Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la politique économique du gouvernement, à Paris le 8 novembre 2023.

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Circonstance : Assises de l'Industrie 2023 ; Echanges de Bruno Le Maire et d'Emmanuel Duteil

Texte intégral

Emmanuel Duteil
Quand seront publiés les décrets du projet de loi industrie verte ?

Bruno Le Maire
Le texte a été adopté en octobre. Les décrets d'application seront publiés dans les six mois. Le crédit d'impôt sera lui mis en oeuvre dès le 1er janvier.

Emmanuel Duteil
Bon, on va vérifier tout ça. En tout cas, on sera à son rendez-vous. Il y a des exemples déjà positifs. Je prends l'exemple de Soitec à Grenoble qui a mis 18 mois pour inaugurer sa dernière usine. Ça reste quand même, il faut le reconnaître, une véritable exception à la règle. La promesse de réduction pour les délais d'installation a souvent été faite, y compris par vos prédécesseurs. Pourquoi cette fois-ci ça va marcher ?

Bruno Le Maire
Parce que cette fois, on a pris des dispositions législatives et on a accepté une vraie transformation structurelle. Et je suis, depuis près de 7 ans maintenant, ministre de l'Economie et des Finances pour porter des transformations structurelles. Je ne suis pas là pour cueillir des pâquerettes ou faire des ajustements à la marge.

La transformation structurelle, c'est que les procédures qui étaient successives, deviennent des procédures parallèles. Donc vous pourrez avoir l'enquête d'intérêt public, l'enquête environnementale, la consultation publique, en même temps, plutôt que successivement. En plus, quand c'est successivement, vous avez entre chacun des wagons du train un espace qui est assez large, un espace de temps qui est de 2 semaines, 3 semaines, 1 mois, et qui aboutit du coup à des procédures qui durent entre 18 et 24 mois pour agrandir une usine ou ouvrir une nouvelle usine. Là, vous aurez des procédures qui dureront moitié moins de temps, 9 mois, 10 mois maximum pour ouvrir ou agrandir une nouvelle usine. Et le vrai changement, c'est que pour la première fois, une disposition législative a été prise pour que les procédures soient parallèles et pas successives.

Emmanuel Duteil
Il a été aussi prévu d'embaucher du monde : dans le projet de loi de finance 2024, il y a 100 équivalents temps plein fléchés vers les directions régionales de l'environnement, ce qu'on appelle maintenant les DREAL.

Bruno Le Maire
Créer des postes pour gagner du temps et gagner de l'argent, ça vaut le coup. Donc ils seront créés. Ils sont créés. Le ministère de l'Économie et des Finances est exemplaire dans la tenue de ses engagements en matière de nombre de fonctionnaires et de l'efficacité publique. Nous avons supprimé je le rappelle 11 000 postes ces dernières années. Ça m'autorise à en créer une petite centaine pour accélérer les ouvertures d'usines en France.

Emmanuel Duteil
Certains projets d'implantation d'usines, peuvent profiter par ailleurs de la création du statut de projet d'intérêt national majeur. Ça doit permettre encore d'aller plus vite, ça doit notamment permettre de déroger au code de l'environnement, en tout cas sous certaines dispositions, comment ce sera possible d'avoir ce statut ?

Bruno Le Maire
Tout le monde le voudra, mais il faudra que l'investissement corresponde à un projet d'intérêt national majeur. Nous aussi, nous ne nous compliquons pas trop la vie. On adore compliquer les choses, on adore mettre des complexités, des règles, des contrôles. Moi je suis pour la simplicité à tous les étages. D'ailleurs, vous savez que j'ai prévu un grand rendez-vous de simplification auquel vous devez participer, je compte vraiment sur vous pour faire des propositions.

Qu'est-ce que c'est qu'un projet d'intérêt national majeur ? C'est une usine de batteries électriques où il y a 2 500 emplois, c'est l'agrandissement de la capacité de production de semi-conducteurs à Crolles, c'est l'ouverture d'une installation de décarbonation et d'hydrogène vert, c'est une usine d'électrolyse, ce sont des projets d'intérêt national majeur. Chacun voit bien à quoi ça correspond, tout ce qui permet d'accélérer la décarbonation du pays, avec notre objectif qui est de faire de la France la première nation décarbonée en Europe en 2040, et tout ce qui nous permet de gagner la bataille technologique et industrielle qui est en cours par exemple sur l'intelligence artificielle et sur le calcul quantique, les deux étant étroitement liés.

Quel est l'enjeu ? C'est que demain, la France soit une grande nation de production, et pas uniquement une nation de consommateurs ; que l'Europe soit un grand continent de production, et pas un supermarché. C'est ça l'enjeu qui se joue maintenant, qui me mobilise 15 heures par jour, 7 jours sur 7, 12 mois sur 12, et ça me passionne.

Mon idée de la France, ce n'est pas un grand marché ouvert au tourisme, et uniquement l'économie de service, quel que soit le respect que je lui porte, mais qui ne produit plus de biens manufacturiers, qui ne produit plus de voitures, qui ne produit plus d'avions, qui ne produit plus de fusées, qui ne produit plus de biens matériels avec de la forte valeur ajoutée, qui ne produit plus de biens agricoles et qui importe de plus en plus massivement sa nourriture. Je refuse cette idée de la France. C'est celle dans laquelle nous nous sommes enfoncés depuis 30 ans. Avec le président de la République, ce que nous voulons bâtir, c'est exactement l'inverse : une France qui a des usines, une France qui produit de la valeur, une France qui a des exploitations agricoles et qui peut nourrir sa population, et une France qui est leader sur la technologie et l'innovation en Europe.

Je termine juste sur ce sujet de l'intelligence artificielle. J'étais à Londres la semaine dernière, plus exactement à Bletchley Park. Je pense que pour tous ceux qui ont vu « Imitation Game » et le décryptage de la machine de codage Enigma, ça vous dira quelque chose.

Emmanuel Duteil
Et pour ceux qui ne sauraient pas, c'est là qu'Alan Turing a décrypté justement Enigma.

Bruno Le Maire
Exactement. Il y avait la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, la présidente de la Commission européenne, le Premier ministre britannique, mon homologue allemand, et tous les patrons de l'intelligence artificielle DeepMind, OpenAI, Google. Ils étaient tous là. Et également un de nos petits génies français, Arthur Mensch, patron de MISTRAL. Ça permet de voir vraiment quel est l'enjeu pour les 10 prochaines années. Nous devons avoir notre propre intelligence artificielle, nourrie par nos propres algorithmes, nos propres données, nos propres références, notre propre culture. Et nos enfants, quand ils seront à l'école et qu'ils utiliseront un logiciel d'intelligence artificielle active, auront la culture, la syntaxe, la pensée, la notion de vrai et de faux européen.

Emmanuel Duteil
Et encore une fois, on doit rattraper notre retard.

Bruno Le Maire
Ça nous permettra de dégager de la valeur. Si nous laissons tomber cette bataille, c'est très simple : nous serons uniquement consommateurs de la technologie américaine. Je refuse que nous soyons uniquement consommateurs de technologie américaine et c'est pour ça que le message que j'ai porté à Londres et que je continuerai à défendre est très simple : innovons avant de réguler.

Là aussi, tournons la page d'une Europe dont on dit toujours : les Américains innovent et les Européens régulent. Apprenons à innover. Je pense qu'il n'est pas trop tard. Je pense que ça demande des investissements qui sont colossaux. Je pense que nous avons les atouts, les meilleurs scientifiques au monde, des start-ups qui sont dynamiques, les grandes entreprises de calcul comme Thales ou comme Atos, qui ont les capacités à nous aider dans ce domaine-là. Nous avons tout un écosystème européen qui est solide d'universités. Nous avons des données parmi les meilleures et les plus solides au monde. Utilisons cela pour avoir une intelligence artificielle européenne et ne pas être uniquement consommateur des technologies étrangères.

Emmanuel Duteil
Il y a beaucoup de points-là dans ce que vous venez de dire. Vous dites, il va falloir mettre de l'argent. Soyons très concrets. Vous allez mettre combien d'argent pour financer des projets français d'intelligence artificielle ?

Bruno Le Maire
On met 1,5 milliard dans le plan d'investissements “France 2030”. C'est un bon début mais ce n'est pas du tout suffisant. Le vrai enjeu maintenant, c'est d'avoir un marché des capitaux européen qui permette de lever les dizaines de milliards d'euros indispensables à la création d'un champion européen d'intelligence artificielle. Il faut aussi de l'argent privé !

Emmanuel Duteil
Et donc le but, c'est qu'ils soient européens pas forcément français.

Bruno Le Maire
Mais la France a vocation à être leader des intelligences artificielles. Vous prenez les 27, vous regardez les écosystèmes, vous regardez quelle est la nation qui a le plus d'atouts pour réussir sur l'intelligence artificielle et vous tombez sur la France. Arrêtons de penser toujours deuxième, troisième, quatrième place, pensons première place.

Nous sommes devenus la nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe. Première place. Nous sommes devenus la nation la plus attractive du point de vue des places financières. Première place. Nous allons être la première nation décarbonée en Europe. Première place parce le mix énergétique de notre concurrent et voisin allemand, qui est évidemment bien moins vertueux que le nôtre, donc première place. Eh bien, je fixe aussi comme objectif que sur l'intelligence artificielle, le pays leader avec la première place en Europe, ce soit la France.

Emmanuel Duteil
Vous avez cité de grandes entreprises françaises : Thales, Atos. Est-ce que l'Etat ne doit pas justement prendre sa part dans un problème de gouvernance chez Atos, groupe qui quand même va beaucoup moins bien que ce qu'il peut aller et qui perd aujourd'hui des années sûrement de compétitivité. Quel est l'avenir d'Atos demain ? Quel est l'avenir d'Atos et comment l'Etat français voit la survie de ce groupe ?

Bruno Le Maire
La bonne solution, ce n'est pas d'avoir l'Etat qui est au capital. Et je ne pense pas que la solution ce soit que dès qu'il y ait une difficulté dans une entreprise privée, que l'Etat monte au capital et dirige l'entreprise à la place des entrepreneurs que vous êtes, qui ont 1 000 fois plus de talent et 1 000 fois plus de connaissances pour le faire.

La présence de l'Etat au niveau du capital d'entreprises se justifie lorsque l'activité est absolument stratégique, on y reviendra, et lorsque l'ensemble de l'économie est concernée, par exemple EDF. Dans ce cas-là, je n'hésite pas, notre président de la République a nationalisé EDF parce que derrière, il y a un intérêt général majeur. Je rappelle que Atos est une entreprise qui a bien entendu des activités très sensibles, d'autres qui le sont moins. Là, ma responsabilité n'est pas d'investir dans l'entreprise, c'est de protéger les technologies les plus sensibles. Elles seront protégées.

Emmanuel Duteil
Protéger, ça veut dire qu'elles resteront françaises ?

Bruno Le Maire
Elles resteront françaises. Vous avez bien noté au cours des dernières semaines que lorsqu'il y a des investisseurs, y compris de pays amis, les États-Unis, pays alliés proches, qui veulent prendre des parts et des investissements majoritaires dans des entreprises stratégiques de la filière nucléaire directement ou indirectement, le gouvernement français protège ses technologies stratégiques.

Emmanuel Duteil
Segault par exemple.

Bruno Le Maire
… par exemple. Et je n'ai aucune hésitation à le faire. Croyez-moi, ce n'est pas simple, parce que les pressions que vous ne voyez pas sont extrêmement fortes pour vous empêcher de prendre des décisions et d'appliquer le contrôle sur les investissements étrangers en France.

Je n'ai jamais eu la main qui tremble. Mais ma responsabilité en tant que ministre de l'Économie, c'est de ne jamais avoir la main qui tremble quand il s'agit d'un investissement sur les technologies sensibles. Ça a été le cas pour Segault, je n'ai pas hésité à le faire. Ce sera la même chose pour toutes les technologies critiques en France. Je le fais depuis 7 ans et je continuerai à le faire tant que je resterai à ce poste.

Emmanuel Duteil
Bon, en tout cas au moins quelques jours, ça c'est certain.

Bruno Le Maire
Je vous remercie de votre optimisme !

Emmanuel Duteil
Oui, quelques jours, on reviendra tout à l'heure sur justement le temps. Autre axe important, il n'y en a pas besoin à priori beaucoup pour l'intelligence artificielle. Mais c'est ce qu'on appelle le foncier pour les industriels. Le gros problème, le projet de loi industrie verte doit logiquement annoncer 50 nouveaux sites clés en main. Quand est-ce qu'on aura la liste de ces sites ?

Bruno Le Maire
Là aussi sous 6 mois au maximum. Mais puisque vous soulevez la question du foncier, je vous confirme que pour moi, c'est devenu la difficulté numéro un pour le développement industriel en France. Le foncier est saturé. D'abord parce que tout le foncier n'a pas la même valeur. Prenez le Dunkerquois, c'est une grande fierté, je pense, pour nous tous de voir qu'une région qui a été sinistrée connait un renouveau industriel. Pour moi, c'est le symbole du succès de la réindustrialisation que nous avons engagée. Dunkerque, et l'agglomération de Dunkerque, désormais c'est saturé. Sans donner de nom, je peux vous dire que j'ai été obligé, avec mon équipe, sur un terrain de plusieurs dizaines d'hectares à Dunkerque qui bénéficie de l'ouverture portuaire, du dynamisme de la ville de Dunkerque et de ses élus et évidemment de la centrale de Gravelines atout stratégique pour le nucléaire, stratégique pour notre industrie. J'étais obligé de faire le choix entre de grandes entreprises étrangères qui voulaient s'implanter. Et j'ai dit à celles qui hésitaient encore, celles qui attendent : désolé, je donne le terrain à l'entreprise qui, elle, est prête à investir, immédiatement. Donc on en est là.

Emmanuel Duteil
Et là, vous leur direz que vous en avez 49 autres ?

Bruno Le Maire
On pourra dire qu'il y en a 49 autres. Nous allons aussi utiliser les friches et je pense que les friches industrielles et le réaménagement des friches doivent permettre aussi de dégager du foncier. J'étais tout à l'heure à Montceau-les-Mines où la maire, Marie-Claude Jarrot, fait un travail formidable pour réhabiliter les friches. Donc on a des solutions. Nous avons des options et il ne faut pas se le cacher, nous ne sommes pas un immense territoire.

Emmanuel Duteil
Et typiquement, le site de Montceau-les-Mines où vous allez cet après-midi, pour ceux qui ne sauraient pas, c'est une usine, qui a fermé maintenant depuis une dizaine d'années, c'est quelque chose de très symbolique pour la population locale puisque cet après-midi il y aura la destruction de la cheminée, à laquelle vous allez assister. Ce site sera ensuite reconverti, il y a déjà une grande partie qui a été utilisée pour des panneaux photovoltaïques.

Bruno Le Maire
Ce site va être réhabilité. On va faire des panneaux solaires, de la biomasse en effet. Et cela montre la capacité à réinventer l'industrie française. Moi, j'ai un objectif. Je pense que tout le monde a un objectif chiffré. Nous sommes tombés de 20-22% de part de l'industrie dans le PIB français à 10-11. 11 si on est optimiste. Il faut remonter à 15.

Emmanuel Duteil
A horizon de combien de temps ?

Bruno Le Maire
Cela prendra plusieurs années de remonter à 15% de part de l'industrie dans le PIB. Pourquoi le fait-on ? Parce que l'industrie, c'est de la valeur, c'est de l'activité partout dans les territoires, c'est de meilleurs salaires, c'est plus de pouvoir d'achat, c'est de la puissance, c'est de l'indépendance technologique, c'est tout ça l'Industrie. C'est la mère de toutes les batailles économiques.

Se dire qu'on a une bonne croissance, c'est très sympathique. Mais si derrière c'est uniquement la consommation, c'est un affaiblissement français. Et quand vous regardez sur 20 ou sur 30 ans, dans le fond, les questions économiques ne sont pas les plus compliquées. Il faut juste de la clarté et une détermination en acier. Les problèmes français nous les connaissons : premier problème, nous sommes désindustrialisés, nous allons réindustrialiser.

Le deuxième problème français, nous le connaissons par coeur. Nous avons un des taux d'emploi les plus faibles de tous les pays de l'OCDE. Nous sommes en train de renverser la tendance avec le président de la République. Mais on n'est toujours pas à 80% du taux d'emploi. Mon objectif dans 10 ans : 80 % de taux d'emploi en France. Plus de gens qui travaillent, plus de gens qui restent dans l'emploi, y compris quand ils ont dépassé 55 ou 57 ans, parce que c'est de l'expérience, c'est du savoir-faire qu'il faut utiliser. Le taux d'emploi à 80 %, ça doit être notre deuxième objectif.

Enfin, la troisième faiblesse française, c'est nos finances publiques. On le sait tous : nous devons rétablir les finances publiques françaises. C'est un engagement que je prends, nous avons une trajectoire. Je peux vous dire qu'en ce moment, je suis très heureux de vous retrouver. C'est sympa, et je suis, comme vous le savez peut-être le plus grand défenseur de l'industrie française que vous puissiez trouver. Mais je passe mes journées à essayer de colmater les brèches sur des propositions de dépenses qui me sont faites matin, midi et soir pour les lois de finances 2024. Il y a toujours une raison pour donner une subvention ici, une allocation là, une dépense sociale supplémentaire. Stop ! parce qu'au bout du compte, à force de dépenser l'argent que nous n'avons pas, les marchés nous retireront le tapis sous les pieds et diront ça n'est pas un État responsable.

Emmanuel Duteil
Après deux bonnes surprises des agences de notation, est ce que vous dites qu'on est à la limite et qu'on pourrait se faire dégrader ?

Bruno Le Maire
Je vous confirme que le risque existe. Mais ce ne sont pas de « bonnes surprises » les décisions qui ont été prises par les agences de notation. C'est le résultat d'un travail acharné du ministre des Finances, de ses équipes, de notre majorité à laquelle je rends hommage parce qu'elle tient bon dans la tempête, du rapporteur général du budget, de l'ensemble du Gouvernement, de la Première ministre et du président de la République pour présenter une copie de finances publiques crédible.

Mon rôle actuellement est de dire non. Ce n'est pas un rôle très sympathique, mais je le dis, parce que je considère que dans les grands chantiers qui sont devant moi et que je mène depuis maintenant près de 7 ans, la réindustrialisation mère de toutes les batailles, le taux d'emploi à 80 %, ça nous fera enfin basculer dans le plein emploi que connaissent les autres pays. Et le rétablissement des finances publiques est une condition sine qua none de notre puissance économique. Si on est dégradé, qu'est-ce qu'il se passe ? vous prenez 20 points de base sur vos taux d'intérêt. Quand vous allez devoir vous financer pour vos nouveaux investissements, ce sera plus cher. C'est vraiment ce que nous voulons pour le pays ? C'est vraiment ce que nous voulons pour nos compatriotes ? C'est vraiment ce que nous voulons, pour nos industriels, pour nos PME, pour nos TPE ? De l'argent toujours plus cher ? Non ! Ma responsabilité de ministre des Finances est de dire : nos finances publiques doivent être rigoureusement tenues. Il faut couper dans certaines dépenses publiques qui ne sont pas efficaces, il faut accélérer le désendettement et il faut poursuivre toutes les réformes de structure que le président de la République a engagé : les retraites, le marché de l'emploi, la formation, le RSA pour garantir un taux d'emploi à 80 %. Je ne dévierai pas de cette ligne.

Emmanuel Duteil
Mais est-ce que malgré tout, la ligne, elle, n'est pas moins dure que ce qui a été prévu dans l'avant-projet de loi. Même vous, vous avez dû reculer. On pensait que sur le logement il y aurait des coupes beaucoup plus grosses, on pensait que sur les aides à l'apprentissage, il y aurait des coupes potentiellement beaucoup plus grosses, on pensait qu'il y aurait des franchises, sur les dépenses de santé. Est-ce que la France n'arrive pas à réduire, comme aurait dit le ministre de l'Éducation nationale, le mammouth ?

Bruno Le Maire
Non, je pense que la copie est plus crédible au moment où je vous parle. C'est un combat acharné mais la copie est plus crédible. Quand vous prenez la copie initiale et la copie qui va sortir du Parlement, vous avez 1 milliard d'euros d'économie en plus. Vous avez sorti les boucliers sur le gaz et sur l'électricité qui vous permet d'économiser 10 milliards. Sur le logement, ça fait couler beaucoup d'encre. Il y a beaucoup d'acteurs qui ne sont pas contents. Nous avons supprimé le dispositif Pinel et recentré le PTZ. 2 milliards d'euros d'économies. Alors, j'entends tout ce qui me disent : mais Pinel, c'était très bien, ça permettait d'acheter son logement, de louer avec un avantage fiscal. Très bien. 2 milliards d'euros de dépenses, 30 000 logements réalisés. On en a pour son argent ? Non. La dépense publique est efficace ? Non, je la supprime. Et désormais, ce sera la règle. Une dépense publique qui n'est pas efficace sera une dépense publique supprimée. Que l'argent public aille à ceux qui en ont besoin, soit ceux qui sont les plus fragiles, soit ceux qui ont plus de difficultés, soit l'investissement, l'innovation et l'industrie.

Emmanuel Duteil
Beaucoup d'industriels vous diraient : pourquoi ne pas être allé jusqu'au bout de la suppression des impôts ? Pourquoi avoir pour la deuxième fois reculé le calendrier ? Vous qui, justement, vous dites : je suis là depuis 7 ans, depuis 7 ans, je tiens à mes objectifs.

Bruno Le Maire
Parce que ma responsabilité est de tenir compte de la situation des finances publiques et qu'engager 4 milliards d'euros de baisse d'impôts production en une seule fois, alors même que les déficits restent élevés, alors même que notre niveau de dette reste élevé, ce serait irresponsable. Les impôts production, je suis totalement déterminé à en discuter et je rappelle que c'est moi qui avais mis le sujet sur la table en 2018, que ça ne faisait pas partie des promesses de campagne du président de la République. Donc, vous avez eu le prélèvement forfaitaire unique, la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25%. Nous avons tenu notre cap fiscal, contre vents et marées, dans des circonstances difficiles. Jamais je n'ai dévié de ces 25% sur l'impôt sur les sociétés. J'ai rajouté, en 2018, des impôts de production parce que je considère que c'est un boulet aux pieds des industriels. J'en ai supprimé 10 milliards. On fera les 4 milliards restants, mais nous le ferons sans menacer les conditions de financement de l'industrie française. Car n'oubliez jamais que ces conditions de financement ont des répercussions sur l'ensemble de l'économie française. Demain, ce sont les conditions de financement d'EDF qui sont dégradées, 65 milliards d'euros de dette. Donc votre prix de l'électricité augmentera. Ce sont aussi les conditions de financement des entreprises. Donc, vous voyez que ma responsabilité est suffisamment lourde pour que je dise de manière très claire : tout ce qui doit être fait pour rétablir nos finances publiques sera fait.

Emmanuel Duteil
On va revenir au prix de l'électricité. Juste avant une petite annonce que vous avez faite hier du côté de Bercy concernant les fonds ISR, concernant la finance verte. Décision assez stratégique puisque vous avez décidé de sortir toutes les entreprises d'hydrocarbures pour tous les nouveaux projets. On a un tout petit acteur en France, qui s'appelle TotalEnergies, qui va donc sortir des fonds ISR, ils vont devoir, ces fonds, se nettoyer les portefeuilles pour garder le label. Pourquoi vous prenez cette décision ?

Bruno Le Maire
Parce que notre pays a besoin de décisions claires, simples. Et que toute décision emberlificotée est une mauvaise décision. La clarté et la simplicité sont deux vertus en politique.

Vous avez un label, Investissement socialement responsable, qui a été créé en 2016. Ce label, ce n'est pas rien. C'est près 800 milliards d'euros d'investissements qui sont placés dans des entreprises et des activités en France. C'est l'épargne des Français. La garantie que je dois leur donner, cette clarté et cette simplicité, c'est que cet argent va à des activités de décarbonation de notre économie pour remplir mon objectif stratégique : être la première nation décarbonée en Europe à horizon 2040.

Je ne peux pas dire à un investisseur, à un épargnant, que s'il met tout son argent dans une activité labellisée ISR, il va financer un nouveau projet d'exploitation de pétrole. Je suis désolé, je suis un garçon honnête. J'aime les choses honnêtes. J'aime les politiques honnêtes et la politique de financement du climat doit être honnête et crédible. Cette décision a fait couler beaucoup d'encre et va encore en faire couler beaucoup. Je revendique cette décision au nom de la clarté, au nom de l'honnêteté et au nom de la simplicité.

Emmanuel Duteil
Alors, au nom de la simplicité, de la clarté, et de l'honnêteté sur les prix de l'électricité. Mi-octobre, vous avez dit : " tout ça est une question d'heure ". Début octobre, le président de la République a dit que la décision sera prise en octobre. J'ai calculé le nombre d'heures depuis que vous avez dit que c'est une question d'heure, ça fait 500 heures. C'est le ChatGPT qui l'a dit.

Bruno Le Maire
Je rêverais d'avoir passé " seulement " 500 heures sur les prix d'électricité. Mais c'est bien d'avantage. C'est un sujet qui est extrêmement compliqué.

Emmanuel Duteil
On est le 8 novembre, l'accord est trouvé ?

Bruno Le Maire
L'accord est tout proche.

Emmanuel Duteil
Mais est-ce qu'il est trouvé ?

Bruno Le Maire
L'accord n'est pas trouvé mais il est tout proche.

Emmanuel Duteil
Tout proche, ça veut dire quoi ?

Bruno Le Maire
Tout proche, c'est que là, pour le coup, c'est une affaire de jours puisque c'est la durée de vie que vous me prévoyez au ministère de L'économie et des Finances !

Mais, quel est l'objectif et quelle est la condition ? Simplicité et clarté. L'objectif, c'est que la France garde les prix de l'électricité les plus attractifs et les plus stables possibles. C'est notre objectif. Il ne faut pas réindustrialiser sans vous garantir les prix de l'électricité les plus attractifs en Europe. Ça, c'est notre objectif stratégique. C'est l'objectif qui a été fixé par le président de la République qui fait que les négociations sont longues avec EDF. Si je pouvais me permettre d'avoir n'importe quel prix, les négociations auraient été conclues assez rapidement. Et je veux vous offrir un prix qui soit le plus compétitif pour les entreprises industrielles en Europe, en tenant compte du fait que de l'autre côté de l'Atlantique, nos amis partenaires, alliés et concurrents américains, avec l'Inflation Reduction Act, offrent des conditions très attractives pour beaucoup d'entreprises industrielles. Ça, c'est l'objectif stratégique.

Ensuite, il y a une condition et la condition que je défends, là aussi, elle n'est pas forcément très populaire, mais elle est nécessaire, c'est de garantir la soutenabilité financière pour EDF. EDF est une grande entreprise avec des salariés qui font un travail exceptionnel, des ingénieurs, des ouvriers, des techniciens qui sont parmi les meilleurs au monde dans leur domaine. Je dois leur garantir que leur travail sera rentable, parce que rien ne serait pire que d'acheter la paix sociale avec le monde industriel en ayant un prix cassé de l'électricité pour que dans 2 ans, 3 ans ou 4 ans, je sois obligé de recapitaliser EDF, donc de financer par les impôts des Français le fonctionnement d'EDF. Ça, c'est une politique irresponsable. Donc, l'équilibre que je dois trouver, c'est le prix d'électricité le plus compétitif pour les entreprises industrielles, parmi toutes les entreprises européennes, et la soutenabilité financière pour EDF. Les positions au départ, je vous le dis très sincèrement, étaient très éloignées entre EDF et cet objectif stratégique de l'État. Elles se sont beaucoup rapprochées. Et je salue la qualité du travail que nous menons avec les équipes d'EDF, avec Agnès Pannier-Runacher, avec Roland Lescure, depuis maintenant des semaines et des mois. Je pense que nous parviendrons à un accord dans les tout prochains jours. Cet accord sera soumis aux industriels.

Emmanuel Duteil
Mais ils ne pourront pas l'amender, c'est assez compliqué de le faire.

Bruno Le Maire
Il vous sera soumis au sens où il faut que les entreprises industrielles réagissent et vous serez consultés. Mais on a dans le fond une référence. La référence, c'est le prix que donnera la CRE sur les coûts complets de production d'EDF.

Emmanuel Duteil
Et justement, ce qui circule ces dernières heures, c'est qu'on aurait un prix de référence aux alentours de 70 euros le mégawattheure ? Est-ce que ça, c'est un schéma qui pourrait déboucher d'ici quelques heures ?

Bruno Le Maire
Je ne vais confirmer aucun chiffre, au risque de vous décevoir. La seule chose que je peux vous dire, c'est que nous devons avoir comme prix pivot, le coût complet de production de l'électricité par EDF. Et ce coût complet, c'est quoi ? C'est le coût qui résulte des centrales qui sont déjà amorties. Là, vous avez forcément un prix très bas. Les centrales ont été construites il y a plusieurs décennies, elles sont amorties, donc le prix est très bas. Et ensuite, EDF a des investissements à faire. Beaucoup d'investissements dans les réseaux. Et je rappelle que la question des réseaux, elle est fondamentale, notamment pour qu'il y ait de l'électricité jusqu'aux sites industriels. Elle a des investissements à faire dans l'hydroélectrique, dans les énergies renouvelables. Et derniers investissements - et non des moindres - il y a 6 nouveaux réacteurs nucléaires à construire. À partir de là, on peut définir un coût complet de production, incluant les investissements futurs d'EDF, y compris dans les nouveaux réacteurs nucléaires. Et il faut que le prix qui soit payé par les industriels…

Emmanuel Duteil
Et ça, vous n'avez pas ce chiffre ? Vous l'avez quand même ?

Bruno Le Maire
Oui, j'ai ce chiffre. Mais je vais le garder pour moi.

Emmanuel Duteil
Dernière question, puisque vos équipes me font signe qu'il faut qu'on s'arrête, autour de l'inflation, on s'est beaucoup moqué de vous en disant : il y a le pic, le pic, le pic. Là encore, vous vous êtes risqué à dire ça, le pic est passé, en deux ans, on a jugulé la crise d'adaptation. Elle est vraiment jugulée ?

Bruno Le Maire
Les moqueries, cela fait partie du jeu politique et ça me fait plutôt sourire. La seule chose qui compte pour moi, ce sont les résultats pour les Français et les résultats pour vous. Pour le reste, cela me passe à 10 kilomètres au-dessus de la tête. Moi, je pense à juste une chose. Nous sommes rentrés dans la crise de l'inflation, début 2022, avec la crise en Ukraine. Plus de 6% de taux d'inflation. Deux ans plus tard, moins de deux ans plus tard, nous sommes en train de juguler la crise inflationniste, et elle est derrière nous et je confirme qu'elle est derrière nous. Nous sommes passés de 4,9 à 4% d'inflation au mois d'octobre. C'est un très bon résultat et nous aurons un peu au-dessus de (inaudible) en 2024. Donc le succès de la politique économique menée par le Gouvernement et par l'Union européenne, il est là. Dans les années 70, il avait fallu 10 ans, là, deux ans et c'est dû aussi à notre capacité de résistance. Tous ceux qui nous disaient : il faut indexer les salaires sur l'inflation, c'est absolument indispensable. Mais si nous avions pris cette décision facile, commode et populaire, vous auriez encore 6 % de taux d'inflation aujourd'hui. Et l'augmentation forte des salaires aurait nourri l'inflation de manière continue, exactement comme dans les années 70. Nous avons résisté. Nous avons tenu bon face au discours facile, commode et populaire qui mène en général la France droit dans le mur. Deuxième chose, la France a une augmentation des prix parmi les plus faibles de l'Union européenne. Donc, nous avons massivement protégé. Nous avons eu l'augmentation des prix parmi les plus faibles des pays européens. Il y a des pays européens où ils ont une augmentation à 7, 17, 20, 25%. Ce n'est pas pour dire : ça n'a pas été dur pour les Français. C'est juste pour dire que notre politique économique a protégé.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 10 novembre 2023