Texte intégral
Q - C'est l'heure de l'invité du 23h Info. Laurence Boone, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'être avec nous, vous êtes secrétaire d'Etat chargé de l'Europe. Mais d'abord : c'était une annonce très attendue par l'Ukraine, la Commission européenne a donné son feu vert aujourd'hui à l'ouverture de négociations d'adhésion du pays à l'Union européenne. Une nouvelle étape a donc été franchie.
(...)
Q - Hier, Volodymyr Zelensky a assuré à son peuple que l'Ukraine rentrerait dans l'Union européenne. Il n'a pas donné de date, évidemment, pas d'échéance, mais est-ce que pour vous aussi c'est une certitude, l'Ukraine rentrera un jour dans l'Union européenne ?
R - D'abord l'Ukraine appartient à la famille européenne, c'est une certitude. Ensuite, ce qui est aussi, je crois, indispensable de comprendre, c'est qu'il en va de notre sécurité et de notre stabilité, que l'Ukraine, que la Moldavie, que les pays des Balkans puissent rejoindre l'Union européenne. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Parce qu'ils sont en proie, l'Ukraine à ce qu'on voit en termes d'agression de la Russie, mais aussi à beaucoup d'ingérences russe ou chinoise, que ce soit en Moldavie ou que ce soit dans les Balkans ; et que si on ne leur donne pas ce signal politique qu'ils rejoindront la famille européenne, on risque de voir ces ingérences se multiplier et les populations se décourager. Mais attention, l'entrée n'est pas gratuite : l'entrée, elle se fait au fur et à mesure de réformes. Donc elle est conditionnée en fait à une mise à niveau aux standards européens des institutions, de la justice, de la lutte contre la corruption et d'un certain nombre de conditions que ces pays doivent remplir.
Q - Alors justement, l'Ukraine doit faire des efforts. Elle a commencé à en faire, notamment au niveau de ses institutions. Quels efforts ont été faits et qu'est ce qui lui reste à faire ?
R - Elle a déjà fait beaucoup d'efforts en temps de guerre. Nous voyons, avec mes collègues européens, Olha Stefanishyna, que vous montriez sur vos écrans, qui est la ministre ukrainienne en charge de l'intégration européenne. Donc réformer l'administration, mettre la justice à niveau pour qu'elle soit indépendante et impartiale, lutter contre la corruption, s'assurer de processus démocratiques sûrs et sans ingérence, tout ce qui a trait à l'Etat de droit... Je pourrais aussi mentionner, et cela vous fera plaisir, l'indépendance et la pluralité des médias. C'est effectivement des conditions qui sont nécessaires et qui forment le socle des valeurs de l'Union européenne. Et puis après, il y a toutes les règles avec lesquelles nous commerçons, nous travaillons, nous faisons des échanges avec les autres.
Q - Vous le disiez, parmi les conditions, il faut s'assurer d'un certain nombre de process démocratiques qui seraient respectés en Ukraine. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dit qu'il n'y aurait pas d'élections présidentielles en Ukraine en 2024, à cause de la guerre évidemment. On peut le comprendre, mais malgré tout, est-ce que ce n'est pas un petit peu compliqué de ne pas organiser d'élections démocratiques quand on postule à l'Union européenne ?
R - Je pense que l'Ukraine est dans une situation qui est hyper difficile, on peut se le dire, dans laquelle ils font des efforts héroïques depuis maintenant vraiment très longtemps, ce sera deux ans en février, c'est dramatique. Il a un parlement auprès duquel il passe toutes ses lois. Il faudra bien évidemment qu'à un moment, il y ait quand même des élections. L'évolution de la guerre nous oblige à être dans le temps réel et à ne pas trop se projeter à long terme. Mais évidemment, il faudra qu'ils appliquent les mêmes processus démocratiques que ceux qui prévalent dans l'Union européenne.
Q - Autre sujet d'actualité, bien sûr, le conflit au Proche-Orient, qui a commencé il y a un mois. Autant on a vu une Europe très unie et presque dès le début sur le conflit en Ukraine, sur les sanctions aussi envers la Russie, là, sur ce conflit, c'est plus compliqué ; quelle est la voix de l'Europe ?
R - Je ne dirais pas tout à fait ça. Pourquoi je ne dirais pas tout à fait ça ? Parce que quand vous regardez les conclusions du Conseil européen, il y a eu l'unanimité, donc les Vingt-Sept, pour s'accorder sur trois piliers : le pilier sécuritaire, qui est de condamner le Hamas, bien sûr, et demander la libération des otages ; de soutenir Israël dans le droit de se défendre, bien sûr dans le respect du droit humanitaire et international ; aussi d'acheminer de l'aide humanitaire avec une pause humanitaire ; et puis de réfléchir à une solution politique. Mais vous soulevez un sujet qui, je crois, est très intéressant et qui est relié à celui dont on discutait il y a deux minutes, qui est celui des réformes qu'il va falloir faire aussi au sein de l'Union européenne pour que justement nous ayons une voix plus unie lorsqu'on parle, par exemple, d'affaires étrangères. On sait que parfois, à 27, c'est compliqué, on peut mettre du temps...
Q - Ce sont des décisions prises à l'unanimité, qui doivent être prises à l'unanimité.
R - Pour le moment, elles sont effectivement prises à l'unanimité...
Q - Donc forcément, c'est compliqué.
R - ... mais il y a certains aspects de la politique étrangère, par exemple les missions humanitaires, qui peuvent être prises, pour lesquelles nous militons pour qu'elles soient prises à la majorité qualifiée. Mais vous voyez, on a mis en place une Boussole stratégique pour tout ce qui est politique de sécurité, il va falloir qu'on l'opérationnalise, et évidemment on va devoir réfléchir et repenser la façon dont on fonctionne à 27, et dans la préparation aussi de cet élargissement que vous mentionniez.
Q - Mais sur une question très précise, qui se pose dans plusieurs pays aujourd'hui, faut-il appeler à un cessez-le-feu à Gaza ? Quelle est la réponse de l'Union européenne à cette question ?
R - La réponse de l'Union européenne, au Conseil, a été très claire : il faut une pause humanitaire pour acheminer l'aide d'humanitaire...
Q - Donc pas de cessez-le-feu.
R - Vous savez, les pauses humanitaires, elles peuvent durer. Mais il faut une pause humanitaire pour pouvoir acheminer l'aide humanitaire et pour pouvoir aussi laisser sortir les ressortissants qui le souhaitent de la bande de Gaza, notamment des Français, comme vous le savez, mais aussi d'autres Européens et d'autres nationalités.
Q - Donc pas de cessez-le-feu, ce n'est pas du tout la voix de l'Europe ?
R - Je crois que, et le Président, et l'Europe, ont été clairs sur le fait qu'il fallait des trêves humanitaires. Maintenant, vous savez que demain à Paris se tient cette conférence humanitaire, avec un certain nombre de pays dont les institutions européennes, qui va précisément avoir pour objectifs d'évaluer la situation sur le terrain, de voir comment on peut faire pour acheminer plus et mieux d'aide directement aux civils de Gaza, et comment aussi on peut aider les ressortissants qui en ont besoin à sortir.
Q - On peut avoir le sentiment que l'Union européenne, qui est relativement en tout cas divisée quand même sur cette question, se contente de faire de l'humanitaire.
R - Non, je ne crois pas que vous puissiez dire ça, parce que d'abord tous les, enfin beaucoup de chefs d'Etat et de gouvernement se sont rendus à la fois en Israël et dans beaucoup de pays du Golfe. Et demain, ils seront là, précisément pour discuter de cela, mais ils ont aussi appelé, et notamment dans ces conclusions, à réfléchir sur la solution politique à ce conflit.
Q - Ce sont les Etats-Unis qui pèsent sur tout pour trouver la solution de l'après ?
R - Ecoutez, je pense que cela ne peut être qu'une réponse internationale, et qui soit aussi dessinée en accord avec Israël, avec les autorités palestiniennes, avec ce qui se passe avec les pays du Golfe. Je ne crois pas que cela puisse être juste les Etats-Unis ou juste l'Union européenne. Je pense que c'est vraiment un sujet qui nous concerne tous.
Q - Autre sujet qui nous concerne également tous, en France, l'antisémitisme ; on en a parlé au début du journal. Une marche contre l'antisémitisme qui est organisée dimanche à Paris, et l'impossible union nationale. C'est désolant ? Quel mot vous vient à l'esprit ?
R - Depuis le début de ces événements tragiques, le Président de la République, la Première ministre, ont appelé à l'unité nationale. Et je voulais d'ailleurs saluer l'initiative de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, qui est un appel à l'unité nationale face à un drame terrible qui est l'antisémitisme. Vous savez que...
Q - Alors appel à l'unité nationale tout en disant que le Rassemblement national n'est pas le bienvenu.
R - Ils n'ont pas dit exactement cela. Ils ont dit qu'ils ne défileraient pas à côté du Rassemblement national et qu'ils seraient en tête de cortège. Il faut dire vraiment plusieurs choses ici. D'abord, il y a une recrudescence des actes antisémites, on en a eu autant un mois qu'en trois ans. C'est insupportable, et il faut comprendre le désespoir et la détresse qui emporte nos concitoyens de confession juive. C'est absolument dramatique, 70 ans après la Seconde Guerre mondiale. Ça c'est la première chose. La deuxième chose, c'est que c'est une manifestation citoyenne, publique, et c'est comme cela qu'on doit s'y rendre. Et la troisième, je dirais qu'il y a certains partis politiques qui ont certainement du ménage à faire chez eux.
Q - Vous pensez à qui ?
R - Je pense à ceux qui ne veulent pas soutenir la lutte contre l'antisémitisme.
Q - LFI, vous pensez à La France insoumise ?
R - À LFI à gauche. Et puis je pense au RN à droite, qui a quand même un peu de ménage à faire aussi dans son passé.
Q - Elisabeth Borne a dit qu'elle irait à cette marche contre l'antisémitisme. Est-ce que, selon vous, c'est aussi la place du Président de la République ?
R - Je ne vais pas parler au nom du Président de la République...
Q - Non, mais je vous demande pas de savoir s'il y va ou pas, mais est-ce que vous vous considérez que...
R - Je le laisserai répondre à cette question. Pour ma part, j'irai.
Q - Mais ce n'est pas la place d'un Président ? On a vu des présidents défiler après des attentats... du Bataclan... Est-ce que là, en termes d'unité nationale, puisque c'est ce que vous disiez au début, le Président... ce serait une bonne chose qu'il s'y rende ?
R - C'est au Président de s'exprimer sur ce sujet.
Q - Vous le disiez, les actes antisémites se sont multipliés en France ; pas seulement, on l'a vu aussi dans d'autres pays européens. C'est une inquiétude européenne, l'antisémitisme, la montée de l'antisémitisme ?
R - Oui, absolument. Vous en avez parlé, on l'a vu à Berlin, on l'a vu en Espagne, on l'a vu aux Pays-Bas, on l'a vu vraiment un peu partout. D'ailleurs, je trouve qu'on pourrait aussi entendre le Parlement européen plus s'exprimer sur ce sujet. Nous allons parler à la Commission européenne, qui a mis en place une stratégie de lutte contre l'antisémitisme en 2021. Chaque pays, dans le cadre de cette stratégie, doit se doter d'une stratégie nationale. À ce stade, 13 pays ne l'ont pas encore fait, ce qui est absolument scandaleux ; il faut absolument que les choses bougent.
Q - Mais justement, en ce moment, est ce qu'une réponse européenne à la multiplication de ces actes antisémites est envisagée ou serait possible ?
R - C'est ce que je vous dis, normalement il y en a une. Il faut par exemple recenser les actes antisémites et ensuite mettre en place les mesures qui vont avec. Vous avez entendu Gérald Darmanin au Sénat cet après-midi : il y a, à la fois, une traque des personnes qui font des tags, qui font des actes antisémites...
Q - Et ça, ce n'est pas la France qui est censée... ?
R - ... et sur Internet...
Q - C'est une procédure européenne ?
R - Ça, c'est la France, et je trouve que l'Europe serait bien inspirée de s'en inspirer.
Q - Concernant - ce sera ma dernière question - les élections européennes qui approchent, le Rassemblement national est, pour l'instant en tout cas, largement plébiscité par les Français.
R - Je vais vous dire quelque chose. Je pense que nous avons un travail collectif très important à faire pour ces élections. Pour ces élections, parce que nous avons fait beaucoup, parce que la France a une vision audacieuse de l'Europe, qu'elle a déjà mise en oeuvre avec le plan de relance, avec la politique industrielle, qui crée des emplois dans les territoires. Nous avons à continuer cette vision pour faire de l'Europe un bloc qui joue sur un pied d'égalité, non seulement de façon diplomatique et économique avec les Etats-Unis et la Chine, mais aussi de façon géopolitique et dans tous les domaines de l'innovation. Nous avons encore beaucoup de travail à faire et beaucoup de mobilisation à faire pour cela, et à y aller tous ensemble. Le Président de la République m'a nommée pour parler de l'Europe et pour promouvoir notre vision européenne dans les pays européens et auprès de tous les citoyens français. Et cela, je le fais, je le fais notamment avec Olivier Véran, vendredi, nous allons dans le Var, à Fréjus. Je crois qu'il faut multiplier ces actions pour porter à la fois ce qui a été fait et la vision de ce qui doit continuer à être fait.
Q - Merci beaucoup, Laurence Boone...
R - Merci à vous.
Q - ... d'avoir été l'invitée du 23h Info ce soir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2023