Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, à BFM TV le 21 septembre 2023, sur la lutte contre le trafic de drogue, les forces de l'ordre, le terrorisme et la question migratoire.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Gérald DARMANIN.

GÉRALD DARMANIN
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer. Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions, elles sont nombreuses. Elles sont nombreuses, on va parler sécurité, terrorisme, immigration, bien sûr, vous revenez de Lampedusa. Mais je voudrais qu'on commence par la sécurité, parce que je voudrais refaire le déroulé de ce qui s'est passé dans le quartier de Pissevin, Pissevin, le 22 août dernier, c'était à Nîmes, Fayed, 10 ans, a été touché par une balle perdue, le 23, le lendemain, vous envoyez la CRS 8, le 24 août, encore le lendemain, la mort à nouveau d'un homme de 18 ans, connu des services de police, malgré les CRS 8. Le 25 août, vous annonciez l'arrivée de renforts du RAID. Le 26 août, un jeune de 15 ans était poignardé dans le centre-ville de Nîmes. Nous sommes le 21 septembre, il n'y a toujours pas de bus qui passe à Pissevin, les habitants de Pissevin sont toujours là, les médias, les caméras, la CRS 8 sont partis, ils sont toujours là, ils n'ont même pas de bus.

GÉRALD DARMANIN
Alors, les policiers ne sont pas partis, s'il n'y a plus la CRS 8, il y a une unité de force mobile, des gendarmes mobiles qui sont constamment dans le quartier Pissevin, qui est un quartier très difficile, je l'ai visité plusieurs fois. 16.000 habitants qui vivent dans une copropriété dégradée. Et donc la police, la gendarmerie fait son travail de sécurité, de lutte contre les dealers, mais il faut avouer que dans ce quartier de Nîmes, à Nîmes, en général, et dans ce quartier en particulier, il faut tout refaire. Il faut refaire ce quartier parce que c'est une copropriété dégradée, il faut faire ce qu'on appelle la rénovation urbaine, il faut changer une forme de service public qu'on y applique, et notamment y mettre peut-être au cœur de ce quartier des policiers qui n'existent plus, le commissariat depuis trente ans est parti de ce quartier, et il faut ensemble, avec la commune, avec le ministre du Logement, avec l'intégralité sans doute des habitants, changer la donne, faire des quartiers…

APOLLINE DE MALHERBE
Sauf qu'entre-temps, ils attendent, ils attendent…

GÉRALD DARMANIN
Je ne suis pas élu à Nîmes. Moi, mon travail, si j'ose dire, c'est d'essayer avec les policiers et les gendarmes de répondre à des urgences qui sont à Nîmes parfois dramatiques, puisque la pression que nous mettons contre les trafics de drogue, notamment à Marseille, remonte dans le département du Gard, et parfois, dans le département du Vaucluse. La lutte contre les dealers est très importante. La police judiciaire est derrière tous ceux qui ont commis ces actes ignobles. Cet enfant qui est mort, et même ce règlement de compte qui touche sans doute aussi un trafiquant de drogue. Mais par ailleurs, ce n'est pas la police, la gendarmerie, qui peut rénover les logements, qui peut remettre du commerce, qui peut réouvrir des écoles. Le ministre de l'Intérieur est là pour l'urgence.

APOLLINE DE MALHERBE
Je comprends, mais il y a presque un côté, et c'est assez insupportable, j'imagine, pour ceux qui y habitent et qui nous écoutent ou qui nous regardent en ce moment, ce n'est pas de ma faute, quoi !

GÉRALD DARMANIN
Je ne suis pas l'élu à Nîmes, vous le constaterez…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais vous êtes le ministre de l'Intérieur…

GÉRALD DARMANIN
Je peux vous parler de Tourcoing, à Tourcoing, on avait un quartier très difficile…

APOLLINE DE MALHERBE
Qui garantit la sécurité à tous les habitants.

GÉRALD DARMANIN
Vous avez parfaitement raison.

APOLLINE DE MALHERBE
Où qu'ils habitent.

GÉRALD DARMANIN
Vous avez parfaitement raison. Je peux vous parler aussi de mon quartier à Tourcoing, 90% de logements sociaux avec beaucoup de trafics de drogue, que nous reconstruisons totalement. 350 millions d'euros. Ce qui est certain, c'est que la police et la gendarmerie fonctionnent comme des pompiers, c'est des urgentistes. Si quelqu'un mangeait mal, fumait, buvait, ne dormait peu et fait un AVC sur le plateau, Ok, on appellera les pompiers, on essaiera de le sauver. Ils le sauvent, ils ne le sauvent pas. On peut reprocher aux pompiers leur manque de formation, leur manque de moyens, leur manque de rapidité. Mais ce n'est pas à cause des pompiers qu'il est mort. C'est à cause de 20 ans, 30 ans, 40 ans de mauvaise vie. C'est pareil pour l'insécurité et la délinquance…

APOLLINE DE MALHERBE
En fait, vous dites qu'il y a des quartiers qui sont malades.

GÉRALD DARMANIN
Il y a des quartiers, il y a des endroits…

APOLLINE DE MALHERBE
Et que vous, vous arrivez, bon, il n'y a plus grand-chose à faire…

GÉRALD DARMANIN
Non, il y a des choses…

APOLLINE DE MALHERBE
Ou en tout cas, ça prendra du temps…

GÉRALD DARMANIN
Il y a des choses à faire. Mais la démagogie qui consiste à dire que seules la police et la gendarmerie peuvent aider un quartier à aller mieux et éviter que des enfants de dix ans attaquent des enfants de dix ans. Eh bien, je dis, c'est faux, l'autorité, c'est partout…

APOLLINE DE MALHERBE
Ils sont où ceux qui ont attaqué…

GÉRALD DARMANIN
L'autorité, c'est à l'école, l'autorité, c'est dans la famille, l'autorité, c'est dans l'immigration, l'autorité, c'est dans l'intégration, l'autorité, c'est dans le logement, l'autorité, eh oui, c'est vrai, vous avez raison, il faut que collectivement, et nous, au gouvernement, on remette plus d'autorité. Ça aide des quartiers difficiles.

APOLLINE DE MALHERBE
Le 22 août, il est mort Fayed, est-ce qu'on sait où sont ses meurtriers ?

GÉRALD DARMANIN
Alors, la police judiciaire y travaille. En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est qu'ils ont beaucoup d'éléments, et comme d'habitude, la police les interpellera. Ça prendra le temps que ça prendra, mais ils seront interpellés.

APOLLINE DE MALHERBE
Ils seront interpellés.

GÉRALD DARMANIN
Exactement.

APOLLINE DE MALHERBE
Pendant ce temps-là, à Marseille, évidemment, méga sécurité, méga sécurité à Marseille, et d'ailleurs dans toute la France, vous nous direz dans un instant combien d'unités de police sont déployées, méga sécurité pour le pape. Mais là encore, c'est un peu comme Pissevin. On a des témoignages de familles entières qui tirent les matelas pour dormir dans la cuisine, parce qu'ils ont peur de se prendre une balle perdue s'ils sont près de la fenêtre.

GÉRALD DARMANIN
Alors à Marseille, nous avons beaucoup travaillé, nous continuons à beaucoup travailler. Marseille, on le sait, depuis très longtemps, est gangrenée par la drogue. Il y a des quartiers où la police avec la ville de Marseille, avec l'ensemble de la politique, on va dire, qu'elle soit locale ou nationale, on gagne. C'est le cas de La Paternelle par exemple. C'est le cas de certains quartiers sud et de certains quartiers nord. Et il y a des endroits plus difficiles, dans lesquels il y a malheureusement cette jeune femme qui est morte dans des conditions absolument atroces, bien évidemment, sur lesquels nous continuons à nous battre. Il y a quatre unités de forces mobiles aujourd'hui à Marseille, nous avons augmenté de 300 le nombre de policiers à Marseille qui, toutes les demi-heures, attaquent des points de deal. Il y a cependant à Marseille une mer à attaquer, une mer de drogue. Et je veux vous dire ici que, encore une fois, les policiers et les gendarmes, ils font un travail difficile. Les magistrats, les magistrats les accompagnent. La ville de Marseille, fait comme tous les maires de France, j'imagine, ce qu'elle peut. Mais ceux qui font vivre le trafic de drogue, c'est les consommateurs. On peut aussi dire à votre antenne, comme partout en France, que s'il n'y avait pas de consommation, il n'y aurait pas de vente, il n'y aurait pas de point de deal, il n'y aurait pas d'enfant de dix ans qui serait tué. Donc quand on fume un joint ou quand on prend un rail de coke, y compris dans les beaux quartiers, parce que c'est souvent une consommation de beaux quartiers, on est aussi responsable de cette situation. Et il y a 10 % de Français, ce n'est pas beaucoup, et en même temps, c'est beaucoup, qui consomment de la drogue, 10 %. Eh bien, il faut aussi dire à ces 10 % qu'ils sont responsables de ces situations.

APOLLINE DE MALHERBE
Sécurité encore avant de passer à la question de l'immigration, il y a 168 unités de police en France, me semble-t-il…

GÉRALD DARMANIN
Unités de force mobile pour les CRS et les gendarmes mobiles, effectivement...

APOLLINE DE MALHERBE
Et il y en a 166 qui sont mobilisées, là, ces jours-ci.

GÉRALD DARMANIN
Exactement, ça n'est jamais arrivé. On a une semaine extrêmement difficile qui a commencé, au point de vue de l'ordre public, qui a commencé à partir de ce week-end, à la fois, la Coupe du monde de rugby, chacun le voit qu'il y a des matchs un peu partout en France et qui se déroulent bien. Des matchs de football, il y a eu PSG/Dortmund qui s'est déroulé, la venue du Roi Charles pendant trois jours, qui va de Paris à Versailles, à Saint-Denis, à Bordeaux. Le pape, pendant que le Roi Charles est à Paris, est à Bordeaux, il est pendant deux jours à Marseille où il va rencontrer d'ailleurs, vous le savez, les Marseillais, au sens très large du terme, dans les rues de Marseille. Et puis, nous terminons encore avec d‘autres matchs de rugby. Ce soir, il y a France/Namibie au stade Vélodrome. Justement, il y a PSG-OM dimanche, pour le ministre de l'Intérieur et pour les policiers et gendarmes, c'est beaucoup d'endroits où il faut sécuriser, éviter les attentats, éviter des phénomènes de délinquance. Eh oui, nous n'avons jamais mobilisé autant de policiers et de gendarmes que pendant cette semaine.

APOLLINE DE MALHERBE
166 unités sur 168 sur un total de 168. Ça veut dire que s'il y a un imprévu, s'il y a un attentat, s'il y a quoi que ce soit, on est démuni ?

GÉRALD DARMANIN
Alors, ce ne sont pas les mêmes unités qui s'occupent des choses, comme les attentats…

APOLLINE DE MALHERBE
On est flux tendu, en fait, de policiers…

GÉRALD DARMANIN
Évidemment, non, mais ce que je veux dire, c'est que les policiers et gendarmes, moi, je leur tire un très grand chapeau, je leur refuse des congés. Il faut que les Français le sachent, je dois 30 jours de congés aux CRS et aux gendarmes mobiles qui ne voient pas leur famille. Et les CRS et gendarmes mobiles, souvent, ils sont attaqués, voilà, parce que j'ai vu qu'il y avait des manifestations encore contre la police organisée par la Nupes, en tout cas, par LFI…

APOLLINE DE MALHERBE
Samedi…

GÉRALD DARMANIN
Samedi. Moi, je veux dire que les policiers et gendarmes, c'est des gens qui ne gagnent pas beaucoup d'argent, qui ne voient pas beaucoup leur famille et qui sont envoyés partout en France pour, ici, sécuriser un quartier, là, tenir une frontière, là, pour que la France puisse accueillir le pape, là, pour que nous puissions effectivement vivre dans le métro correctement. Donc je veux remercier les policiers et gendarmes pour cet effort, qui est un effort qui va nous permettre de bien organiser les Jeux olympiques.

APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, puisque vous en parlez, cette manifestation samedi, il y a un syndicat de policiers, le syndicat Alliance, qui demande à ce que vous l'interdisiez, à la fois pour des raisons effectivement de maintien de l'ordre, parce qu'ils disent : on est mobilisé ailleurs, mais aussi, parce que, sur le fond, ils considèrent que cette manifestation ne devrait pas avoir lieu. Est-ce que vous allez interdire cette manifestation de samedi ?

GÉRALD DARMANIN
Alors, autre chose, d'abord, il y a une manifestation, il y a beaucoup de manifestations en France un peu partout. Ce n'est pas une manifestation à Paris. Il y a plusieurs villes de province qui déclarent des manifestations. Deuxièmement, on ne connaît pas encore le nombre de personnes qui vont venir, donc, on va avoir cette discussion, les préfets avec les organisateurs, bien évidemment. Troisièmement, ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de d'interdire par principe des manifestations, y compris quand c'est des manifestations contre les agents du ministère de l'Intérieur. C'est la beauté de la démocratie de voir des policiers protéger des gens qui disent du mal des policiers. C'est comme ça, c'est l'honneur des policiers de le faire. Mais il est vrai que des préfets, ici ou là, s'il y avait des événements exceptionnels, c'est-à-dire, effectivement, l'arrivée du pape à Marseille, un match de rugby, des difficultés particulières, pourraient prendre des arrêtés d'interdiction. Mais c'est aux préfets de prendre leurs responsabilités, chacun dans leur département. Il n'y a pas de consigne générale.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc aujourd'hui, jeudi, il n'y a pas de décision sur la manifestation de samedi. Mais ça pourrait être interdit si les conditions…

GÉRALD DARMANIN
Dans un département ou dans un autre, si les conditions de sécurité ne sont pas établies, si les organisateurs ne font pas bien leur travail avec la préfecture, nous pourrions le faire.

APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, vendredi, le groupe Al-Qaida dans la péninsule arabique a diffusé un message de menace contre la Suède et contre la France. Plus précisément, la menace, je cite, vise un ministère. Vous prenez cette menace terroriste au sérieux ?

GÉRALD DARMANIN
Oui, vous savez, il y a depuis 12 ans, une non-publication de cette dite revue. Le fait qu'elle ait été publiée est une menace sérieuse pour la Suède comme pour nous, comme pour tous les pays occidentaux. Le ministère est un objet, mais c'est peut-être bien évidemment beaucoup d'autres endroits. On l'a vu dans tous les attentats qu'on a connus, on en a déjoué 47 depuis que le président de la République est président de la République, 15 ont malheureusement abouti, et la menace terroriste, elle a toujours, je l'ai toujours dit, été très prégnante. Qu'il s'agisse des islamistes, Daesh ou Al-Qaïda, comme vous l'avez dit, qui peut aussi s'agir de l'ultra droite ou de l'ultragauche de façon plus petite, mais quand même important, on a déjoué 10 attentats d'ultra droite par exemple, et donc, il faut que nous fassions très attention à tout moment, dans tout lieu. Et c'est ce que font les services de renseignement français, tous les deux mois, la DGSI, nos services de renseignement intérieurs déjouent un attentat. Vous en parlez peu, parce que les choses se font discrètement, mais ils protègent chacune et chacun des Français.

APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, il y a plusieurs écoles qui ont été fermées ponctuellement hier à cause d'alertes, justement des alertes qui ont été prises suffisamment au sérieux pour fermer ces écoles, notamment dans la région de Rouen, mais aussi dans le Val d'Oise, dans les Yvelines, en Seine-Saint-Denis, en Essonne. Avec des messages du genre : on va venir détruire votre école, votre école de kouffar. Ces menaces, Vous les prenez, là aussi, très au sérieux. Elles sont nombreuses, plus nombreuses que d'habitude ?

GÉRALD DARMANIN
Elles sont aussi nombreuses que d'habitude, malheureusement. C'était le cas aussi l'année dernière où il y a des menaces qui sont envoyées dans des écoles. Et effectivement, à chaque fois, avec le ministre de l'Éducation nationale, avec Gabriel ATTAL, notre protocole, c'est de prendre toutes ces menaces au sérieux, même si elles sont répétitives. Cependant, les forces de police enquêtent, et là, nous avons interpellé depuis deux jours quatre personnes différentes dans quatre endroits différents qui menaçaient quatre collèges ou lycées différents. Ils se seront présentés devant la justice, et nous espérons qu'ils seront condamnés à des peines fermes, puisque je veux dire à ceux qui font ces menaces, souvent peu sérieuses, souvent peu sérieuses, mais qui mobilisent évidemment des forces de police, jusqu'au jour où, c'est comme « Pierre et le loup », il y a une vraie menace qui arrive, eh bien, c'est évidemment quelque chose qui doit être combattu et condamné.

APOLLINE DE MALHERBE
Les terroristes peuvent-ils utiliser les flux migratoires ? Est-ce que c'est une de vos craintes ?

GÉRALD DARMANIN
Les terroristes, on l'a vu, dans les attentats précédents…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça avait été le cas de Salah ABDESLAM, d'Abdelhamid ABAAOUD…

GÉRALD DARMANIN
Dans les années 2015-2016, en effet, il y a plusieurs façons de passer à l'acte quand on est un terroriste, il y a ceux qui sont sur notre sol qui, pour des raisons d'autoradicalisation sur Internet, pour des raisons psychiatriques, pour des raisons religieuses, passent à l'acte. C'est ce qu'on appelle la menace chez nous, endogène, elle est très difficile, puisque les gens ne sont pas connus des services de renseignement. Il y a des gens qui viennent en effet de l'extérieur. La menace exogène. Est-ce que l'Etat islamique, est ce que Al-Qaïda a les moyens désormais de le faire ? Malheureusement, nous constatons que de plus en plus, ils ont les moyens de nouveau de le faire. Ce qui se passe au Sahel, où les soldats français, où la coalition est moins présente, ce qui se passe évidemment au Levant. Ce qui se passe en Afghanistan avec les talibans où des cellules se reconstituent malgré la promesse, si j'ose dire, qui avait été faite par les talibans. Et évidemment, je n'ai aucune espèce de sentiment positif pour les talibans, nous poussent à penser que cette menace projetée, qui peut utiliser les flux migratoires, est possible. C'est pour ça aussi que nous avons une grande fermeté aux frontières. Et puis, il y a des menaces peut-être nouvelles, des menaces par drones…

APOLLINE DE MALHERBE
Lesquelles ?

GÉRALD DARMANIN
Les menaces par drones. Un drone chargé d'explosifs qui va sur une foule, sur un stade. C'est pour ça que nous avons beaucoup amélioré la technologie du ministère de l'Intérieur pour protéger les endroits, la venue du pape, certains endroits, évidemment où il y a…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi, qu'il y a des tireurs d'élites, spécialisés…

GÉRALD DARMANIN
Non, un drone, qu'on peut acheter sur Internet, chargé d'explosifs, même un petit explosif, qui va sur une foule, c'est un drone, ça serait une attaque, comme dans les théâtres d'opérations extérieurs…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais quand vous dites : on a beaucoup spécialisé, ça veut dire quoi, ça veut dire que les policiers qui sont là, ils s'entraînent à tirer contre les drones…

GÉRALD DARMANIN
Eh bien, nous luttons contre les drones...

APOLLINE DE MALHERBE
Enfin, je veux dire, j'essaie de comprendre comment ça marche concrètement.

GÉRALD DARMANIN
Alors, la Coupe du monde du Qatar, par exemple, a permis à la France, notamment à la gendarmerie nationale, de vendre son savoir-faire. Nous avons protégé l'intégralité de la Coupe du monde du Qatar dans la lutte anti-drones. Il y a donc une couverture, je ne peux pas le dire autrement…

APOLLINE DE MALHERBE
Une sorte de dôme…

GÉRALD DARMANIN
Exactement, qui empêche les drones malveillants de venir et qui permet aux drones médiatiques par exemple de passer. Donc la lutte contre les drones, nos soldats connaissent ça depuis quelques années, ça peut venir sur le théâtre évidemment national. Et puis, il y a d'autres possibilités, il y a des armes qui circulent malheureusement en Europe, vous savez, la guerre de Serbie, elle a malheureusement, et d'ex-Yougoslavie, elle a fait naître beaucoup de trafics d'armes ensuite, ce qui se passe en Ukraine inquiète les services de renseignements, dans le sens où il y aura pendant plusieurs années, malheureusement, des armes qui circuleront. Donc la menace, elle est protéiforme. Ça peut être quelqu'un isolé, ça peut être des gens qui passent par les flux migratoires, ça peut être la technologie, ça peut être le cyber, une attaque cyber contre un hôpital où tout s'arrêterait avec des gens qui sont en train de se faire soigner, c'est évidemment une attaque terroriste aussi.

APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, vous avez déclaré "non, la France n'accueillera aucun des clandestins arrivés ces derniers jours sur l'île de Lampedusa" et vous avez ajouté "sauf ceux dont la demande d'asile serait reconnue comme étant valable". Tout est dans le "sauf", non ?

GÉRALD DARMANIN
Ce qui se passe depuis que la France est une grande démocratie, c'est que nous accueillons les réfugiés politiques, des gens qui sont persécutés par le régime politique, qui sont persécutés pour leur liberté de culte ou de ne pas croire. Les femmes qui sont attaquées dans leur chair, les gens qui considèrent pour plein de raisons qu'ils n'ont plus la possibilité de s'exprimer dans leur pays. Quelle que soit leur nationalité, la France depuis toujours les a accueillis, c'est ce qu'on appelle les réfugiés politiques. Nous appelons aujourd'hui ça ceux qui ont l'asile. Et puis il y a les migrants qui sont, en fait, des personnes irrégulières. Voilà. Des personnes qui, pour des raisons économiques que nous comprenons d'ailleurs très bien - il ne s'agit pas de leur jeter la pierre, bien évidemment - détournent la façon dont on doit arriver en Europe. C'est-à-dire pas par des voies légales mais par des voies illégales, par des passeurs criminels, pour pouvoir venir sur notre sol européen. L'essentiel des gens qui sont aujourd'hui à Lampedusa, de ce que j'ai comme informations de la part du ministre italien de l'Intérieur que j'ai rencontré en effet lundi, c'est que l'essentiel de ces personnes, pas 100% mais l'essentiel de ces personnes, sont camerounaises, sont sénégalaises, sont ivoiriennes, sont gambiennes, sont tunisiennes. Sont donc de nationalité de pays où il n'y a pas de dictature, où il n'y a pas de persécution ni politique, ni religieuse, et donc ils n'auront pas l'asile en Europe. Et donc il faut dire tout de suite qu'il n'y aura pas de répartition des migrants venant à Lampedusa de manière générale puisque ce ne sont pas des réfugiés.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais Gérald DARMANIN, ils n'auront pas l'asile mais ils ne vont pas être renvoyés chez eux. En vrai.

GÉRALD DARMANIN
C'est tout à fait faux. Nous travaillons avec nos amis italiens. Par exemple eux, ils arrivent à reconduire quasiment 100% des immigrés irréguliers de Tunisie qui viennent en Italie. Nous n'arrivons pas à le faire totalement, et donc nous travaillons avec eux pour que, grâce à leur accord avec la Tunisie, ils puissent les renvoyer. Nous renvoyons quasiment 100 % des irréguliers ivoiriens, sénégalais. Je pense à la colline du crack à Paris, il y avait beaucoup de gens qui étaient de ces pays-là. 100% des gens que nous avons arrêtés à Paris ont été renvoyés en Côte d'Ivoire, au Sénégal, en Gambie.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui mais alors, si on regarde concrètement…

GÉRALD DARMANIN
À la rentrée à la frontière européenne, nous devons faire les tests tout de suite. C'est le pacte migratoire que nous avons négocié à Bruxelles, porté par le président de la République. Les Italiens doivent l'appliquer. Nous discutons avec eux en ce moment même de cela pour renvoyer les personnes immédiatement lorsqu'on voit qu'ils n'ont pas l'asile. Et s'ils ont l'asile, on est d'accord évidemment pour pouvoir prendre notre part du fardeau.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais Gérald DARMANIN, toute la question c'est qu'effectivement, à partir du moment où ils demandent l'asile, seront-ils vraiment dans les faits reconduits ?

GÉRALD DARMANIN
Oui.

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais qu'on prenne un exemple, un exemple qui date d'il y a moins d'un an, l'Ocean Viking. L'Ocean Viking, c'était 234 migrants. En vrai, combien ont été reconduits dans leur pays ?

GÉRALD DARMANIN
Mais c'était un monde différent puisque l'Ocean Viking, c'est deux choses.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est en novembre dernier.

GÉRALD DARMANIN
Oui. Entre temps, nous avons travaillé au niveau européen. On a tiré des conclusions de tout ça. On a une nouvelle règle européenne qui correspond à 1/ le fichage, l'enregistrement systématique de tous les étrangers en Europe qu'on appelle Eurodac ; et deuxièmement, le fait que les étrangers qui arrivent sur notre sol doivent avoir leur demande d'asile étudiée en quinze jours aux frontières. Avant ça n'existait pas quand on avait des gens qui arrivaient sur le sol européen.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais c'est appliqué dès maintenant ? C'est-à-dire que vous voulez dire que ceux qui sont à Lampedusa là, ils répondent déjà à ça ? J'ai l'impression que c'est encore dans les tuyaux, dans les tiroirs.

GÉRALD DARMANIN
Alors le Parlement, nous les Etats, nous nous sommes mis d'accord avec le gouvernement d'ailleurs de Madame MELONI, donc l'Europe a fait un grand pas. Et puis deuxièmement, le Parlement européen doit le voter.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui. Donc en fait, on est bien en accord. Vous parlez au futur, là.

GÉRALD DARMANIN
Le Parlement européen de le voter. Mais nous avons prévu que les Etats peuvent anticiper le vote du Parlement européen sur une base volontaire. La France l'a fait et donc nous avons demandé à l'Italie de le faire. Et aujourd'hui, les Italiens peuvent organiser - alors il faut qu'on leur donne des moyens supplémentaires, la France est prête à le faire, on leur a dit : des policiers français, des avions français, ça peut être Frontex qui a proposé d'ailleurs son aide, ça peut être l'Agence de l'asile - d'anticiper le vote du Parlement européen pour faire les demandes d'asile à la frontière sous quinze jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais je vous repose la question, Gérald DARMANIN. Les 234 migrants qui étaient arrivés par l'Ocean Viking, ils sont où aujourd'hui ?

GÉRALD DARMANIN
Alors une partie a été expulsée du territoire national parce qu'il y en avait quelques-uns qui avaient des problèmes dits de sécurité. C'est le cas d'une dizaine de ces personnes. Il y avait 44 mineurs. Là les mineurs, c'est une décision de justice, donc je ne peux pas répondre à cette question puisque ce ne sont pas les préfets. Et les autres, une partie, une grande partie malheureusement, sont partis en Allemagne. Ce qui est certain, c'est que l'Ocean Viking c'était le moment où l'Italie refusait une solution européenne. C'était pour un problème humanitaire que nous avons accueilli ce bateau. Désormais l'Italie, et il faut s'en féliciter, ne joue pas le jeu du nationalisme mais joue le jeu européen. La solution est donc européenne.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais Gérald DARMANIN, vous aviez dit vous-même, et je reprendre votre formule, vous avez dit " 44 de ces migrants se voient opposer un refus de leur demande d'asile et seront reconduits dès que leur état de santé le permettra ".

GÉRALD DARMANIN
Oui, mais à l'époque…

APOLLINE DE MALHERBE
Ces 44 là…

GÉRALD DARMANIN
À l'époque, à l'époque – vous disiez vous-même que c'était au mois de novembre – nous n'avions pas la possibilité de regarder les demandes d'asile en quinze jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui mais vous ne nous avez pas dit ça. À l'époque vous nous avez dit "ils seront reconduits". Je n'ai pas de raison, du coup, qu'aujourd'hui vous nous dites la même chose et pourquoi je vous croirais aujourd'hui. Je vous ai cru hier et puis visiblement ça ne s'est pas fait.

GÉRALD DARMANIN
Non, non. Je ne suis pas sûr que vous m'ayez cru mais par ailleurs, la difficulté c'est qu'évidemment nous sommes une démocratie. Quand nous disons non à quelqu'un, il y a un recours. Aujourd'hui, une partie de ces personnes qui ont demandé l'asile auxquelles nous avons dit non, ils sont devant la justice française. L'un des problèmes que nous ayons, c'est que la justice française administrative est un peu longue, d'où le projet de loi immigration que je porte pour simplifier les procédures. Dès que les recours auront été, pour ceux qui sont restés en France, négatifs parce que nous pensons, nous, que nous avons raison devant la Cour nationale d'asile, nous expulserons ces personnes. Surtout qu'il s'agit de nationalités auxquelles nous avons des relations diplomatiques. Quand il s'agit d'Afghans, quand il s'agit de Syriens, c'est très difficile pour nous de les renvoyer dans leur pays parce que nous n'avons pas de relations diplomatiques, ni avec les talibans, ni avec Bachar el-ASSAD. En revanche, quand il s'agit de pays pour lesquels nous avons des relations diplomatiques, et c'est le cas d'une très grande partie des pays d'où viennent ces migrants, nous appliquons les décisions de justice.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais je ne veux pas qu'on reste dans la théorie, Gérald DARMANIN.

GÉRALD DARMANIN
Non, mon travail ce n'est pas la théorie.

APOLLINE DE MALHERBE
Je reviens quand même sur les chiffres. Il y avait 234 migrants, il y en a 44 dont vous nous avez dit vraiment les yeux dans les yeux "ils seront reconduits".

GÉRALD DARMANIN
Oui, mais ils sont devant la justice. Mais qu'est-ce que vous attendez du ministre de l'Intérieur ?

APOLLINE DE MALHERBE
En vrai, si j'ai bien compris, il y en a quatre qui ont été renvoyés. Quatre sur les 234, deux au Mali et deux au Bangladesh.

GÉRALD DARMANIN
Madame de MALHERBE, qu'est-ce que vous attendez du ministre de l'Intérieur ? Qu'il n'applique pas la loi de la République ?

APOLLINE DE MALHERBE
Pas du tout. Je voudrais simplement que quand vous nous dites « la France n'accueillera aucun des clandestins arrivés », on puisse se dire « oui, Gérald DARMANIN, quand il parle ça se fait ». Sauf que quand vous parlez, rarement ça se fait.

GÉRALD DARMANIN
Ce n'est pas vrai.

APOLLINE DE MALHERBE
Pas par votre faute, parce qu'il y a des recours comme vous l'avez dit, parce que voilà.

GÉRALD DARMANIN
Restons raisonnables. D'abord le travail du ministre de l'Intérieur, je ne demande pas de plainte mais c'est un travail évidemment concret et difficile. Moi, je travaille avec des tribunaux, des juges, une Cour européenne des droits de l'homme, une Union européenne, une démocratie. C'est bien classique et c'est bien normal. Quand on refuse l'asile à quelqu'un, il a le droit de faire recours comme tout citoyen, comme toute personne. Et quand ces recours aujourd'hui n'ont pas été étudiés, ces recours par la justice française, quand ces recours auront donné leurs résultats, si jamais la justice nous donne tort, nous accueillerons ces personnes. Et quand comme dans 70% des cas la justice nous donne raison, nous renvoyons ces personnes. Simplement c'est un temps long. Et le problème de l'immigration en Europe et en France, je constate que c'est la même chose en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Espagne, personne n'a trouvé de solution miracle. Le Brexit n'a rien réglé du problème de l'immigration irrégulière. Madame MELONI a des problèmes, comme tous les pays, d'immigration irrégulière. Donc il n'y a pas de démago qui dise yakafokon. La difficulté que nous avons, notamment en France, c'est la longueur de nos procédures.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a un point, par exemple, le délai de rétention maximal en France, c'est 90 jours.

GÉRALD DARMANIN
C'est trois mois, en effet.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc trois mois. C'est 18 mois en Allemagne, c'est 18 mois en Italie. Est-ce que vous allez faire passer notre délai de rétention de trois mois à 18 mois ?

GÉRALD DARMANIN
Alors ce n'est pas 18 mois en Italie, c'est justement ce qu'a annoncé Madame MELONI puisqu'il y a une directive européenne…

APOLLINE DE MALHERBE
Allez-vous annoncer la même chose ?

GÉRALD DARMANIN
Nous allons en parler pendant le débat sur le projet de loi immigration. Nous constatons, nous, que les centres de rétention administratifs, leur problème ce n'est pas le temps qu'on y passe, c'est qu'il n'y en a pas assez. Il manque à peu près 1 500 places et donc nous construisons les 1 500 places. Et début octobre, j'annoncerai les sept nouveaux centres de rétention administratifs pour que nous puissions mettre plus de personnes dans des centres de rétention pour pouvoir les amener chez eux. En moyenne, en 30 jours on expulse quelqu'un en France, donc on n'a pas forcément besoin de plusieurs mois. Mais il est vrai que si on doit rajouter de quelques semaines, puisque la directive européenne nous le permet, pourquoi pas ? C'est une discussion qu'on peut avoir. Le noeud du problème, c'est la lenteur des procédures. Il y a douze procédures en France, il y a jusqu'à douze procédures quand on est étranger, pour faire recours aux décisions du ministre de l'Intérieur. Il faut simplifier. On passe de 12 à 4, par exemple, dans le projet de loi que je propose.

APOLLINE DE MALHERBE
Simplifier, réduire.

GÉRALD DARMANIN
L'OFPRA, l'agence, l'Office qui dépend du ministère de l'Intérieur, avant mettait huit mois pour juger une demande d'asile. Aujourd'hui, elle met quatre mois. On a gagné quatre mois en quelques mois. Le problème que nous avons, ce n'est pas tellement la décision de l'OFPRA qui dit non à quelqu'un. Le problème que nous avons, c'est que devant la Cour nationale du droit d'asile, on met six mois, huit mois, neuf mois. Ce qui fait que pendant un an-un an et demi, je ne peux pas répondre concrètement à votre question de "pourquoi vous ne les renvoyez pas". Ces personnes en France parfois se marient, ont des enfants, travaillent parfois au noir, et le juge peut considérer qu'au bout d'un certain temps, nous avons été collectivement, avec la justice, trop lents, et donc du coup on leur dit "oui, vous auriez dû partir mais vous allez rester puisque votre vie privée et familiale – Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – est en France". Donc notre travail, c'est de réduire ce délai. Il y a des gens dans ce lot-là qui ont des difficultés graves, qui sont des demandeurs d'asile qui méritent d'avoir l'asile en France, qui ont connu des persécutions. On doit les accueillir et mieux les accueillir plus rapidement. Et il y a des gens qui trichent, et ceux-là on doit les expulser plus rapidement. Si vous voulez me faire dire que ce que nous avons comme système n'est pas parfait, c'est pour ça que je me bats tous les jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Et c'est pour ça qu'il y a le "sauf".

GÉRALD DARMANIN
Et c'est pour ça qu'il y a une loi immigration qui arrive.

APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, merci d'avoir répondu à mes questions.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2023