Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à Europe 1/ Cnews le 15 novembre 2023, sur les tickets-restaurant, la hausse du chômage, l'inflation les tarifs de l'électricité et la situation au Proche-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Sonia Mabrouk - Journaliste

Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Et place donc à " La Grande interview " sur CNews et Europe1. Bonjour à vous Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Et bienvenue ! Vous êtes le ministre de l'Economie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique, et j'ajoute également que vous êtes un diplomate de formation. Vous avez été notamment directeur de cabinet de Dominique de VILLEPIN. On va bien sûr parler du Proche Orient et des conséquences en France et dans le monde. Mais d'abord, Bruno LE MAIRE, c'est l'un des sujets de conversation dans les entreprises, dans les commerces, les Tickets-Restaurants, je précise, au 1er janvier 2024, les Tickets-Resto ne devaient plus être acceptés pour régler des produits non-consommables immédiatement. Finalement, face au tollé, y compris dans votre majorité, on a appris hier que cette mesure dérogatoire allait être prolongée en 2024. Comment vous n'avez pas anticipé ? Est-ce que c'est un signe de déconnexion de votre part ?

BRUNO LE MAIRE
Absolument pas. Nous avons anticipé d'une part, et d'autre part, je rappelle que c'était le choix du législateur du Sénat d'arrêter cette mesure au 31 décembre 2023. Nous, nous avons pris la décision des parlementaires. C'est normal dans une démocratie. Nous avons vu que ça correspondait à une attente forte, et donc nous avons proposé avec Olivia GREGOIRE de prolonger l'utilisation de ces Tickets-Restaurants pour l'achat d'alimentation dans les magasins. Donc nous allons le faire. Nous le ferons par la loi parce que ça demande une disposition législative. Je souhaite que ça puisse être fait dans le projet de loi de finances 2024, si c'est possible, on est en train de vérifier les aspects juridiques. Nous avons toujours été favorables à cette prolongation, tout simplement, parce qu'elle facilite la vie des Français. Et donc, moi, je suis là…

SONIA MABROUK
Mais ça ne donne pas cette impression, Bruno LE MAIRE, en direct, que face à une bronca, que quand les députés se sont agités…

BRUNO LE MAIRE
Je rappelle que c'est une décision des sénateurs. C'est un amendement sénatorial qui a limité l'utilisation…

SONIA MABROUK
Enfin, le gouvernement a un poids, a sa voix…

BRUNO LE MAIRE
Il a un poids, donc il joue de son poids pour justement modifier cette règle, faciliter la vie des Français. Moi, mon objectif, c'est évidemment de simplifier la vie des Français. Les 5 millions de personnes qui ont ces Tickets-Restaurants, vous avez beaucoup d'entre eux qui trouvent que c'est vraiment beaucoup plus simple de les utiliser pour acheter des produits alimentaires, se préparer ses paniers repas, se faire ses déjeuners soi-même. Tant mieux ! Simplifions la vie des gens, et donc prolongeons cette mesure pour l'année 2024.

SONIA MABROUK
Donc, vous nous dites ce matin : ce n'est pas un revirement, ce n'est pas un volte-face…

BRUNO LE MAIRE
Il n'y a pas de revirement. Moi, je n'aime pas les revirements, il n'y a pas de volte-face, et en tout cas, c'était une décision du Sénat de l'arrêter au 31 décembre, et c'est une décision du gouvernement de le prolonger pendant un an, ça, ce sont les faits…

SONIA MABROUK
Mais rassurez-nous, dans un an, qu'est-ce qui va se passer ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il faut qu'on ouvre une réflexion plus globale. Comme toujours, quand on a des changements comme ça. Est-ce qu'il ne faut pas utiliser les Tickets-Restaurants de manière plus globale pour l'achat des produits alimentaires ? Est-ce qu'il ne faut pas changer même d'ailleurs la dénomination Ticket-Restaurant, qui induit un peu en erreur, avec une seule obsession, que ça corresponde aux attentes des gens, aux attentes des salariés. Si les salariés trouvent ça bien, s'il faut engager une réforme plus en profondeur, moi, je suis prêt à regarder cela. Donc nous allons avec Olivia GREGOIRE, au-delà de cette prolongation pour un an, moi, je suis prêt à ce qu'on ouvre la discussion sur l'utilisation plus généralement de ces tickets pour acheter de la nourriture.

SONIA MABROUK
Bien, il y a les chiffres du chômage, Bruno LE MAIRE, ce matin, dévoilés par l'INSEE. C'est une hausse au troisième trimestre à 7,4% de la population active. J'ai lu la première réaction de votre collègue ministre du Travail qui dit : en somme, c'est la faute à l'économie mondiale. Vous partagez ce constat…

BRUNO LE MAIRE
C'est la conséquence... non, c'est la conséquence, il a raison, c'est la conséquence du ralentissement de l'économie en Europe, de l'économie mondiale. Je rappelle que nous, nous faisons 1% de croissance là où beaucoup de nos voisins européens sont en récession. Mais je veux aussi, je ne veux pas me cacher derrière mon petit doigt, je veux aussi être très clair, si nous voulons tenir la feuille de route qui nous été fixée par le président de la République, 5% de taux de chômage en 2027, et passer de 7 à 5, ce qui n'est pas arrivé, Sonia MABROUK, depuis un demi-siècle, nous n'y arriverons pas à un modèle social constant. Je veux que chacun comprenne bien, parce que c'est ça la politique, c'est défendre des convictions et le faire avec vérité, que notre modèle social tel qu'il existe aujourd'hui ne nous permettra pas d'arriver à 5% de taux de chômage. Il y a au moins trois choses qu'il faut changer. La première, c'est la mobilité des salariés, leur permettre de se loger plus facilement dans les endroits où il y a beaucoup d'emplois. Ça demande une politique sur le logement très offensive. Nous y réfléchissons évidemment avec Christophe BECHU. 2°) : ça demande d'accélérer encore plus la formation, la qualification, en particulier des seniors qui partent beaucoup trop tôt du marché du travail. Je regrette d'ailleurs que dans l'accord qu'ont conclu les partenaires sociaux, la question des seniors soit à nouveau repoussée. Et 3°) : ça demande qu'on réfléchisse aux dispositifs d'indemnisation, d'indemnisation du chômage, de soutien à ceux qui ne travaillent pas pour s'assurer qu'on garde une vraie différence entre les revenus du travail et les revenus de la redistribution.

SONIA MABROUK
Monsieur le Ministre, on vous entend, mais, ce n'est pas comme si vous n'étiez pas au pouvoir depuis des années…

BRUNO LE MAIRE
Mais les premières marches…

SONIA MABROUK
Que ne l'avez-vous fait ?

BRUNO LE MAIRE
Sonia MABROUK, nous avons fait un travail considérable pour arriver à ces 7%. Nous avons réformé le marché du travail. On vient d'adopter la loi Plein emploi qui va créer France Travail et qui va donner une obligation de travail pour les bénéficiaires du RSA. Tout ça, c'est des changements qui sont très forts. J'appelle juste la majorité à rester fidèle à ce qui est la promesse originelle d'Emmanuel MACRON et du Président de la République, transformer notre modèle social, transformer notre économie pour atteindre le plein emploi, pour réindustrialiser le pays, et pour que chacun vive bien de son travail. Nous sommes à la croisée des chemins.

SONIA MABROUK
Vivre bien de son travail ou vivre tout court, tout cela, tout ce discours intervient, Bruno LE MAIRE, au moment où on apprend aussi les chiffres sur la pauvreté, alors, ils sont au rouge. Les inégalités se creusent, comme le rapportent, là, encore, les derniers chiffres de l'INSEE, pour la période 2021. Est-ce que ça veut dire, Bruno LE MAIRE, qu'au sortir des aides qu'il y a eu pour protéger les plus modestes, ça a aggravé les inégalités ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ce que je veux dire sur ce chiffre, c'est que quand vous le comparez aux autres pays européens, nous avons un des taux de pauvreté les plus faibles, et il faut arrêter de noircir systématiquement le tableau de la France, dès qu'il y a une personne pauvre, c'est une personne pauvre de trop. Et le combat contre la pauvreté est un combat que nous avons engagé depuis six ans. Mais là, nous retrouvons tout simplement les chiffres que nous avions auparavant. C'est doit nous amener à toujours plus combattre la pauvreté. C'est ce qui nous a amené, par exemple, à maintenir l'indexation de toutes les prestations sociales, de tous les minima sociaux sur l'inflation pour protéger les personnes les plus modestes. Mais derrière ce chiffre, il y en a un autre, 34% des personnes qui n'ont pas d'emploi sont en situation de pauvreté. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le combat pour le plein emploi est aussi un combat contre la pauvreté, et que notre ligne rouge, qui est celle du travail, du travail qui paie, du travail qui paie bien, qui permet de construire sa vie, ce fil rouge doit continuer à être le fil directeur de notre politique économique…

SONIA MABROUK
Il y a quelque chose qui m'interpelle, souvent, vous mettez en avant, et parfois, à raison, des chiffres macroéconomiques qui sont bons. Et on a l'impression, ce n'est pas qu'une impression, d'un décalage très, très net avec la vie des citoyens, de nous tous, entre des chiffres certainement mis en avant par les sachants, et ce n'est pas du tout au méprisant, de Bercy, et qui sont en contradiction avec ce que l'on vit.

BRUNO LE MAIRE
Les deux sont parfaitement compatibles, je ne vois pas de contradiction là-dedans. Ce n'est pas parce que vous avez réussi à faire baisser le taux de chômage qu'il n'y a pas des millions de nos compatriotes qui ne sont pas satisfaits, parce qu'ils ne vivent pas assez bien avec leur salaire, parce qu'ils voudraient des rémunérations plus élevées, parce qu'ils voudraient pouvoir s'acheter plus facilement leur logement. Donc, les deux sont parfaitement compatibles. Je dis juste : ne perdons pas le fil directeur de notre politique économique, et faisons en sorte de répondre aux attentes de ces personnes. Est-ce qu'on peut aller plus loin sur le partage de la valeur ? Oui. Aller plus loin sur l'actionnariat salarié pour augmenter les rémunérations des salariés ? Oui. Aller plus loin sur la formation et la qualification, parce qu'une personne qui est mieux formée et mieux qualifiée, elle est plus productive, elle a un meilleur salaire…

SONIA MABROUK
Eh oui…

BRUNO LE MAIRE
Et à ces questions-là…

SONIA MABROUK
Je vais plus loin sur la réflexion de l'augmentation des salaires…

BRUNO LE MAIRE
Je dis simplement, Sonia MABROUK, parce que c'est le plus important à mes yeux, nous avons fait un travail formidable pour redresser notre économie depuis près de sept ans…

SONIA MABROUK
Vous dites formidable, malgré tout ce qui vient de passer en revue ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, deux millions d'emplois créés, l'industrie qui redémarre, 300 usines qui ont été ouvertes, une nation qui est la plus attractive…

SONIA MABROUK
Un commerce extérieur français fragile, importation…

BRUNO LE MAIRE
On peut y revenir, je dis juste qu'il y a un travail formidable qui a été fait, qui a donné des résultats qui sont forts. Nous sommes à la croisée des chemins. Est-ce que pour les quatre années qui restent, c'est beaucoup de temps, quatre années, on vit sur nos acquis. Ou est-ce qu'on relance la machine, des réformes de structure, de la transformation de notre modèle, social, de la transformation du marché du travail pour viser le plein emploi, la réindustrialisation et le rétablissement des comptes publics…

SONIA MABROUK
Est-ce que vous le pouvez en pleine période…

BRUNO LE MAIRE
Je plaide très fortement pour la deuxième voie.

SONIA MABROUK
Oui, mais est-ce que vous allez pouvoir le faire en pleine période inflationniste. Parlons des prix, parce qu'un accord a donc été trouvé, Bruno LE MAIRE, entre l'Etat et EDF, permettant, avez-vous dit, de garantir un prix stable pour les consommateurs. Est-ce que ce matin, justement, vous garantissez, vous certifiez que le prix de l'électricité moyen restera aux alentours, c'est 70 euros le mégawattheure ?

BRUNO LE MAIRE
Tout l'objectif de cet accord, c'est de garantir la stabilité des prix pour le consommateur. Moi, je vois des comparaisons qui sont faites ce matin, mais qui sont lunaires, on nous dit : ah, mais c'est 42 euros le mégawattheure, ça va être 70. Enfin, on parle des choses qui ne sont pas comparables. Les 42 euros le mégawattheure portent sur un tiers de la production nucléaire d'EDF, 110 térawattheure, pour être tout à fait précis. Les 70 euros le mégawattheure portent sur 100% de la production électrique nucléaire d'EDF. Quand vous allez chez le boulanger, Sonia MABROUK, et que vous achetez une part du gâteau, c'est moins cher que si vous achetez tout le gâteau.

SONIA MABROUK
Mais j'ai l'impression qu'on mange de moins en moins ce gâteau, Monsieur le Ministre, est-ce que – les téléspectateurs et les auditeurs ce matin, se posent une question – est-ce que les prix vont revenir au niveau d'avant inflation ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ils ne reviendront pas. Mais aucun prix ne va revenir au niveau d'avant inflation, parce que les prix augmentent année après année, comme les salaires augmentent. Et tout l'objectif, c'est que les salaires augmentent plus que les prix. C'est pour ça que nous nous battons, mais pour revenir au prix de l'électricité, le téléspectateur, la première chose qui se demande ce matin, on est le 15 novembre, c'est de se dire : est-ce que la semaine prochaine, dans les mois qui viennent, ma facture d'électricité va augmenter ? Cette réforme ne s'applique pas avant le 1er janvier 2026. Donc il n'y aura pas d'augmentation de plus de 10% des tarifs de l'électricité, de votre facture d'électricité début 2024. J'ai pris cet engagement. J'ai l'habitude de tenir mon engagement. Nous allons progressivement sortir du bouclier énergétique. Donc, il y aura cette hausse au début de l'année 2024. Elle sera inférieure à 10%. Mais je rappelle, Sonia MABROUK, que nous payons encore 34 % de la facture d'électricité des gens. Donc, il faut en sortir progressivement pour revenir à la normale. Ensuite, nous allons arriver…

SONIA MABROUK
... Mais voyez-vous, Monsieur le Ministre, on vient de parler des chiffres de pauvreté, parce qu'on est sorti des aides, donc est-ce que ça ne va pas aggraver la situation tout cela ?

BRUNO LE MAIRE
Mais il n'y a pas une explosion comme je l'entends dire, de la pauvreté. C'est maîtrisé. Nous veillons à ce que ce soit maîtrisé, mais, vous êtes bien obligé de sortir de ces boucliers énergétiques qui coûtent 40 milliards d'euros à la nation française, on ne va pas payer 40 milliards d'euros chaque année pour le prix l'électricité. Donc nous allons sortir progressivement. C'est d'ici 2025. Ensuite, on basculera dans le nouveau modèle que nous avons présenté hier avec le président d'EDF, avec justement, cet objectif, qu'il n'y ait pas de marche entre l'ancien et le nouveau modèle, mais de la stabilité des prix pour le consommateur. Donc ne confondons pas deux choses. La sortie du bouclier énergétique, elle se fait maintenant progressivement, avec l'engagement que je prends, que ce sera progressif, qu'il n'y aura pas de brutalité, qu'il n'y aura pas de hausse de plus de 10 % à la rentrée 2024. Et après, il y aura le nouveau modèle, et c'est un deuxième engagement que je prends, stabilité des prix pour le consommateur. Enfin, je redis à quel point je suis, pas révolté, mais un peu surpris de voir que certains font des comparaisons entre des chiffres qui ne veulent absolument rien dire. Il est évident que 42 euros sur un tiers de la production, ça ne se compare pas avec 70 euros sur 100% de la production électrique…

SONIA MABROUK
Encore une question sur ce sujet, Bruno LE MAIRE, je ne comprends pas, vraiment, expliquez-nous ce matin à la fois sur Europe 1 et sur CNews, pourquoi on n'est pas sorti du marché européen. Nous payons, dites-moi si on a tort, l'électricité la plus chère d'Europe, alors que nous la produisons au coût le plus faible, grâce à un formidable outil de production nucléaire hydraulique. Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'on marche sur la tête ?

BRUNO LE MAIRE
... Non, Sonia MABROUK, on ne marche pas sur la tête. Je vais rappeler certaines réalités de base, 1°) : nous sommes parfois dépendants de la production électrique des autres. C'est pour ça qu'on fait partie du marché européen de l'électricité. On était bien content de trouver l'électricité allemande quand nos centrales nucléaires étaient à la ramasse et qu'elles ne produisaient plus, problème de corrosion sous contrainte. 2°) : ce que je veux éviter, c'est les chocs tels que ceux qu'on a connus. Les factures des Français auraient dû augmenter de 100% par moment, vous payez 1.200, ça aurait dû être 2.400. Ça n'a pas été le cas parce qu'on vous a protégés. Mais je ne peux pas protéger chaque année 40 milliards d'euros, parce que ça risque de nous coûter cher en termes d'impôts par la suite. 3°) : nous avons effectivement un prix de l'électricité qui est un des plus bas en Europe, mais nous avons des investissements à faire. Donc si nous voulons garder notre indépendance énergétique, il faut fabriquer six nouveaux réacteurs nucléaires. C'est un coût de plus de 50 milliards d'euros. Je suis obligé d'intégrer ce prix dans la facture globale, pour que ça permette de financer la construction de ces centrales. Enfin, dernière remarque, EDF est une entreprise publique, mais ce n'est pas une entreprise qui a vocation à vendre à perte. Sinon, demain, elle fera faillite, il faudra renflouer EDF, et ça coûtera très cher aux contribuables.

SONIA MABROUK
Bruno LE MAIRE, sur la situation au Proche-Orient et ses conséquences en France et dans le monde, Vous avez été, vous êtes un diplomate de formation. Vous avez été notamment directeur de cabinet de l'ancien Premier ministre Dominique de VILLEPIN. Il était hier l'invité de CNews dans " L'Heure des Pros ". Et il s'est inquiété, l'ancien Premier ministre, je le cite, d'un glissement vers une confrontation globale. C'est grave quand même comme propos ? Est-ce que vous partagez une telle inquiétude ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'il y a partout à travers la planète le risque d'une confrontation entre des régimes autoritaires et les démocraties libérales. Ce risque-là, il existe. Il doit évidemment être évité. Et je considère que la France et l'Europe ont un rôle très particulier à jouer pour éviter ce piège d'un conflit global entre régimes autoritaires et démocraties libérales. Prenez un exemple qui n'a rien à voir avec le Proche-Orient, mais pour dépassionner les choses, la Chine, quel rapport voulons-nous avoir avec la Chine ? Nous, nous voulons un rapport équilibré. Nous savons que nous ne sommes pas des alliés de la Chine ou des partenaires de la Chine. Nous voulons garder ce partenariat économique là où les Etats-Unis, de leur côté, ont une approche qui est beaucoup plus brutale vis-à-vis de la Chine. C'est le rôle de l'Europe, c'est le rôle de la France de montrer que nous avons des choses à construire économiquement, mais aussi politiquement avec la Chine…

SONIA MABROUK
Oui, mais encore faut-il parler de la même voix, quand le président Emmanuel MACRON demande, avant qu'il ne change d'avis, c'était il y a quelques jours, un cessez-le-feu sans condition. Le chancelier allemand dit : non, non. Et alors, quelle est la voix de l'Europe... ?

BRUNO LE MAIRE
Je me reconnais davantage, ça ne vous surprendra pas, dans la position du président de la République…

SONIA MABROUK
Mais quelle est-elle, on a du mal à la suivre ?

BRUNO LE MAIRE
Bien sûr qu'on a du mal à suivre la position européenne. C'est arrivé à chaque fois qu'il y a eu...

SONIA MABROUK
La France…

BRUNO LE MAIRE
A chaque fois qu'il y a eu un conflit au Proche-Orient, il était très difficile d'harmoniser les positions européennes. C'est la raison pour laquelle je suis d'ailleurs totalement opposé à l'idée d'une majorité qualifiée en Europe sur les sujets internationaux, parce que je considère que la voix de la France doit rester indépendante. En 2003, j'ai bien connu cette période, celle de l'Irak, la France, l'Allemagne se sont opposées à cette intervention militaire, qui a généré du terrorisme au bout du compte. L'Espagne, la Grande-Bretagne étaient sur une autre ligne. Je pense qu'il était bon de garder notre voix indépendante. Aujourd'hui, même chose, quelle est la seule solution au conflit dramatique que nous vivons aujourd'hui ? Une solution politique, cette attaque du 7 octobre, c'est une attaque qui remet en cause le droit d'Israël à exister. Elle est dramatique sur le plan humain, dramatique sur le plan émotionnel, mais, elle est surtout dramatique sur le plan politique. Parce que, une organisation terroriste, le Hamas, vise à faire disparaître Israël de la carte internationale.

SONIA MABROUK
Donc vous n'êtes pas pour un cessez-le-feu sans condition ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je suis pour que les Israéliens puissent se défendre, bien entendu, mettre fin aux agissements terroristes du Hamas qui menacent non seulement Israël, mais qui menacent la stabilité de toute la région. Mais je dis simplement qu'on ne peut pas non plus être indifférent au sort des populations civiles palestiniennes. On ne peut pas ne pas être bouleversé…

SONIA MABROUK
Qui est indifférent à ce sort ?

BRUNO LE MAIRE
Mais parfois, on a le sentiment que les victimes des bombardements, les victimes palestiniennes, ce serait un moindre mal à payer comme prix de cette opération militaire. On ne peut pas considérer cela. Chaque victime est un drame, et c'est bien pour cela qu'il faut appeler le plus rapidement possible, comme l'a fait le Président République, à une solution politique. La guerre est un instrument. Ce n'est pas une fin en soi, c'est un instrument pour un objectif politique. Et il est essentiel de définir les objectifs politiques. C'est vrai, on a connu depuis 20 ans des guerres, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, et tous les pays occidentaux se sont engagés dans ces guerres, parfois avec des buts politiques qui n'étaient pas très clairs. Quand les buts politiques finaux ne sont pas clairs, l'intervention militaire se solde par un échec. Donc, je plaide pour que cette intervention militaire israélienne, qui est nécessaire pour sa sécurité, se traduise le plus rapidement possible par une solution politique. C'est ce que défend Président de la République.

SONIA MABROUK
Merci Bruno LE MAIRE. C'était votre « Grande interview » ce matin sur Europe1 et Cnews.

BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 novembre 2023