Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 octobre 2023.
Dans le débat, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'éprouve un immense plaisir à retrouver certains d'entre vous et à accueillir de nouveaux élus – j'adresse toutes mes félicitations aux intéressés – pour échanger, comme avant chaque Conseil européen, sur les principaux sujets qui y seront traités.
Avant tout, permettez-moi de rappeler que la France est pleinement solidaire d'Israël et se tient à ses côtés en ce moment tragique. Je tenais à adresser toutes mes condoléances aux familles touchées par ce drame effroyable et à leurs proches.
Le Président de la République a exprimé lundi dernier, avec ses homologues allemands, italiens, britanniques et américains, notre soutien ferme et uni à l'État d'Israël, ainsi que notre condamnation sans équivoque du Hamas et de ses effroyables actes de terrorisme.
Les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne se sont réunis hier en urgence. Ils ont réaffirmé le droit d'Israël à l'autodéfense, dans le plein respect du droit international humanitaire. Les chefs d'État et de gouvernement reviendront évidemment sur la situation dans ce pays et sa région lors du Conseil européen.
Celui-ci se déroulera du 26 au 27 octobre prochain, trois semaines après le Conseil européen informel qui s'est tenu à Grenade le 6 octobre dernier, ville où avait aussi eu lieu, la veille, la troisième réunion de la Communauté politique européenne (CPE).
Vous le savez, l'actualité évolue vite. Aussi, les éléments et positions que je partagerai avec vous ce soir sont susceptibles d'évoluer d'ici au Conseil européen. Je serai, le cas échéant, à votre disposition pour échanger sur ces évolutions à l'occasion d'une audition en commission des affaires européennes.
Premièrement, les chefs d'État et de gouvernement échangeront sur le sujet de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine.
D'abord, ils rappelleront, dans la continuité de la réunion de la Communauté politique européenne à Grenade, leur engagement à soutenir l'Ukraine dans tous les domaines et aussi longtemps que nécessaire, y compris en matière financière, dans un contexte d'incertitudes au sujet de l'aide américaine.
Ensuite, ils évoqueront le soutien au plan de paix du président ukrainien et les moyens de renforcer nos efforts de conviction à l'égard des pays tiers.
De plus, les chefs d'État et de gouvernement discuteront des moyens de consolider les corridors de solidarité européens pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale en permettant aux exportations agricoles ukrainiennes d'atteindre les marchés sans entraves.
En outre, il s'agira d'ancrer notre soutien militaire dans le long terme, notamment au travers de la Facilité européenne pour la paix (FEP), afin d'appuyer l'Ukraine tout en renforçant la base industrielle de défense européenne. Pour cela, nous entendons également promouvoir les coopérations avec la base industrielle de défense ukrainienne, dans la continuité de la visite qu'a réalisée le ministre des armées à Kiev le 28 septembre dernier, en compagnie d'une importante délégation d'industriels français de défense.
De surcroît, les chefs d'État et de gouvernement reviendront sur les actions engagées par l'Union européenne et par les États membres en matière de lutte contre l'impunité des crimes internationaux commis en Ukraine et de recours aux actifs russes gelés et immobilisés.
Enfin, ils discuteront en parallèle des moyens d'accroître la pression sur la machine de guerre russe et de lutter contre le contournement des sanctions, ce qui est pour nous une priorité.
Deuxièmement, les chefs d'État et de gouvernement échangeront sur un point qui est désormais régulier lors des Conseils européens : les migrations.
Face aux drames successifs, comme récemment à Lampedusa, il faut se féliciter qu'un nombre croissant d'États soient convaincus de la nécessité d'avancer en Européens. Je n'en doute pas, vous aurez noté que Mme Meloni elle-même reconnaît que la solution ne peut être qu'européenne. Elle n'est toutefois pas encore parvenue à en convaincre ses partenaires polonais et hongrois, qui se sont – vous l'avez vu – opposés à l'adoption d'une déclaration commune à Grenade sur cette question.
Néanmoins, les échanges dans cette ville entre États membres de la CPE, puis entre États membres de l'Union européenne ont confirmé que les Européens partagent des objectifs communs.
D'abord, nous cherchons avant tout à prévenir les départs, bien entendu par des actions sur les causes profondes des migrations, mais également par une lutte contre les trafiquants et réseaux de passeurs. Nous changerons d'échelle dans notre coopération avec les pays d'origine et de transit pour nous diriger vers des partenariats plus opérationnels en déployant sur le terrain des experts de l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite Frontex, et d'Europol, afin de combattre ensemble les trafiquants d'êtres humains.
Ensuite, l'enjeu est de mieux organiser la gestion des personnes arrivant sur le territoire européen, grâce à une politique qui allie responsabilité des États membres dans la protection de nos frontières communes et solidarité et humanité dans le traitement des demandes d'asile.
Enfin, il convient d'accélérer les retours pour les personnes qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire européen.
Il faut saluer plusieurs avancées sur lesquelles nous travaillons depuis longtemps.
En premier lieu, le pacte sur la migration et l'asile a fait l'objet d'un accord au Conseil, la semaine dernière, sur l'ensemble de ses composantes avec l'adoption d'un mandat pour le règlement sur les situations de crise. La condition était indispensable pour que les négociations avec le Parlement puissent se poursuivre. Nous aurons un accord interinstitutionnel et l'adoption du pacte avant les élections européennes si nous maintenons cette dynamique, et la France y prendra toute sa part.
En second lieu, les enjeux de dimension extérieure, c'est-à-dire les actions à l'égard des pays d'origine et de transit, rassemblent la totalité des États membres, comme en témoigne le large soutien assuré au mémorandum d'entente signé avec la Tunisie au mois de juillet dernier. Il convient désormais d'en assurer la mise en œuvre avec un pilotage robuste qui s'appuie sur des objectifs précis et avec des contreparties clairement exprimées et vérifiées.
La conclusion de ces partenariats, mutuellement bénéfiques avec les États tiers, permettra de maîtriser les flux migratoires en traitant les causes profondes des migrations, en prévenant les départs pour éviter des drames humains et en renforçant la coopération en matière de réadmission de leurs ressortissants. Nous restons vigilants quant à la mise en œuvre rapide du mémorandum avec la Tunisie, et nous participons activement avec d'autres États membres au renforcement de notre dialogue migratoire avec les États tiers. Concrètement, M. Schinas, vice-président de la Commission européenne, a déjà eu des entretiens constructifs en Guinée, en Côte d'Ivoire et au Sénégal, plus récemment poursuivis en Gambie et en Mauritanie.
Troisièmement, les chefs d'État et de gouvernement aborderont des sujets économiques.
Le premier sujet est la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. La France – vous le savez – se montre très vigilante quant à l'élaboration et au suivi du budget européen. Dans ce contexte, et en cohérence avec nos objectifs budgétaires nationaux, il nous faut trouver les bons équilibres entre la soutenabilité des finances publiques et les moyens à donner à nos priorités politiques.
La première de nos priorités est le soutien à notre voisin ukrainien pour assurer sa résilience, sa reconstruction et sa modernisation. La nouvelle facilité pour l'Ukraine proposée par la Commission européenne est, même si je vous épargne les chiffres, un signal fort : nous continuerons à soutenir politiquement, économiquement et financièrement ce pays, aussi longtemps que nécessaire.
La seconde priorité est celle de notre souveraineté industrielle. La prise de conscience est réelle face à la loi sur la réduction de l'inflation (IRA, Inflation Reduction Act) aux États-Unis. Elle doit désormais se traduire par un soutien résolu à la compétitivité de nos entreprises européennes. À cet égard, la plateforme, proposée par la Commission, Technologies stratégiques pour l'Europe, dite Step (Strategic Technologies for Europe Platform) devrait nous permettre d'encourager les investissements dans les technologies dites critiques, comme celles de rupture dans le digital, dans les clean-techs ou dans les biotechnologies, mais aussi, ce qui est important, d'améliorer la visibilité des financements de l'Union européenne pour nos entreprises européennes de pointe.
Par ailleurs, dans le contexte de pression migratoire que j'évoquais, la Commission européenne propose de renforcer les moyens existants consacrés à notre politique en la matière. Une partie de ces abondements doit accompagner la conclusion, puis la mise en œuvre du pacte, tandis que des financements seront également fléchés vers la coopération avec les pays tiers.
Ainsi, l'Union européenne doit bénéficier de moyens adéquats pour répondre aux crises actuelles et pour se renforcer durablement. La France est attachée au fait qu'un accord ambitieux intervienne sur la révision du CFP, mais nous sommes vigilants pour que les hausses proposées soient strictement nécessaires.
Nous sommes ainsi en faveur d'une priorité à donner aux redéploiements de fonds peu ou pas consommés avant d'envisager de nouvelles contributions des États membres. De même, nous ne pouvons pas accepter la proposition de la Commission d'augmenter les dépenses administratives de l'Union européenne.
Les discussions seront également denses autour des progrès à faire ou à poursuivre en matière de compétitivité économique.
Le premier volet en la matière est bien sûr celui de l'énergie ; nous en avons longuement discuté dans cet hémicycle. Quelques jours après la réunion des ministres concernés, les chefs d'État et de gouvernement échangeront ainsi sur les politiques en cours d'élaboration concernant les prix de l'énergie.
À ce titre, la réforme du marché de l'électricité représente un enjeu majeur pour l'ensemble de l'Union européenne. Alors que le niveau et la volatilité des prix sont amenés à s'accroître et que certains de nos partenaires assument une forme de protectionnisme, l'Europe doit se montrer réactive et forte en prenant les décisions qui s'imposent pour préserver sa compétitivité énergétique et son indépendance. Pour atteindre ces objectifs, la réforme du marché de l'électricité doit ainsi permettre de décorréler le prix de notre électricité des énergies fossiles et, en même temps, de créer un cadre plus incitatif pour accélérer le déploiement de moyens de production d'électricité décarbonée. Notre énergie sera ainsi plus fiable, plus abordable et plus verte, tout en restant dans le cadre d'un marché transfrontalier solidaire qui a montré toute sa pertinence ces derniers mois.
Le deuxième volet est la politique industrielle. Il faut se féliciter du fait que ce qui était perçu comme un concept français soit à présent unanimement reconnu par l'Europe. Le discours sur l'état de l'Union de la présidente de la Commission européenne, où la politique industrielle des transitions verte et numérique tenait une place centrale, a bien montré cette prise de conscience. Nous attendons d'ailleurs le résultat d'une première évaluation de la stratégie européenne en la matière, que la Commission européenne devrait publier prochainement et qui permettra de raffiner cette politique.
Nous avons déjà des avancées concrètes. D'une part, le dispositif prévu dans le règlement européen sur les semi-conducteurs (European Chips Act) est à présent une réalité. D'autre part, le règlement pour une industrie "zéro net", dit NZIA (Net-Zero Industry Act), favorisera l'implantation de capacités domestiques de production de technologies vertes et assurera un approvisionnement diversifié, résilient et durable en matières premières critiques. Les deux textes sont en cours de discussion. Les chefs d'État et de gouvernement devraient se prononcer pour leur adoption rapide.
Le troisième volet de la compétitivité est la sécurité économique.
La semaine dernière, la Commission européenne a établi la liste d'un certain nombre de technologies critiques, comme les semi-conducteurs de pointe, les technologies quantiques ou l'intelligence artificielle. Les Européens doivent désormais se coordonner pour mieux protéger ces technologies, de façon souveraine et indépendamment de ce que font les États-Unis.
La partie du Conseil européen réservée aux sujets divers sera consacrée aux préparatifs de la COP28 et au Sahel.
L'objectif de la COP28, qui aura lieu à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023, est de mobiliser nos partenaires, notamment européens, afin d'obtenir des engagements forts de la part des grands émetteurs. Il s'agit en particulier de chercher à fixer une trajectoire de sortie des énergies fossiles.
Enfin, le Conseil européen abordera la question du Sahel. Nous devons tirer toutes les conséquences du cycle des coups d'État intervenus dans plusieurs pays et réfléchir collectivement à une nouvelle approche de l'Union européenne dans la région.
Cette approche doit être non pas punitive, mais réaliste : si ces États ne veulent pas travailler avec nous, pourquoi devrions-nous nous y maintenir ? Tant que les autorités de facto de ces trois États ne feront pas de gestes clairs – des actes et non pas des paroles –, nous n'aurons aucune raison de continuer à dépenser autant de ressources pour des partenaires qui ne veulent pas de nous.
Les événements au Niger, au Mali et au Burkina Faso montrent toute la pertinence d'un engagement accru de l'Union européenne au profit d'autres partenaires, demandeurs de coopération, comme les pays du golfe de Guinée. Nous devons concentrer nos efforts en direction de ces partenaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont, en quelques mots, les enjeux de ce Conseil européen. Je ne doute pas que, comme à l'accoutumée, vos interventions me permettront de préciser certains points. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Karine Daniel et M. Ahmed Laouedj applaudissent également.)
(…)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, merci de ces interventions riches et complètes auxquelles je vais m'efforcer de répondre en détail. Si mes efforts ne suffisent pas, mon cabinet et moi-même nous tenons à votre disposition.
Merci de vos mots très forts en soutien à Israël. Face à l'horreur, il est très marquant de constater à quel point nous sommes ici unis, aux côtés d'Israël.
Messieurs les présidents Perrin et Rapin, messieurs les sénateurs Médevielle, Fernique et Laouedj, mesdames les sénatrices Devésa et Apourceau-Poly, vous m'avez notamment interrogée sur la suspension de l'aide européenne à la Palestine.
Il est vrai qu'une certaine confusion a pu régner sur la question et je vais donc m'efforcer de clarifier la situation : l'aide européenne n'a pas été suspendue ; les Palestiniens n'ont pas à souffrir des horreurs abjectes qui sont commises par le Hamas.
En revanche, la Commission européenne a lancé une revue pour s'assurer que l'aide européenne allait vers de bonnes mains. À ce sujet, monsieur le sénateur Fernique, il y aura bien une réunion immédiate du Conseil des ministres des affaires étrangères.
Vous m'avez ensuite questionnée sur le troisième sommet de la Communauté politique européenne à Grenade. Cet événement nous a tout d'abord offert l'occasion de renouveler l'expression de notre solidarité à l'égard de l'Ukraine.
Ensuite, il nous a permis d'évoquer notamment avec le premier ministre arménien, une prochaine réunion à Bruxelles avec Charles Michel et le président de l'Azerbaïdjan. Nous avons pu, surtout, discuter de l'organisation du soutien à l'Arménie, à son intégrité territoriale, ainsi, bien évidemment, qu'aux réfugiés. Comme vous le savez, 100 000 personnes ont été déplacées dans cette région.
Plus concrètement, cette réunion a permis de poursuivre l'agenda en matière de cybersécurité, notamment en étendant la future réserve cyber européenne aux pays tiers de la CPE.
Enfin, il importe de souligner, pour la continuité de la CPE, que le Royaume-Uni s'est emparé de ce format, en y voyant beaucoup de potentiel, notamment pour aborder les questions migratoires – j'y reviendrai dans un instant.
Nous avons également entamé des discussions sur les perspectives d'élargissement. Monsieur le sénateur Patient, vous avez abordé cette question en termes géopolitiques, monsieur le sénateur Allizard, vous avez évoqué des cercles concentriques, madame Devésa, vous l'avez resituée dans le contexte de la relation franco-allemande.
Le Conseil européen a pu débattre de deux questions et la France peut se féliciter d'avoir obtenu que le texte final encourage les pays candidats à aller plus vite sur la voie de l'adhésion et à accélérer le rythme des réformes, mais aborde également, en parallèle, la question de la réforme de l'Union européenne. Vous avez été plusieurs à souligner combien il était nécessaire d'être à la fois plus agiles et plus flexibles, en particulier dans la perspective d'une Union européenne plus large dans quelques années.
Le mandat qui a été confié aux ministres des affaires européennes pour les prochaines semaines nous conduit à travailler simultanément sur ces deux questions. Nous devrons en discuter dès le prochain Conseil consacré aux affaires générales, le 24 octobre prochain.
S'agissant du groupe des douze experts franco-allemands, il rassemble des spécialistes indépendants, à qui nous avons demandé de nous présenter des options afin de pouvoir étudier les ajustements à réaliser en vue d'être effectivement plus agiles et plus flexibles.
À cet égard, la ministre des affaires étrangères allemande organise le 2 novembre prochain à Berlin une conférence sur l'élargissement, à laquelle je me rendrai, la ministre Catherine Colonna se trouvant empêchée.
La question des migrations a été autant discutée dans cet hémicycle qu'à Grenade, je dois le reconnaître : vous en avez tous parlé.
La réunion organisée par le Royaume-Uni et l'Italie, à laquelle étaient associées l'Albanie et la France, a permis des avancées concernant la lutte contre les réseaux de passeurs. Ces pays sont unanimes pour considérer que nous devons parvenir à identifier et à démanteler les réseaux de passeurs, afin que les pays où ceux-ci se trouvent les punissent. Nous entendons également nous attaquer aux chaînes de production des embarcations, afin d'éviter autant que possible de nouveaux drames dans la Méditerranée.
L'objectif de toutes ces discussions est clair : il s'agit de maîtriser les flux migratoires. J'estime à ce titre que nous pouvons être fiers du compromis qui a été trouvé sur les différents textes qui composent le pacte asile et immigration.
Celui-ci reflète en effet notre devoir de solidarité et d'humanité en reconnaissant qu'il faut accueillir les demandeurs d'asile qui ont besoin de venir chez nous, qu'il convient de traiter plus rapidement les dossiers de ceux qui n'ont pas le droit à l'asile – ce point constitue un pilier de la procédure – et qu'il faut aider les pays de première entrée – les difficultés rencontrées à Lampedusa l'ont montré.
Le pacte précise aussi les modalités de la solidarité de fait qui s'exerce : chaque demandeur est enregistré, il se voit attribuer des documents d'identité et prodiguer des soins de santé. Après quoi, les demandeurs d'asile sont répartis sur le territoire européen.
Au regard des différentes positions qui se sont exprimées, j'estime que ce pacte constitue un bon équilibre entre la solidarité et l'humanité d'un côté, et la responsabilité au regard des frontières extérieures de l'autre côté.
En ce qui concerne les politiques de visas de travail, comme vous le savez, monsieur le sénateur Patient, elles relèvent non pas de l'Union européenne, mais des législations nationales. Nous pourrons peut-être réfléchir à l'élaboration d'un prochain programme européen en la matière, mais pour l'heure, les actions menées dans le cadre de la lutte contre les passeurs permettront d'améliorer la situation, notamment en Guyane et à Mayotte, que vous avez mentionnée. Quoi qu'il en soit, le Parlement européen est bien au travail, et j'ai bon espoir que nous parvenions à conclure un accord avant la fin de la mandature européenne.
J'en viens au récent arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur le contrôle aux frontières intérieures que vous avez évoqué, monsieur le président Rapin. Je vous rejoins pleinement : dans le contexte que nous connaissons, il est primordial que les services du ministère de l'intérieur disposent des moyens de protéger efficacement les frontières. C'est pourquoi nous sommes en train d'effectuer l'analyse des conséquences opérationnelles de la décision de la CJUE.
Pour l'heure, il convient toutefois de demeurer prudent, car je rappelle que ladite décision a été rendue dans le cadre d'une procédure qui est en cours devant le Conseil d'État. Dans la décision qu'il rendra au fond, le Conseil d'État précisera la portée de l'arrêt de la CJUE pour notre droit national. Dans l'intérim, et face au défi que vous connaissez, les contrôles aux frontières intérieures restent en vigueur.
Vous avez été nombreux à m'interroger sur les questions économiques, couvrant l'ensemble des points qui seront discutés au Conseil européen.
Je commencerai par la révision du cadre financier pluriannuel, qui a fait l'objet de nombreuses questions. En la matière, notre position est très ferme : si nous voulons disposer des moyens de financer nos ressources propres, notamment grâce à la taxe carbone aux frontières et aux recettes issues du marché du carbone, nous ne souhaitons pas que cette révision emporte une augmentation trop importante du budget européen.
L'impôt sur les bénéfices des entreprises, que vous avez évoqué, est effectivement temporaire. Il s'ajoute à l'impôt sur les multinationales instauré par l'OCDE.
Lors de la prochaine mandature – je crois que nous en sommes tous d'accord –, il faudra aller plus loin en matière de ressources propres si nous voulons étendre les politiques budgétaires de l'Union européenne.
En ce qui concerne la réforme de la gouvernance économique, au sujet de laquelle MM. Rapin et Husson ainsi que Mme Blatrix Contat m'ont interrogée, je le dis clairement : nous ne voulons pas de règles qui seraient complètement procycliques. Nous souhaitons que cette gouvernance tienne compte des positions initiales de chaque pays, de leurs spécificités en termes d'investissements et de réformes à venir. Nous tenons cette position très fermement dans les négociations, et comme elle est de bon sens, je ne doute pas que les États que vous nommez les "frugaux", monsieur Husson, finiront par s'y rallier.
Vous êtes également nombreux à avoir mentionné ce pilier de notre compétitivité qu'est la réforme du marché de l'électricité, sujet qui, comme vous savez, est très clivant au niveau du Conseil.
Je tiens tout d'abord à redire, comme je l'ai déjà fait à plusieurs reprises dans cet hémicycle, que jamais nous ne transigerons sur le nucléaire.
Il convient ensuite de noter que, comme le Président de la République l'a annoncé à l'issue des rencontres franco-allemandes qui se sont tenues à Hambourg, nous commençons à avancer et à voir les positions bouger.
Nous sommes de ce fait assez confiants quant à la possibilité de parvenir à un accord qui permette aux Français d'accéder à des prix qui reflètent la réalité de notre mix électrique.
J'en viens aux aides d'État. Je tiens à préciser que les montants qui ont été évoqués correspondent aux montants qui ont été non pas déboursés, mais seulement demandés. La France a toujours considéré qu'il fallait des aides d'État, mais aussi un fonds de souveraineté au bénéfice des petits pays afin d'éviter que les différences de moyens avec les plus grands États ne conduisent à une fragmentation de l'Union européenne.
Monsieur le sénateur Pellevat, je vous trouve quelque peu sévère au sujet de la compétitivité. (Sourires.)
Nous avons tout d'abord été plus rapides que d'habitude, puisque le Président de la République avait alerté au sujet de l'Inflation Reduction Act (IRA) dès le mois de décembre de l'année dernière et que nous avions des textes sur la table dès le mois de mars suivant.
Dans le cadre des négociations sur le Net-Zero Industry Act, nous nous battons ensuite pour le nucléaire, en particulier pour les petits réacteurs modulaires que vous avez mentionnés. Du reste, si la politique industrielle a fait figure de lubie française pendant de nombreuses années, je puis vous assurer que, parmi les Vingt-Sept, plus aucun ne néglige ce domaine, et que la politique industrielle est désormais un principe européen.
Enfin, comme je l'indiquais précédemment, il nous faudra revoir nos politiques et les budgets qui leur sont associés lors de la prochaine mandature.
Je terminerai en évoquant l'Arménie et le Haut-Karabagh, sujet qui est bien inscrit à l'ordre du jour du Conseil européen.
La France entière partage l'émotion que vous avez exprimée, mesdames Morin-Desailly et Devésa, au regard de la situation absolument inqualifiable qui a conduit à l'exode organisé de plus de 100 000 Arméniens depuis le Haut-Karabagh – le Premier ministre arménien indiquait que seules trois familles, soit quinze personnes, étaient restées dans la région.
Le Président a évoqué le sujet lors de la réunion de la Communauté politique européenne, et il continuera à l'aborder. Une réunion se tiendra d'ici à la fin du mois à Bruxelles sous l'égide de Charles Michel. Nous serons extrêmement vigilants quant à l'attitude qui sera celle du président Aliyev. Ces discussions doivent permettre de parvenir à un accord de paix respectueux du droit international.
Le Président et le Gouvernement sont totalement mobilisés sur ce sujet qui relève d'une lutte des régimes autocratiques contre la démocratie qu'incarnent à la fois la France et l'Union européenne.
Source https://www.senat.fr, le 20 octobre 2023