Déclaration de Mme Laurence Boone, secrétaire d’État, chargée de l'Europe, sur les résultats du troisième sommet de la Communauté politique européenne, à l'Assemblée nationale le 7 novembre 2023.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Merci pour ces mots forts, prospectifs et précis sur tous les sujets qui nous concernent aujourd'hui. C'est un immense honneur de vous retrouver pour vous présenter les résultats du troisième sommet de la Communauté politique européenne, qui s'est tenu à Grenade le 5 octobre dernier. Bien entendu, nous pourrons également évoquer, puisque c'est votre souhait, les questions relatives à l'élargissement de l'Union européenne, qui ont notamment été abordées le lendemain de ce sommet.

Ce sommet ayant eu lieu juste avant les terribles attaques terroristes perpétrées par le Hamas contre Israël, le 7 octobre, nous avons presque l'impression de parler du monde d'avant. Néanmoins, l'objectif de la CPE, qui est de consolider le continent européen dans un monde plus dangereux, apparaît encore plus crucial au vu de ce qui se passe au Proche-Orient.

Après la Moldavie, où s'était déroulé le précédent sommet, le 1er juin, la Communauté politique européenne faisait donc son retour dans un pays de l'Union européenne, à la veille d'une réunion informelle du Conseil européen, comme il y a un an, à Prague. Ce retour s'est effectué dans un contexte européen tendu, huit jours après l'invasion du Haut-Karabagh par l'Azerbaïdjan. À ce propos, je suis très reconnaissante, comme l'est le Gouvernement, de la mobilisation de la représentation nationale, et en particulier de votre commission, pour soutenir l'Arménie. Je profite de cette occasion pour saluer, monsieur le président, la qualité du rapport d'information que vous avez bien voulu présenter à vos collègues au sujet de votre déplacement en Arménie, du 13 au 16 septembre.

Avant de revenir plus en détail sur le sommet de Grenade, au sujet duquel vous avez été un peu pessimiste, il faut rappeler que tous les pays membres de la CPE y étaient représentés, à l'exception du Danemark - pour des raisons parlementaires -, de l'Azerbaïdjan et de la Turquie. Comme l'a dit le Président de la République, nous avons regretté l'absence de ces deux derniers pays, puisque la CPE est précisément le lieu qui doit permettre de surmonter les crises régionales et d'évoquer entre leaders, d'une façon informelle mais sérieuse, les sujets les plus épineux. Hormis ces trois États, toute la famille européenne a pu marquer à nouveau, et à l'unanimité, son soutien au président Zelensky, pour échanger et promouvoir des initiatives sur des questions d'intérêt commun.

Concrètement, les échanges ont débuté par une séance plénière, au cours de laquelle Pedro Sanchez, Volodymyr Zelensky, Charles Michel et Ursula von der Leyen ont mis l'accent sur les défis communs auxquels nous sommes confrontés, à commencer par le soutien à l'Ukraine face à l'agression russe, nécessaire en raison tant de la géographie que de nos valeurs. Les interventions ont également porté sur l'architecture de sécurité européenne à venir, ainsi que sur les questions énergétiques et migratoires.

Ensuite ont eu lieu des tables rondes consacrées au multilatéralisme, à l'énergie, à la transition climatique et aux enjeux numériques.

Enfin - et c'est bien l'objet de la CPE -, beaucoup de temps a été réservé aux entretiens bilatéraux ou minilatéraux, permettant au Président de la République de s'entretenir notamment avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la présidente moldave Maia Sandu, la présidente kosovare Vjosa Osmani et le président serbe Aleksandar Vu?i?, ainsi qu'avec le premier ministre arménien Nikol Pachinian, en compagnie du président du Conseil européen Charles Michel et du chancelier allemand Olaf Scholz. Une réunion consacrée à la lutte contre les réseaux de passeurs et les migrations illégales a également été organisée par le premier ministre britannique Rishi Sunak et la présidente italienne Giorgia Meloni, à laquelle ont été associés la présidente von der Leyen, le premier ministre albanais Edi Rama et le premier ministre néerlandais Mark Rutte.

Malgré les circonstances politiques particulières que connaissait l'Espagne, le sommet de Grenade a prouvé sa pertinence et son utilité et démontré la nécessité d'échéances semestrielles. Nous sommes assez optimistes pour la suite, notamment pour ce qui est du sommet qui aura lieu outre-Manche au printemps prochain. Londres avait d'ailleurs manifesté son intérêt pour la CPE dès la première réunion, à Prague, intérêt auquel n'est pas étranger le fait que le Royaume-Uni ne soit plus membre de l'Union européenne.

Au cours de ce sommet, le Président de la République a pu suivre l'évolution des initiatives qu'il avait lancées à Chisinau en juin dernier, en matière de cybersécurité notamment. Une réserve cyber avait été lancée pour tous les pays de la CPE, afin de déployer rapidement des experts de confiance dans chaque pays victime d'une cyberattaque d'ampleur, comme on en voit chaque semaine. Les discussions progressent à Bruxelles pour soutenir financièrement cette initiative très concrète, qui devrait recueillir un accord au Conseil européen, puis au Parlement européen dans les prochains mois. L'Albanie, l'Estonie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, la Slovénie et l'Ukraine ont rejoint le dispositif et travaillent avec nous à sa mise en oeuvre.

Les événements nous rappellent qu'il faut encore et toujours renforcer le sentiment d'appartenance aux valeurs européennes et de citoyenneté européenne, en particulier auprès de la jeunesse. C'est le sens de la proposition du Président Macron d'étendre à tous les pays de la CPE le pass Interrail, qui permet aux jeunes de moins de 28 ans de découvrir l'Europe pendant quelques semaines et de faire des rencontres ; en somme, de se sentir européen. La Commission travaillera dans les prochains mois à sa concrétisation.

En ce qui concerne l'Ukraine, un point a été fait sur l'évolution de la situation sur le terrain et sur les besoins en matière d'armement et de formation. Tous les responsables européens, dont le Président de la République, ont réaffirmé leur soutien humanitaire, financier, économique et militaire, tant que nécessaire et jusqu'à ce que Kiev décide des conditions de la paix. Compte tenu de la situation aux États-Unis et des événements survenus au Haut-Karabagh et au Proche-Orient, cette réaffirmation est importante pour montrer à l'Ukraine qu'on ne l'oublie pas.

Il importait également de confirmer notre soutien à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Arménie dans ses frontières. C'est ce qu'a fait le Président de la République avec Charles Michel et Olaf Scholz lors d'une rencontre avec le premier ministre Nikol Pachinian.

Ils ont, en outre, annoncé un approfondissement des relations entre l'Union européenne et l'Arménie, ainsi que le renforcement de l'aide humanitaire. Comme vous, nous avons tous regretté que le président Ilham Aliev ait décidé de ne pas venir. Contrairement à ce qui a pu être dit, personne n'a refusé la participation de quiconque aux échanges tenus à Grenade, qu'il s'agisse du président azerbaïdjanais ou du président turc : ne croyez pas toujours la presse ! De fait, ce n'est pas notre approche de la résolution des crises régionales et c'est contraire à l'esprit même de la CPE, qui doit permettre, au contraire, d'avancer en appuyant les négociations menées à Bruxelles.

S'agissant de la Serbie et du Kosovo, la présidente de la République du Kosovo était présente mais une grande part des négociations se déroulent entre premiers ministres. Un suivi a d'ailleurs été assuré lors du dernier Conseil européen à Bruxelles, fin octobre. Il est important de rappeler que le dialogue se poursuit et que nous continuons d'avancer.

(M. le président Jean-Louis Bourlanges - Vous récusez donc le terme d'"essoufflement" que j'ai employé au sujet de la CPE ?)

Absolument !

Un autre sujet important abordé lors de ce sommet a été la question migratoire, quelques jours après les arrivées massives de migrants à Lampedusa. Il a été acté de renforcer et de structurer la coopération pour lutter contre les trafiquants d'êtres humains. Il s'agit d'adopter une approche plus globale et plus coordonnée, avec les pays d'origine et de transit, pour mener un véritable combat contre ce crime organisé.

Cette question sera encore au coeur du prochain sommet, qui se déroulera au printemps prochain au Royaume-Uni. La CPE est un bon format pour discuter avec de nombreux acteurs concernés, en complément de ce que nous faisons à Bruxelles dans le cadre du pacte sur la migration et l'asile, notamment parce que les passeurs transitent par les Balkans occidentaux. Nous avons déjà entamé un travail avec les Britanniques qui, grâce à la CPE, peuvent renouer des conversations à l'échelle du continent, qu'ils n'avaient plus depuis le Brexit. Je tiens à souligner à cet égard que le Royaume-Uni est confronté à des flux migratoires qui ont doublé depuis qu'il a quitté l'Union européenne.

Pour ce qui est de l'élargissement de l'Union européenne, le sommet de Grenade a été l'occasion de rappeler la nécessité stratégique de l'adhésion des Balkans occidentaux, de l'Ukraine et de la Moldavie à l'Union. Pour reprendre les mots que le Président de la République a prononcés à Bratislava le 31 mai dernier, la question n'est plus de savoir si l'élargissement doit se faire ni même quand, mais plutôt comment. Sur ces questions sensibles, parfois difficiles, il est très important pour nous de pouvoir bénéficier des travaux du Parlement, notamment de vos nombreuses propositions. Je tiens de nouveau à saluer, monsieur le président, la grande qualité de votre rapport sur les suites de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui m'a été cité à plusieurs reprises, lors de réunions publiques comme chez nos voisins européens.

Le rapport franco-allemand que vous avez évoqué avait pour vocation de susciter des réflexions dans toute l'Europe et d'inciter d'autres pays à réfléchir à la transformation de l'Union européenne en termes d'élargissement et de réforme, pour aboutir à l'Union européenne que nous souhaitons. Les retours ont été positifs, puisque nous avons reçu des propositions scandinaves, baltes et portugaises. Cependant, ce rapport n'est pas gouvernemental et ne présente pas la position du Gouvernement.

Pour ce qui est de la position du Gouvernement, ma conviction est que nous devons encourager les pays candidats à aller plus vite sur la voie de l'adhésion en accélérant le rythme des réformes. En effet, s'ils ne sont pas avec nous, ils seront avec les Russes ou avec les Chinois, et le plus dangereux pour l'Union européenne est qu'ils soient du mauvais côté de la barrière. Les propositions d'intégration graduelle formulées notamment par la France lors de la présidence de l'Union européenne, mais aussi par l'Autriche, sont un bon moyen de récompenser les progrès réalisés et d'inciter les pays candidats à accélérer le rythme des réformes. Ce processus est d'autant plus intéressant qu'il est réversible : un candidat qui régresserait dans ses réformes régresserait également sur le chemin de l'accession. Cette approche, accompagnée de conditionnalités très claires, doit être rendue opérationnelle par la Commission européenne, afin de pouvoir être mise en oeuvre rapidement avec les pays candidats.

Quant à nous, Européens, nous devons également nous préparer à cet élargissement et réfléchir aux réformes nécessaires pour que l'Union européenne fonctionne mieux dans les années à venir. L'Europe de demain devra être plus forte pour accueillir de nouveaux États membres dans les meilleures conditions possibles et devra s'appuyer davantage encore sur ses valeurs - l'État de droit - et ses intérêts - le marché unique. Elle devra aussi renforcer sa souveraineté et sa capacité d'action en réduisant, par exemple, ses dépendances vis-à-vis de pays qui les utilisent pour faire levier sur elle. C'est parce que l'on renforcera l'Europe économique que l'on renforcera sa capacité d'acteur géopolitique, ces deux aspects étant étroitement liés.

Je le répète, au risque de déplaire à certains : l'avenir de l'Ukraine, de la Moldavie et des Balkans occidentaux se trouve dans l'Union européenne et nous partageons avec ces pays une même communauté de destin. Nous attendons, demain, le rapport annuel de la Commission européenne sur le paquet "élargissement", qui fera le bilan des avancées et servira de base aux discussions que nous aurons dans la perspective du Conseil de décembre.

C'est à cette conclusion que sont parvenus les chefs d'État et de gouvernement des Vingt-Sept lors du Conseil européen informel de Grenade. Comme l'affirment les conclusions de cette réunion, nous devons travailler simultanément sur les réformes de l'Union européenne et sur la mise en oeuvre de l'élargissement, pour dessiner les contours d'une Europe plus forte, bastion de la démocratie dans un monde très tourmenté.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la France est un réel moteur de l'Union européenne car elle a conscience, d'une part, que pour être souverain dans le monde actuel, il faut s'appuyer sur une Europe forte et, d'autre part, que toute seule, elle n'ira pas très loin.

Enfin, je tiens à nouveau à remercier votre commission de débattre de toutes ces questions. Je me réjouis que les parlementaires français s'y intéressent et contribuent à ces réflexions au long cours.

(...)

R - Vous avez raison, les normes et les valeurs de l'Union européenne sont ce qui nous rassemble et seront le socle des critères prioritaires. La valeur première et sur laquelle tous les États membres se retrouvent unanimement lorsqu'il est question d'élargissement est l'État de droit, c'est-à-dire l'indépendance et l'impartialité de la justice, l'indépendance et la pluralité des médias, la lutte contre la corruption et des processus électoraux protégés des ingérences étrangères. Il s'agit du socle sur lequel repose notre Union européenne et c'est sur ces conditions que nous sommes le plus exigeants envers les pays candidats. Nous y avons d'ailleurs intérêt car plus l'État de droit est renforcé dans chacun des pays qui sont à nos frontières, moins nous aurons de soucis. Je rappelle en effet qu'un tiers environ des habitants de l'Union européenne vivent près d'une frontière.

Au-delà de l'acquis communautaire, nous attendons le plan de croissance que la Commission européenne dédie aux Balkans occidentaux et ce qu'elle entend consacrer à l'Ukraine et à la Moldavie, mécanisme qui ressemble beaucoup au plan de relance que les Européens ont instauré au lendemain de la crise de la Covid-19. Le principe en est très simple : soutien financier contre réformes, avec des jalons, des échéances et des dates butoirs très précis.

Surtout, le processus est désormais réversible. Ainsi, certains pays de l'Est faisant l'objet d'une procédure pour manquement à l'État de droit ne touchent pas les fonds européens, ce qui les incite à se remettre en ligne avec les normes européennes, notamment dans le domaine de la justice. Si donc nous constatons que l'État de droit recule, qu'une réforme de la justice diminue l'impartialité des juges ou que le politique essaie de se mêler des médias, nous retirerons des moyens financiers et ferons reculer les pays fautifs sur le chemin vers l'adhésion. Ce processus, incitatif sans être naïf, est parfaitement maîtrisé.

En ce qui concerne l'agriculture, la Commission européenne a engagé une revue des politiques européennes, qui devrait être rendue en mars 2024. Ce doit être la base de nos travaux quant à l'évolution de ces politiques dans la perspective de l'élargissement. Une ou deux législatures seront sans doute nécessaires pour y parvenir en toute transparence. À cette fin, des rendez-vous fréquents seront pris, non seulement avec le Parlement européen mais aussi avec votre commission et avec celle des affaires européennes.

(...)

R - Vous avez raison, il y a plusieurs risques. Le premier est le risque sécuritaire qu'il y aurait à laisser ces pays en dehors de tout espoir européen. En effet, la Russie et la Chine n'attendent que cela pour s'ingérer dans leurs affaires, en matière d'investissement dans des infrastructures non soutenables, en matière de désinformation et parfois, aussi, en matière de corruption. Pour lutter contre le risque sécuritaire, la meilleure des choses à faire est de leur demander de réformer leurs institutions. Et ce n'est pas parce que nous allons leur demander gentiment de le faire qu'ils le feront mais parce qu'ils auront la perspective de rejoindre l'Union européenne. Je rappelle, en outre, que ce processus ne se fait pas en un claquement de doigts mais qu'il nécessite des années.

Les risques sont aussi économiques. L'entrée dans l'Union européenne suppose une convergence et, quelles que soient les décisions politiques prises en décembre, elle ne se fera ni demain ni, probablement, dans cinq ans. Rien ne sert d'agiter la crainte d'un processus qui doit nous renforcer économiquement. Que préférez-vous : que nos entreprises continuent de se développer et de créer des emplois sur le sol européen, renforçant notre souveraineté européenne, ou que nous nous rétrécissions sur nous-mêmes et que ces entreprises aillent investir hors de l'Union européenne ? La convergence économique aura lieu au fur et à mesure de l'acquis communautaire et des échanges avec le marché unique, qui sont déjà d'actualité dans un certain nombre de secteurs.

Pour ce qui est des politiques européennes, vous ne formulez aucune suggestion de réforme. Nous serions pourtant très reconnaissants de recueillir les propositions de votre commission et de l'ensemble de la représentation nationale. Je viens de vous dire que nous allions revoir ces politiques pour les adapter au monde de demain et cela concerne évidemment les politiques de cohésion. L'article du Financial Times que vous citez - et qui, comme vous l'aurez certainement noté, ne s'appuie sur aucune source officielle - ne correspond à rien, puisqu'il ne prend pas en compte la réforme qui nous attend.

Pour conclure, nous pouvons nous recroqueviller dans notre coin, avec nos 65 millions d'habitants ou, au contraire, considérer que consolider nos frontières et amener les pays en question à notre niveau d'État de droit et de développement économique permettra, à terme, de vivre sur un continent stable et sûr, qui fera jeu égal avec les États-Unis et la Chine.

(...)

R - Je vais vous répondre méthodiquement car tout ce que vous dites est archifaux.

Commençons par le début : les conclusions du Conseil européen de la fin octobre ont rappelé la condamnation des attaques terroristes du Hamas et le droit d'Israël à se défendre, dans le respect du droit international et humanitaire ; elles ont demandé, également, la libération des otages, ainsi qu'une trêve dans la bande de Gaza. Je vous rappelle, en outre, la conférence humanitaire qui se tiendra demain à Paris.

Ensuite, l'Union européenne ne se mêle pas et n'a pas vocation à se mêler de tout. En ce qui concerne les droits LGBT, la France fait pression sur les pays qui ne les respectent pas mais ils ne sont pas inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Nous continuerons néanmoins de nous battre, parce qu'ils font partie de nos valeurs.

Quant à la prétendue austérité économique, elle donne envie de rigoler car l'évolution des dépenses publiques dans tous les pays de l'Union européenne depuis la crise de la Covid-19 démontre qu'elle n'existe pas. Cette crise a été admirablement gérée et les emplois ont été préservés : nous avons aujourd'hui le taux d'emploi le plus élevé depuis quatre décennies et le taux de chômage le plus bas.

Quant au populisme d'extrême droite, peut-être n'en avez-vous pas été informée, mais il a été défait en Espagne, où un nouveau gouvernement se met en place.

Enfin, que vaut votre injonction à faire une Europe sociale et une l'Europe de la paix quand vous ne voulez même pas du rattrapage économique des pays d'Europe de l'Est, au motif qu'ils feraient du dumping social ? C'est un peu choquant. Nous voulons, quant à nous, que tous les peuples européens, y compris ceux des pays candidats, aient le même niveau de vie, le même niveau de liberté de parole et le même niveau de démocratie, de respect, de dignité et de droits humains que chez nous. Je vous rappelle que dans certains pays, où la presse n'est pas libre, il n'est pas possible de dire ce que vous dites dans les rues.

(...)

R - En ce qui concerne l'Ukraine, vous avez raison. Le Conseil européen de fin octobre a du reste insisté sur le fait que l'Union européenne restait pleinement mobilisée pour soutenir l'Ukraine jusqu'à sa victoire et appliquer, quand elle le décidera, le plan de paix en huit points qu'elle a élaboré. L'Union européenne prépare également des engagements de sécurité envers l'Ukraine. Il faut en effet rappeler que la grande angoisse des pays de l'Est et des pays baltes est d'être les prochains sur la liste. Assurer la sécurité de l'Ukraine, c'est assurer leur sécurité et la nôtre. C'est la raison pour laquelle nous y travaillons déjà.

Il y aura lundi 13 novembre, à Bruxelles, un Conseil des affaires étrangères (CAE), qui permettra de renforcer ce que nous faisons déjà en matière de sécurité et de défense. Au-delà des 50 milliards d'euros déjà prévus, il y sera question de la consolidation de la Facilité européenne pour la paix (FEP), de la mission de formation des soldats ukrainiens dans toute l'Union européenne et de la cybersécurité, qui est au cœur de cette guerre et de notre démocratie.

La route des Balkans empruntée par les migrants et celle de la Méditerranée, qui est tout aussi importante, sont l'une et l'autre utilisées par les réseaux du crime organisé que j'ai évoqués tout à l'heure. La protection des frontières extérieures passe par un renforcement des discussions entre les pays du Nord et du Sud de la Méditerranée et avec ceux des Balkans. Parmi les points dont nous discutons avec les pays des Balkans, dans la perspective de leur adhésion à l'Union européenne, figurent des conditions d'alignement sur notre politique de sécurité vis-à-vis de l'Ukraine, sur l'application des sanctions et sur la politique des visas, qui commence d'ailleurs à porter ses fruits, puisque les flux migratoires à travers ces pays se réduisent. Nous contrôlons donc de mieux en mieux cette route des Balkans.

(...)

R - Pour répondre à votre deuxième question concernant les pays des Balkans, il est difficile de se prononcer avant la remise, demain, du rapport de la Commission, qui présentera une évaluation des progrès accomplis par les différents pays candidats à l'adhésion. Ce que je peux vous dire, c'est que la question de l'État de droit, que vous avez mentionnée à propos de la Pologne et de la Hongrie, est au cœur de toutes les discussions. Il s'agit, en effet, du point le plus important. Des mesures très dures ont été prises à l'encontre de ces deux pays, qui l'un et l'autre remettent en cause l'indépendance ou l'impartialité de la justice. Les membres de l'Union européenne ont pris conscience qu'ils devaient être encore plus exigeants, dans la durée, avec les pays qui veulent les rejoindre.

À cet égard, et au risque de me répéter - mais il est bon parfois de le faire -, la nouvelle méthode repose sur les mérites des candidats, mais aussi sur la réversibilité. Tous les États membres veulent maîtriser complètement ce processus d'adhésion, qui peut durer de dix à quinze ans. Pour ne pas décourager les candidats, nous proposons donc une intégration graduelle, qui leur permet de tirer bénéfice des progrès qu'ils accomplissent mais qui peut aussi les pénaliser s'ils régressent sur certains points.

Quant à l'Arménie, la France a été la première à clairement soutenir ce pays, en partie parce qu'elle abrite une population arménienne importante. Nous nous mobilisons, d'abord, à titre bilatéral : le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a ainsi reçu son homologue arménien à Paris pour signer un contrat d'aide militaire. Nous nous mobilisons, ensuite, au niveau européen, en demandant d'utiliser la Facilité européenne pour la paix - qui l'est déjà pour l'Ukraine - pour aider l'Arménie à assurer sa sécurité. Nous allons également renforcer la mission civile de l'Union européenne en Arménie (EUMA) en augmentant le nombre de personnels pour assurer la paix, à la frontière avec l'Azerbaïdjan. Aujourd'hui, le business as usual avec l'Azerbaïdjan est très clairement impossible et la France demandera des sanctions. Catherine Colonna, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, mobilisera ses partenaires en ce sens lors du Conseil des affaires étrangères du 13 novembre.

(...)

R - Il est vrai que le conflit en Arménie n'est pas gelé et c'est pour cela que des organisations comme la CPE sont importantes. Nous devons nous préparer à d'éventuelles actions de l'Azerbaïdjan et c'est également la raison pour laquelle la France est tant mobilisée pour que les Européens soient prêts, si cela devait arriver, à prendre des sanctions et à apporter du soutien militaire. Lorsque vous parlez de leadership, je peux vous assurer que notre pays est à l'avant-garde sur cette question arménienne, comme sur nombre d'autres sujets.

La Communauté politique européenne commence à dessiner sa propre personnalité, notamment parce qu'elle met tous les États membres sur un pied d'égalité, ce qui répond à un fort désir de la plupart des pays concernés. Lors de la première conférence intergouvernementale qui entérinait les perspectives d'une candidature de son pays à l'adhésion, le premier ministre albanais Edi Rama déclarait ainsi que les bons et mauvais points distribués durant le processus d'élargissement étaient politiquement nécessaires pour assurer la convergence mais pas très agréables. Au sein de la CPE, tous ces pays sont sur la photo et peuvent discuter entre eux avec le même poids, qu'il s'agisse de l'Albanie, du Royaume-Uni ou de la Pologne, et cela fait une énorme différence. Chacun peut, en outre, contribuer avec ses propres forces. Ainsi, mon homologue ukrainienne m'avait dit que son pays était à la pointe en matière de cybersécurité - ce que je crois volontiers, considérant ce qui leur arrive - et m'avait proposé de partager son expérience en la matière. Un an plus tard, la réserve cyber est mise en place. C'est là une illustration de cette forme de maturité que la CPE a atteinte.

(...)

R - La jeunesse doit être au cœur de la Communauté politique européenne car seule l'expérience de la citoyenneté européenne permet d'acquérir cette identité et ce sentiment d'appartenance. Nous avons beaucoup parlé de géopolitique mais l'un des objectifs de la CPE est de renforcer les liens entre les peuples, comme le demandait Mme Soudais, et entre les jeunes, grâce à la mobilité, aux échanges et aux rencontres, pour souder la famille européenne. À chaque réunion de la CPE, nous essayons de trouver des mesures très concrètes en faveur des jeunes et, plus largement, de la population. À Chisinau, nous avons ainsi pris des initiatives en faveur de la baisse des frais d'itinérance. Il y a aussi le pass Interrail, que vous avez mentionné, et le programme Erasmus, pour lequel les pays des Balkans, entre autres, souhaiteraient pouvoir bénéficier de labels européens pour leurs universités, à condition que celles-ci répondent à certaines exigences en matière d'éducation. Car tout le monde ne rêve pas de nous envahir et certains pays souhaitent, tout simplement, une croissance qui permettre à leurs citoyens de rester chez eux pour jouir de la prospérité.

Pour ce qui concerne Erasmus, nous pouvons demander à la Commission européenne de faire beaucoup plus, en termes budgétaires, pour aider au logement des Erasmus, notamment pour les apprentis et les élèves des lycées professionnels. Bien entendu, toutes vos suggestions sont les bienvenues.

(...)

R - Je le regrette profondément mais nous ne sommes pas d'accord.

L'OSCE, dont la Russie est membre, est bloquée depuis que ce pays a envahi l'Ukraine. En outre, elle n'est pas fondée sur des valeurs communes mais sur un objectif de sécurité. Du reste, le projet de la CPE, qui ne conditionne pas le fait de pouvoir se parler à des exigences en termes d'État de droit ou de valeurs, est lui aussi très différent du projet d'avenir et de destin qu'incarne l'Union européenne, laquelle en outre ne vise pas à une convergence par le bas, comme vous semblez le suggérer - ce que, je l'avoue, j'ai un peu mal pris -, mais bien à une convergence par le haut, avec un niveau de prospérité croissant pour tout le monde, qui permet de mieux distribuer. Je n'adhère pas du tout à la théorie du jeu à somme nulle à laquelle vous avez l'air de croire.

Par ailleurs, l'Union européenne n'est pas une fédération, comme l'exprime sa devise, Unis dans la diversité. Et puis, on n'y fait pas que parler : nous construisons ensemble. Je vous rappelle que si l'Union européenne a pour fondations l'État de droit, elle a aussi la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Ce pacte économique entre la France et l'Allemagne est en train de devenir un pacte politique, parce que le monde est dangereux et que nous devons faire entendre la voix de l'Europe.

C'est un fait que l'Europe est la région où se trouvent le plus grand nombre de citoyens au monde, qui vivent dans un espace démocratique et cherchent l'égalité entre les citoyens. Les États-Unis sont eux aussi démocratiques mais les inégalités y sont plus fortes ; quant à la Russie et à la Chine, vous conviendrez que ni la démocratie, ni l'égalité ne sont leurs caractéristiques premières.

Voilà le modèle que nous voulons construire, tout en assurant la sécurité de notre continent, comme vous l'avez dit vous-même. Il faut, pour y parvenir, que nous bâtissions des politiques communes, y compris en matière de défense, comme nous avons commencé à le faire.

(...)

R - Selon le règlement RTE-T qui est actuellement en vigueur, le port de Mayotte n'est pas inscrit dans le réseau global du RTE-T et n'est donc pas éligible aux financements européens du volet transports du mécanisme d'interconnexion en Europe.

À la demande des autorités françaises, l'inscription du port de Mayotte dans le réseau global du RTE-T est intégrée dans l'annexe 2 de la proposition initiale de la Commission sur la révision du règlement RTE-T. Ce règlement est en cours de négociation interinstitutionnelle.

De façon plus générale, la France est favorable à ce que la révision du règlement s'adapte aux contraintes et aux caractéristiques structurelles des RUP. Nous soutiendrons la position du Conseil qui prévoit des dérogations spécifiques relatives aux infrastructures de transport ferroviaire, notamment pour que l'obligation de relier les aéroports et les ports aux lignes ferroviaires et aux terminaux de fret multimodaux, ainsi que les dispositions afférentes, ne s'appliquent pas aux régions ultrapériphériques tant qu'aucun système ferroviaire n'existe sur le territoire.

Je suis à votre disposition pour en discuter plus précisément avec vous si vous le souhaitez.

(...)

R - Un tiers des Albanais ont en effet quitté leur pays au cours des dernières années. L'accord que l'Albanie et l'Italie ont signé est intéressant et s'inscrit dans la ligne des discussions sur les migrations qui ont eu lieu lors du sommet de la CPE de Grenade. Nous en étudions la légalité, afin de voir comment il peut être étendu, répliqué et appliqué par d'autres pays.

(...)

R - Faisons un peu de realpolitik. Tout d'abord, je suppose que vous savez que le processus d'adhésion de la Turquie est gelé. Ensuite, il ne vous a sans doute pas échappé que, sur les montants que vous avez évoqués, 3,5 milliards étaient destinés aux réfugiés qui venaient notamment de Syrie et étaient épuisés. Et comme je suis sûre que vous suivez avec attention les événements du Proche-Orient, je pense qu'il ne vous a pas échappé non plus qu'il s'agissait d'une région instable.

Lorsqu'elle est arrivée au pouvoir, la présidente du Conseil des ministres italien, Mme Giorgia Meloni, a expliqué qu'elle ferait, toute seule, un blocus naval et qu'elle parviendrait ainsi à freiner les vagues migratoires. Six mois plus tard environ, c'est elle-même qui a engagé les actions de l'Union européenne et de tous les États membres pour discuter avec les pays du Proche et du Moyen-Orient, parce que c'est la seule solution pour essayer de maîtriser les flux migratoires.

(...)

R - Je pense que votre langue a fourché car le Kosovo n'est pas reconnu par cinq des États membres de l'Union européenne mais par vingt-deux. Ce sont donc seulement cinq pays de l'Union qui ne le reconnaissent pas.

La France et le Président de la République sont particulièrement mobilisés sur une position dure à l'égard de la Serbie et du Kosovo en ce qui concerne la stabilité territoriale. Il est évident que les événements qui se sont déroulés au Nord du Kosovo sont un problème dans la perspective du processus d'adhésion. Il y aura donc des conditions de stabilité territoriale puisque, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous voulons que ce processus soit maîtrisé et que les pays que nous intégrons s'entendent entre eux. La position de la France est également très dure pour ce qui concerne les visas, avec la Serbie et avec le Kosovo, comme l'a rappelé le Président lors de sa visite en Albanie que Mme Clapot vient d'évoquer.

(...)

R - Ces annonces seront discutées lundi 13 novembre lors du Conseil des affaires générales et je ne peux donc pas, hélas, vous en dire plus que ce que j'ai dit précédemment. J'insiste, en revanche, sur le fait que la France est leader, qu'elle fait pression pour qu'il y ait des sanctions en cas de dérapages et pour que nous soyons prêts à fournir de l'aide militaire, si nécessaire. Il est en effet inadmissible que l'Azerbaïdjan ait planifié et organisé l'exode de plus de cent mille Arméniens.

(...)

R - Nous avons regretté les absences de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, qui n'étaient pas de notre fait. Ce sommet de la CPE a permis d'affirmer très clairement notre soutien au premier ministre arménien et de renouveler celui que nous apportons au président Zelensky, ce qu'il était important de faire dans la période actuelle. Cette réunion de Grenade a également permis de présenter un nouveau format en matière de migrations, très pratique et pragmatique. Enfin, c'est lors du sommet de la CPE de Prague qu'avait été lancée la mission européenne en Arménie. Ce sont des avancées concrètes, alors que je ne vous ai pas entendu faire la moindre proposition.

En ce qui concerne l'intégration à l'Union européenne, elle est basée sur le mérite et, croyez-moi, ces pays souverains - comme vous dites et comme je le crois - le comprennent très bien. Par exemple, le premier ministre albanais lui-même a dit, en présence du président de la République et de la presse, que son pays était prêt à avancer à une vitesse différente de celle de la Macédoine du Nord et qu'il lui fallait du temps - de cinq à dix ans - pour s'acculturer.

Ne le niez pas, madame, vous n'étiez pas présente ! Et ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui qui le revendique.

Quant aux financements et aux réformes, c'est le même schéma que le plan de relance : nous sommes un pays souverain et nous avons parfaitement bénéficié à la fois des financements et des réformes.

(...)

R - Evidemment, la CPE et l'Union européenne n'ont pas la même vocation. La CPE est un forum pour discuter et pour contribuer à résoudre des crises régionales. Celles-ci ne se règlent jamais en un claquement de doigts - il faut du temps - mais ce n'est pas une raison pour se résoudre à ne rien faire, à rester chacun chez soi et à subir.

S'agissant du Proche-Orient, il est important qu'il y ait eu une position commune au Conseil européen pour condamner les attentats terroristes du Hamas, pour dire qu'Israël avait le droit de se défendre dans le respect du droit humanitaire et pour demander la libération des otages. Quant aux votes divergents aux Nations Unies, ils s'expliquent, pour beaucoup, par l'histoire de chaque pays, notamment celle écrite pendant la seconde guerre mondiale.

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R - Pardonnez-moi mais je crois que votre langue a également fourché : la CPE n'est pas la Conférence mais la Communauté politique européenne. Ce n'est pas très grave.

Il est clair, depuis l'origine de la CPE, qu'elle n'a aucunement vocation à se substituer à l'élargissement, ce qui explique qu'on y trouve des pays qui, comme la Norvège, ne souhaitent pas intégrer l'Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni, qui l'a quittée et n'a pas l'intention d'y revenir, et bien d'autres. Certains pays ont même craint que la CPE ne soit créée pour remplacer l'élargissement mais c'est faux.

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R - Je rappelle tout d'abord que la France n'importe pas de gaz azerbaïdjanais. Le Président de la République n'a jamais été opposé aux sanctions, bien au contraire, comme je l'ai rappelé au début de mon intervention. Ces sanctions seront discutées lors du Conseil des affaires étrangères lundi prochain et vous comprendrez que je ne peux pas en dire plus aujourd'hui.

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R - Vous suggérez que les Etats européens ne sont pas suffisamment mobilisés. Certes, tout n'est pas parfait mais quelques nuances s'imposent.

Tout d'abord, des leaders européens, au sein du Conseil européen, se sont mobilisés dès le 15 octobre et ont adopté une position commune sur le Proche-Orient. Pour la première fois depuis plusieurs années, l'Europe s'exprime d'une seule voix sur cette question, sans veto de la Hongrie, ni de la Pologne.

Ensuite, il y a eu un triplement de l'aide humanitaire, qui a été contrôlée pour qu'elle ne profite pas aux terroristes du Hamas. Nous en avons toutes les garanties, qui sont à votre disposition.

Troisièmement, de nombreux responsables européens, dont Mme Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères - qui s'y est rendue deux fois -, se sont déplacés au Proche-Orient en vue d'éviter l'escalade régionale.

Enfin, mesdames et messieurs les députés du Rassemblement national, qui semblez inquiets quant à la réunion de la "famille européenne" - selon le mot de Mme Clapot -, le soutien exprimé par votre collègue Yaël Menache à l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne montre qu'il existe au moins un pays qui vous semble prêt à être intégré.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2023