien de la France sont indispensables, et je vous en remercie.

(Catherine Colonna) - Merci du travail que vous faites, Monsieur le Directeur général.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 septembre 2023