Interview de Prisca Thevenot, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et du service national universel, à France Bleu le 17 octobre 2023, sur les attentats terroristes et le renforcement du service national universel.

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Intervenant(s) : 
  • Prisca Thevenot - Secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et du service national universel

Média : France Bleu

Texte intégral

JOURNALISTE
Chaque jour vous réagissez à l'actualité, 01 42 30 10 10, que fait l'Etat pour protéger nos jeunes menacés aujourd'hui jusque dans les cours d'école ?

MELODIE PEPIN
Vous pouvez poser vos questions à notre invitée ce matin, Prisca THEVENOT bonjour.

PRISCA THEVENOT
Bonjour.

MELODIE PEPIN
Vous êtes secrétaire d'Etat en charge de la jeunesse. Prisca THEVENOT je me permets aussi de dire que vous êtes mère de famille, que vous avez deux enfants, est-ce que vous avez peur aujourd'hui de les mettre à l'école ?

PRISCA THEVENOT
Est-ce que j'ai peur de les mettre à l'école ? Non, je suis heureuse et reconnaissante de pouvoir justement les emmener - alors vous reconnaîtrez que ce matin c'est mon mari qui les emmène à l'école puisque je suis avec vous - mais qu'ils puissent aller à l'école et de les récupérer le soir de l'école et de leurs différentes activités. Maintenant, est-ce ce que nous sommes en ce moment inquiets de façon générale ? bien évidemment, dire le contraire serait mentir. La situation que nous connaissons, aussi bien au Proche-Orient qu'en France, qu'en Belgique hier soir, et permettez-moi d'avoir une pensée émue pour nos amis belges et suédois, oui elle est inquiétante, mais parce que nous sommes en France je n'ai pas le droit de dire que je suis plus inquiète que cela. Pourquoi ? Parce que nous avons déployé tous les moyens, toutes les forces de l'ordre, pour pouvoir continuer à vivre le plus normalement possible, sur le territoire national ce sont les renforcements de nos moyens, de nos policiers, annoncés par Gérald DARMANIN, également le renforcement, depuis aujourd'hui, des forces de l'ordre à la frontière franco-belge, puisqu'effectivement l'attaquant d'hier est toujours en train de courir dans les rues, et puis c'est aussi les forces Sentinelle qui sont déployées et qui ont été annoncées par le ministre des Armées, Sébastien LECORNU.

MELODIE PEPIN
Une présence policière, une présence militaire, devant nos écoles, qui ne rassure pas forcément les élèves, écoutez Rihan, quinze ans, il est lycéen à Montreuil.

(…)

MELODIE PEPIN
Vous l'entendez Rihan, il a 15 ans, et aujourd'hui il a peur, il a peur d'aller dans son lycée, vous lui répondez quoi ?

PRISCA THEVENOT
Que je comprends tout à fait ce qu'il dit et ça rejoint exactement ce que j'ai pu entendre hier dans un lycée à Sèvres où j'ai fait justement la minute de silence et j'ai voulu suivre cette minute de silence par un échange avec des jeunes qui sont en terminale…

MELODIE PEPIN
Ils en disent quoi justement ?

PRISCA THEVENOT
Ils sont un tout petit peu plus âgés que Rihan, mais à peu près la même tranche d'âge, ils disent la même chose, ils sont choqués, ils sont inquiets, mais ils sont déterminés, déterminés à continuer à retourner à l'école, à continuer à avoir une vie la plus normale possible, mais bien évidemment il faut qu'on puisse être là, nous, en tant qu'adultes, en tant que pouvoirs publics, en tant que responsables politiques…

MELODIE PEPIN
Et vous faites quoi, vous, en tant que responsable politique pour…

PRISCA THEVENOT
Pour justement pouvoir échanger aussi avec eux.

MELODIE PEPIN
Et vous faites quoi pour eux ?

PRISCA THEVENOT
C'est ce que je suis en train de vous dire, déjà hier…

MELODIE PEPIN
Dialoguer c'est une chose…

PRISCA THEVENOT
Dialoguer c'est la première des choses. Excusez-moi, quand on entend des jeunes qui nous disent qu'ils sont angoissés et inquiets, au-delà effectivement des moyens de police, et militaires qui sont mis en place, il y a d'autres enjeux aussi, c'est de pouvoir dialoguer, échanger, mettre des mots sur ce que les jeunes vivent en ce moment.

MELODIE PEPIN
Oui, mais dialoguer ça n'arrête pas un homme qui arrive avec un couteau.

PRISCA THEVENOT
Non mais, le jeune homme que vous interrogez là, il a surtout aussi envie de pouvoir parler, d'exprimer, je suis désolée, il ne faut pas tout mélanger, ce n'est pas parce que je vous dis qu'on va parler, échanger avec les jeunes, leur permettre de mettre des mots sur leurs angoisses et leurs inquiétudes, qu'on ne les protège pas par ailleurs, c'est justement le principe de la première réponse que je vous ai adressée. Oui, nous avons renforcé les moyens de policiers, les moyens militaires, sur l'entièreté du territoire, c'est la première réponse que je vous ai adressée, mais je veux bien les répéter si vous voulez.

MELODIE PEPIN
Non, mais ça on a compris, ce qu'on comprend aussi c'est qu'il y a trois ans il y a eu Samuel PATY, que vendredi il y a Dominique BERNARD, et qu'en trois ans on a l'impression que les choses n'ont pas beaucoup bougé, mise à part les discours et les mots qui sont toujours les mêmes, « l'école doit être un rempart contre l'obscurantisme », « on doit sanctuariser l'école », deux profs tués en trois ans.

PRISCA THEVENOT
Excusez-moi, est-ce qu'on est en train de se dire là, ici, ce matin à 8h15, que l'attaque terroriste nous en serions responsables ? j'espère pas. J'espère pas. Oui, nous avons une menace terroriste, oui. Est-ce que c'est nouveau ? non. Est-ce que trois ans après, effectivement nous avons à nouveau un professeur qui a été assassiné, sauvagement attaqué par un terroriste islamiste ? Oui. Est-ce que c'est la France qui est responsable de ça ? Non, au contraire, c'est parce que nous sommes la France que nous sommes attaqués, c'est parce que nous défendons des valeurs que nous sommes attaqués, et donc face à cela…

MELODIE PEPIN
Est-ce que nos élèves sont des cibles aujourd'hui ?

PRISCA THEVENOT
J'insiste, excusez-moi, et donc face à cela, plus que jamais, plus que jamais, nous devons faire front commun. Est-ce que c'est compliqué ? Oui. Est-ce que c'est angoissant ? Oui, et ce n'est pas la secrétaire d'Etat qui vous le dit, c'est la mère de famille, mais plus que jamais il ne faut pas qu'il y ait une seule faille, une seule faille, dans l'unité nationale qui est la nôtre, et c'est justement parce que nous sommes unis qu'ils nous attaquent, qu'ils attaquent la France, mais qu'ils attaquent aussi les valeurs européennes, comme nous l'avons vu hier en Belgique.

MELODIE PEPIN
Est-ce que nos jeunes, nos élèves, sont des cibles désignées aujourd'hui ?

PRISCA THEVENOT
Est-ce que l'école est une cible désignée dans sa globalité ? Malheureusement oui, elle est une cible désignée parce que s'en prendre à l'école c'est s'en prendre à notre avenir, c'est s'en prendre farouchement à nos valeurs, à nos lieux de transmission et d'apprentissage, bien évidemment.

MELODIE PEPIN
Et tout ce climat, Prisca THEVENOT, tout ce climat aujourd'hui autour de nos enfants, de nos élèves, ils sont habitués aux exercices anti-intrusion, aujourd'hui ils arrivent à l'école, ils voient des policiers, ils voient des militaires, ils sont parfois fouillés, ils sont confrontés à des attentats, à des guerres, on le voit aux portes de l'Europe, à des discours radicaux, au mot « terroriste », le mot « terroriste » qu'ils connaissent aujourd'hui depuis très jeunes, c'est ça être un jeune aujourd'hui en 2023, c'est un peu inquiétant.

PRISCA THEVENOT
Tout à fait, être un jeune effectivement c'est inquiétant, c'est angoissant, et puis effectivement tout ça s'inscrit aussi sur d'autres actualités que…

MELODIE PEPIN
Vous avez peur des séquelles que ça laisse sur notre jeunesse ?

PRISCA THEVENOT
Je n'ai pas peur, je les entends, je les entends. Est-ce que nous avons aujourd'hui une jeunesse qui est angoissée, où les risques psychosociaux sont plus importants ? Oui, dire le contraire ça serait mentir devant vous aujourd'hui, maintenant l'enjeu ce n'est pas simplement de commenter, mais c'est de pouvoir agir, donc nous devons continuer à déployer effectivement, et à attirer sur des filières psychosociales, pour aider justement ces jeunes, partout sur le territoire, parce que nous avons une difficulté de maillage de ces professionnels sur tous les territoires, j'étais notamment en Creuse, c'est une réalité, les jeunes d'ailleurs, parce qu'ils veulent répondre à ce sujet, veulent s'engager dans ces professions, donc oui nous avons cet enjeu à regarder, territoire par territoire, sujet par sujet.

MELODIE PEPIN
Je vous propose aussi d'écouter des parents, des papas, des mamans, qui sont inquiets aussi ce matin et qui vont peut-être avoir besoin d'être rassurés, ils nous appellent au 01 42 30 10 10.

(…)

MELODIE PEPIN
Qu'est-ce que vous répondez à Patrick qui a peur de mettre son enfant à l'école ?

PRISCA THEVENOT
Bien sûr j'entends tout à fait, maintenant, effectivement, ce qu'on rappelait tout à l'heure c'est que les moyens des forces de l'ordre sont mis en place au niveau des différents établissements, non pas pour apeurer, mais pour protéger, j'insiste vraiment sur ça, effectivement ensuite l'enjeu c'est de rappeler que nos jeunes sont aujourd'hui… ils ont appris à effectivement se protéger, et j'insiste, il y a différentes mesures qui sont mises au sein des établissements, avec des répétitions qui sont organisées, dès le plus jeune âge, moi je le sais, c'est fait avec mes enfants par exemple, et donc il est aussi important de rappeler que dans ces cas-là, dès qu'on peut, on se protège, on va se protéger.

(…)

MELODIE PEPIN
Ce qui est effrayant, Prisca THEVENOT, quand on écoute Jennifer, Patrick, c'est qu'on a des enfants qui ont peur, on a des parents qui ont peur, on a des profs qui ont peur, vous nous dites il ne faut pas avoir peur, continuez, on met de la présence policière un peu partout, mais on voit bien qu'aujourd'hui ça ne suffit pas à rassurer.

PRISCA THEVENOT
Je ne dis pas qu'il ne faut pas avoir peur, je dis que je n'ai pas peur, mais que j'entends bien évidemment l'inquiétude et l'angoisse qui peut exister, voilà ce que je dis. Maintenant, ce que je dis aussi, c'est que nous devons continuer à pouvoir parler, échanger, et c'est exactement ce que la maman, Jennifer, et le papa juste avant, nous disaient aussi, oui nous devons dire la réalité des choses, le pire serait de nier, regardons la réalité de notre société aujourd'hui.

MELODIE PEPIN
Est-ce qu'il y a eu – permettez-moi de vous interrompre – est-ce qu'il y a eu des remontées d'incidents, de contestations hier, lors des hommages rendus à Samuel PATY et Dominique BERNARD ?

PRISCA THEVENOT
Alors, je crois qu'il y a eu un incident, effectivement, qui a été remonté, le ministre de l'Intérieur disait ce matin chez vos confrères que justement il attendait encore le retour de l'ensemble des préfets sur la minute d'hier, et, on le rappelle à nouveau, que tous les incidents seront sanctionnés.
MELODIE PEPIN

C'était où ?

PRISCA THEVENOT
Je pense que vous pouvez le retrouver, mais je n'ai plus le détail précis.

MELODIE PEPIN
Prisca THEVENOT, vu le contexte, vu ce contexte quand même très lourd, la guerre ambiante, les attentats, les attaques qui parviennent jusque dans nos écoles, à Bruxelles hier, vu les discours, la France est en guerre contre le terrorisme, vous qui êtes en charge du service national universel, est-ce que le retour d'un service militaire obligatoire est envisageable, est-ce que vous y réfléchissez ?

PRISCA THEVENOT
C'est marrant, pardon, je suis désolée, mais merci pour ce sourire dans ce contexte un peu compliqué. Le service national universel ce n'est pas un service militaire en fait, le service national universel c'est ni l'armée, ni la colo, donc avant peut-être de poser la question de l'obligation ou pas c'est peut-être l'explication qu'il faut, parce que visiblement il y a un petit amalgame. Le service militaire c'est un temps de 12 jours de cohésion suivi d'un temps de service pour la nation, 12 jours de cohésion où les jeunes effectivement sont réunis autour de symboles de la nation, qui sont le lever du drapeau ou le chant de « La Marseillaise », mais aussi des moments festifs comme des moments de boums, etc., et pendant ce temps-là ils apprennent à s'engager concrètement, avec des associations de proximité, sur l'écologie, la lutte contre les discriminations, mais également la lutte contre le harcèlement et la prévention des différents risques autour d'actes de résilience. Maintenant, ce qu'on doit se dire c'est, dans le temps que nous sommes en train de vivre aujourd'hui, est-ce que défendre l'intérêt national, est-ce qu'être prêt à l'intérêt national, peut être aujourd'hui une option ? Je ne crois pas. Je ne crois pas. Et grâce à Sébastien LECORNU, ministre des Armées, nous avons renforcé, modernisé, nos forces militaires grâce à la loi de programmation militaire votée avant l'été, je pense que nous devons continuer, et en plus de cette force militaire, renforcer notre force morale avec un outil tel que le service national universel qui, je le répète, n'est ni une colo, ni l'armée.

MELODIE PEPIN
Et cet outil il va être renforcé ?

PRISCA THEVENOT
Il est déjà renforcé, depuis 2019, c'est une montée en puissance qui a été mise en place, nous sommes aujourd'hui à 90.000 jeunes qui l'ont fait, l'année prochaine nous serons à 80.000 jeunes, encore une fois ce n'est pas simplement une ambition que je porte derrière le président de la République, mais c'est aussi une demande des jeunes. Par exemple, cet été, au mois de juillet, 17.000 jeunes sont partis en séjour de cohésion, donc la première partie du SNU, pendant le mois de juillet, il y avait 5000 jeunes qui sont restés « sur le carreau », qui se sont inscrits, mais faute de place qui n'ont pu y aller.
MELODIE PEPIN

Prisca THEVENOT, secrétaire d'Etat en charge de la Jeunesse, merci beaucoup d'avoir répondu à nos questions ce matin, d'avoir tenté aussi de rassurer les papas, les mamans, qui nous ont appelés ce matin, et on l'a entendu, ce climat de peur ambiante qui est très présent, on espère évidemment que ça ira mieux


source : Service d'information du Gouvernement, le 20 octobre 2023