Texte intégral
AMANDINE BEGOT
Gérald DARMANIN, la Belgique d'abord, une nouvelle fois frappée hier par un nouvel attentat, un homme circulant à scooter a ouvert le feu en plein Bruxelles, tuant deux personnes, deux Suédois, il est ce matin, et les autorités belges l'ont confirmé tout à l'heure, toujours en fuite, est-ce que vous avez la certitude qu'il n'a pas passé la frontière, qu'il n'est pas en France ce matin ?
GERALD DARMANIN
D'abord je veux évidemment apporter tout mon soutien à nos amis Belges et Suédois, j'ai eu la ministre de l'Intérieur deux fois au téléphone hier soir. Nous avons, dès le moment où nous avons su qu'il y avait eu un attentat à Bruxelles, renforcé la frontière entre la France et la Belgique, en coordination avec nos amis Belges, nous les avons d'ailleurs aidés, et ce soir il y a un match de football d'ailleurs important à Lille…
AMANDINE BEGOT
France/Ecosse.
GÉRALD DARMANIN
Donc nous avons multiplié les moyens, encore ce matin on va doubler les effectifs à la frontière, le RAID est mobilisé et il y aura six unités de forces mobiles au lieu de trois à Lille. Nous n'avons pas d'informations comme quoi il viendrait vers la France, nous n'avons pas d'informations comme quoi il se dirigerait vers la France, mais soit pour aider d'éventuels complices à s'échapper, soit pour l'empêcher évidemment de passer notre frontière, nous avons un œil très particulier pour ce qui se passe depuis hier soir à la frontière belge.
AMANDINE BEGOT
Donc vigilance renforcée sur ce match ce soir prévu à Lille ?
GERALD DARMANIN
Oui, comme malheureusement tous les évènements que nous connaissons, mais c'est sûr qu'avec nos amis Belges, pour les aider, comme pour arrêter cet éventuel terroriste, une présence assez forte. Il a l'air de s'en être pris aux Suédois particulièrement, mais il est évident que nous allons travailler avec les Belges pour pouvoir coordonner les arrestations si c'est le cas.
AMANDINE BEGOT
Et ce n'est sans doute pas un hasard s'il s'en est pris aux Suédois particulièrement, il y a quelques semaines Al-Qaïda, dans la péninsule arabique, avait menacé de cibler la Suède, mais aussi la France, on avait parlé d'un ministère à Paris, est-ce que c'est pour ça, à cause de ce type de menaces aussi que la France est repassée depuis vendredi en urgence attentat ?
GERALD DARMANIN
D'abord il y a eu un assassinat terroriste d'un professeur dans un lycée en province et il y a eu des blessés graves, donc évidemment, quand la menace est déjà très forte, quand vous avez des menaces venant de l'extérieur, de l'État islamique en l'occurrence, lorsque vous êtes le symbole parce que vous êtes le pays de la liberté et que par ailleurs il y a, au Proche-Orient, des appels à l'insurrection, des appels à s'en prendre aux intérêts occidentaux, aux intérêts français, évidemment, c'est pour ça que nous mettons une posture de grande vigilance, de grande action des services et de grande présence policière et militaire.
AMANDINE BEGOT
Et vous dites quoi à ceux qui nous écoutent ce matin, évitez les rassemblements par exemple ?
GERALD DARMANIN
Non, les Français doivent continuer à vivre comme ils l'entendent, la Coupe du monde de rugby se passe dans ces conditions de manière, je crois extrêmement fluide, on l'a vu, la venue du Pape à Marseille, la vie de tous les jours évidemment doit continuer, simplement il y a désormais des dizaines de milliers de policiers, de gendarmes, de militaires, de services de renseignement, que je remercie pour leur travail, à Arras ils sont intervenus malgré le drame en moins de 4 minutes, de façon très courageuse, et donc ils sont là pour nous protéger, ce qui nous rappelle que la police nous protège tous les jours.
AMANDINE BEGOT
Arras justement et cette minute de silence qui a été observée hier en hommage bien sûr à Dominique BERNARD, en hommage aussi à Samuel PATY, est-ce que cette minute de silence a été bien respectée partout, sur tout le territoire ?
GERALD DARMANIN
Ecoutez, il n'y a pas eu de violence, il n'y a pas eu d'attaque, il n'y a pas eu de problème, c'est déjà une très bonne chose, grâce à l'énorme courage des enseignants français, moi je voudrais vraiment leur redire, comme d'autres bien sûr, à quel point ils font honneur à leur fonction de professeur, et je n'ai pas encore eu les remontées des préfets pour savoir si…
AMANDINE BEGOT
Il y en avait eu 400 en 2020 au moment… à Samuel PATY.
GERALD DARMANIN
Je n'ai pas encore eu de remontée des préfets pour savoir si quelques minutes ici ou là ont été perturbées, c'est vrai qu'au lendemain de Samuel PATY il y en a eu, et à chaque fois, avec le ministre de l'Éducation nationale, ça a été le cas avec le précédent, je suis sûr que c'est le cas avec Gabriel, on prendra toutes les sanctions qu'il faudra si jamais ça a été le cas.
AMANDINE BEGOT
L'assaillant est toujours en garde à vue, sa garde à vue devrait s'achever dans les heures qui viennent, d'après nos informations il a peu expliqué les raisons de son geste, dès vendredi vous aviez fait un lien avec ce qui s'est passé en Israël, évoqué en tout cas cette possibilité, vous en êtes toujours convaincu aujourd'hui ?
GERALD DARMANIN
Il y a, on le voit notamment avec l'attentat en Belgique, d'abord c'est un sujet qui touche tous les pays occidentaux, pas que la France, il y a, au lendemain des attaques islamistes, au lendemain des attaques terroristes en Israël, eut réjouissances, pardon utiliser ce mot, parmi les gens que nous suivions, il y a quand même 6500 personnes qui, par exemple en 2022, sont sous techniques de renseignement, donc nous avons beaucoup d'informations, réjouissances dans ce qu'on appelle l'islam radical, de ce qui s'est passé en Israël, et des appels à passer, à aider ceux qui ont attaqué, avec le Hamas, Israël.
AMANDINE BEGOT
Mais il y a un élément qui vous fait dire ça ?
GERALD DARMANIN
Donc il y a une décompensation à craindre, et malheureusement deux attentats dans deux pays proches se sont déroulés en quelques jours, il faut faire attention dans les jours qui viennent parce qu'il peut y avoir effectivement des passages à l'acte, qui entourent désormais une atmosphère de djihadisme, je pense qu'il faut bien comprendre que la coordination de l'attentat par un État islamique, ou Al-Qaida, de loin, c'est toujours possible, mais c'est plus difficile parce que nous avons beaucoup travaillé contre ces cellules, en revanche un passage à l'acte par Internet, par des débats médiatiques, par des appels au soulèvement, par en effet ce qu'on appelle soit des loups solitaires, c'est-à-dire des personnes qui ne sont pas organisées ni financées, mais qui passent à l'acte parce qu'ils se croient investis d'une mission, oui, ça permet des passages à l'acte, et ce qui se passe en Israël malheureusement le permet, et malheureusement les faits ont donné raison.
AMANDINE BEGOT
Monsieur le ministre, dans cette affaire d'Arras il y a un élément qui interpelle, de très nombreux Français se demandent pourquoi cet individu était encore sur le sol français, je vais rappeler assez rapidement les faits. la famille avait été déboutée du droit d'asile en 2014, elle aurait dû être expulsée à ce moment-là, le père, lui, l'a été en 2018, tenant d'un islam radical, le frère, l'un des frères, est incarcéré, condamné à deux reprises, notamment pour ne pas avoir dénoncé un projet d'attentat contre l'Élysée, puis pour apologie du terrorisme, l'assaillant lui été fiché S, inscrit au fichier traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT, et ce depuis le début du mois, il avait fait l'objet de signalements dès son lycée, qu'est-ce qu'il faisait encore sur le sol français ?
GERALD DARMANIN
A l'époque où il aurait dû être exclu du territoire national avec sa famille, c'est-à-dire entre 2010 et 2014, il ne l'a pas été, nous n'étions pas en responsabilité, il faudra voir pourquoi, ce qui est sûr c'est que depuis ils ont demandé l'asile, on leur a refusé, et on a pu en effet expulser le père, sous le quinquennat du président de la République, enfermer le frère, parce que c'est la DGSI qui a fait un article 40 pour apologie du terrorisme, et lui, puisqu'il est arrivé avant l'âge de 13 ans sur le territoire national, malheureusement nous ne pouvions pas, je ne peux pas l'expulser.
AMANDINE BEGOT
Sauf que la loi prévoit des cas…
GERALD DARMANIN
Non, la loi…
AMANDINE BEGOT
La loi, j'ai lu, juste vous me répondez après, si l'individu a un comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, s'il est lié à des activités à caractère terroriste, ou s'il réalise des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, la haine ou la violence contre une personne déterminée…
GERALD DARMANIN
Ce n'était pas le cas, il ne faut pas…
AMANDINE BEGOT
Les signalements, pardon, les signalements du lycée…
GERALD DARMANIN
Non, ce n'était pas à caractère terroriste, ce qui est certain c'est que… aujourd'hui il y a 4000 cas comme celui-ci, où le ministre de l'Intérieur voudrait les expulser et la loi ne le peut pas, le seul moment où on aurait pu expulser cette personne c'est lorsqu'il a été mis en garde à vue parce qu'il a violenté sa mère, donc des violences intrafamiliales, pour lequel il n'y a pas eu de plainte déposée, pour lequel il n'y a pas de casier judiciaire, la préfecture du Pas-de-Calais à l'époque a très bien fait son travail, parce que j'avais demandé une circulaire, je leur avais dit "expulsez tous les étrangers délinquants qui sont dans les gardes à vue", et lorsqu'ils ont demandé à la justice "est-ce qu'on peut l'expulser ?", ils ont répondu "non, la loi vous empêche, on protège tous les gens qui sont arrivés avant l'âge de 13 ans sur le territoire national." Cette loi est absurde, il faut la changer, c'est d'ailleurs le cœur même du texte que je propose aux parlementaires dans la loi immigration, j'ai besoin des mesures de fermeté que va me donner le Parlement pour expulser tout étranger qui commet des actes de délinquance, quels qu'ils soient, des violences intrafamiliales, des atteintes aux policiers, bien sûr des trafics de drogue, qui n'ont rien à voir avec le terrorisme, parce qu'on sait qu'ils sont souvent l'antichambre des passages à l'acte, et si la loi, quand la loi sera votée, le plus rapidement possible, je pourrai appliquer, avec les policiers, l'expulsion de tout étranger délinquant.
AMANDINE BEGOT
Sauf que dans le texte, en tout cas en l'état, du projet de loi, il faudra que cet individu ait été condamné pour des faits passibles de 10 ans de prison…
GERALD DARMANIN
Non, ce n'est pas…
AMANDINE BEGOT
Non, ce n'est pas vrai ?
GERALD DARMANIN
Ce n'est pas vrai, en cas de récidive c'est cinq ans, et ce n'est pas "condamné", c'est "encours la peine de."
AMANDINE BEGOT
"Encours la peine de."
GERALD DARMANIN
C'est-à-dire qu'on n'a pas besoin d'attendre la décision de justice, quelqu'un qui aurait violenté sa femme, quelqu'un qui aurait attaqué un policier, quelqu'un qui aurait fait un trafic de drogue, qui aurait été en garde à vue, le cas de ce terroriste…
AMANDINE BEGOT
Avant même d'être jugé, pourrait être renvoyé ?
GERALD DARMANIN
Exactement, c'est ce que je fais tous les jours, dans des cas plus graves, dans des cas de tentative d'homicide par exemple, et dans la loi que je propose c'est, avant même d'attendre la condamnation, s'il encourt la peine de, je peux obtenir son expulsion.
AMANDINE BEGOT
Donc dès lors qu'il y a une plainte ?
GERALD DARMANIN
Dès lors que la police constate le méfait, en l'occurrence, dans ce cas-là, la mère n'avait pas déposé plainte, les policiers avaient constaté la violence intrafamiliale, on aurait pu l'expulser si la loi avait été votée, si la loi m'avait donné les moyens de le faire.
AMANDINE BEGOT
Je reviens sur les signalements qui ont été faits par le lycée concernant cet individu. Gabriel ATTAL a parlé sur TF1 de signalements en 2021 et 2022, c'est le cas ?
GERALD DARMANIN
Alors, il y a des signalements de lui qui manifestement s'en prend aux professeurs qui - encore une fois je mets du conditionnement – auraient eu un contentieux avec un élève qui aurait été son frère ou sa sœur, donc ces signalements ont été remontés, ils n'étaient pas de nature terroriste, ce sont des signaux faibles, c'est d'ailleurs pour ça que les services secrets l'avaient mis sur écoute, géolocalisé, ces écoutes téléphoniques n'avaient rien donné, on a des dizaines d'heures de conversations où il ne se passe rien, donc qu'est-ce qui s'est passé ? il s'est sans doute passé qu'il a parlé sur les messages cryptées, sur Signal, sur Telegram, sur WhatsApp, c'est d'ailleurs pour ça que la veille la DGSI avait fait une interpellation, pour prendre possession de son téléphone, il n'y avait pas d'infraction constatée la veille, donc ils n'ont pas pu prendre son téléphone, regarder ce qui se passe dans ces messageries cryptées, malheureusement il est passé à l'acte le lendemain, ça pose la question…
AMANDINE BEGOT
Il n'y a pas un délai ; pardon, allez-y.
GERALD DARMANIN
Ça pose la question de savoir est-ce que les écoutes téléphoniques classiques fonctionnent encore, est-ce que la loi donne aux services secrets les meilleurs moyens pour regarder ce qui se passe désormais…
AMANDINE BEGOT
Est-ce qu'on n'est pas dépassé techniquement, tout simplement ?
GERALD DARMANIN
Alors, on n'est pas dépassé techniquement, on est capable de regarder ce qui se passe sur Telegram, sur Signal, mais ça demande énormément de travail des services, donc de la perte de temps, et parfois nous allons moins vite effectivement que les actes terroristes, et donc ça pose la question de savoir, si on ne demande pas à WhatsApp, à Signal, à Telegram, de nous donner les moyens de pouvoir rentrer dans ces conversations téléphoniques numériques, de nouvelles formules, qui permettent, j'espère demain, d'arrêter des attentats, comme hier les écoutes téléphoniques nous ont permis de le faire.
AMANDINE BEGOT
Et le délai entre le signalement par l'Éducation nationale et le fichage, 2021-2023, il n'est pas trop long ?
GERALD DARMANIN
On va vérifier, avec Gabriel ATTAL, si effectivement nous avons tous bien travaillé, bien sûr, mais à…
AMANDINE BEGOT
Mais ce n'est pas un reproche…
GERALD DARMANIN
Non, mais j'entends bien.
AMANDINE BEGOT
Est-ce qu'on ne peut pas améliorer les choses, peut-être que…
GERALD DARMANIN
Non, mais attendez, quand il y a un attentat, soyons clairs…
AMANDINE BEGOT
Hier on avait juste, d'un mot, une auditrice qui nous disait "moi je suis enseignant, je signale des faits d'élèves qui se radicalisent et ça ne remonte pas."
GERALD DARMANIN
Alors ça remonte, tout simplement on ne redonne pas à l'Éducation nationale et aux professeurs, évidemment, si on suit les gens. Le fiché S c'est quoi ? c'est quelqu'un qui est suivi, dont nous savons qu'il est suivi, mais la personne ne sait pas qu'elle est suivie, sinon ça n'a pas d'intérêt. A chaque fois qu'il y a un attentat, évidemment qu'il faut que nous reposions des questions de savoir si on a fait bien les choses, parce qu'il y a des drames, il y a des familles qui pleurent quelqu'un, il y a aussi, aujourd'hui, 43 attentats déjoués, un tous les mois, tous les deux mois, par les services de renseignement français, et malheureusement la menace terroriste elle est très forte, le combat il est culturel, dans les têtes, plus que dans les textes, et nous devons être extrêmement durs contre l'islam radical, et c'est ce que nous allons faire encore dans les semaines qui viennent.
AMANDINE BEGOT
Merci Monsieur le ministre
source : Service d'information du Gouvernement, le 20 octobre 2023