Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Aurore BERGE, bonjour.
AURORE BERGE
Bonjour.
LEA SALAME
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. Beaucoup de sujets à aborder avec vous ce matin, en cette Journée internationale des droits de l'enfant. Le gouvernement va dévoiler aujourd'hui un plan attendu, contre les violences faites aux enfants. Mais d'abord, un autre âge de la vie, le grand âge, revient à l'Assemblée aujourd'hui, l'examen d'une proposition de loi sur le bien vieillir, portée par la majorité présidentielle, on va en parler tout de suite. Mais vous avez annoncé il y a quelques jours, une loi de programmation pour le grand âge, c'est une promesse d'Emmanuel MACRON qui remonte au début de son premier quinquennat, qu'il a toujours suspendue ou reportée. Alors, cette loi de programmation, c'est vraiment sûr, et c'est pour quand ?
AURORE BERGE
Alors, c'est vraiment sûr, parce que de toute façon, le défi démographique, il est devant nous. Lui, il ne va pas se décaler ou se reporter, en 2030 il y aura 20 millions de personnes qui auront plus de 60 ans dans notre pays. Ce qui est très étonnant, c'est à quel point le discours, d'ailleurs, à cet égard, a profondément changé ; il y a 5 ans, 10 ans, on trouvait quand même que c'était formidable, formidable que notre espérance de vie augmente, formidable qu'on profite plus longtemps aussi de nos familles, c'est-à-dire de nos parents, de nos grands-parents, et puis progressivement, par de l'angoisse aussi que ça peut générer par rapport à la perte d'autonomie, par rapport à la dépendance, eh bien on voit finalement le grand âge comme une contrainte, comme une charge, comme une difficulté. Donc il faut qu'on arrive à faire les deux, qu'on arrive en effet à planifier, à programmer, à avoir une vraie trajectoire financière, c'est l'objet de la loi de programmation qui était…
NICOLAS DEMORAND
Alors, elle est pour quand ?
AURORE BERGE
Alors, moi, ce que je veux, c'est déjà qu'on ait une nouvelle méthode sur la manière avec laquelle on construit la loi. J'ai appris ça aussi en étant présidente de groupe à l'Assemblée nationale. C'est qu'on doit faire différent de ce qu'on faisait auparavant, et notamment dans la co-construction réelle, c'est-à-dire on n'arrive pas avec un projet de loi qui est déjà écrit et qu'on soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat. On l'écrit ensemble. En tout cas, moi, c'est ce que je veux proposer à l'ensemble des groupes représentés à l'Assemblée et au Sénat.
LEA SALAME
Et pourquoi il a été, on entend, et vous le dites, qu'effectivement le grand âge, on ne peut pas, le problème est là, devant nous. Pourquoi il a été reporté autant de fois ? Pourquoi ? D'une certaine manière, il passait, il n'était pas prioritaire ce projet de loi grand âge.
AURORE BERGE
Je pense qu'il y a eu d'autres, déjà il y a eu d'autres enjeux. Donc ça, après, il y a toujours des sujets de priorité, etc. Mais il y a eu aussi d'autres manières de le traiter. On l'a traité un peu d'un point de vue financier, budgétaire. On a créé ce qu'on appelle la cinquième branche. Ça peut paraître barbare ou très techno, mais en vérité, c'était aussi se donner les outils pour avoir des possibilités de financement. Et donc ça, on l'a fait. On a attribué une fraction de la CSG pour financer cette branche autonomie. C'est quand même 2,6 milliards d'euros, donc ce n'est pas rien. Maintenant, ce qu'il faut, c'est surtout donner…
LEA SALAME
L'idée, ce n'est pas de dire rien, c'est de dire à un candidat en 2017, qui dit : « ça va être une priorité, le grand âge c'est très important », et qui au fur et à mesure des années qui passent, estime que ce n'est pas forcément la priorité. Alors, certes, il y a d'autres priorités, il y a eu le Covid et tout ça, je ne dis pas, mais j'essaie de comprendre comment un sujet aussi brûlant passe en dessous de la pile.
AURORE BERGE
Eh bien, si on est un peu lucide, il est passé un peu en dessous de la pile de beaucoup de gens, y compris même médiatiquement. Je pense qu'il y a une forme de peut-être de déni, je ne sais pas, peut-être de déni individuel face à notre propre vieillissement, de déni collectif parce que c'est extrêmement violent et brutal de voir vieillir ceux qu'on aime, de voir vieillir ses proches, et donc finalement, on l'a assez peu traité. Regardez aussi la manière avec laquelle on parle des personnes âgées, même la pudeur sur les mots, les associations qui justement militent sur ces sujets-là, en ont ras le bol qu'on dise « personnes âgées », mais assumez, dites les vieux. Après tout, pourquoi avoir tant de pudeur ? Il y a eu un contre salon des vieilles et des vieux qui a été organisé, Laure ADLER, par exemple, y était. Donc il y a aussi cela, c'est-à-dire quel est le discours ambiant qu'on a. eh bien le discours ambiant, c'est que quand vous voulez montrer dans une émission une personne âgée, immédiatement la représentation que vous en avez, c'est une personne dépendante. Donc oui, il y a l'enjeu de la perte d'autonomie. Oui, il y a l'enjeu de la dépendance. Oui, il y a l'enjeu majeur du modèle économique de nos EHPAD, mais à la fin par exemple les EHPAD, ces 700 000 personnes versus 20 millions de personnes qui auront plus de 60 ans. Donc vous voyez, il y a aussi…
LEA SALAME
Et c'est un manque criant…
AURORE BERGE
... toute la société qu'on doit réussir à faire progresser culturellement sur ces sujets, et qu'on doit faire évoluer. Il ne faut pas qu'on limite ce seul sujet, comme on l'a trop souvent fait, à une question sanitaire ou à une question médico-sociale.
LEA SALAME
Mais Aurore BERGE, les associations disent fixer un cadre pour 2030, une loi de programmation pour 2030, très bien. Mais là, elles attendent des moyens et des moyens tout de suite.
AURORE BERGE
Il y a les moyens qu'on a mis déjà sur la table. Il y a, évidemment, je n'ignore pas la situation, notamment des EHPAD. La situation des EHPAD elle est extrêmement difficile. Extrêmement difficile parce qu'il y a des modèles économiques qui changent, extrêmement difficile, parce que beaucoup d'entre eux sont en déficit, parce qu'il y a eu de l'inflation. Malgré le bouclier énergétique, il y a eu aussi malgré tout une évolution des prix. Il y avait la nécessité de mieux rémunérer les professionnels. Mais ça veut dire que mieux rémunérer les professionnels, c'est aussi des coûts supplémentaires évidemment, pour les établissements. Il y a aussi le développement de nouvelles maladies, les maladies neurodégénératives qui sont de plus en plus prévalentes dans notre société. Donc ce n'est pas la même chose, si vous voulez. La conception des années 70 qu'on avait de l'EHPAD, un peu de cette maison de retraite, c'était : vous avez plus de 70 ans, vous allez en EHPAD. Déjà les plus de 70 ans, ils ont des vies extraordinairement différentes les unes des autres, et encore une fois, des niveaux de dépendance ou d'autonomie extrêmement différents. Donc c'est tout ce modèle qu'on doit réussir à repenser.
NICOLAS DEMORAND
En amont de l'examen de cette proposition de loi, vous avez présenté la stratégie interministérielle consacrée au bien vieillir : aménagement des logements grâce à Ma Prime Adapt', accessible dès 2024 aux plus de 70 ans. Accessibilité renforcée des gares mais aussi des enceintes sportives, accès à la culture. Les critiques sont dures, sur ces différents points. Le député socialiste Jérôme GUEDJ déplore un catalogue imprécis de mesures existantes. De même Yann LASNIER, délégué général de l'Association des Petits Frères des pauvres, qui regrette qu'il n'y ait rien de concret. Au Parisien, il dit : « Le dispositif n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Stop aux annonces Instagramables joliment présentées avec ministres sur estrade, mais pas efficaces ». Vous leur répondez quoi ?
AURORE BERGE
Déjà que c'est la première fois qu'il y a une stratégie interministérielle qui est présentée, c'est important, parce qu'il n'y a pas que le ministère des Solidarités et des Familles, ou que le ministère de la Santé par exemple, qui doit porter cette question, parce qu'on doit parler, parce qu'on doit parler logement, on doit parler mobilité, on doit parler culture, on doit parler sport, on doit parler citoyenneté, on doit parler environnement, bref, en fait c'est l'ensemble de la société qui doit se mettre au niveau, pour être en capacité, encore une fois, de faire face, c'est – encore une fois je le rappelle – plutôt une chance et une opportunité dans notre société de se dire que l'espérance vie va progresser.
LEA SALAME
Aurore BERGE, vous entendez ce qu'ils disent, ils disent que vous avez des catalogues, vous faites l'interministériel, il y a des mesures que vous annoncez, mais ils disent que, les associations disent que c'est des mesures sympathiques et cosmétiques, que le problème est tel aujourd'hui, où il y a un manque de bras dans les EHPAD, il y a un manque de bras d'aides à domicile, les métiers ne sont pas attractifs, les gens ne veulent pas y aller, que là, les petites mesurettes – c'est ce que disent les associations…
AURORE BERGE
Pas toutes les associations, vous en avez cité deux, je pourrai en citer bien d'autres qui eux se sont félicités…
LEA SALAME
Qui trouvent que c'est à la…
AURORE BERGE
Je pense à Arnaud ROBINET par exemple, chez Fédération Hospitalière de France, qui se félicite par exemple des annonces. Mais, au-delà encore une fois des critiques…
LEA SALAME
Mais vous entendez ce qu'on dit, c'est-à-dire qu'on a l'impression d'une montagne à faire et que, ils ne disent pas vous ne faites rien, ils disent c'est très peu.
AURORE BERGE
Eh bien il y a les deux, je suis désolée, mais il y a à la fois des mesures précises qui doivent être prises pour que, partout, que ce soit dans nos villes, dans nos villages, dans nos services publics, dans l'ensemble en fait des ministères, donc des opérateurs de l'Etat et des administrations, on se mette à niveau, c'est ça qu'on a présenté, c'est cette trajectoire qu'on donne. Il y a une loi de programmation, la loi de programmation elle va faire quoi ? elle va se dire, face au défi démographique, concrètement comment on fait, comment on fait avec les départements, parce qu'à la fin, au départ, c'était une compétence des départements la question de l'autonomie, donc comment les départements vont réussir à faire face, comment on garantit qu'on ait la même personne âgée, quel que soit le territoire dans lequel on est, qu'on va avoir le même niveau de prise en charge, le même type d'accompagnement, et comment on garantit d'avoir des professionnels en face.
LEA SALAME
Et comment on garantit d'avoir des professionnels en face, comment… il faut revaloriser ces métiers ?
AURORE BERGE
On a déjà revalorisé les métiers…
LEA SALAME
C'est suffisant ?
AURORE BERGE
Et il faut continuer à le faire, je pense en particulier aux aides à domicile. Les aides à domicile c'est le métier le plus féminin de notre pays, on ne dit pas 100 %, on dit 99 %, mais c'est aussi l'un des métiers où il y a le taux de pauvreté qui est le plus important, on est à 19 % de taux de pauvreté, pour plein de raisons, déjà parce que pendant longtemps ce n'était pas considéré comme des métiers, c'était les femmes avant qui occupaient ces fonctions-là, c'est les femmes qui s'occupaient de leurs parents, de leurs grands-parents, des personnes en situation de handicap, les personnes en perte d'autonomie, donc déjà on a mis du temps à reconnaître que, oui, c'était un métier, que oui c'était un métier qui était technique, moi je ne sais pas aller au domicile de quelqu'un pour le lever, pour le porter, pour l'accompagner, pour le doucher, et donc c'est métier qui nécessite aussi une meilleure rémunération. Aujourd'hui il y a un vrai problème qui existe sur ce métier où vous êtes en permanence à faire des temps de trajet, parce que vous allez d'un domicile à l'autre, et ces temps de trajet ils ne sont pas valorisés, c'est ce qu'on appelle des temps invisibles, mais enfin il n'y a pas que le temps où vous êtes aux côtés de la personne, il y a le temps aussi où vous y allez, c'est le seul métier dans notre pays où vous avez autant la nécessité de ce trajet…
LEA SALAME
Et alors, comment vous allez faire, comment vous…
AURORE BERGE
C'est de revoir la manière…
LEA SALAME
Les faits, effectivement ils ont été très bien décrits par François RUFFIN…
AURORE BERGE
C'est de revoir la manière avec laquelle…
LEA SALAME
Et Bruno BONNELL, de chez vous, de Renaissance, qui avaient fait tout un travail sur…
AURORE BERGE
Myriam EL-KHOMRI aussi, qui a beaucoup travaillé sur ce sujet récemment.
LEA SALAME
Oui, alors quoi ?
AURORE BERGE
Eh bien revoir la manière avec laquelle c'est financé. Aujourd'hui il y a une tarification qui est une tarification à l'heure, ça ne marche pas, d'ailleurs en général vous savez qu'on a fait des tarifications à l'acte, ou des tarifications à l'heure, ça s'est souvent retourné contre les professionnels, et donc contre la prise en charge des personnes, donc c'est ça évidemment qu'on doit revoir…
LEA SALAME
Quand ?
AURORE BERGE
En lien avec les départements.
LEA SALAME
Quand, comment ?
AURORE BERGE
Dès aujourd'hui, dans la proposition de loi qu'on examine, puisque je propose un amendement du gouvernement pour qu'on puisse, avec des départements pilotes, qui souhaitent s'engager à nos côtés, eh bien revoir cette tarification, parce que de toute façon c'est notre intérêt commun, on ne saura pas recruter si on ne valorise pas ces métiers dans la société et si donc on ne les reconnaît pas à leur juste valeur, y compris d'un point de vue budgétaire financier. (…)
source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2023