Texte intégral
Q - Bonjour, Laurence Boone, je le disais à l'instant, on va parler budget, mais juste avant l'info de la nuit : Javier Milei, nouveau président argentin ; il est ultra libéral, ultra droite, climato sceptique, Emmanuel Macron ne l'a pas encore félicité, est-ce qu'il compte le faire ?
R - Ecoutez, tout le monde vient de se réveiller. Mais oui, effectivement, il y a un nouveau président, il va falloir...
Q - Son surnom, c'est "el loco", "le fou", ça en dit beaucoup quand même sur ce personnage.
R - Je ne vais pas juger la personne, je ne crois pas qu'on soit en position de le faire. Il a changé beaucoup d'avis pendant la campagne, on ne sait pas vraiment ce qu'il veut faire. L'Argentine est dans une situation extrêmement difficile. Donc on ne peut que souhaiter le meilleur aux Argentins.
Q - Donc on attend le communiqué de félicitations d'Emmanuel Macron qui ne devrait pas tarder ?
R - Je ne sais pas, je n'étais pas avec lui ce matin.
Q - Hier, Bruno Le Maire a sonné la fin du "quoi qu'il en coûte" sur le budget. Or, la dette de la France, c'est 3000 milliards d'euros, c'est largement supérieur à l'Allemagne, c'est même largement supérieur à la moyenne des 19 pays de la zone euro. L'Europe veut maintenant que la France et tous les autres pays rentrent dans les clous budgétaires. Comment est-ce que la France va pouvoir respecter ces règles européennes ?
R - Nous sommes précisément en train de discuter de nouvelles règles européennes qui seront différentes de celles qu'on avait avant le COVID, avant la guerre en Ukraine ; on a changé de monde. Que visent ces règles ? Elles visent, non seulement, évidemment, à ne pas laisser une dette trop élevée à nos enfants, mais elle vise également à permettre les investissements et la croissance, et surtout que la trajectoire des finances publiques soit appropriée et spécifique à chaque pays. Et je le dis avec d'autant plus de conviction que c'est ce que je prônais quand j'étais secrétaire générale adjointe de l'OCDE.
Q - Oui, mais la France elle doit faire 12 milliards d'euros d'économies. Donc on entend qu'elle va vendre 25% de son immobilier d'Etat, qu'elle va réduire le chômage des seniors. Mais est-ce que clairement, à un moment, Bruno Le Maire va dire "oui, il faut passer par la rigueur" ? Pourquoi le mot n'est pas lâché ? Parce qu'on ne voit pas trop comment on peut atteindre les objectifs européens.
R - Bruno Le Maire l'a dit et l'a répété, encore ce weekend, - je suis sûre que vous l'avez vu - qu'effectivement nous n'étions plus dans la phase du COVID où il y avait un soutien très fort des finances publiques, de la puissance publique aux ménages et aux entreprises. Maintenant, on ne va pas non plus tout casser. L'objectif est d'arriver effectivement à passer d'un état où on dépensait beaucoup parce qu'il y avait une situation de crise à un état plus pérenne où les dépenses sont bien ciblées, de façon à favoriser la croissance et l'investissement. Je vais vous dire une chose, c'est extrêmement important qu'on arrive à des règles communes, parce que c'est la base de la confiance entre les 27 pays de l'Union européenne et c'est ce qui fait aussi qu'on peut qu'on peut s'endetter pour investir ensemble dans toutes les transitions, énergétique, numérique, et préparer notre avenir de demain. Ces règles sont la base de la confiance.
Q - Mais pour réussir à, encore une fois, rentrer dans les clous budgétaires européens, il va falloir en passer, oui ou non, par une phase de rigueur ?
R - Mais non, je n'appellerais pas cela rigueur ; quand on a 58% de PIB de dépenses publiques, vous ne pouvez pas parler de rigueur à ce moment-là. On réoriente, on cible et on fait des priorités. Et je vais vous dire aussi autre chose, si vous me le permettez : si on avait le même taux d'emploi en France qu'en Allemagne, on aurait une croissance beaucoup plus élevée et probablement un niveau de dette proche de celui de l'Allemagne.
Q - Mais là, le chômage, il prend plutôt une mauvaise pente.
R - Là, on est dans une période où vous avez vu un mois de chiffres et vous savez comme moi qu'un mois ne veut pas dire grand-chose. On n'a jamais eu un taux de chômage aussi bas, ni un taux d'emploi aussi élevé, depuis 40 ans.
Q - Est-ce qu'on frémit là, en attendant aussi la notation de l'Agence internationale Standard and Poor's qui risque de dégrader la France, ce serait une nouvelle déflagration ?
R - "Déflagration" vous aimez les mots forts le matin !
Q - Ce ne serait pas si grave ?
R - Il ne faut jamais dire que quelque chose n'est pas si grave. Nous avons une dette qui est ce qu'elle est. Il y a effectivement des dépenses à réorienter vers des priorités qui sont l'investissement, dans l'éducation -je l'ai dit - dans l'énergie, dans le numérique et l'innovation. C'est cela qui va faire notre croissance, c'est ce qui fera une France forte, et quand on le fait en Européens, c'est cela qui fera une Europe forte. Donc cela fait beaucoup de travail à faire, mais pas de déflagration.
Q - Il y a trois semaines, l'Union européenne a appelé à une trêve humanitaire à Gaza. La voix, elle porte peu puisque finalement on se rend compte qu'Israël continue son offensive ?
R - Vous ne pouvez pas vraiment dire cela. Vous savez bien et vous le voyez, tous les Etats - et à commencer par la France - en Europe, les Etats-Unis, appellent à des pauses humanitaires, qui doivent mener au cessez-le-feu ; mais d'abord, évidemment, à la libération des otages, je crois que c'est le point de concentration. Vous avez vu, ce weekend, Sébastien Lecornu qui est allé dans la région après Catherine Colonna. Le Président a, de nouveau, insisté là-dessus : il y a un équilibre très important à maintenir entre le soutien à Israël - qui a quand même vécu une attaque terroriste atroce et a le droit de se défendre - et les populations civiles à Gaza, tout en préservant la capacité et, je l'espère, la libération des otages.
Q - Mais on a senti un changement, ou en tout cas des voix dissonantes entre le président Macron, sur la BBC, qui appelle lui à un cessez-le-feu avec des mots extrêmement forts, y compris vis-à-vis d'Israël, et Olaf Scholz, le chancelier allemand, qui ne parle pas du tout de cessez-le-feu, lui. Est-ce qu'il n'y a pas, aujourd'hui, une cacophonie au sein de l'Europe et du couple [franco-allemand] ?
R - Alors, le couple, il travaille toujours ensemble ; il n'y a pas de cacophonie, il y a des positions qui peuvent avoir des nuances différentes. Mais je voudrais revenir sur la BBC. Ce que vous dites a été tronqué, cela a été montré quand on voit la séquence en entier. Ce que le Président de la République a dit, c'est qu'il voulait une pause humanitaire qui amènerait à un cessez-le-feu ; ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et vous savez comme les mots sont importants lorsqu'on parle de diplomatie. Olaf Scholz et le Président ont signé la même communication du Conseil européen, quand ils se sont réunis pour parler de cela. À nouveau, je crois que si on revient à l'essentiel, c'est : libération des otages, droit d'Israël à se défendre dans le respect du droit international, et respect de la protection des populations civiles, qui ne sont pas... dans cette affaire.
Q - Un dernier point sur ce dossier : sur ce dossier, l'Allemagne souhaite que Gaza soit placée sous mandat de l'ONU. Est-ce que la France soutient cette proposition allemande ?
R - La France a toujours dit qu'il fallait travailler à une solution à deux Etats, une solution politique, pour l'après-guerre. Et cette solution politique ne sera décidée ni par la France toute seule, ni par l'Allemagne toute seule, mais par l'ensemble des pays de la région, déjà, y compris Israël, et bien évidemment avec les Etats-Unis et tous ceux qui sont aujourd'hui, non pas des parties prenantes, mais ont un vrai intérêt à la stabilisation.
Q - Donc ce n'est pas vraiment une bonne option, ce... L'ONU ? ,
R - Je pense que les solutions politiques, on y travaille, et il n'y a pas à se prononcer aujourd'hui sur une option plutôt qu'une autre.
Q - Un mot aussi de ce qui se passe en Ukraine. Mi-décembre, les chefs d'Etat des Vingt-Sept vont devoir se mettre d'accord sur l'ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine. Ce week-end, Viktor Orban a été très clair : pour lui, c'est un refus net à l'ouverture de ces négociations. Or, la décision aussi, elle doit être prise à l'unanimité. Comment allez-vous faire pour contourner Viktor Orban ?
R - Mais Viktor Orban est toujours très clair avant qu'il arrive au Conseil européen, lorsqu'il s'exprime sur ses radios ou sur ses télévisions ; ensuite, comme vous le voyez, on prend toujours des décisions à l'unanimité : 12 paquets de sanctions, je le rappelle, contre la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine. Donc je relativiserais un peu...
Q - Donc il va se dégonfler ?
R - On ne peut pas exclure qu'il relativise ou change sa position, effectivement.
Q - L'Europe ne pourra pas non plus envoyer un million d'obus en Ukraine comme promis. Finalement, ce sera trois fois moins. D'une part, comment se fait-il que l'Europe ne tienne pas ses promesses ? Et puis, d'autre part, pourquoi est-ce que la France donne, elle aussi, si peu de munitions ? C'est une grande puissance militaire...
R - La première chose, c'est que l'Europe est là, depuis le début de la guerre, pour fournir du soutien humanitaire, financier, militaire et de la formation aussi aux soldats. À chaque fois que Volodymyr Zelensky a demandé du soutien et des armes qui étaient spécifiques à la situation, nous l'avons fourni. Il se trouve également que...
Q - Mais là, les munitions c'est moins que...
R - Oui, j'allais y venir, et je trouve également que cela fait 70 ans que nous vivons dans la paix, et que nos industriels de défense répondent à des demandes...
Q - Donc nous, on n'est pas passé en effort de guerre, alors que la Russie l'est.
R - Nous montons en capacités, et c'est bien tout le travail du Président, depuis deux ans, quand il martèle qu'il faut une Europe de la défense ; cela veut dire quoi ? Cela veut dire des capacités de production plus importantes au niveau européen, avec des financements européens pour acheter des équipements européens, et effectivement être plus à même non seulement de fournir à l'Ukraine, mais également de nous protéger nous-mêmes.
Q - Un mot, un dernier mot sur les européennes, c'est en en juin prochain. Il n'y a toujours pas de candidat pour être tête de liste à la tête de la majorité. Est-ce que vous, vous êtes candidate pour être justement tête de liste ?
R - Alors moi, j'aimerais que de temps en temps... d'abord, je vous remercie, parce que les médias qui parlent d'Europe, il n'y en a pas beaucoup. Donc merci beaucoup ! La deuxième chose, c'est que j'aimerais qu'on parle de fond, et pour l'instant le sujet...
Q - Mais est-ce que c'est quelque chose qui vous plairait, vous ? Parce qu'il y a le fond, mais il y a aussi la tête de gondole qui est importante... Si je peux me permettre...
R - Mais pour l'instant, en fait, je...oui, je vous remercie ; que vous considériez que je puisse être une tête de gondole est extrêmement flatteur, je vous en remercie...
Q - Et ça vous plairait ?
R - ... je crois qu'aujourd'hui, on a huit points d'écart avec le Rassemblement national. Un Rassemblement national...
Q - Eh bien justement, qu'est-ce que vous attendez pour donner une tête de liste ?
R - ... qui ne travaille pas au Parlement européen. Peut-être que c'est trop dur, cela pose des questions sur les Français. Je crois qu'aujourd'hui, ce qu'il faut faire, c'est que nous continuions de travailler, comme nous l'avons fait, puisque le Parlement, et je tiens ici à saluer les parlementaires européens de Renew, ont fait passer 95% de leurs textes...
Q - Bon... Donc, vous maintenez le suspens...
R - ... et beaucoup plus travaillé que le Rassemblement national...
Q - ..., mais pourquoi pas vous... ? En tout cas, l'idée vous... plairait ?
R - Je veux revenir tous les matins chez vous pour que vous me posiez la question.
Q - Bon, très bien. Bonne journée à vous.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 novembre 2023