Entretien de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères chargée de l'Europe, avec France 24 le 20 octobre 2023, sur l'Union européenne face au conflit en Israël et à Gaza, les attaques terroristes, la Pologne, la Slovaquie et les élections européennes en 2024.

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  • Laurence Boone - Secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe

Média : France 24

Texte intégral

Q - Laurence Boone, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes la secrétaire d'Etat chargée de l'Europe dans le gouvernement d'Elisabeth borne depuis 2022. Où est l'Europe ? Que fait l'Europe ? Il y a eu par exemple, mardi une réunion extraordinaire des Vingt-Sept pour clarifier leur position sur le conflit avec Israël, non seulement l'Union européenne semble avoir peu d'impact dans cette région, mais surtout elle a une position plus que confuse ces dernières semaines.

R - Pas du tout. Vraiment, je ne peux pas vous laisser dire cela, ce n'est pas juste. D'abord Charles Michel qui est le président du Conseil européen, comme vous le savez, a publié un communiqué qui a été revu par les Vingt-sept, en amont de la réunion de mardi, donc aussitôt après le week-end dernier, très rapidement après les attaques terroristes contre Israël. Et la deuxième chose, c'est que ce communiqué donc précédait la réunion où les Vingt-sept ont pu exprimer leur position, leur convergence et comment ils allaient effectivement se coordonner dans les jours et les semaines qui viennent.

Q - On sent quand même des sensibilités un peu différentes. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, lors de son séjour en Israël, a soutenu le droit d'Israël à se défendre, sans ajouter que cette réponse devait se faire conformément au droit humanitaire et international. C'était un couac, c'était insuffisant, finalement ?

R - Ce n'est que sa position. Le Conseil européen et les vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-sept pays membres de l'Union européenne se sont exprimés exactement tous sur la même ligne : on condamne les attaques terroristes du Hamas contre Israël, on reconnaît le droit d'Israël à répliquer dans le respect du droit humanitaire et du droit international.

Q - Mais donc, du coup, l'Union européenne prévoit le triplement de son aide humanitaire portée à 75 millions d'euros pour la bande de Gaza. Les Vingt-Sept se disent prêts à continuer à soutenir les civils qui en ont le plus besoin à Gaza, en veillant à ce que cette assistance ne fasse pas l'objet d'une utilisation abusive par des organisations terroristes, c'est-à-dire le Hamas ; est-ce que c'est possible à vérifier vraiment ?

R - Mais pourquoi est-ce qu'on dit ça ? L'Union européenne n'est pas du tout naïve. Bien évidemment, la première chose, d'ailleurs, que j'ai demandé à l'Union européenne, c'est de vérifier que tous les fonds qui étaient destinés à Gaza allaient bien à de l'aide humanitaire - et le Président de la République lui-même l'a dit - à l'éducation, à l'aide alimentaire et à de l'eau potable. Evidemment, la France comme l'Union européenne ont augmenté un peu leur aide humanitaire - dans des circonstances qui sont très difficiles - pour les civils de Gaza. Evidemment, comme la situation est compliquée et que le Hamas est aussi à Gaza, il y a besoin de vérifications accrues. C'est pour cela qu'on explique que cela passera par le sud de la bande de Gaza par l'Egypte, et qu'on fera très attention à la fois à protéger les civils et à ce qu'ils bénéficient de cette aide.

Q - En France, l'auteur de de l'attaque au couteau, un homme de nationalité russe, 20 ans, qui a tué un enseignant dans un lycée d'Arras. C'était effectivement cette semaine aussi très, très émouvant, cet enterrement à Arras. Il a publié une vidéo de revendication ; il revendique son geste au nom de de l'organisation Etat islamique. Qu'est-ce que cela nous dit finalement de notre rapport au monde, peut-être de notre rapport à l'enseignement aussi, Laurence Boone ?

R - D'abord, je vais avoir une pensée pour la famille, pour les étudiants, les lycéens qui étaient dans ce lycée. J'ai des enfants qui sont au lycée, je viens d'une famille de professeurs et je trouve qu'émotionnellement c'est absolument terrible et que la date, presque trois ans, jour pour jour, après ce qui est arrivé à Samuel Paty, n'est absolument pas innocente. La deuxième chose, c'est pourquoi est-ce qu'on s'attaque à l'école ? Parce que l'école c'est la connaissance contre les idéologies, qu'elles soient religieuses ou autres, c'est ce qui apporte aux personnes la capacité de s'émanciper, de vivre librement, de faire des choix, c'est tout ce qui représente la démocratie, le savoir contre l'obscurantisme. Il faut absolument qu'on en ait vraiment conscience, parce que c'est à cela que nous, en retour, on doit s'attaquer à ces personnes qui s'attaquent à nos libertés et à nos démocraties. Vous savez, cette semaine, j'étais avec la Première ministre d'Estonie, Kaja Kallas. Ils ne vivent que depuis 30 ans dans une démocratie. Elle est plus jeune que nous et elle a des mots pour rappeler à tous les jeunes d'aujourd'hui que la démocratie, ce n'est jamais acquis, et je pense que c'est cela la leçon de l'héritage qui nous oblige de ce que ce professeur très courageux a fait.

Q - Autre attentat, cette fois à Bruxelles, effectivement, d'un tunisien de 45 ans en séjour irrégulier en Belgique. Il s'en est pris à des Suédois cette fois, en raison d'autodafés du Coran dans ce pays. Quelle leçon, vous, tirez-vous de ce qui s'est passé en Belgique ?

R - Ce que je vois, c'est qu'on n'a pas un problème spécifiquement français ou un sujet spécifiquement français, c'est un sujet européen. La situation mondiale est très tendue. Ce qui s'est passé au Proche-Orient est inquiétant. C'est pour cela que le Président de la République multiplie ses appels, c'est pour cela que Catherine Colonna s'est rendue sur place. Ensuite, c'est un sujet sur lequel on doit travailler en européen. Vous l'avez mentionné au début, il y a eu cette réunion des Vingt-Sept, dans dix jours, il y aura de nouveau un Conseil européen - moi-même, j'en ai un dans une semaine - et c'est cette coordination, à la fois dans la réponse, dans l'aide à Israël et dans la réponse pour les Palestiniens civils, cette coordination sur les affaires intérieures à l'Union européenne, elle est essentielle, parce que ce que cherche à faire toutes ces personnes, c'est à nous diviser pour saper les fondements de notre démocratie. La seule réponse, la réponse qui doit être notre boussole, ça doit être de rester unis face à cette attaque.

Q - Et renforcer les frontières, vous dites ? En l'occurrence, quelles sont les pistes finalement ébauchées dans le cas de ces attentats ?

R - C'est vous qui venez de le dire, je le rappelle, c'était des gens qui étaient sur notre territoire. Evidemment, les frontières de l'Union européenne sont renforcées, ça fait longtemps qu'on travaille d'ailleurs là-dessus, c'est un des résultats de la présidence française de l'Union européenne : une montée en puissance jusqu'à 10.000 personnes d'agents Frontex qui vont renforcer nos frontières externes. Après, - et Gérald Darmanin l'a dit plusieurs fois - quand il y a une menace sur notre territoire et une menace terroriste, bien évidemment, nous renforçons aussi les frontières à l'intérieur, c'est prévu dans le cadre de l'Union européenne.

Q - On part en direction de l'Est de l'Europe. En Pologne, c'est la victoire - bonne nouvelle pour l'Union européenne en tout cas - c'est la victoire aux élections de l'opposition très pro-européenne emmenée par d'ailleurs un ancien président du Conseil, le Polonais Donald Tusk, après 8 ans d'un parti ultra conservateur, Droit et Justice (PiS), avec une rhétorique souvent anti-Bruxelles. Est-ce que vous y voyez un symbole peut être même un coup d'arrêt au populisme ?

R - C'est fantastique ce qui s'est passé en Pologne, absolument fantastique, à plein de points de vue. D'abord, il y a eu un taux de participation très élevé : il a pris près de 15 points, c'est 74% des Polonais qui sont allés voter, vous vous rendez compte, par rapport à ce qu'on voit, c'est colossal. C'est colossal aussi parce que ce sont les jeunes qui sont allés voter. 63% des jeunes entre 18 et 29 ans sont allés voter. Si je vous dis combien de pourcents des jeunes vont voter aux élections européennes, chez nous, entre 18 et 24 ans, c'est à peine 25%. Donc, il faut bien se rendre compte, et ça, j'ai envie de dire, c'est un appel à la jeunesse, que quand on va voter, on peut changer le cours des choses. La troisième chose avec ces élections qui est aussi remarquable, c'est qu'il y avait en même temps un référendum sur l'immigration, et celui-là, il n'y a eu que 40% des gens qui sont allés voter, donc ce référendum n'est même pas valide, quelle que soit la réponse qui a été apportée.

Donc c'est un vrai retour. C'est un retournement de situation et on ne va pas cacher notre plaisir de voir des gens qui ne sont pas populistes, qui ont envie de travailler en Européens, même s'ils sont plus conservateurs que notre gouvernement, que le gouvernement auquel j'appartiens ; on va pouvoir travailler avec des personnes qui pensent de façon républicaine et en direction pro-européenne.

Q - Vous vous attendez à ce que Varsovie puisse revenir à l'Etat de droit, et en particulier dans son système judiciaire, peut-être aussi dans ce qui était appliqué en matière de droits des femmes et de minorités sexuelles et ethniques assez vite, ou au contraire, il y aura la lourdeur de l'appareil ?

R - Je pense que c'est un point extrêmement important. D'abord parce que le premier parti qui est arrivé en tête reste le parti populiste, et donc va essayer de former un gouvernement, même s'il a très peu de chances, il n'a quasiment aucune chance, d'y arriver. Ils sont là, ils ont changé aussi en profondeur les structures de l'Etat. Et même quand le gouvernement pro-européen, la coalition sera nommée, il va falloir inverser tout ce qui a été fait pour verrouiller les structures de l'Etat. Et là, j'ai envie de dire, c'est un appel aux électeurs français. Attention ! Il est difficile, et il va falloir travailler dans la durée pour les Polonais de renverser ces structures et de remettre en place des structures qui soient démocratiques, équilibrées, justes et qui sont dans l'intérêt général et pas dans l'intérêt d'un parti.

Q - D'ailleurs, au moment de la campagne, même au-delà des dossiers de politique intérieure et de fâcherie avec Bruxelles, il y a eu aussi un changement de cap sur l'Ukraine de cette Pologne, qui avait des problèmes avec le blé ukrainien et qui ne voulait plus livrer du tout d'armes à l'Ukraine ; qu'est-ce qu'il va en être ?

R - Là, c'était une erreur majeure de la campagne du PiS. D'abord parce que si vous parlez, moi j'ai des amis polonais, outre le gouvernement polonais. La première angoisse de la Pologne qui, ne l'oublions pas, a été rayée de la carte européenne pendant 120 ans de son histoire, c'est qu'après les Ukrainiens ils soient les prochains sur la liste. Donc je pense que c'était une erreur massive de campagne. Bien évidemment, et Donald Tusk l'a dit dans la campagne : soutien à l'Ukraine et soutien à l'Ukraine dans la durée comme le reste de l'Union européenne.

Q - Il y a quand même la Slovaquie aussi, avec Robert Fico, qui vient d'être élu et va faire alliance avec l'extrême droite et refuse l'aide militaire à l'Ukraine. Puis il y a toujours la Hongrie de Viktor Orban, qui finalement a refusé de participer au Conseil européen dont on parlait, a rencontré Poutine etc. Le front européen sur l'Ukraine, il a l'air quand même assez fissuré.

R - Non. Vous êtes en train de parler de deux pays ; d'accord ? Le front européen, c'est 25 sur 27. Il faut remettre les choses à leur juste place, c'est la première chose. Et là, Orban, très franchement, il va un peu trop loin. Il faut rappeler que, quand on bénéficie d'investissements chinois, on a un prix à payer après. Avec l'Union européenne, quand on bénéficie d'investissements, c'est pour faire partie de cette grande famille qui respecte la démocratie et la liberté.

Q - Justement, parlons démocratie, avec des élections européennes, le 9 juin 2024. Dans quel climat, j'ai envie de vous demander, on va les entamer ? Est-ce que c'est un climat délétère d'infox ? Parce qu'il y a beaucoup d'infox qui circulent en ce moment, effectivement, et avec quel message très différencié de votre parti présidentiel ?

R - D'abord, je veux vous remercier parce que vous parlez d'Europe. On ne parle pas assez de l'Europe, alors que l'Europe, c'est à peu près un tiers de notre cadre juridique, ce qui est quand même beaucoup. Donc la première chose que j'ai envie de dire, c'est "allez voter aux élections européennes". Le Parlement européen a du pouvoir. Un pouvoir qui façonne à la fois notre vie quotidienne sur l'instant dans le court terme, mais aussi sur la durée. La deuxième chose, c'est qu'il s'agit d'un scrutin européen ; ce n'est pas un scrutin français de mi-mandat. Parce que comment ça marche, le Parlement européen ? Ça marche par des alliances pour faire aboutir des textes. Ce dont il faut s'assurer, c'est d'être représentés par des personnes qui vont faire aboutir, qui vont être capables de forger des alliances - et cela, je vais être très claire, ni l'extrême droite ni l'extrême gauche ne savent faire cela - de façon à pouvoir façonner notre cadre, notre destin commun, qui est celui d'être une grande région démocratique, unie, - diverse, mais unie -, démocratique, avec la transition énergétique, avec un modèle social à préserver.

Q - Il paraît d'ailleurs que la question de la tête de liste, effectivement, pour votre groupe centriste, tête de liste française, n'est pas tranchée tout à fait entre, d'ailleurs, Stéphane Séjourné, peut-être le commissaire Thierry Breton et vous-même, Laurence Boone. D'ailleurs, vous êtes prête à y aller si on vous appelle ?

R - Les élections européennes, vous connaissez la date, j'imagine, c'est le 9 juin. Nous sommes mi-octobre. Ce n'est pas pour moi une question de personne, c'est une question d'ADN de ce qui définit notre majorité qui est la seule majorité véritablement pro-européenne. Pour moi, le sujet aujourd'hui, c'est qu'on parle d'Europe et que chaque citoyen se rende compte de ce que fait l'Europe et de ce que ne fait pas l'Europe. Parce que l'Europe ne fait pas tout. Et qu'on arrive à être clairs, à exposer les enjeux et qu'on ait un vrai débat sur l'Union européenne qu'on veut à partir de 2024, et puis sur le bilan qu'on porte, puisque je crois qu'on est les seuls à avoir un bilan aussi large que celui qu'on apporte dans la corbeille de la mariée.

Q - Parlons en tout cas d'un sujet aussi du club des 27 qui pourrait s'élargir, qui pourrait s'élargir. Il y avait une visite, évidemment, d'Emmanuel Macron à Tirana, un sommet des Balkans occidentaux. La France est pour cet élargissement désormais, c'est un changement de cap quand même, mais préconise des clubs qui avancent en quelque sorte à plusieurs vitesses. Enfin, c'est comme ça que le comprennent certains dirigeants des Balkans occidentaux, qui se plaignent finalement d'être rejetés peut-être à la périphérie de ces clubs.

R - Mais je ne crois pas. Je ne crois pas vraiment pas. J'étais avec le Président à Tirana, et toute personne qui écoute ce que dit Edi Rama, le Premier ministre albanais, il le dit lui-même : le chemin pour faire partie de l'Union européenne, est un chemin qui est nécessairement long, parce que c'est une transformation profonde des institutions pour qu'elles s'alignent sur nos institutions européennes, et c'est une transformation profonde de la culture, de la façon de faire de la politique, de protéger les partis politiques, d'éliminer la corruption. C'est un changement du système de justice. C'est un changement du système criminel. Donc, vous le voyez, c'est assez colossal comme changements. Ce sont des changements que nous avons fait en 70 ans, et qu'ils doivent rattraper plus vite.

Q - Avec en plus des tensions actuelles extrêmement fortes entre des pays comme la Serbie et le Kosovo, par exemple.

R - Et les tensions sur les territoires qu'on peut avoir entre la Serbie au Kosovo, ou en Bosnie-Herzégovine. Donc il n'y a pas de la part de de ces pays, je dirais d'incompréhension sur la durée que ça prend. Il peut y avoir une fatigue, parce que ça fait longtemps que ça dure, mais il y a beaucoup de réformes à faire chez eux. Et puis il y en a à faire chez nous, parce que ce qu'on est en train de faire, c'est de changer l'Union européenne. Et je crois qu'on se le disait au début, il y a des choses que l'Union européenne doit faire. Il y a des choses qu'elle ne doit pas faire. Et c'est vraiment la question qu'on peut se poser. Et là, le Président de la République a obtenu un grand succès, j'allais dire, à Grenade puisque l'ensemble des Vingt-Sept a reconnu qu'il fallait changer l'Union européenne en même temps que les pays qui sont candidats à adhésion se changent pour s'aligner sur nos institutions. C'est un travail qui va nous prendre cinq, dix ans peut-être.

Q - Merci Laurence Boone, d'avoir été en notre compagnie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2023