Texte intégral
Q - Bonsoir à vous, Laurence Boone.
R - Bonsoir.
Q - Vous êtes secrétaire d'État chargée de l'Europe. Merci d'être l'invitée du 19/20 sur ce plateau ce soir. Rebonsoir à vous, Gilles Bornstein, qui nous avez rejoints. Avant de parler des sujets qui vont nous occuper demain et après-demain à Grenade, je voulais vous entendre sur cet accord sur la politique migratoire européenne trouvé aujourd'hui à Bruxelles. François Gemmene nous disait à l'instant "c'est le moins mauvais accord possible". Vous êtes d'accord avec ça ?
R - On peut être un peu plus positif que ça quand même. Je pense que, objectivement, c'est un bon accord. C'est un accord européen qui va permettre de sécuriser les frontières de l'Europe d'une part, et ensuite on peut aussi discuter avec les pays de départ. C'est un bon accord pourquoi ? D'abord parce qu'il montre que, finalement, la bonne dimension, c'est la dimension européenne. Mme Meloni, il y a six mois, voulait gérer ça toute seule. Elle se rend compte que ça ne marche pas. Donc on fait ça en Européens et on fait ça... L'objectif, c'est lequel ? C'est de maîtriser les flux migratoires, donc de pouvoir enregistrer les personnes qui arrivent, de pouvoir traiter leurs cas très rapidement, pour une partie d'entre eux en cinq jours...
Q - En cinq jours ?
R - Oui, pour certains, dont on sait qu'ils viennent de pays où il y a peu de chances qu'on leur donne l'asile parce que ce sont des pays sûrs, on pourra en cinq jours traiter leurs demandes et éventuellement...
Q - Pour dire les choses clairement, ça veut dire on les refuse en cinq jours. Puisqu'on ne prend que cinq jours pour des pays dont on sait que...
R - Oui mais ça veut dire que pour ceux qui n'ont pas droit à l'asile, en cinq jours, pour certains pays, effectivement, ils pourront retourner dans leur pays. Ça veut aussi dire qu'on va accélérer les procédures pour tout le monde, qu'on va pouvoir les traiter en commun en Européens, et ensuite les allouer dans différents pays de l'Union européenne par solidarité.
Q - Alors justement, il y a un des aspects du texte, vous en parlez, pour aider les États d'arrivée, l'Italie et la Grèce, en gros, le texte prévoit des mécanismes de relocalisation. Est-ce que ça veut dire que tous les pays d'Europe, dont la France, seront engagés par ce texte à accepter un certain nombre de migrants ?
R - Vous avez deux options : soit vous acceptez un certain nombre de migrants, soit si vous ne voulez pas en accepter, vous contribuez financièrement aux États qui acceptent, eux, des migrants.
Q - Et que ferait la France ? Donc la France accepterait ? Donc ça, on est d'accord que c'est pour l'avenir, c'est pour un futur Lampedusa. Si ça arrive, la France accepterait-elle de prendre une part de ces migrants ou est-ce qu'elle payerait ?
R - La France s'est déjà engagée à être à la fois responsable, donc très très stricte quant à la procédure d'asile, et à accueillir des migrants. Elle l'avait dit avant que Mme Meloni arrive au pouvoir. Elle l'a dit au moment de l'affaire Ocean Viking, vous vous en rappelez. Et bien sûr, sur ce pacte, nous nous sommes engagés.
Q - Mais Gérald Darmanin, enfin ou alors je me trompe, mais Gérald Darmanin a dit l'inverse concernant Lampedusa. Gérald Darmanin a dit "nous n'accueillerons personne".
R - Non mais le pacte n'est pas encore en place. D'abord il y a des discussions au Parlement européen, on a un accord au Conseil, et maintenant on discute au Parlement européen. Notre objectif à tous, Parlement et Conseil, c'est d'avoir un accord à la fin de l'année. Et bien sûr, nous nous sommes engagés à recueillir notre part de migrants quand ce pacte sera en place.
Q - Un migrant, pardon de l'aspect prosaïque de la question, mais un pays aura le choix entre accepter un migrant ou payer un migrant, ça coûte combien ?
R - Écoutez, on ne paye pas un migrant, déjà, je ne peux pas vous laisser dire ça. En fait, on contribue au financement de l'accueil, ce qui est estimé à environ 20.000 euros.
Q - D'accord. Et donc, pour dire les choses clairement, un pays à qui on demanderait de prendre X migrants, s'il ne veut pas les prendre, il devra payer 20.000 euros pour chaque migrant qu'il aura refusé d'accepter ?
R - Oui, parce que pourquoi ? C'est ça, c'est l'hébergement, c'est prendre soin de la famille, c'est aussi faire les tests sanitaires, s'occuper de leur santé, faire des tests sécuritaires... C'est plein de procédures et un hébergement qui, bien sûr, ont des frais. Bien sûr.
Q - D'accord.
Q - Question sur la situation au Haut-Karabakh, on en a beaucoup parlé ces derniers jours. Plus de 100.000 réfugiés, un territoire quasiment vidé de ses habitants... Beaucoup de responsables utilisent le terme d'épuration ethnique. Personne au Gouvernement pour l'instant. Est-ce que vous l'utilisez, vous, ce soir, ce terme ?
R - Vous savez, quand on a des déplacements forcés de personnes, puisqu'on est en train de parler de 100.000 personnes, c'est un crime ; la ministre Colonna l'a dit et l'a répété hier, quand elle était en Arménie. On peut l'appeler déplacement forcé ou... ce n'était pas épuration ethnique...
Q - Le nettoyage ethnique.
R - Un nettoyage ethnique. Ça ressemble quand même fortement à ça.
Q - Ça ressemble à du nettoyage ethnique ?
R - Oui, c'est un déplacement forcé, c'est un crime. Pardon, mais si on déplace une population, qui s'en va, parce que sinon elle est en danger de mort, dans un autre endroit...
Q - Pardon d'insister : ça y ressemble ou ça en est ? Ce matin, le porte-parole du Gouvernement, Olivier Véran, a refusé ces termes-là en parlant d'un drame pour le peuple arménien. Et vous savez, ce n'est pas à vous que je vais dire que dans ces matières-là, les mots sont très importants.
R - Alors, je savais que vous insisteriez sur ce sujet. Il n'y a pas de qualification juridique, si vous voulez rentrer dans les détails technocratiques, du nettoyage ethnique. Mais dans les termes, ce qu'on voit aujourd'hui, ce sont des déplacements forcés. Et comme l'a fait la présidente de l'Assemblée, on peut appeler ça aussi un nettoyage ethnique.
Q - L'Europe doit-elle imposer des sanctions à l'Azerbaïdjan, comme elle l'a fait avec la Russie ?
R - C'est une excellente question, parce que nous, les Français, on trouve que l'Europe est un peu timorée, enfin certains en tout cas en Europe sont quand même un peu timorés sur le sujet. Comme vous le savez, la ministre Colonna y est allée hier, le Président de la République, lors de la précédente Communauté politique européenne, avait passé de nombreuses heures avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan ; et là, on aimerait un peu plus de volontarisme pour faire des choses en Européens. Il ne peut pas y avoir...
Q - Par exemple ?
R - Justement, j'y viens, il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures, on ne peut pas faire des choses pour l'Ukraine et la Moldavie et puis, tout d'un coup, rester sur son quant à soi sur l'Ukraine. Par exemple...
Q - Sur l'Arménie
R - Oui, sur l'Arménie, excusez-moi. Donc par exemple, l'aide humanitaire, bien sûr l'aide médicale, la France est déjà mobilisée...
Q - Ce ne sont pas des sanctions.
R - Non, j'allais y venir, vous allez plus vite que moi. Effectivement, pousser pour des sanctions, soit contre des individus, soit contre des entités. Justement, le Sommet de Grenade de la Communauté politique européenne sera l'occasion d'en discuter.
Q - Ce sera demain.
Q - Il faut arrêter d'acheter du gaz à l'Azerbaïdjan, par exemple ?
R - Vous savez, cela représente très peu dans l'Union européenne. Nous on n'en achète pas, par exemple. Cela représente à peu près 2-3% des importations de l'Union européenne. C'est rien du tout. Donc je ne crois pas qu'on peut utiliser l'argument...
Q - D'accord. Mais ça fait quand même de l'argent pour l'Azerbaïdjan qui est certainement mis au bénéfice...
R - Oui absolument ; et donc ils seront plus embêtés...
Q - ... de l'effort de guerre.
R - Tout à fait. Et ils seront beaucoup plus embêtés que nous, si on arrête de leur en acheter.
Q - Nous livrons des armes à l'Arménie, la Ministre l'a dit hier. Soyons clairs : il s'agit d'aider l'Arménie à se défendre contre une éventuelle nouvelle offensive de l'Azerbaïdjan sur son territoire ? En aucun cas, vous ne dites aux Arméniens "on va vous aider à reconquérir le Haut-Karabakh" ?
R - Alors, on a livré - c'était des contrats - des équipements militaires à l'Arménie. On veut que l'Arménie puisse se défendre...
Q - Contre une nouvelle agression ?
R - Je ne peux pas vous parler d'une nouvelle agression, ça, je ne peux pas vous répondre là-dessus, parce que, pour l'instant, on va voir ce qu'on va discuter en Européens, au Conseil de sécurité, aussi, où on travaille, aux Nations unies, notamment sur une résolution.
Q - Est-ce que le président ukrainien Zelensky sera à Grenade ?
R - S'il n'y a pas d'annonce officielle, je ne vais pas vous la faire ce soir. J'aurais adoré, mais...
Q - Mais la CPE, ça a été fait pour l'Ukraine, en gros, ça a été inventé pour l'Ukraine ; un sommet de la CPE sans Zelensky, est-ce que ça a du sens ?
R - Un sommet de la CPE doit rassembler absolument tous les pays de la CPE. D'ailleurs, à ce propos, je trouve dommage que l'Azerbaïdjan ait décidé de ne pas venir, que la Turquie ait décidé de ne pas venir, parce que, quand même, cette CPE, c'est le cadre absolument idéal pour discuter des sujets récents et il y en a.
Q - Pour Zelensky, si moi, je dis, ce n'est pas vous qui le direz, c'est moi, si moi je dis qu'il va venir mais que, pour des raisons de sécurité on n'annonce pas ses déplacements avant, vous ne me contredisez pas ?
R - Je vous laisse responsable de vos paroles.
Q - Parfait. Dernière question : Dmytro Kuleba, le ministre des affaires étrangères ukrainien a déclaré "nous aurons rempli les sept critères demandés par l'Europe pour entamer des négociations d'adhésion." Est-ce que la France, là, dans le sommet informel qui s'ouvre, est-ce que la France est favorable à l'ouverture immédiate des négociations d'adhésion pour l'Ukraine ?
R - Alors, la France l'a dit, le Président de la République, Emmanuel Macron l'a dit à de nombreuses reprises, la question n'est pas "si on doit faire un élargissement ?", bien sûr on doit le faire, ce n'est pas "quand ?", c'est le plus vite possible, la question c'est "comment ?". Est-ce qu'on va discuter entre maintenant et la fin de l'année ? C'est comment on fait cet élargissement ? Et je crois que c'est super important, parce que j'étais à Murcie, la semaine dernière, les Vingt-Sept sont unis sur cette question d'élargissement, comme ils sont unis aujourd'hui sur la question des migrations.
Q - Dernière question : la France est-elle favorable à la nomination de M. Wopke Hoekstra, ancien salarié de Shell, au poste de commissaire européen chargé du climat ?
R - Comme vous le savez, le parlement a auditionné et donné un peu de temps ...difficile, ce n'était pas facile...
Q - Oui, mais la nomination vient d'être validée par la Commission environnement
R - Eh bien voilà.
Q - Et la France alors ?
R - Bien sûr, on est favorable...
Q - Quand il s'agissait de récuser la chargée d'études économiques, le gouvernement français a dit qu'il n'en était pas question. Est-ce que quelqu'un qui a été salarié de Shell, qui est une multinationale du pétrole, peut être commissaire européen chargé du climat ?
R - Alors d'abord, c'est transparent, c'est public, on le sait. Cela n'était pas le cas pour les entreprises pour lesquelles cette cheffe économiste de la DG concurrence avait travaillé...
Q - Vous soutenez, ou pas ?
R - Oui, attendez, j'y arrive. Ensuite, c'était il y a longtemps, donc il n'y a pas de conflit d'intérêts à ce stade, et troisièmement il s'est engagé sur le Pacte vert, il s'est engagé à poursuivre sur ce qu'il faisait de la même façon que Maros Sefcovic.
Q - Donc la réponse est oui, vous soutenez. Merci.
Q - Merci beaucoup, Laurence Boone, d'avoir été l'invitée du 19/20 de France Info, ce soir, secrétaire d'État chargée de l'Europe.
R - Merci à vous.
Source : https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2023