Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations entre la France et la Suisse, à Berne le 15 novembre 2023.

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Circonstance : Voyage officiel les 15 et 16 novembre 2023 en Suisse

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Alain, 
Madame, 
Madame la Vice-Présidente, 
Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux, 
Mesdames et Messieurs les Ministres, 
Monsieur le Chancelier, 
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, 
Mesdames et Messieurs les Ambassadrices et Ambassadeurs, 
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités, 
Chers amis.


Merci infiniment Monsieur le Président, pour la chaleur de l'accueil qui nous est réservé à mon épouse et moi-même ainsi qu'à la délégation qui m'accompagne. Et merci de vos mots à l'instant.

Rappelant les profondeurs de notre histoire, ce cousinage un peu particulier, y compris jusqu'à aller chercher des auteurs belges pour consacrer l'amitié, quasi-mythologique, franco-suisse. Nous sommes très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour notre première visite à Berne, dans cette emblématique salle des pas perdus, symbole de la démocratie suisse. Et vous avez terminé votre propos par cela : nous nous retrouvons dans un moment grave, difficile, dans lequel notre continent, notre Europe, ne peut rester indifférente aux conflits sur son sol, l'agression russe en Ukraine, à sa périphérie, dans le Caucase, au Haut-Karabakh, au Proche-Orient, avec l'attaque terroriste du Hamas contre Israël, aujourd'hui les bombardements de Gaza, au Sahel, aussi bien sûr.

Tout cela nous montre que la paix et la démocratie ne sont jamais acquises, et qu'il nous faut sans cesse travailler à les préserver. Et au fond, être à vos côtés aujourd'hui marque cet engagement à rester unis pour agir ensemble. Et ce sont bien ces valeurs, ces constructions démocratiques et institutionnelles qui nous unissent plus profondément et qui sont peut-être moins évidentes aujourd'hui qu'elles ne l'étaient même naguère. Les enceintes de dialogue et de coopération ne manquent pas. Nous coopérons étroitement chaque jour. Votre pays est le siège de nombre d'institutions onusiennes ô combien importantes. Vous avez rappelé le rôle aussi de la Croix-Rouge. Et votre pays a adhéré au projet de Communauté politique européenne dont, je le sais, vous avez été aussi, à mes côtés, l'un des promoteurs ardents cherchant là aussi à construire sur notre continent un dialogue indispensable en la matière.

Votre pays a aussi démontré son engagement clair, fort, en condamnant la guerre d'agression russe contre l'Ukraine et en reprenant les sanctions de l'Union Européenne. Nous devons à cet égard continuer de travailler ensemble, à aller plus loin, chacun selon nos moyens. Et la Suisse a montré récemment, avec l'aide au déminage humanitaire, comme en prenant l'initiative de la conférence organisée en juillet 2022 à Lugano sur la reconstruction, que la neutralité pouvait aller de pair avec la solidarité dans l'effort collectif pour aider l'Ukraine. Il s'agit aussi de lutter contre tout le contournement, d'augmenter l'aide humanitaire en inscrivant notre soutien à l'Ukraine dans la durée. C'est également le sens de votre présence à mes côtés pour la conférence humanitaire il y a quelques jours pour Gaza.

C'est dans ce contexte qu'il nous faut redéfinir une relation fondée sur une forte volonté politique entre la Suisse et l'Union Européenne. Car l'Union Européenne a besoin de la Suisse et la Suisse, je le crois profondément, a besoin de l'Union Européenne. Et je veux croire que notre devise européenne, unie dans la diversité, a une résonance particulière dans un pays comme le vôtre, dont les cantons et la diversité des aires culturelles et linguistiques fondent une cohésion, une capacité à vivre ensemble dont nous sommes admiratifs. Et je regrette à cet égard que le temps ne me permette pas de visiter davantage la Suisse alémanique demain.

Il faut être clair. Nous vivons un moment charnière pour la relation entre la Suisse et l'Union européenne. Je suis ici venu passer un message de confiance et d'action, essayer d'apporter à vos côtés des réponses, de faire aboutir ces négociations ouvertes avec Bruxelles il y a 15 ans. Je sais que les pourparlers techniques des derniers mois ont beaucoup progressé, et même si la France n'est pas directement négociatrice, elle soutient la Commission européenne dans son objectif d'aller de l'avant. Et je suis pour ma part désireux que les discussions, qu'il s'agisse de la recherche, de l'enseignement supérieur, de nos liens économiques, de notre volonté d'agir ensemble, puissent continuer d'avancer tant l'amitié qu'il y a entre nos deux pays a une histoire profonde et une actualité à mes yeux plus fort encore.

Tout ceci, nous le devons à nos deux pays, à notre histoire, vous l'avez rappelé, nous le devons à nos citoyens qui partagent un espace commun dans nos régions et nous cantons frontaliers, mais aussi au-delà. Nous le devons à nos entreprises qui innovent et créent ensemble, nous le devons à nos chercheurs, à nos artistes. Nous partageons une frontière de près de 600 kilomètres, des bassins de vie profondément intégrés, dans lesquels cette frontière ne représente au fond qu'une coupure administrative. C'est en Suisse que vit la plus grande communauté de Français de l'étranger. Et je suis très heureux de pouvoir m'adresser un peu plus tard à ces derniers. 200 000 Français s'y sont installés et chaque jour, plus de 200 000 de nos concitoyens traversent la frontière pour travailler dans votre pays. Réciproquement, c'est en France qu'il y a la plus grande communauté suisse expatriée. Des milliers d'étudiants français et suisses étudient chaque année de part et d'autre de la frontière. Tout cela témoigne d'une réalité, d'une affection qui ne se limite pas aux régions transfrontalières.

Je ne pourrai être ici à Berne aujourd'hui sans rappeler que ce lien profond, qui unit nos deux pays, est ancien. Vous êtes remonté à travers les siècles, Monsieur le Président, et vous avez évoqué plusieurs des étapes de cette amitié. Je ne veux pas ici être redondant et les citer à mon tour. Mais, m'inscrivant dans les marges de votre discours, dans ses interstices, je voudrais en tout cas citer une date entre deux de celles que vous avez évoquées, celle de 1516 et de la conclusion du traité de paix perpétuelle de Fribourg, pas simplement comme clin d'oeil amical, une commune qui vous est chère, mais bien parce qu'après la bataille de Marignan, c'est ce texte qui a amené, au coeur d'une Europe déchirée par les conflits, près de trois siècles de paix.

Aujourd'hui, plus de 500 ans après la conclusion du traité, le Président BERSET et moi-même avons souhaité annoncer conjointement l'initiative franco-suisse d'inscrire ce traité au registre Mémoire du monde de l'Unesco. Et c'est une grande joie pour moi de rappeler aujourd'hui cette belle histoire. Car la Suisse et la France sont plus que des voisins. Nous sommes des amis qui partageons un patrimoine, des montagnes, la majestueuse chaîne des Alpes, le massif du Jura, un lac, le Léman, des fleuves, le Doubs, le Rhône, des stations de ski, des magnifiques portes du soleil, des infrastructures de transport, le très efficace Léman Express et j'en oublie certainement, tant nous sommes proches et nos réussites communes nombreuses.

Il s'agit pour nous aussi, à l'occasion de cette visite, de défendre ce patrimoine commun et de renforcer les dynamiques constructives qui font notre relation dans tous les domaines. Dans le domaine environnemental, vous étiez à mes côtés pour rappeler l'importance des Alpes, des hauts sommets, des glaciers pour la Suisse et vous engager à mes côtés pour la cryosphère face aux conséquences des dérèglements climatiques. C'était ensemble à Paris lors de ce premier One Polar Summit et la déclaration commune entre la France et la Suisse concernant la recherche sur la cryosphère et les zones alpines, que nous allons consacrer dans quelques instants, sera une étape importante de cette construction.

Dans le domaine de la santé qui vous est ô combien cher, nous avons été témoins, à l'occasion de la crise Covid, de la très forte imbrication de nos systèmes de santé, du fait que l'un ne fonctionnait pas sans l'autre, et nous avons surmonté cette crise ensemble. Et du fait de l'interdépendance de nos systèmes de santé, de nos recherches, nous souhaitons renforcer notre coopération en la matière. C'est la raison pour laquelle un colloque franco-suisse sera organisé dans le courant de l'année prochaine pour traiter de ces questions, et plus particulièrement celle du flux des personnels de santé. L'Observatoire sur la démographie médicale sera également relancé pour accompagner cet effort.

Dans le domaine éducatif également, nous signerons une déclaration d'intention importante à l'occasion de cette visite pour renforcer la coopération bilatérale en matière de promotion des mobilités étudiantes.

Autant de sujets qui montrent qu'une amitié s'entretient, se réinvente chaque fois.

Je ne rentrerai pas ici dans la discussion pour savoir si de Godard à Tingli, de Constant à d'autres, ils sont Suisses et Français. Cette revendication, je dirais mutuelle, montre leur force et nous lie davantage. Mais, en les convoquant tout à l'heure, comme en allant ensemble au CERN, à l'Université de Lausanne ou à la Fondation Jean Monnet, nous continuons de poursuivre un cheminement, une carte du Tendre de l'amitié qui, au fond, à travers ces grandes figures, d'intellectuels, de philosophes, d'artistes, de scientifiques, montre ce compagnonnage. Ils traversent nos paysages. Mais, au fond, une volonté d'harmonie, de chercher des équilibres. Et dans un monde si simplificateur, à l'heure où les conflits reviennent, une forme de sagesse qui vous a souvent été plus prêtée qu'aux Français, la lucidité me conduit à le dire, et à le reconnaître, mais en tout cas, une capacité à tenir des équilibres dans un monde complexe, à chercher partout à défendre un multilatéralisme efficace et à cultiver les amitiés solides, reposant sur l'histoire, les talents.

La démocratie et la paix sont plus précieuses que jamais. C'est pourquoi cette visite, à vos côtés, n'a rien d'intempestif. Dans le moment que nous vivons, elle est essentielle et au bon moment car ce sont dans ces moments-là que les amitiés si solides doivent être renforcées pour pouvoir inspirer et agir ensemble. C'est dans cet esprit que je souhaite renouveler mes remerciements au Président du Conseil fédéral, cher Alain BERSET, aux conseillères fédérales, aux conseillers fédéraux, et, à travers eux, au peuple suisse pour leur accueil chaleureux.


Vive la France, vive la Suisse et vive l'amitié entre la France et la Suisse.