Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2024 et le budget du Quai d'Orsay, à l'Assemblée nationale le 10 novembre 2023.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Je suis heureuse de vous présenter le projet de budget du Quai d'Orsay pour la deuxième fois depuis ma prise de fonction, d'autant que les nouvelles sont positives.

En effet, ce budget offensif nous permettra, plus encore que l'année dernière, de mettre en oeuvre les priorités fixées par le président de la République en mars dernier, lors de la clôture des états-généraux de la diplomatie, lancés il y a un peu moins d'un an.

Si votre Assemblée l'adopte, ce projet de loi de finances nous donnera les moyens d'affirmer nos principes, nos intérêts et nos solidarités, pour reprendre le titre de la dernière conférence des ambassadrices et des ambassadeurs tenue à la fin du mois d'août.

Avant de vous présenter l'économie générale du projet de budget et ses principales priorités, je souhaiterais évoquer rapidement le contexte international dans lequel nous nous trouvons et qui nous impose de nous affirmer toujours davantage. Sans revenir sur le Proche-Orient, notre environnement est marqué par une brutalité accrue, dont la guerre en Ukraine est le signe le plus net depuis un an et demi, mais dont témoigne aussi l'effondrement sécuritaire au Sahel, du Mali au Soudan, ou l'accroissement des tensions en Asie de l'Est ; en découle notamment l'accroissement des flux migratoires vers les zones stables et prospères comme l'Europe. C'est un monde également marqué par le "chacun pour soi", c'est-à-dire que les cadres habituels de la régulation internationale sont remis en cause : divisions au sein du G20, gouvernance financière internationale contestée, difficultés à trouver des compromis, même sur le climat, et recul des droits de l'Homme dans un nombre croissant de pays. Enfin, c'est un monde marqué par la propagande et les manipulations de l'information, à une échelle décuplée par les réseaux sociaux : cette situation ne manque pas d'être préoccupante pour la démocratie.

Dans ce contexte, nous devons combiner trois lignes d'action.

La première est de continuer à jouer notre rôle de partenaires de confiance. Nous le faisons en participant activement à la résolution des crises internationales de sécurité et en affichant, quand cela est nécessaire, notre fermeté au Sahel, en Ukraine ou dans le Caucase : j'ai eu l'occasion de le faire la semaine dernière lors de mes déplacements en Ukraine et en Arménie, comme je vous le disais lors de mon audition du 4 octobre.

Le même principe vaut évidemment pour les enjeux globaux. La France est vue comme un leader en la matière, du fait de sa mobilisation sur tous les fronts : climat, biodiversité, océans, finance internationale. La mise en oeuvre des conclusions du sommet de Paris de juin dominera notre agenda des prochains mois, comme nous avons commencé de le faire à l'Assemblée générale des Nations Unies.

L'un des instruments de notre action dans ce domaine sera notre politique de partenariats solidaires, confortée et rénovée lors du conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Dans cette optique, la fin des critères de concentration géographique au profit de la poursuite d'objectifs nous permettra de piloter l'aide publique au développement de manière plus politique.

Dans le même temps, dans cette atmosphère du "chacun pour soi", nous devons défendre avec lucidité et vigueur nos intérêts. C'est ce que nous faisons en matière de diplomatie économique, l'action du ministre délégué Olivier Becht visant à aider nos entreprises à conquérir des marchés et à attirer des investisseurs dans nos territoires. C'est aussi notre objectif en développant des partenariats aussi structurants que celui que nous avons conforté avec l'Inde le 14 juillet dernier. De la même manière, nous assumons pleinement la défense de notre modèle énergétique, notamment du nucléaire civil, à l'international ; nous l'avons encore fait aujourd'hui en Allemagne et je l'avais déjà réalisé fin septembre en Finlande, en participant à l'inauguration du premier réacteur pressurisé européen (EPR) en fonctionnement sur le continent européen, lequel a été construit par EDF sur place : cet EPR fournit déjà 30% de la consommation électrique de ce pays et contribue donc à son autonomie stratégique.

Enfin, pour mieux réguler, comme pour mieux défendre nos intérêts, rien n'est possible sans l'Europe, qui est notre levier de puissance le plus évident. Nous poursuivrons donc l'application de l'agenda de souveraineté de Versailles : souveraineté économique, défense, énergie et migrations. Nous avons beaucoup progressé dans la définition de solutions européennes.

Deuxièmement, notre projet de budget est offensif afin de nous adapter à un contexte de plus en plus difficile. Le projet de loi de finances consacre le "réarmement" - n'ayons pas peur des mots ! - de la diplomatie française, grâce à une hausse de ses moyens que l'on n'avait pas vue depuis des décennies : 165 ETP supplémentaires et une augmentation de 4,5% de nos crédits par rapport à 2023, qui marquait déjà une première inflexion. D'ici à 2027, il y aura 700 ETP supplémentaires, sans compter les 100 ETP de 2023, et une hausse des crédits de 22%. En 2024, le budget du ministère atteindrait ainsi, si le Parlement l'adopte, 6,7 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions, soit une hausse de 293 millions d'euros par rapport à l'année précédente. La mission Action extérieure de l'Etat se verrait attribuer 3,344 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, 3,42 milliards d'euros, hors pensions également.

Ce budget est novateur en ce qu'il renforce très substantiellement la mission Action extérieure de l'Etat pour nous donner les moyens de la transformation souhaitée par le président de la République, dans le prolongement des états-généraux de la diplomatie. La mission connaîtrait ainsi sa plus forte hausse depuis 2005, avec 11% d'augmentation.

Je voudrais me concentrer d'abord sur le programme 105, qui regroupe les moyens de notre action diplomatique et les crédits de fonctionnement des ambassades et consulats. Le budget de ce programme croîtrait de 13% l'année prochaine. Ces nouveaux crédits nous permettront de moderniser et de transformer le ministère : en poursuivant nos investissements dans le domaine numérique pour installer des outils collaboratifs et moderniser le travail diplomatique, ainsi que nos capacités d'analyse et d'anticipation ; en investissant davantage dans l'immobilier, y compris dans l'efficacité énergétique de nos bâtiments en France et à l'étranger ; en renforçant certains services en France ou certains postes à l'étranger de manière à mieux adapter les moyens humains aux besoins. Cela concernera la direction de la communication et de la presse et les services de presse de nos ambassades mais aussi le protocole, qui a son rôle dans la conduite de notre diplomatie publique, la future académie diplomatique ou encore nos plus petites ambassades, les 25 postes de présence diplomatique (PPD), que nous souhaitons tous renforcer de quelques ETP supplémentaires, tant l'expérience montre qu'on les a trop réduits.

Ces crédits supplémentaires permettront également de porter une attention plus grande au quotidien des agents et de leurs familles, ce qui se traduira notamment par un effort supplémentaire en matière de logement social ou encore par une meilleure couverture des frais de scolarité à l'étranger.

Troisièmement, je voudrais insister sur quelques priorités qui me tiennent particulièrement à coeur, sans prétendre à l'exhaustivité.

Première priorité : les fonctions politiques, y compris les enjeux globaux. En 2024, le programme 209 bénéficierait d'un budget s'établissant, hors dépenses de personnel, à 3,265 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui permettra de faire face à tous nos engagements et à la France d'être le quatrième bailleur au monde. L'aide humanitaire, dont le caractère prioritaire a été réaffirmé par le CICID de juillet 2023, serait maintenue à près de 900 millions d'euros en 2024. Ce montant comprend la provision pour crises majeures, inaugurée en loi de finances initiale pour 2022, augmentée en 2023 et maintenue à 270 millions d'euros, pour répondre efficacement et rapidement en 2024 à de nouveaux engagements non anticipés.

Permettez-moi quelques mots supplémentaires sur cette provision. Elle nous a permis d'activer très rapidement, sans passer par de longs processus d'arbitrages budgétaires, des moyens d'aide humanitaire dans des pays touchés par des crises : l'Ukraine, bien entendu, mais aussi la Turquie frappée par un tremblement de terre en février, le Soudan en proie à la guerre civile, ainsi que les pays limitrophes qui reçoivent des réfugiés soudanais, la Libye après les inondations de septembre et, plus récemment, les populations fuyant le Haut-Karabagh : nous avons augmenté notre aide humanitaire à l'Arménie pour plus de 12 millions d'euros. Je veille personnellement à ce que l'usage de cette provision reste conforme à son objet, avec des actions très ciblées et à fort impact. Le projet de loi de finances qui vous est proposé reconduit cette provision pour crises majeures, qui a donné à la France les moyens d'agir vite et bien partout où elle était attendue.

Nous consacrerions aussi 76 millions d'euros de plus qu'en 2023 aux mesures d'assistance à l'Ukraine, en partenariat avec les Etats membres de l'Union européenne. Nous devons prévoir d'être à ses côtés dans la durée. La Facilité européenne pour la paix deviendrait ainsi le bénéficiaire de notre plus importante contribution internationale en 2024.

La coopération bilatérale financée par le programme 209 serait quant à elle rehaussée de 109 millions d'euros, soit une augmentation de 5%, s'établissant à 2,184 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce renforcement de l'aide bilatérale abonderait significativement les outils à la disposition directe de nos ambassades. Ainsi, les moyens alloués aux Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont l'efficacité est saluée par tous, augmenteraient de 20 millions d'euros, atteignant 100 millions d'euros. Le Fonds équipe France (FEF) et le Fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel (FAEC), dispositifs d'aide bilatérale plus réactifs, visibles et lisibles créés en 2023, bénéficieraient quant à eux de 77 millions d'euros. Enfin, le don-ONG alloué à l'Agence française de développement (AFD) augmenterait de 7 millions d'euros en crédits de paiement, conformément à notre volonté de soutenir les organisations de la société civile.

Le montant des crédits consacrés à la coopération multilatérale baisserait légèrement pour s'établir à 796 millions d'euros en crédits de paiement. Cette contraction tient au fait que d'importantes dépenses réalisées en 2023 présentaient un caractère exceptionnel et ne seront pas renouvelées en 2024. Je pense par exemple à l'arriéré de contribution au Fonds mondial de lutte contre le syndrome d'immunodéficience active (SIDA), la tuberculose et le paludisme, pour 70 millions d'euros, et à la Facilité pour les réfugiés en Turquie, pour 20 millions d'euros. En réalité, ce niveau de 796 millions d'euros permettrait de consacrer des moyens pour de nouveaux engagements et de renforcer les contributions volontaires françaises dans les thématiques prioritaires du climat, de la santé, de l'égalité femme-homme ou de l'éducation. J'ajoute que l'extinction progressive du Fonds européen de développement (FED) jusqu'en 2027 libèrera des marges pour financer de nouveaux projets à budget constant au titre du programme 209.

Deuxième priorité : l'influence. En 2024, la dotation du programme 185 hors dépenses de personnel croîtrait de 50 millions d'euros par rapport à 2023, s'établissant à 721,2 millions d'euros, soit une hausse de 8%. Cette politique d'influence se structurerait autour de deux grands axes : d'une part, le développement d'un nouveau partenariat culturel et solidaire avec le continent africain ; d'autre part, la consolidation de l'attractivité française dans les autres pays prioritaires, notamment dans la zone indopacifique.

Un renforcement du réseau culturel est engagé. Les dotations aux établissements à autonomie financière, principalement les Instituts français et les Instituts français de recherche à l'étranger, augmenteraient de 8,2 millions d'euros par rapport à 2023.

De même, les crédits alloués au réseau des Alliances françaises augmenteraient de 1,5 million d'euros, soit une hausse de 20,8%, pour financer leur sécurisation, leur transformation numérique et le renforcement de leur attractivité. Enfin, une hausse des crédits d'intervention de 24,3 millions d'euros, soit une progression de 60 % ciblant en priorité les postes, permettrait d'offrir de nouvelles marges d'action au réseau culturel et de coopération sur les géographies prioritaires, de renforcer le soutien aux industries culturelles et créatives - certains d'entre vous sont peut-être allés au forum Création Africa ce week-end - et de financer de nouveaux campus ou des résidences d'artistes.

Dans un contexte de compétition internationale accrue, la politique d'attractivité étudiante fera par ailleurs l'objet d'un investissement important, afin de maintenir le rang de la France. Les crédits alloués aux bourses pour les étudiants étrangers en France seraient portés à 70 millions d'euros, soit une augmentation de 6 millions par rapport à 2023 et une hausse de 9%, notamment pour faire venir des profils qualifiés dans des secteurs en tension. De même, une augmentation de 2 millions d'euros, soit une hausse de 15%, est prévue pour les échanges d'expertise et scientifiques, qui contribuent à la politique d'attractivité de la France.

Enfin, avec ces crédits, mon ministère continuera d'oeuvrer pour renforcer la place de la France dans le système multilatéral, grâce à notre contribution aux opérations de maintien de la paix, de prévention et de médiation des conflits. En 2024, 6,5 millions d'euros de contributions supplémentaires à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) sont prévus dans le sillage du sommet de Madrid, tandis que les versements aux différents organes des Nations Unies augmenteraient de 17 millions d'euros.

Troisième priorité : la communication et la diplomatie publique. En matière de communication et de presse, les moyens progresseraient de 2,2 millions d'euros. Ces crédits visent à accroître le rôle du ministère dans le pilotage de la communication de la France à l'étranger, ainsi que les capacités de nos ambassades dans les géographies prioritaires comme l'Afrique ou l'Indopacifique. La direction de la communication et de la presse continuera d'être renforcée en moyens humains et en outils de promotion et de riposte.

Nous souhaitons doter le ministère d'une nouvelle culture de la communication stratégique, selon deux axes principaux : la dynamisation et le renforcement de notre présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, pour toucher de nouveaux publics, grâce à l'accroissement de nos capacités de production audiovisuelle, au décryptage de l'action diplomatique par le biais de nouveaux produits dédiés, aux vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et à un travail avec les influenceurs ; le renforcement de nos capacités à lutter contre les manipulations, le développement de notre veille sur les réseaux sociaux, la mise en place d'un fonds d'innovation destiné à sélectionner et aider financièrement les projets des postes les plus pertinents, ainsi que le développement de mécanismes de coordination avec nos partenaires internationaux.

Enfin, une enveloppe de 600 000 euros est prévue au titre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour activer un programme spécifique d'invitation de journalistes et accompagner notre communication sur les Jeux.

Quatrième priorité : les Français de l'étranger. Le programme 151 regroupe les moyens de l'action consulaire et d'assistance aux Français à l'étranger. En 2024, il verrait ses crédits hors dépenses de personnel croître de 24 millions d'euros par rapport à 2023, soit une hausse de 17%, pour atteindre un montant de 165,2 millions d'euros. En 2024, se tiendront les élections européennes, dont le coût de l'organisation à l'étranger est estimé à 6 millions d'euros. À ce titre, le programme 151 bénéficiera d'une augmentation de 1,1 million d'euros de son enveloppe, laquelle sera complétée par un transfert de 4,4 millions d'euros en provenance du ministère de l'intérieur et des outre-mer.

Les crédits consacrés à l'accès des élèves français au réseau scolaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à la langue française s'élèveraient à 120,5 millions d'euros en 2024, soit une hausse de 14,8 millions d'euros par rapport à cette année. Cette enveloppe financera principalement les bourses scolaires des enfants français dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, pour permettre aux familles de faire face à l'accroissement des frais de scolarité en raison de l'inflation élevée. De plus, 1,5 million d'euros seraient alloués aux élèves en situation de handicap. Enfin, 1 million d'euros financeraient l'instauration du pass éducation en langue française, annoncé par le président de la République, pour permettre aux enfants de nos compatriotes scolarisés localement qui en ont besoin, de se remettre à niveau en langue française.

Les crédits alloués au service public consulaire ainsi qu'à la modernisation de l'administration consulaire augmenteraient de 2,8 millions d'euros, afin d'améliorer la qualité des services rendus aux Français de l'étranger, notamment grâce à la poursuite du déploiement du service France consulaire, du vote électronique et de la finalisation du registre d'état civil électronique (RECE).

Telles sont les principales informations que je souhaitais porter à votre attention dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Comme vous pouvez le constater, ce deuxième budget du quinquennat reflète plus encore que l'année dernière l'importance accordée à notre diplomatie. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'engager son réarmement complet jusqu'à 2027. Je tiens à vous remercier pour les efforts que vous avez déployés, afin d'offrir à notre diplomatie les moyens nécessaires.

(...)

R - Je vous remercie, madame la députée, des propos que vous avez tenus à l'égard des agents de mon ministère, qui y sont très sensibles et le méritent.

La France accueillera le prochain sommet de la francophonie, pour la première fois depuis trente-trois ans exactement. Nous avons pour ambition de faire vivre une francophonie attractive, ouverte, inclusive, comme on le dit désormais, et multiple. Nous voulons bien évidemment promouvoir la langue française et le plurilinguisme, les deux allant de plus en plus de pair, mais aussi défendre plusieurs grandes causes, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, l'éducation, l'employabilité, favorisée par le fait de parler le français. Nous mettrons en valeur la créativité du monde francophone, en particulier celle de la jeunesse qu'il faut encourager à avoir beaucoup d'idées et d'ambition. Je me rendrai prochainement à la Conférence ministérielle de la francophonie à Yaoundé, au Cameroun.

Quant au sommet, qui se tiendra au mois d'octobre 2024, il sera aussi l'occasion de mettre en lumière, et pour longtemps, la nouvelle Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, en hommage au roi François Ier, qui sera inaugurée le 19 octobre par le président de la République. Ce sera un lieu d'exposition, dédié à la créativité francophone et ouvert à la diversité des expressions. Nous espérons aussi que ce sommet sera l'occasion d'évoquer des questions d'actualité et de réunir autant que possible les membres de la famille francophone autour des valeurs qui sont les leurs, au titre de la charte qu'ils ont signée.

(...)

R - Vous évoquez un prétendu manque de sérieux. Les équipes qui gèrent les fonds du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'appliquent à le faire avec le plus grand sérieux. Dans le domaine de l'aide publique au développement, des audits internes et externes sont menés. Si des fonds devaient être mal dépensés, des mécanismes de remboursement existent.

Je reviendrai vers vous pour ce qui est de la décomposition précise de l'usage des 609,5 millions d'euros d'autorisations d'engagement au sein de la mission Aide publique au développement.

Enfin, je vous confirme la réponse que je vous avais faite : notre aide au développement ne suffit pas à sortir des pays du sous-développement. Il est néanmoins de notre intérêt de favoriser les progrès de ces pays et de faire sortir leur population de la pauvreté absolue. Si dans cette action, la France doit être épaulée par tous les autres pays, nous sommes l'un des rares dont l'aide publique au développement ait augmenté au point de faire de nous le quatrième bailleur mondial.

(...)

R - Les états-généraux de la diplomatie se sont tenus parce que je l'ai proposé au président de la République et à la première ministre, et leurs conclusions n'étaient nullement connues d'avance. Consulter autant d'agents, de tous niveaux, de toutes catégories, en poste partout dans le monde, était un exercice inédit. L'augmentation budgétaire pluriannuelle que connaît le ministère, après trois décennies de déclin, n'était pas non plus connue d'avance.

Je ne reviens sur la réforme de la haute fonction publique que pour vous donner une information : 70 % des agents concernés ont déjà basculé vers le nouveau corps des administrateurs de l'Etat, le choix pouvant être exprimé jusqu'à la fin de l'année 2023.

Nos ressources connaissent une hausse sans précédent. La France consacre bien 0,55 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Peu nombreux sont les pays à le faire.

Je ne parlerais pas comme vous le faites de suspensions punitives. Certains pays ont connu des coups d'Etat, parfois à plusieurs reprises. Nous ne pouvons pas prendre le risque que l'argent du contribuable finisse dans les mains de putschistes. Notre position est claire et conforme à nos valeurs : vous devriez vous en réjouir.

En ce qui concerne le Proche-Orient, nous serons difficilement d'accord, sauf sur un point : il faudra en effet restaurer un horizon politique, le moment venu. Nous nous y efforçons en prenant des contacts afin d'éviter l'embrasement et en rappelant cette perspective nécessaire.

(...)

R - Au cours de l'exercice 2023, un peu plus de la moitié des nouveaux emplois ont été affectés à notre réseau diplomatique, et le reste à la France. Ils ont soutenu nos priorités : renforcement de nos ambassades dans le Pacifique - vous avez suivi la tournée du président de la République au mois de juillet -, sécurisation de nos emprises, cybersécurité et lutte contre les manipulations de l'information.

En ce qui concerne les opérations d'évacuation, elles sont confiées au centre de crise et de soutien du ministère, toujours en étroite coordination avec le ministère des armées et la présidence de la République. Malheureusement, nous avons dû procéder à plusieurs opérations de ce type cette année. Nous avons ainsi évacué du Soudan 998 personnes, dont un peu plus d'un quart de Français ; mon ministère a déboursé 900 000 euros pour payer la projection des équipes, les vols civils... S'agissant du Niger, nous avons dû engager 2,8 millions d'euros mais un remboursement sera fait par le biais du mécanisme européen de protection civile, à hauteur de 75% me semble-t-il.

S'agissant de l'influence, le temps qui m'est imparti pour vous répondre ne me permettra que de citer la zone indopacifique et l'Afrique comme priorités géographiques.

(...)

R - Le pass éducation en langue française est en effet un engagement du président de la République. Nous allons d'abord l'expérimenter et c'est bien volontiers que je vous associerai, ainsi que les élus locaux.

En ce qui concerne le programme 185, nous allons privilégier les fonds innovants, dont nous avons constaté qu'ils fonctionnent bien.

En matière d'aide publique au développement, nous préservons toujours l'aide humanitaire, en dialogue avec les ONG : il ne s'agit pas de pénaliser les populations. Afin de ne pas financer des régimes putschistes que nous condamnons et qui font une fort mauvaise utilisation de ces fonds, nous avons effectivement dû suspendre nos aides publiques au développement au Mali, au Burkina Faso et au Niger. L'avenir dépend du comportement de ces régimes et des calendriers de transition. Dans le cas du Niger, aucun processus de transition n'est prévu et le président Mohamed Bazoum n'a pas été libéré ; les putschistes n'ont montré aucun intérêt pour les différentes médiations et approches diplomatiques, de la part de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ou d'autres pays.

(...)

R - En ce qui concerne l'aide au développement, le président de la République s'est exprimé aujourd'hui même à Hambourg, lors de la conférence de presse qu'il a donnée avec le chancelier Scholz.

Pour ce qui est du volet bilatéral, notre aide s'élève à environ 95 millions d'euros, si l'on inclut les quelque 22 millions de notre contribution à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA). Les mécanismes de distribution sont précis et rigoureux, afin de nous assurer que les fonds parviennent bien aux populations ; nous agissons notamment beaucoup dans le domaine de l'éducation. Les garanties nous paraissent suffisantes pour ne pas prendre la décision de ne plus accorder cette aide. Ce serait même contre-productif et nombre de nos partenaires le comprennent.

En ce qui concerne l'aide européenne, nous avons regretté la confusion d'hier soir dans les prises de position au sein de la Commission, exprimées sans concertation même au sein du collège des commissaires, avec une série de propositions qui ont été précisées par la suite. Il n'y a pas non plus lieu de suspendre cette aide, qui obéit à des procédures tout à fait strictes. Nous pourrons vérifier précisément une nouvelle fois ce qu'il en est.

S'agissant de l'Ukraine, les vingt-sept étaient exceptionnellement réunis lundi dernier en Conseil des affaires étrangères à Kiev. Ils ont réaffirmé leur soutien militaire, économique et diplomatique, envisagé des mesures pour aider l'Ukraine à passer l'hiver et examiné les meilleurs moyens de demeurer aux côtés de ce pays, sur le plan militaire mais pas seulement, dans une guerre sans doute appelée à durer. Sur le terrain, je ne vous apprends rien en vous disant que la contre-offensive est difficile mais se traduit par des progrès, tandis que la Russie n'a pas atteint ses objectifs stratégiques et ne progresse plus. La Russie devra s'interroger sur cet échec stratégique.

(...)

R - Merci des mots que vous avez eus pour ces agents. Leur activité a été intense cette année. Les moyens destinés à la protection de nos communautés expatriées sont en augmentation de 5 millions d'euros. Le centre de crise et de soutien sera sans doute fort sollicité à nouveau dans les mois et les années à venir. Il travaille de façon admirable et avec une grande réactivité, dans des situations parfois dangereuses. Ainsi, dès demain, des agents seront déployés à Jérusalem et à Tel-Aviv. Ce service est relativement modeste, puisqu'il compte 104 agents, en grande majorité chargés de la sécurité de nos compatriotes. Au-delà du budget propre du centre, nous avons créé puis augmenté une provision pour crise, qui se révèle utile et efficace ; elle nous permet de réagir très vite.

(...)

R - Il serait erroné de parler de démantèlement de l'outil diplomatique alors que nous sommes en train d'augmenter fortement ses moyens. J'utilise volontiers le mot de réarmement, justement parce qu'il s'oppose au concept que vous avez utilisé. L'augmentation des moyens humains et budgétaires n'a rien de rhétorique : elle permet plus de sécurité, plus de communication stratégique, plus de capacité d'influence, plus d'aides, plus de capacités à gérer des crises. L'effort sur l'aide publique au développement est constant puisque celle-ci a crû de 50% depuis 2017. Aurions-nous pu empêcher les désordres du monde ? J'aimerais le croire mais je me contenterai d'espérer que notre rôle peut être bénéfique.

Nous ne cessons d'appeler votre attention sur la communication stratégique car la désinformation et les manipulations masquent souvent une tentative d'atteinte au modèle démocratique lui-même. Ce sont des enjeux importants, sur lesquels nous pouvons nous réunir.

Nous avons beaucoup renforcé la direction de la presse et de la communication en 2022, puis en 2023. Avec 118 agents en administration centrale et un réseau de 480 personnes dans nos ambassades, cette direction pilote nos moyens de communication. France diplomatie s'exprime en six langues depuis Paris et cinquante depuis nos ambassades. Au total, nous avons 16 millions d'abonnés sur les réseaux sociaux et une centaine de millions de visites par an sur les sites du ministère et de nos ambassades. Nous continuerons à renforcer ces moyens en personnel et en actions.

(...)

R - Nous sommes en dialogue régulier avec les syndicats au ministère ; je ne me prononcerai pas sur l'AFD, dont je connais moins le fonctionnement interne. Les moyens supplémentaires dont nous disposons dans le cadre d'un plan pluriannuel permettront d'aider les agents au quotidien, aussi bien à l'étranger qu'à Paris. En 2023, nous avons renforcé les directions les plus sollicitées grâce à des créations d'emplois : les premières depuis trente ans. J'ai évoqué les conditions de vie, de transport, de logement et de scolarisation des enfants pour ceux de nos agents qui vivent à l'étranger. Nous avons également renforcé des chancelleries politiques.

Il est essentiel d'augmenter nos capacités d'anticipation et d'analyse : je vous rejoins sur ce sujet. C'est pourquoi ces moyens humains nous étaient indispensables. Cela peut-il contribuer à la paix dans le monde ? Je veux le croire. En tout cas, notre mission est bien, en effet, d'apaiser les tensions, voire d'aider à faire la paix.

Je ne peux pas vous suivre totalement lorsque vous dites qu'on ne parle du Proche-Orient qu'en cas de crises ou de drames : il m'est arrivé d'en parler devant vous. Toutefois, je prends votre rappel de l'exigence de lucidité comme un signe positif.

(...)

R - Mme la députée Youssouffa a l'habitude de critiquer la diplomatie française, en se montrant oublieuse de ce que celle-ci fait pour Mayotte et pour assurer sa place dans la République. Je ne peux pas vous laisser tenir de tels propos, madame la députée. D'autre part, je veux vous assurer qu'il n'y a pas de divergence de points de vue et d'action au sein du Gouvernement.

La place de Mayotte dans la République est défendue par tous les ministères et la diplomatie française y prend toute sa part, notamment aux Nations Unies, où nous évitons, année après année, depuis plus de trente ans, que soient présentées à l'Assemblée générale des résolutions qui la remettraient en cause. Je voudrais au moins que vous nous en fassiez crédit.

Nous le faisons aussi lorsque nous travaillons à réduire la pression migratoire en provenance des Comores. C'est mon ministère qui a négocié l'accord de 2019, lequel permet d'opérer davantage de reconduites vers les Comores.

C'est également mon ministère qui défend l'intégration régionale de Mayotte dans son environnement. Nous avons obtenu l'accord des Comores et des autres Etats membres de la Commission de l'océan indien pour associer Mayotte à plusieurs projets de la COI. Je pourrais continuer cette énumération et contester point après point tout ce que vous avez dit sur la diplomatie française.

(...)

R - Le pass éducation en langue française entrera en vigueur en 2024, si votre Assemblée approuve le projet de loi de finances. Il comportera une première phase d'expérimentation d'un dispositif d'apprentissage sous format numérique. Le pass s'adressera aux enfants inscrits au registre des Français établis hors de France mais non scolarisés dans un établissement français, qui ont donc potentiellement besoin d'être remis à niveau en français. Nous aurons le soutien de l'AEFE, du Centre national d'enseignement à distance (CNED) et du réseau Flam - Français langue maternelle -, qui est particulièrement utile et efficace.

Votre deuxième question portait sur les consulats. C'est très simple : oui, les moyens seront augmentés. Nous traitons de façon séparée la question des visas.

(...)

R - L'aide publique au développement a énormément progressé depuis 2017 : 50 % d'augmentation en cinq ans, c'est tout à fait considérable ! Cette progression tient également à une diminution des dépenses, puisque nous avons rattrapé les 70 millions d'euros d'arriérés du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, ainsi que 20 millions d'euros par ailleurs.

Concernant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, nous maintenons l'aide humanitaire, qui passe par le canal des ONG. En revanche, pour le reste, nous n'envisageons pas de maintenir l'aide à des régimes qui utilisent fort mal l'assistance qui peut leur être donnée soit par leurs partenaires, soit par les institutions financières internationales. Le Mali, qui a apporté une aide aux putschistes du Niger, en est un exemple patent.

(...)

R - Il est indispensable que nos médias extérieurs conservent leur indépendance dans un contexte de concurrence brutale des pensées, je dirais même des visions du monde, s'éloignant bien souvent des valeurs démocratiques que nous défendons. La guerre informationnelle se joue à l'échelle mondiale ; il est important, à ce titre, de maintenir un bon niveau de capacité d'action, notamment pour France Médias Monde. Tel est le cas : après une dotation de 263 millions d'euros en 2023, ce groupe recevra 274 millions d'euros en 2024. Cela permet de financer des projets locaux tels que le hub que nous avons ouvert à Bucarest avec Radio France internationale (RFI), qui permet à des journalistes ukrainiens de diffuser dans la zone une information de qualité, ou encore le projet Afri'Kibaaru, qui diffuse en langue sahélienne.

(...)

R - Personne ne peut contester le fait que fournir de l'eau aux Palestiniens est une action utile. Je ne peux pas imaginer que vous pensiez qu'il faut les priver d'eau. Quant au fond du sujet, ce n'est pas la première ministre qui refuse ; je vous rappelle que le président de la République s'est exprimé et que nous nous sommes réunis dans un format européen sur ce sujet.

Nous souhaitons vérifier si toutes les procédures destinées à garantir que ce genre de choses ne se produit pas sont bien observées. Si elles devaient ne pas l'être, nous en tirerions les conséquences. Cela s'appelle une revue et c'est ce qui sera fait par la Commission européenne pour ce qui la concerne.

Nos procédures, à ma connaissance, sont suffisamment précises pour nous offrir des garanties.

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R - Olivier Becht vient de présenter ce plan, qui s'inscrit dans une trajectoire allant jusqu'à 2030. Je ne prévois pas de le modifier quelques semaines après sa présentation mais, si tout se passe comme nous le souhaitons, il faudra peut-être renforcer les mesures destinées à augmenter le nombre d'entreprises françaises exportatrices, insuffisantes si l'on compare avec d'autres pays.

Quatre priorités ont été définies pour aider les entreprises françaises : un renforcement de la visibilité et de la lisibilité des dispositifs publics de soutien et d'aide ; le maintien d'une information de qualité sur les marchés extérieurs ; une meilleure offre de formation en direction des petites et moyennes entreprises (PME) et des établissements de taille intermédiaire (ETI) ; le développement de services numériques. Nous sommes sûrs que ce plan donnera de bons résultats. Nous verrons ensuite s'il faut le faire progresser.

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R - Nous nous rejoignons sur cet objectif. Je précise toutefois que si le commissaire a modifié sa déclaration, cela tient non pas à l'opposition des Etats membres mais au fait qu'il n'en avait informé ni le collège des commissaires, ni la présidente de la Commission. Je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'il était dans ses pouvoirs de décider d'une telle suspension. La situation a été clarifiée hier soir, après un moment tout à fait inutile de flottement et d'interrogations.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2023