Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Sarah EL HAÏRY, bonjour.
SARAH EL HAÏRY
Bonjour.
CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue. On était ravi de parler avec vous du Service national universel, c'était votre portefeuille précédent, mais vous avez beaucoup de dossiers, du pain sur la planche, pour vous, sur la biodiversité. La Commission européenne va-t-elle changer les règles pour le loup ? C'est-à-dire est-ce qu'on pourra en tuer bientôt en cas de menace sur les troupeaux ?
SARAH EL HAÏRY
Vous savez, aujourd'hui le loup, c'est une espèce strictement protégée, ça veut dire qu'elle est menacée. Mais, cette menace aujourd'hui elle est réelle, et la seule manière de faire évoluer le statut, c'est de s'appuyer sur la science, et donc le comptage. La présidente VON DER LEYEN a annoncé, a proposé aux pays d'utiliser le maximum de leur dérogations possibles. Vous savez, la France présente son Plan national d'action dans quelques jours, et on s'appuie déjà sur énormément d'outils que l'Europe nous donne.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est un plan pour quelques années 5 ans ?
SARAH EL HAÏRY
Tout à fait, et c'est un plan qui projette en réalité, c'est le cinquième plan qu'on fait, et c'est le fruit finalement de cinq plans réussis, parce qu'aujourd'hui on a une santé scientifique en fait du loup qui est meilleure, ça c'est une réalité, et donc que nous avons à protéger. Bien sûr c'est une espèce strictement protégée, le loup, mais aussi les activités pastorales, donc les éleveurs.
CHRISTOPHE BARBIER
Bien sûr.
SARAH EL HAÏRY
Les éleveurs dans leurs exploitations.
CHRISTOPHE BARBIER
Parce qu'on a l'impression que ça a trop bien réussi, le loup, l'introduction, il gagne le Nord de la France, on le voit un peu partout maintenant. Ça ne vous inquiète pas ?
SARAH EL HAÏRY
Non. Vous savez, moi ce que je vois c'est qu'on ne va pas laisser une espèce disparaître. Aujourd'hui le loup se porte mieux, génétiquement parlant, démographiquement parlant, mais il faut être sûr que génétiquement il y a assez de loups pour qu'on n'ait pas de consanguinité. Mais sauf que on le voit en européens, c'est-à-dire qu'il faut faire des comptages, par exemple avec nos amis…
CHRISTOPHE BARBIER
Italiens.
SARAH EL HAÏRY
Italiens, exactement. Et donc c'est bien en Européens qu'il faut le regarder. Mais la réalité, c'est que c'est aussi à beaucoup de détresse chez les agriculteurs, et les éleveurs en particulier. Quand il y a une attaque de loups, eh bien ça crée une vraie détresse psychologique, économique. On voit un changement aussi de la manière d'accompagner son élevage. Voilà. Et cette réalité-là il faut pouvoir en prendre acte, conscience, moi je l'ai entendu, je l'ai vu, et donc à partir de là, eh bien le nouveau plan permet de mieux protéger le pastoralisme, enfin les éleveurs, avec des outils nouveaux, des outils sur le tir mais aussi des outils sur le chien qui protège, le fameux Patou.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Patou. Dans l'ordre, comment on va mieux compter les loups ?
SARAH EL HAÏRY
Eh bien le comptage reste sur une base scientifique. Aujourd'hui le comptage est fait par un office, qui s'appelle l'OFB. Il est fait en deux temps, et parfois le fait de l'avoir en deux temps, donne deux chiffres, un au début de l'été, un à la fin de l'été. Eh bien on va renforcer la réalité de ce comptage, la qualité de ce comptage, en se basant sur la science. Vous savez, on utilise un certain nombre de traces, de traces ADN, mais aussi des techniques qui sont pour une partie, ancestrales.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'on a bien choisi l'espèce de loup qui est dans nos campagnes ? Est-ce que l'on ne s'est pas trompé, génétiquement ?
SARAH EL HAÏRY
Vous savez, le loup est revenu naturellement dans les années 90. Aujourd'hui on parle de 1 104 loups dans notre pays. Il n'y a pas de question d'espèce, il y a une question d'espèce qui est menacée, qui était presque sur le point de disparaître…
CHRISTOPHE BARBIER
Et qu'on a sauvée.
SARAH EL HAÏRY
Et qu'aujourd'hui, bien sûr grâce aux actions, a permis d'avoir, en tout cas une viabilité démographique certaine, et maintenant c'est la question, c'est le comptage permettant d'être sûr que la viabilité génétique est là.
CHRISTOPHE BARBIER
Est bonne.
SARAH EL HAÏRY
Et là pour le coup il n'y a aucun tabou. Vous savez, le nombre de tirs autorisés sur le loup, c'est pour protéger d'abord les éleveurs, mais il faut que ces tirs soient extrêmement encadrés, c'est vraiment très organisé, il y a des louvetiers, il y a des gens qui sont agréés pour avoir le droit de tirer.
CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas n'importe qui, ce n'est pas des chasseurs qui d'un seul coup ont le droit de faire tant de loups dans la saison.
SARAH EL HAÏRY
C'est une espèce protégée. Bien sûr que non, pas n'importe qui et pas n'importe comment.
CHRISTOPHE BARBIER
Est ce qu'il faut en faire la publicité ou est-ce qu'il faut que ces loups abattus le soient dans la plus grande discrétion ?
SARAH EL HAÏRY
Non, vous savez moi je pense que quand on base tout vraiment sur la science, c'est-à-dire que quand il y a une attaque eh bien il y a des tirs de défense, il y a des tirs simples. Aujourd'hui, les gens qui accompagnent la régulation, et en même temps qui accompagnent la coexistence, donc le fait de cohabiter avec le loup, il y a des territoires qui le connaissent très bien, et il y a des territoires où on voit ce qu'on appelle les fronts de colonisation, on voit arriver le loup. Ceux qui le connaissent très bien, eh bien ils ont des élevages qui se sont protégés, qui se sont équipés. Ceux qui le connaissent un peu moins, eh bien il y a plus pour le coup de victimes, et c'est aussi pour ça qu'il faut accompagner par l'indemnisation, mais aussi préparer, vous savez, la transmission des élevages. Parce que, comme les élevages évoluent dans leur quotidien, on voit un certain nombre d'éleveurs dire "c'est plus dur", "les enfants sont inquiets", "on entend les loups hurler", c'est une réalité et c'est pour ça que cette transmission aussi des élevages, eh bien il faut la préparer avec beaucoup d'accompagnement humain, je pense que c'est essentiel.
CHRISTOPHE BARBIER
Les bergers disent : les Patou ce n'est pas la solution, ça ne suffira pas, les troupeaux maintenant sont devenus de grands troupeaux, ils sont très compliqués à surveiller. Est-ce qu'on n'est pas au bout des solutions ?
SARAH EL HAÏRY
On n'a pas exactement les mêmes comportements si le loup est en meute ou si c'est un loup solitaire. C'est extrêmement intéressant à comprendre, parce que ça ne signifie pas les mêmes types d'attaques ou malheureusement de victimes chez les bergers. Par contre, le Patou, qui est le chien qui protège en réalité les élevages, la réflexion aujourd'hui qui est menée c'est : pourquoi on ne lui donnerait pas un statut particulier, un statut de chien protecteur ? Il n'y a pas une seule réponse, il y a un accompagnement en réalité sur la… je parlais des modalités de tirs, comment on fait, les outils qu'on va donner aussi aux louvetiers, donc les gens qui sont autorisés à tirer, avec peut-être demain des lunettes nocturnes pour voir mieux, certainement aussi des évolutions dans comment on fait pour faire le premier tir, mais encore une fois l'objectif c'est de protéger les éleveurs, protéger leur exploitation, et continuer à protéger avec un suivi très très précis sur le comptage, de l'évolution…
CHRISTOPHE BARBIER
Le loup.
SARAH EL HAÏRY
Bien sûr.
CHRISTOPHE BARBIER
Bien sûr. Ça reste une espèce protégée, je le répète.
CHRISTOPHE BARBIER
L'indemnisation des éleveurs, c'est beaucoup d'argent, ça sera encore plus d'argent l'année prochaine ?
SARAH EL HAÏRY
Ce sera… Aujourd'hui l'indemnisation est nécessaire, parce qu'il faut accompagner humainement ces exploitations. Plus d'argent, moins d'argent, ce n'est pas le sujet du Plan national d'action, aujourd'hui ça sera présenté aux différentes organisations par la préfète coordinatrice loup, avec des moyens supplémentaires, pour indemniser mais aussi pour comment dire prévenir…
CHRISTOPHE BARBIER
Former.
SARAH EL HAÏRY
Exactement, former, prévenir et puis doter aussi les élevages de nouveaux moyens, de nouveaux outils, et pas uniquement au moment où on a subi une attaque, indemniser. Vous savez, les éleveurs ils nous disent : "moi, mon objectif ce n'est pas d'avoir une indemnisation, moi mon travail, mon quotidien, c'est mes bêtes, c'est en réalité mon élevage", et donc l'objectif c'est de ne pas être parfois dans un discours extrêmement dur, d'opposition entre élevage et loup, ce n'est pas ça, aujourd'hui il faut de l'apaisement, et la preuve c'est que ce PNA a vocation à poser cette coexistence, cette cohabitation, mais beaucoup plus apaisée.
CHRISTOPHE BARBIER
Un mot sur l'ours, est-ce que vous envisagez, sous votre mandat de ministre, de faire venir des ours supplémentaires dans les Pyrénées ?
SARAH EL HAÏRY
Vous savez, il est bien trop tôt, aujourd'hui on est très très concentré sur la question du loup et il y a des territoires où il y a un regard à poser en particulier, je pense aux territoires où il y a de la double prédation, c'est-à-dire qu'il y a du loup et de l'ours, mais c'est encore un autre sujet.
CHRISTOPHE BARBIER
Là on est au début d'une étude. Anabelle en parlait dans son billet, les espèces invasives inquiètent : le frelon asiatique, la fourmi de feu qui arrive maintenant sur le territoire européen. Est-ce qu'on n'a pas déjà perdu la bataille ?
SARAH EL HAÏRY
Non, aujourd'hui les espèces invasives c'est une des cinq pressions qui pèsent sur la biodiversité. On voit des espèces, par exemple on pense aux pollinisateurs, il y a la pollution qui impacte sur nos abeilles, mais il y a aussi le frelon asiatique qui mange de manière en plus assez gourmande pour le coup et de manière violente les abeilles. L'IPBES, qui est très peu connu, mais qui est en réalité le GIEC de la biodiversité, dit que cette pression elle est quand même très élevée. Le moustique-tigre en particulier a des conséquences sur notre santé, mais je pense humaine, je parle… et notre quotidien. C'est pour ça qu'avec ma collègue FIRMIN-LE BODO, on va faire un retour d'expérience sur le plan spécifique au moustique-tigre et voir quelles sont les mesures nécessaires pour compléter. Mais il y a une réalité, je pense aux ragondins, je pense au vison d'Amérique, enfin on a des espèces qui sont invasives, là je ne parle que de faune, il y a de la flore aussi qui arrive dans nos cours d'eau, et qui fait des dégâts, enfin, je…
CHRISTOPHE BARBIER
On va devoir lutter notamment contre les insectes ou contre la faune, avec des produits chimiques.
SARAH EL HAÏRY
Pas exclusivement, et en fonction de la quantité, ce n'est pas la même chose. Donc non non, il y a parfois, vous savez c'est la chance de la biodiversité, c'est des écosystèmes. Il y a des espèces qui arrivent à réguler d'autres, et c'est là où il faut regarder, moi je crois aux solutions fondées sur la nature. Quand on parle d'écosystème, c'est que certaines espèces permettent de lutter contre l'invasion d'autres, mais il faut ces équilibres-là, et c'est pour ça qu'il ne faut pas regarder en silo, il ne faut pas être borné sur une seule espèce ou une seule méthode. Il y a un ensemble qui s'équilibre, et tout c'est une histoire d'équilibre, plus on fait de mal à une espèce ou à un écosystème, dès qu'on déstabilise, eh bien du coup on en subit malheureusement des conséquences, même plus expansives encore.
CHRISTOPHE BARBIER
200 communes en France sont privées d'eau. 40 000 Français n'ont pas d'eau potable, et on est obligé de les aider, et il n'y a pas d'eau dans les nappes phréatiques. Le pire est devant nous ?
SARAH EL HAÏRY
Moi je crois qu'aujourd'hui, dans les 30 prochaines années, je me base vraiment sur des projections encore scientifiques, on va perdre 40 % d'eau dans nos nappes phréatiques. Donc oui, aujourd'hui la crise de l'eau elle est là, mais elle continue à être là, et elle risque de s'aggraver, c'est la réalité. Ce qui nous demandent en réalité deux choses : d'abord une sobriété réelle, concrète, un changement dans notre manière de consommer.
CHRISTOPHE BARBIER
Il faut fermer les robinets.
SARAH EL HAÏRY
Bien sûr, il faut faire attention, il faut transformer nos moyens de production, il faut faire évoluer notre process industriel, d'ailleurs on a commencé avec Roland LESCURE d'ailleurs et Christophe BÉCHU, on a vue aussi des entreprises industrielles qui baissent de 10% leur consommation, c'est possible, mais de l'autre côté il faut aussi lutter contre les fuites, il y a un litre sur cinq qui part en moyenne dans les tuyaux, parce que les tuyaux ne sont pas de bonne qualité. On voit aussi dans les communes qui sont pour le coup les plus touchées, parfois jusqu'à un litre sur deux. C'est dire que ce n'est pas, aujourd'hui, en termes…
CHRISTOPHE BARBIER
C'est des milliards d'investissements pour réparer les conduits.
SARAH EL HAÏRY
C'est des centaines de millions d'investissement, ça c'est une certitude, mais le Plan eau est doté de presque 500 millions d'euros, et donc il faut les deux jambes, il faut investir pour changer, mais il faut changer nos pratiques aussi, donc de la sobriété, ça veut dire baisser de 10% un certain nombre de consommations, et aussi changer la manière dont on utilise l'eau potable. Moi je crois, il y a encore des hérésies qui sont très peu acceptables, laver la voirie avec de l'eau potable, c'est-à-dire l'eau qu'on boit, c'est aujourd'hui quand même difficilement entendable ou acceptable. C'est pour ça, qu'avec Christophe BÉCHU et d'ailleurs même le ministre de la Santé, on a changé, on a changé les règles, on a fait un décret qui permettait de plus facilement utiliser l'eau réutilisée, grosso modo ça veut dire l'eau de pluie où l'eau à peine traitée qui sort des stations d'épuration, pour laver au moins les routes, arroser parfois des jardins botaniques ou autres, mais on n'utilise pas d'eau potable.
CHRISTOPHE BARBIER
Un mot de politique. Les Européennes ça sera le 9 juin 2024, l'Europe c'est le sujet du MoDem depuis toujours, pourquoi ne pas faire une liste autonome aux élections européennes ?
SARAH EL HAÏRY
Aujourd'hui, ce qu'a fait François BAYROU avec le président de la République Emmanuel MACRON, c'est de créer un bloc central, et un bloc central pro-européen, convaincu. Nous on est pour l'unité. Comment aujourd'hui, c'est quoi les résultats aujourd'hui des réunions au sein de l'Union européenne, c'est une loi, en tout cas un texte particulièrement ambitieux sur la restauration de la nature. Pourquoi on réussi à faire ça, alors que par exemple dans d'autres groupes comme le PPE, c'est de diviser, c'est parce qu'il y a de l'unité dans la vision. Moi je crois, je crois au collectif, et pour le coup le combat de François BAYROU ça a toujours été de jouer ce collectif et de permettre de sortir du bipartisme bête et méchant. Malheureusement aujourd'hui sur notre scène politique nationale, les partis qui étaient pro-européens, aujourd'hui se cherchent, je vois…
CHRISTOPHE BARBIER
Le PS jadis, etc.
SARAH EL HAÏRY
Exactement. Donc…
CHRISTOPHE BARBIER
La biodiversité au sein de la majorité, ça fonctionne ?
SARAH EL HAÏRY
La biodiversité, vous savez, c'est dans le fond de notre assurance vie, donc ça fonctionne avec tout le monde. L'assurance vie pour nos enfants, pour dans notre vie quotidienne…
CHRISTOPHE BARBIER
Elle est aussi pour la majorité.
SARAH EL HAÏRY
La biodiversité est une chance, en général c'est une assurance vie très rentable.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est parfois aussi la loi de la jungle en politique. Sarah EL HAÏRY, merci beaucoup et bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2023