Interview de M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, à RTL le 20 octobre 2023, sur les fausses alertes à la bombe, les actes antisémites, le terrorisme et les manifestations pro-palestiniennes.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Eric DUPOND-MORETTI, le château de Versailles a une nouvelle fois dû être évacué hier pour la quatrième fois en moins d'une semaine suite à une fausse alerte à la bombe et ne compte plus les aéroports qui ont dû être fermés quelques heures, même chose pour les établissements scolaires, 75 pour la seule journée d'hier a dit le ministre de l'Education nationale, tout ça a bien sûr un coût financier, les vols retardés, des entrées de musées en moins, ça mobilise aussi des policiers et des gendarmes qui ont autre chose à faire, qui plus est en ce moment, concrètement comment on arrête ça ?

ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord on poursuit, c'est ce que j'ai demandé, on identifie, on a les moyens techniques de le faire, et chaque fois qu'on peut le faire on le fera, et puis on condamne, parce que dans ceux qui font ces alertes à la bombe il y a des gamins, des petits plaisantins, qui n'ont pas le sens des responsabilités, et puis il faut que les parents soient là – je rappelle d'ailleurs c'est les parents qui vont payer les conséquences financières, vous en avez parlé, et elles sont extrêmement importantes – et puis après il y a les malveillants, il faut que ces gens-là arrêtent, il faut qu'on poursuive, il faut qu'on identifie, et il faut que l'on condamne, et il n'y a aucune ambiguïté sur ces questions.

AMANDINE BEGOT
Combien d'individus ont été identifiés, interpellés, peut-être même déjà condamnés ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Il y a d'ores et déjà 22 enquêtes qui sont en cours, il y a eu des interpellations il y a quelques heures de cela, et il y aura évidemment des condamnations, on ne peut pas laisser faire ça, enfin, ça désorganise le trafic aérien, il y a des gens qui ont besoin de travailler, il y a des gens qui ont le droit de prendre quelques jours de vacances, ça crée une psychose dont le pays n'a pas besoin, on a besoin de recul, on a besoin d'unité, on a besoin de concorde nationale.

AMANDINE BEGOT
Vous parlez des parents, ce sont des mineurs, pour la plupart, ceux qui ont été identifiés ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui.

AMANDINE BEGOT
Quel âge ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ce sont des mineurs. Vous savez, il y a des gamins, qui sont des petits plaisantins, mais qui n'ont pas en tête les conséquences absolument dramatiques, je dis dramatiques, que ça peut générer, parce que dans la question que vous m'avez posée vous rappelez à juste titre que les policiers qui vont évidemment se rendre sur les lieux qui ont fait l'objet de fausses alertes, eh bien ils ne sont pas dans la rue et ils n'assurent pas notre sécurité, donc il faut que tout ça s'arrête, je lance un message clair, une fois encore je dis aux parents surveillez vos gamins, je demande une fois encore à la justice d'être très réactive, elle l'est, et moi je veux dire ici que les procureurs, les magistrats, sont sur le pont, on a besoin de calme dans cette période.

AMANDINE BEGOT
Le syndicat indépendant des commissaires de police demandait hier à ce que l'article 227-17 du code pénal soit appliqué, un article qui prévoit que les parents qui ne s'occupent pas de leurs enfants, qui compromettent leur sécurité, leur surveillance ou leur éducation, risquent jusqu'à deux ans de prison et 30.000 euros d'amende, vous souhaitez qu'on aille jusque-là s'il le faut ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, je l'ai dit à propos…

AMANDINE BEGOT
Il le faut ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je l'ai dit à propos des émeutes, il faut que… vous savez, tout ça c'est une responsabilité collective.

AMANDINE BEGOT
Mais ça veut dire quoi, que les parents doivent surveiller les portables de leurs enfants, les ordinateurs, c'est ça leur job ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais bien sûr, enfin ça s'appelle, madame, ça s'appelle l'éducation, ce n'est pas plus compliqué que ça, et après les émeutes moi j'ai redis, alors ça a fait hurler quelques-uns, quelques bonnes âmes, mais je m'en moque complètement, que d'abord c'était les parents qui étaient civilement responsables, qu'il y avait un texte, vous venez de le rappeler, et puis il faut bien faire le distinguo, là, entre les parents qui sont en mesure, bien sûr, d'assurer l'éducation de leurs enfants, et ceux qui parfois sont totalement dépassés. Il faut être là dans la mesure et l'analyse fine. Mais les parents qui peuvent assurer l'autorité parentale, et qui ne le font pas, c'est absolument… c'est générateur, notamment de ces émeutes, de ces alertes, de ces fausses alertes à la bombe, et il faut qu'on mette un coup d'arrêt, chacun doit assumer ses responsabilités.

AMANDINE BEGOT
Autres chiffres qui interpellent, Eric DUPOND-MORETTI, ce sont ces actes antisémites, là aussi en très forte hausse, quels sont les derniers chiffres que vous avez ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, sur ces questions, voyez, j'ai tout de suite pris une circulaire pénale, pour dire l'antisémitisme ce n'est pas une opinion, c'est une infraction, et on ne doit rien laisser passer dans notre pays, donc je veux une réponse systématique, je veux une réponse rapide, je veux une réponse ferme. On en est, pour le moment, à 196 enquêtes ouvertes, dont 47 pour apologie du terrorisme, antisémitisme, apologie du terrorisme, voilà les deux infractions que je vise dans ma circulaire, 280 signalements Pharos, vous savez, Pharos c'est cette plateforme police, qui vont être judiciarisés, des condamnations ont d'ores et déjà été prononcées, et à Bobigny, par exemple, une condamnation, 3 ans d'emprisonnement ferme, 3 ans d'emprisonnement pardonnez-moi, dont 2 ans ferme pour des propos antisémites et d'apologie au terrorisme.

AMANDINE BEGOT
Il faut de la prison ferme systématiquement dans ces cas-là ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ce n'est pas ce que je dis. D'abord le juge dans notre pays, vous le savez, est indépendant, mais il faut une réponse ferme, oui on ne peut pas, on ne peut plus laisser prospérer des propos antisémites, racistes, qui touchent nos compatriotes juifs, qui touchent nos compatriotes musulmans également d'ailleurs, bien sûr qu'on ne peut pas oublier, mais il faut que ça s'arrête, et si ça ne s'arrête pas par la raison la justice est là pour rappeler les choses, et le garde des Sceaux aussi.

AMANDINE BEGOT
On ne peut pas, on ne peut plus, est-ce que vous dites ce matin Eric DUPOND-MORETTI, que peut-être, en tout cas quand vous voyez tout ça, je parle à la fois de ces fausses alertes à la bombe, de cette recrudescence des actes antisémites, mais aussi bien sûr de cet attentat qui a coûté la vie à Dominique BERNARD, est-ce que vous vous dites parfois on a manqué un peu de fermeté, on a peut-être fait preuve de naïveté ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, écoutez, moi je ne peux pas dire ça. Voyez, sur ces questions, par exemple sur la question du terrorisme, grâce au président de la République on a créé le Parquet national antiterroriste, il faut qu'on s'en souvient quand même, on a créé dans les établissements pénitentiaires des quartiers d'évaluation de la radicalisation, on a créé des quartiers pour lutter contre la radicalisation, on a renforcé considérablement le renseignement pénitentiaire, qui travaille main dans la main avec la DGSI et la DGSE, on a renforcé, en termes de personnels, la DGSI, la DGSE, on a embauché, pardon, 10.000 policiers, 1500 magistrats, alors je ne peux pas laisser dire que..

AMANDINE BEGOT
Je ne dis pas qu'on n'a rien fait, je pose la question est-ce que parfois vous ne vous dites eh bien oui, on a peut-être été un peu naïf ? la soeur de Samuel PATY par exemple, cette semaine disait devant les sénateurs « si la mort de mon frère avait servi à quelque chose peut-être que Dominique BERNARD serait encore là », elle a raison, et quand je dis « on n'a pas tiré les leçons » je ne vise pas que le gouvernement ou que les politiques, c'est peut-être la société aussi.

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais, Madame, c'est en réalité le droit qui s'adapte à la société, et pas la société qui s'adapte au droit, donc qu'est-ce que nous avons nous comme impérieuse obligation ? c'est de réfléchir, et pas que quand nous sommes dans un événement terroriste qui nous bouleverse tous, en Permanence. Dans la loi séparatisme, après la mort de Samuel PATY, on a inventé des infractions qui n'existent pas, par exemple le fait de livrer le nom, l'adresse d'un policier, on a, pour les enseignants, pris un certain nombre de dispositions, c'est une évolution que l'on doit à nos compatriotes dans notre réflexion pour améliorer les choses.

AMANDINE BEGOT
Il faut continuer à faire évoluer le droit. Gérald DARMANIN nous a expliqué…

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardonnez-moi, qu'est-ce que vous diriez si à cet instant je vous disais mais on a fait le travail, tout va très bien, mais non, bien sûr qu'il faut encore, et encore, et encore réfléchir. Mais je veux dire aussi, Madame, qu'il y a un temps de la décence, qu'il y a un temps réservé à cette émotion nationale qui nous a tous étreints, ensuite il y a le moment des polémiques politiciennes, elles arrivent forcément, à mon sens trop vite, puisque certains se servent évidemment de ce malheureux pour, comment dirais-je, à des fins électoralistes, et puis il y a le travail…

AMANDINE BEGOT
Vous pensez à LFI.

ERIC DUPOND-MORETTI
Et puis il y a évidemment le travail, Gérald DARMANIN dit par exemple que dans le texte qu'il va porter il y a un certain nombre de dispositions qui changent le cours des choses.

AMANDINE BEGOT
Justement, il y avait une disposition qui nous intéresse, il était là à votre place hier matin, mardi matin pardon, et il nous explique qu'il souhaite qu'un étranger désormais, qu'il soit en situation irrégulière ou non, puisse être expulsé dès lors qu'il est soupçonné d'avoir commis des faits contraires aux valeurs de la République, ou qui troublent l'ordre public, qu'il soit arrivé en France avant 13 ans ou pas, avant même qu'il soit condamné, c'est possible ça, d'expulser sans condamnation ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais c'est déjà possible aujourd'hui dans un certain nombre d'hypothèses, madame, mais il y a toujours la possibilité d'exercer un recours. Il y a toujours le contrôle du juge. Moi je vais vous dire une chose simple, les terroristes ils ont une envie, c'est de détruire notre démocratie, notre mode de vie, le rapport que les hommes ont avec les femmes, le rapport que nous entretenons avec nos institutions. Tout ça, ils veulent le détruire. Mais tout ça, ça s'appelle aussi l'Etat de droit, donc certains pensent aujourd'hui qu'à raison du terrorisme on peut s'affranchir de toutes les règles de la Constitution, d'un certain nombre de textes fondateurs. Non ! Il faut bien sûr de la sévérité dans le cadre de l'Etat de droit et il est déjà possible aujourd'hui d'expulser un étranger qui vient nous gêner dans la conception que nous avons de l'ordre public. C'est possible, mais le texte que va porter Gérald DARMANIN aurait permis ou permettra, pardonnez-moi, par exemple d'expulser l'assaillant d'Arras car il n'était pas expulsable.

AMANDINE BEGOT
J'ai deux petites questions et moins d'une minute, Eric DUPOND-MORETTI. Est-ce que vous avez été choqué hier soir par la manifestation place de la République, manifestation pro-palestinienne, et ces cris qu'on a entendus Allahu akbar ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, madame. Oui, madame, et pourquoi ? Parce que je disais, il y a un temps de la décence et Allahu akbar, c'est ce que l'on a entendu de la bouche de l'assaillant qui a égorgé le professeur d'Arras.

AMANDINE BEGOT
Le Conseil d'Etat a eu tort ?

ERIC DUPOND-MORETTI
D'abord, ce n'est pas le Conseil d'Etat qui a statué.

AMANDINE BEGOT
Non, c'est le tribunal administratif mais suite à une décision du Conseil d'Etat.

ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà, la préfecture a autorisé. Moi je ne dis pas qu'il a eu tort, je suis respectueux des décisions de justice évidemment. Ce que je dis, c'est qu'il faut être très attentif parce qu'un certain nombre de ces manifestations ont dégénéré. En 2014, ça s'est terminé par " Mort aux juifs ", " Israël assassin " ; nous, nous avons une position très, très claire, je veux ici si vous m'y autorisez la rappeler. Le Hamas est une organisation terroriste, n'en déplaise à Monsieur MELENCHON et à ses séides, c'est très clair. Israël a fait l'objet d'une attaque terroriste, Israël a le droit de se défendre. Israël doit le faire dans le cadre des règles internationales. Nous sommes favorables à ce qu'il y ait un Etat palestinien, nous sommes favorables à ce qu'il y ait un Etat d'Israël sécurisé. Je pense que tout cela n'est pas antinomique et que tout le monde devrait avoir cela à l'esprit.

AMANDINE BEGOT
Juste un mot Monsieur le Ministre, vous allez comparaître à partir du 6 novembre devant la Cour de justice de la République ; pas question de démission, vous nous l'aviez dit ici même sur RTL il y a un mois. Malgré tout, qui va gérer le ministère pendant ces deux semaines d'audience ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ma seule préoccupation, c'est que le ministère de la Justice…

AMANDINE BEGOT
Soit géré.

ERIC DUPOND-MORETTI
Pardonnez-moi pour cette familiarité, tourne et, madame, il tournera.

AMANDINE BEGOT
Sans vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Mais sans moi. Vous savez, moi je me lève tôt, bien plus tôt que 7h54, je peux faire un certain nombre de choses, je les ferai, et nous trouverons l'organisation juste pour qu'il y ait un ministère de la Justice présent. Mon procès, vous l'évoquez, dure 6 jours et demi.

AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup.

ERIC DUPOND-MORETTI
Je vous en prie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2023