Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Sonia DEVILLERS, votre invité ce matin est ministre des Transports.
SONIA DEVILLERS
Et hier il a choisi de défiler contre l'antisémitisme à Paris, dont il a aussi été élu député, bonjour Clément BEAUNE.
CLEMENT BEAUNE
Bonjour Sonia DEVILLERS.
SONIA DEVILLERS
Cette marche vous a-t-elle parue à la hauteur de la gravité du moment ?
CLEMENT BEAUNE
Oui, je pense que c'était une marche nécessaire, un très beau moment, un moment d'espérance aussi parce que je crois qu'il y a peu de pays où on est capable, face à une situation internationale, une situation intérieure, avec des actes antisémites, qui malheureusement augmentent, de se mobiliser aussi vite, aussi fort. Il y avait dans tout le pays près de 200.000 personnes qui ont marché, comme vous le rappeliez, pour une cause, pour des valeurs, pour des principes, contre l'antisémitisme, et quand on est contre l'antisémitisme on défend des valeurs républicaines qui sont encore plus larges, et donc je pense que c'était tout simplement un beau moment, un moment digne.
SONIA DEVILLERS
Quand on défend des valeurs républicaines aussi profondes et aussi larges, le président de la République se doit-il d'être présent ?
CLEMENT BEAUNE
J'ai entendu cette discussion, cette polémique. Honnêtement, ce n'était d'abord pas le sujet central, et il n'y aucun doute sur l'engagement du président, il n'y a aucun doute sur l'engagement du président depuis notamment le 7 octobre et l'attaque terroriste qui a eu lieu contre Israël et contre les israéliens et les juifs, il a été l'un des rares chefs d'Etat et de gouvernement à s'exprimer devant toute la Nation quelques jours après, il a écrit aux Français hier avec des messages, je crois très forts, sur nos valeurs, et sur la République, et puis il faut que notre démocratie, notamment notre démocratie parlementaire, soit vivante. C'est rare, je crois que c'est même la première fois, qu'une marche de cette nature se fait à l'appel des deux présidents d'Assemblées, qui ne sont pas de la même couleur politique, dans des Assemblées, on le sait, qui sont malheureusement, notamment l'Assemblée nationale, des lieux d'invectives, de fractures, et qui largement, malheureusement pas avec tout le monde, mais largement, se sont rassemblées, et donner aussi à d'autres ces initiatives je pense que c'était important. Le message du président, le rôle du président, il est très clair, il recevra encore ce matin les représentants des cultes, il est profondément engagé pour défendre ces valeurs.
SONIA DEVILLERS
Alors, le message du président est très clair, quoi que, c'est-à-dire qu'on l'a vu quand même donner un coup de barre, infléchir, ou, comment dire, effectuer quelques volte-faces, ou zigzags en fonction des analyses et des commentateurs, justement sur ces propos et sur la vision que la France a du conflit au Proche-Orient, " il n'y a aucune justification aux bombardements tuant des civils à Gaza, nous exhortons Israël à arrêter " a déclaré le président Emmanuel MACRON à la BBC, donc le président de la République serait-il en train d'opérer une volte-face vis-à-vis d'Israël ?
CLEMENT BEAUNE
Non, non, non.
SONIA DEVILLERS
Non ?
CLEMENT BEAUNE
Non, non, honnêtement, sur des sujets aussi graves on ne peut pas parler de zigzags ou de volte-faces. La position de la France exprimée par le président, d'abord elle est dans une continuité historique, une position d'équilibre et de paix, et puis, vous savez, sur ce sujet, depuis le 7 octobre et l'attaque dramatique du Hamas, mouvement terroriste, redisons-le, contre Israël, il ne faut pas faire la moyenne des situations ou des victimes, il faut dire les choses de manière distincte. Qu'est-ce qui s'est passé le 7 octobre ? Une attaque terroriste, il faut la condamner sans aucune réserve, le président l'a fait très clairement, il a été, encore une fois, l'un des rares chefs d'Etat ou de gouvernement à le faire devant tout son peuple, toute la Nation, c'était nécessaire. Ensuite il a dit, il l'a redit encore dans son adresse aux Français, qu'Israël avait un droit légitime de défendre son peuple, son territoire, et de mener une opération, y compris militaire, contre un groupe terroriste, mais que cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de limites et pas de règles et qu'on se préoccupe évidemment, parce qu'une vie vaut une vie, de ce qui se passe pour les populations civiles de Gaza, ça n'a aucune contradiction. Et puis troisièmement, on se préoccupe, et c'est aussi notre rôle au gouvernement, le rôle du président de la République, de l'unité de la Nation et des répercussions qui ont lieu dans notre pays, là-dessus les messages successifs ont été toujours très cohérents.
SONIA DEVILLERS
Absolument, après ce qu'il a dit vendredi, c'est bien la première fois qu'il l'a dit.
CLEMENT BEAUNE
Ecoutez, je ne crois pas. D'abord, vous savez, il faut être très précis, parce que cette interview elle l'a circulé par petits bouts, y compris par des coupes un peu douteuses, et quand on écoute, ou quand on lit, je l'ai fait, tout le propos du président de la République, c'est la position claire de la France. Et sur ce qui se passe précisément à Gaza, c'est de demander une trêve humanitaire pour justement que l'opération, contre un groupe terroriste, ne devienne pas une opération qui soit contre des civils et qu'on puisse avoir accès pour leur apporter, comme la France le fait, comme l'Union européenne le fait, une forte aide humanitaire.
SONIA DEVILLERS
Dans ce rassemblement à Paris hier, Marine LE PEN et Jordan BARDELLA étaient présents, le RN en bloc, le Rassemblement national avec écharpe tricolore et service d'ordre, mais également Eric ZEMMOUR, Marion MARECHAL, deux lignes semblent se décider au sein de la majorité à laquelle vous appartenez. Olivier VERAN qui déclarait au " Parisien ", " j''assume de dire qu'un parti politique créé par les héritiers de Vichy et qui participe à une manifestation contre l'antisémitisme ce n'est pas de l'unité, c'est de l'indécence. " Edouard Philippe, lui, a pris le contre-pied, mais le parfait contre-pied, en disant " lorsqu'il s'agit de manifester contre l'antisémitisme, moi, je prends tout le monde. " Vous vous situez où ?
CLEMENT BEAUNE
J'ai participé à cette marche absolument sans aucune réserve et sans aucun état d'âme, bien qu'il y ait eu Marine LE PEN et des députés, notamment des élus du Rassemblement national, parce que justement on ne doit certainement pas laisser cette marche et ce combat contre l'antisémitisme au Rassemblement national, ce serait quand même un comble, mais je vais être très clair, moi ma première manifestation, j'étais un jeune électeur, je votais pour la première fois, c'était en avril 2002, contre le Front national, contre LE PEN Jean-Marie, et je pense que le Rassemblement national n'a pas profondément changé, et donc ce qui me choque c'est deux choses, c'est d'abord que, en parlant du Rassemblement national, on occulte l'essentiel, qui était qu'il y a eu une belle marche avec beaucoup de Français, de toutes sensibilités politiques, de toutes religions, c'est ça le fait politique essentiel et important d'hier, il faut quand même le redire, c'est près de 20000 Français qui sont sortis partout, plus encore, qui agitaient des drapeaux ou qui applaudissaient aux fenêtres. Et puis, ce qui suscite évidemment un sentiment de malaise, ou même de dégoût chez le citoyen, le responsable politique que je suis, ce n'est pas tant la présence avec écharpe tricolore, les députés du Rassemblement national ils ont été élus comme j'ai été élu, mais c'est de faire croire aux gens, et notamment aux Français de confession juive, que le Rassemblement national serait un rempart contre l'antisémitisme, serait un bouclier pour les juifs de France, ça c'est un mensonge odieux, parce qu'il n'y a même pas besoin de se retourner vers le passé, le Jean-Marie LE PEN, même s'il faut quand même ne pas oublier que Marine LE PEN elle-même a été sa candidate aux élections législatives, sa directrice de campagne, ce n'était pas il y a 40 ans, mais Jordan BARDELLA, qui a moins de 30 ans, c'est le présent, n'a pas été capable de dire que Monsieur LE PEN, Jean-Marie LE PEN, était un antisémite, il a été condamné par la justice, pour ceux qui nous écoutent et qui ne l'ont pas vécu, il faisait des jeux de mots sur les fours crématoires, il n'était pas capable de condamner l'antisémitisme un tant soit peu, il a même dit que la Shoah était un point de détail, les chambres à gaz, un point de détail de l'histoire, de la Seconde Guerre mondiale, ce n'est pas seulement de Jean-Marie LE PEN qu'on parle, c'est de ses héritiers les plus directs qui ne le condamnent pas. Donc, je ne cherche pas à faire un combat moral qui serait mal placé, mais enfin, hier on a tous défilé, tous ceux qui ont été dans la rue, ou qui ont soutenu cette manifestation, y ont été aussi pour la morale et pour les principes, ça fait du bien de le rappeler.
SONIA DEVILLERS
Eh bien justement, elle est où la morale, c'est-à-dire que le président de la République a sèchement recadré sa Première ministre il y a de ça à peine quelques mois…
CLEMENT BEAUNE
Non.
SONIA DEVILLERS
Ah si !
CLEMENT BEAUNE
Non, non.
SONIA DEVILLERS
Si, si, il l'a sèchement recadrée.
CLEMENT BEAUNE
…Je vous laisse finir.
SONIA DEVILLERS
Quand elle a qualifié précisément le RN d'héritier d'un passé vichyste, d'héritier du maréchal PETAIN, elle a été sèchement recadrée, on lui a dit ' on ne combat pas le RN avec des arguments moraux. "
CLEMENT BEAUNE
Non, non, on rapporte des propos, le conseil des ministres, etc., je ne rentre pas… le président de la République il a toujours été clair. Il a mené deux campagnes, j'étais à ses côtés depuis 2016, contre le Rassemblement national et contre Marine LE PEN, qu'il a battue, et c'est lui qui a été un rempart contre l'extrême-droite, et nous avec lui, donc il n'y a aucune ambiguïté là-dessus. Ce combat il se mène, on a raison de le rappeler, bien sûr par l'efficacité. Si on n'a pas de résultat, si on n'a pas un bilan, si on n'a pas des choses qui s'améliorent dans la vie des Français, si y compris dans la lutte contre l'antisémitisme on n'arrive pas à endiguer les choses, notre première réponse elle est policière et judiciaire, pas seulement une marche, évidemment, mais ça fait quand même, je pense, du bien de rappeler à tout le monde ce qu'est le Front national, et ce n'est pas, encore une fois, le Front national des années 80, c'est le Rassemblement national d'aujourd'hui, qui a ses ambiguïtés. Et croire, surtout au-delà des commentaires ou des déclarations de Jordan BARDELLA, un parti dont l'essence même c'est la démagogie et la désignation de boucs-émissaires, c'est la faute de l'autre, c'est la faute de l'Europe, c'est la faute des étrangers, c'est la faute des immigrés, c'est ça le Front national d'aujourd'hui, ou le Rassemblement national, c'est un parti qui ne pourra jamais être un protecteur des juifs de France.
SONIA DEVILLERS
Une dernière question parce qu'elle est très importante Clément BEAUNE. Il semblerait qu'il y ait eu bien peu de jeunes à cette manifestation, que cela vous inspire-t-il ?
CLEMENT BEAUNE
Oui, alors il y en avait, d'abord je me suis un peu baladé ensuite dans la manifestation, il y en avait, mais peut-être qu'il faut rappeler cela aussi, que l'antisémitisme ce n'est pas un fléau du passé, que ce n'est pas simplement ce qu'on apprend dans un livre d'Histoire, de l'affaire Dreyfus à la Shoah, c'est un danger qui est multiforme et qui peut reprendre aujourd'hui, par bêtise, par complaisance, par ignorance ou par violence pure, alimenté par les réseaux sociaux, et donc je le dis à tous les jeunes, c'est votre combat aussi parce que quand quelqu'un, un juif, un musulman, qui que ce soit, au titre de sa religion, de son orientation, de son origine, est stigmatisé, nous serons tous victimes un jour.
SONIA DEVILLERS
Merci Monsieur le ministre, merci Clément BEAUNE.
CLEMENT BEAUNE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 novembre 2023