Texte intégral
APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Agnès FIRMIN-LE BODO. Vous êtes ministre, ministre déléguée en charge des Professions de santé et vous venez nous parler ce matin des mesures que vous avez prises pour mieux protéger les médecins et les infirmiers au travail. On le dit depuis ce matin, les chiffres de la délinquance ont été publiés par le ministère de l'Intérieur et finalement, il n'y a pas que les soignants qui en sont victimes. Les agressions sont en hausse et elles sont en hausse dans tous les secteurs et dans tous les territoires. Les médecins et les infirmiers agressés et les infirmières agressées ; ils le sont par qui ? Par les patients ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Ils le sont bien sûr par les patients en majorité. Ne pas nier aussi, et c'est tout le travail qui a été mené par Jean-Christophe MASSON et Nathalie NION qui ont travaillé depuis le mois de février (donc un médecin généraliste et un cadre à l'AP-HP). L'idée de ce plan que je vais développer dans les heures à venir. C'est bien de se dire qu'on doit considérer à la fois la médecine de ville et les soins de ville mais aussi les établissements hospitaliers. Donc cette violence est bien sûr en majorité due aux patients mais parfois aussi, une violence entre les professionnels eux-mêmes due à une certaine tension.
APOLLINE DE MALHERBE
Avant que vous nous disiez les mesures que vous apportez, ce constat : les agressions sont en hausse. Ces actes de violence avec pour cible les soignants, ils sont en hausse.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Elles sont en hausse depuis maintenant plusieurs années. L'Ordre des médecins, qui recueille les déclarations des médecins libéraux, constate une hausse de 21% en un an et il y a dans les établissements plus de 30 000 professionnels qui sont agressés dont 45% d'infirmiers. Donc il était important et urgent que nous puissions répondre à cette nécessité de protéger ceux qui nous soignent.
APOLLINE DE MALHERBE
Alors comment on les protège ? On les protège avec plus de formation, un bouton d'alerte, un délit spécifique. Est-ce que vous pouvez nous développer ces trois points ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Le travail qui a été fait, je le redis, par les professionnels de santé, tout le monde.…
APOLLINE DE MALHERBE
Ce sont eux qui vous ont fait remonter aussi la réalité sur le terrain dans les cabinets ou pendant leurs tournées.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Exactement. J'étais en début de nuit chez SOS Médecins à Paris et j'étais tout de suite là, ce matin avant de venir, au service des urgences en fin de nuit à l'hôpital de Versailles pour justement échanger encore avec ces professionnels de santé.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez passé la nuit avec les professionnels.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Voilà.
APOLLINE DE MALHERBE
Dans leur tournée de médecins et dans les hôpitaux.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Et à l'hôpital ce matin à Versailles, vraiment ces mesures se déclinent en trois grands axes : la première c'est sensibiliser et former. Sensibiliser nos concitoyens que la tolérance zéro doit être de mise ; on n'a pas le droit (peu importe l'endroit) mais on n'a pas le droit, j'allais dire, d'agresser ceux qui prennent soin de nous. Donc la tolérance zéro avec une grande campagne qui sera lancée dès le mois de novembre partout dans les hôpitaux. On voit souvent des affiches d'ailleurs sur la nécessité de protéger…
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, de respecter…
AGNES FIRMIN-LE BODO
De respecter d'abord et de protéger bien sûr ceux qui nous soignent. Dans les cabinets de ville aussi ; on voit bien que dans les maisons de santé, dans les centres de santé, les premiers professionnels agressés, ce sont les secrétaires qui sont à l'accueil. Donc la sensibilisation, la formation des professionnels à la gestion de l'agressivité. Comment on apprend à gérer quand on sent que l'agressivité vient ? Donc des formations seront…
APOLLINE DE MALHERBE
Des formations de quoi ? Vous leur apprenez le judo et le krav-maga ou ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Non, on va essayer de gérer l'agressivité, ce n'est pas rendre de l'agressivité.
APOLLINE DE MALHERBE
Non mais à un moment, il faut aussi qu'ils sachent se défendre presque, non ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Ça se gère et ça s'apprend. Et puis aussi former au secourisme sur la santé mentale. Il y a un brevet de secourisme de santé mentale et 150 000 professionnels vont être formés d'ici 2025. Ça, c'est le premier axe. Le deuxième axe, toujours dans un but de prévenir ces violences, c'est aussi comment lorsqu'on construit des bâtiments, on les pense aussi en termes de sécurité ? Là c'est quelque chose - et j'étais ce matin aux urgences de Versailles comme je vous le disais - on voit bien que la conception-même des bâtiments participe à la sécurité parce qu'elle participe de la gestion des flux.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous vous rendez compte où on en est ? C'est-à-dire que, pardon, je vous écoute madame la ministre et je me dis au fond « jusqu'à présent, vous vouliez être médecin, vous deviez vous former à la médecine. Vous deviez savoir soigner, savoir guérir » Désormais vous devez savoir vous protéger ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
C'est bien justement parce qu'on souhaite que ce sujet ne soit plus un sujet et que, j'allais dire, ne rentre pas dans les objets pour qu'on dise « je ne peux plus être médecin parce que ce doit me protéger » ; faire en sorte…
APOLLINE DE MALHERBE
C'est le cas ? Vous entendez des médecins ou des apprentis médecins qui se découragent ou qui craignent ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Certains craignent oui. Donc c'est bien pour ça qu'il faut répondre dès maintenant, donc la sécurité à la fois des établissements hospitaliers notamment les services d'urgence qui, lorsqu'ils ont été conçus il y a quelques années, ne sont pas faits pour gérer les flux. Les flux qui sont aussi de plus en plus nombreux donc qui créent forcément une certaine agressivité. Et puis, lorsqu'on conçoit une maison de Santé pluriprofessionnelle, eh bien aussi la concevoir en amont avec la possibilité de voir les flux bien organisés (peut-être mettre des caméras de vidéoprotection). Et puis l'enjeu du domicile, puisque j'ai eu l'occasion d'appeler plusieurs professionnels qui ont été victimes à domicile. La première chose qu'ils ont dit « mais personne ne savait où j'étais au moment où je me suis fait agresser. » Donc il y a des dispositifs qui existent d'alerte. A l'hôpital, ce matin…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire qu'ils doivent être protégés jusque chez eux, jusque dans leurs foyers ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Non, jusqu'au domicile du patient chez lequel ils vont.
APOLLINE DE MALHERBE
Quand ils se déplacent. Et on sait que déjà, il y a de moins en moins de médecins qui acceptent en effet de se déplacer et de faire des visites à domicile.
AGNES FIRMIN-LE BODO
Mais les infirmières.
APOLLINE DE MALHERBE
Si les infirmiers, les infirmières. Mais Agnès FIRMIN-LE BODO, à propos des bâtiments, vous avez dit « ils ne sont pas forcément faits pour gérer des flux de plus en plus nombreux. Et ces attentes génèrent également de l'agressivité ». Au fond, est-ce que... Je vais vous poser exactement la même question que j'ai posée aux au ministre du Service public, des fonctionnaires, qui se retrouve avec la même situation que vous, Stanislas GUERINI, et qui nous dit « je vais faire un plan pour sécuriser les agents ». Mais au fond, est-ce que le meilleur plan pour sécuriser les agents et pour qu'ils ne soient plus victimes d'agressions, ce n'est pas juste d'embaucher plus ? De résoudre les déserts médicaux ? En fait là, vous allez mettre un pansement sur une jambe de bois parce qu'effectivement, quand on attend, quand on a le sentiment qu'on ne va pas être soigné, quand on voit à Carhaix, qu'il y a, encore cette nuit, des parents qui disent que leur enfant de 6 mois est mort et qu'on ne sait pas s'il n'aurait pas pu être sauvé si les urgences étaient ouvertes. Je rappelle quand même que les urgences de Carhaix sont fermées depuis des mois maintenant alors qu'on promettait qu'elles rouvriraient. Elles sont fermées à 18h30 pour toute la nuit. Ce qu'est le problème, plutôt que de régler les bâtiments et de mettre des boutons d'alerte, c'est de ne pas mettre de plus de médecins ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Il y a deux choses : d'abord, la volonté de mettre des médecins est là. Je vous rappelle que la difficulté, c'est que nous n'avons pas les médecins formés, nous n'avons pas les infirmières formées pour les postes qui sont vacants.
APOLLINE DE MALHERBE
Je n'excuse pas l'agressivité mais je veux dire que le contexte en effet, vous-même vous le constatez, vous dites qu'il y a de plus en plus d'attente.
AGNES FIRMIN-LE BODO
C'est bien deux choses en même temps qu'il nous faut faire : c'est à la fois répondre à l'urgence. Si on veut fidéliser et si on veut donner envie aux jeunes de s'investir dans ces métiers, il faut bien qu'on prenne en compte ce sujet dont on déplore tous qu'il existe. Il existe pour les professions de santé, il existe pour les pompiers. Il y a peut-être un sujet plus global sur la violence dans notre société, sur l'éducation dans notre société. Ça, c'est un enjeu majeur mais permettez-moi de dire que, en tant que ministre des Professionnels de santé, je ne vais pas pouvoir le résoudre ce problème-là. Mon engagement, c'est de répondre aux professionnels de santé à l'instant T. On sait qu'il y a un problème, on y apporte des réponses ; le mieux c'est de prévenir. Et comment on les prévient ? C'est aussi pour travailler pour le futur ; les nouveaux bâtiments qui sont conçus, on essaie de les concevoir avec cette problématique qu'on connaît, on agit. Et puis, il y a aussi l'accompagnement (et c'est l'axe 3) avec la globalité garante de mesures, c'est aussi accompagner les victimes. Là aussi, on répond à une demande forte à la fois des professionnels libéraux. On va créer un délit d'outrage pour les professionnels libéraux, qui n'existe pas.
APOLLINE DE MALHERBE
Un délit d'outrage sur soignant ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Sur soignant. Ça n'existe pas donc on va le créer pour les professionnels libéraux.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y aura des sanctions adaptées ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Des sanctions adaptées. Et puis une demande très forte pour le coup des professionnels dans les établissements, c'est que le directeur d'établissement puisse (si le professionnel ne le souhaite pas, par peur des représailles) porter plainte au nom et place de l'agent. Donc ça c'est vraiment deux mesures qui étaient très attendues et qui seront mises en place rapidement.
APOLLINE DE MALHERBE
J'ai une question hyper concrète : vous, mais aussi François BRAUN quand il était encore ministre de la Santé, m'avez parlé d'un bouton d'alerte, notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Il y a qui au bout de ce bouton ? C'est-à-dire que si tout d'un coup, il arrive un truc, qu'on appuie sur le bouton d'alerte, ça fait quoi ?
AGNES FIRMIN-LE BODO
Alors je vous dis, ce matin, j'étais à l'hôpital de Versailles et j'ai vu l'agent d'accueil qui avait ce bouton autour du poignet. C'est-à-dire que dès qu'il y a un sentiment d'agressivité, d'insécurité qui monte, le professionnel appuie et tout de suite, il y a des professionnels autour qui viennent. Il existe aussi d'autres dispositifs...
APOLLINE DE MALHERBE
C'est une sorte de solidarité, il ne sera plus seul.
AGNES FIRMIN-LE BODO
C'est une solidarité, voilà.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire « venez en renfort ! »
AGNES FIRMIN-LE BODO
Oui. Il y a aussi d'autres dispositifs. Donc il y a ça, c'est la première alerte ; il y a la capacité d'envoyer un code avec un numéro qui est dédié et qui appelle tout de suite un autre un autre poste de sécurité. Et pour la médecine de ville, il existe aussi des dispositifs (SOS médecins par exemple) qui envoient des médecins chez des patients, géolocalisent les médecins et si au bout d'un certain temps, le médecin n'a pas bougé, il y a un appel qui se fait pour savoir si tout va bien. Et puis pour les professionnels qui iront à domicile, nous allons pouvoir, notamment avec les communautés pour les professionnels de santé, mettre à disposition ces boutons d'alerte aussi qui appellent et parfois qui enregistrent aussi la situation dans laquelle nous sommes.
APOLLINE DE MALHERBE
Merci Agnès FIRMIN-LE BODO d'avoir dévoilé sur RMC ce matin votre plan pour sécuriser davantage les soignants. Je rappelle que vous êtes la ministre déléguée en charge des Professions de santé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 novembre 2023