Interview de M. Roland Lescure, ministre délégué, chargé de l'industrie, à LCI le 28 novembre 2023, sur la libération d'otages français à Gaza, le meurtre d'un jeune à Crépol, la régularisation des travailleurs en situation irrégulière et la réindustrialisation de la France.

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Média : LCI

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
8h30 sur LCI, et l'invité ce matin, c'est Roland LESCURE. Bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
Ministre en charge de l'industrie. On va beaucoup en parler ce matin. D'abord, bien sûr, un mot de cette bonne nouvelle : ces trois otages de nationalité française libérés par le Hamas hier soir. Le Président de la République s'est dit extrêmement heureux, mais aussi pleinement mobilisé. En effet, il reste cinq disparus français. À votre connaissance, la France a-t-elle des nouvelles de ces cinq disparus restants ?

ROLAND LESCURE
A ce stade, il faut rester extrêmement prudents. On est dans une phase où on a, je dirais, une espèce d'éclaircie bienvenue dans un monde très noir. Depuis le 7 octobre, on est dans une nuit sombre et là, depuis quelques jours, on a à la fois une trêve, la libération au total d'à peu près 70 otages, dont trois Français ; il en reste à peu près 170 aujourd'hui, dont vous l'avez dit cinq Français.

ADRIEN GINDRE
Vous dites, dont cinq Français, parce que d'après vos informations, ces cinq Français sont bien otages ? On emploie souvent le terme de " disparus " sans être tout à fait certain de leur sort.

ROLAND LESCURE
Non, mais on n'est pas totalement sûrs. Vous savez, cela a été dit d'ailleurs par le Premier ministre du Qatar, c'était un peu effrayant hier dans le Financial Times ; aujourd'hui, l'ensemble des otages ne sont pas localisés, ils ne sont pas tous détenus par le Hamas, ce qui rend d'ailleurs les négociations difficiles, sensibles. Parce qu'aujourd'hui, il y a trois acteurs qui négocient directement : le Hamas, Israël avec la médiation du Qatar. Mais il est très probable que d'autres acteurs soient impliqués dans la détention de certains otages.

ADRIEN GINDRE
Et donc, ces acteurs ne nous ont pas donné aujourd'hui de garanties sur le sort des cinq Français restants.

ROLAND LESCURE
Non. Tant que ce n'est pas fait, on n'a aucune garantie sur la libération et sur même la localisation de ces otages en question et ces disparus.

ADRIEN GINDRE
On suivra bien sûr cette information tout au long de la journée et en détails sur LCI. On va d'abord avec vous, Roland LESCURE, évoquer également ce drame qui s'est produit en France il y a une dizaine de jours : la mort du jeune Thomas dans la Drôme, 16 ans. Le porte-parole du Gouvernement, hier, s'est rendu sur place. Il a eu ces mots ; il parle d'un drame qui nous fait courir le risque d'un basculement de notre société. Est-ce que vous reprendriez ces termes à votre compte ?

ROLAND LESCURE
Non. En tout cas, c'est un drame d'une extrême violence qui concerne des jeunes, qui concerne un jeune visiblement heureux, qui joue au rugby, qui faisait la fête avec ses amis et qui meurt dans des circonstances horribles avec des coups de couteau.

ADRIEN GINDRE
Et avec quels risques derrière ? Parce que la question que pose Olivier VERAN ou la réponse qu'il tente d'apporter, c'est en quoi ce drame, à lui seul, est symptomatique de ce qui se passe dans notre société ? Basculement de notre société ?

ROLAND LESCURE
Oui. Je ne sais pas si c'est le drame qui est symptomatique aujourd'hui. Malheureusement, j'allais dire, des balles tragiques, il y en a eu tout au long des dernières décennies. Aujourd'hui, le meurtre est extrêmement violent et en plus certains (alors que la police fait son travail, que la Justice visiblement a commencé son travail et va le faire vite et bien, j'en suis convaincu) on a les gens qui se saisissent de ce drame pour porter, j'allais dire un autre programme.

ADRIEN GINDRE
Donc là, vous parlez notamment de l'extrême droite politique et de l'ultra droite qui a marché dans la rue ?

ROLAND LESCURE
De l'extrême droite qui a fait preuve de, je dirais, récupération malvenue. Mais je n'ai presque pas envie d'en parler parce que face à un drame de cette nature, je pense que notre objectif majeur doit être l'unité : l'unité derrière la famille, derrière les victimes, derrière cette ville qui vraiment ne méritait pas ça, et puis derrière la police et la Justice qui font leur travail. Donc les récupérations, elles sont déplacées. Malheureusement, ce n'est pas la première fois.

ADRIEN GINDRE
Vous n'êtes pas inquiet quand vous voyez des militants de l'ultra droite qui se défilent à Romans-sur-Isère ?

ROLAND LESCURE
Mais ce qui m'inquiète, c'est ça ; bien sûr.

ADRIEN GINDRE
Dans plusieurs villes de France.

ROLAND LESCURE
Bien sûr, ce sont des milices de l'ultra droite qui aujourd'hui, utilisent ce drame horrible comme prétexte pour porter un agenda raciste, violent, de soi-disant autodéfense qui n'en était pas une, qui porte au fond un slogan et une volonté d'attaques, qui rappelle des ratonnades. Pour le 7 octobre, on a parlé de pogrom. Évidemment, c'était un pogrom, c'était une attaque terroriste horrible. Et là, on se retrouve à parler de ratonnade. C'est vrai que quand on entend ces mots, quand on est de ma génération dont les parents ont vécu les uns et les autres, évidemment, c'est extrêmement glaçant. Après, je pense qu'il faut aussi rassurer tout le monde parce que la police a fait son travail de manière extrêmement efficace, que la Justice va le faire, et que face à ce type de drame, c'est avant tout à la police et à la Justice de faire leur travail. Et en aucun cas, des milices qui ne sont en aucun cas dans leur plein droit de porter un agenda de division, là encore de racisme qui doit être condamné là encore par tout le monde, j'espère.

ADRIEN GINDRE
Je précise que le ministre à l'Intérieur ce matin, a indiqué qu'il allait proposer la dissolution de trois nouveaux groupuscules d'extrême droite. " Je ne laisserai aucune milice ou autre faire la loi ", explique-t-il chez nos confrères de France Inter. Tout de même, Roland LESCURE, spontanément, vous-même, vous faites allusion au 7 octobre, au pogrom. Vous employez le mot de ratonnade. Il y a quelques jours, l'extrême droite dont vous parlez, Marion MARECHAL de Reconquête, évoquait une guerre ethnique, prémices de la guerre civile. Ça vous fait lever les yeux au ciel. Il n'y a pas de dimension ethnique dans ce qui se passe aujourd'hui ?

ROLAND LESCURE
Non. Certains essayent de la nourrir et c'est contre ça qu'il faut se battre. On se retrouve face à une violence réelle dans une société de l'immédiateté qui fait qu'en plus ce type de manifestation totalement inacceptable, on a vu ces derniers jours, sont nourris par des appels sur les réseaux sociaux. Donc il faut se lever contre ça. Mais en aucun cas, un responsable politique ne doit se nourrir et nourrir un discours de division de ces événements absolument inexplicables.

ADRIEN GINDRE
Mais quand le ministre de l'Intérieur, très vite, parle d'ensauvagement, le Président de la République, à nouveau très vite, de décivilisation. Est-ce qu'ils ne font pas, au contraire, précisément le constat qu'il y a un enjeu, un sujet à la suite de ce drame ?

ROLAND LESCURE
Non, parce que très vite, d'abord, un, il passe en mode solution institutionnelle (la police, la justice).

ADRIEN GINDRE
Mais ça suffit ?

ROLAND LESCURE
Non. On peut évidemment en tirer des conséquences, et notamment le ministre de l'Intérieur l'a fait, vous l'avez dit, en annonçant le processus de dissolution de trois organisations de l'ultra droite. Il faut être extrêmement ferme. Il faut en tirer les conséquences. Et moi, la manière dont je tire les conséquences de ces drames, c'est que j'essaie dans toutes mes interventions, de rassembler à la fois, de reconnaître la gravité d'un certain nombre de situations, mais d'essayer d'éviter, d'en tirer des leçons politiques qui sont des raccourcis, qui visent à diviser tout le monde et qui visent à nourrir un discours de haine dont certains continuent à se nourrir.

ADRIEN GINDRE
Mais est-ce que vous partagez l'idée qu'il y a un enjeu d'autorité que l'Etat, le Gouvernement que vous incarnez doit aujourd'hui rétablir une autorité qui serait émoussée en France ?

ROLAND LESCURE
Non. Moi, je pense qu'aujourd'hui, les défis de l'autorité sont pris à bras le corps, mais qu'ils sont importants et qu'il faut du coup continuer à les incarner, à les nourrir de moyens. On a mis plus de moyens dans la police et la Justice qu'aucun gouvernement précédemment, et qu'il faut ensuite, oui, tenir une main ferme mais une main juste. Et tous ces discours de haine qu'on voit aujourd'hui fleurir ici ou là sont des discours profondément injustes. Parce que quand vous faites des amalgames avec l'ethnie (je ne sais pas trop ce que ça veut dire l'ethnie), le prénom évidemment. Le ministre de l'Intérieur l'a dit également : les gamins qui sont aujourd'hui en prison, qui visiblement la justice tranchera, ont commis ce crime, sont français ou Italiens. Mais comme vous faites ces amalgames, mais évidemment, vous déplacez le sujet sur un sujet politique de division de haine. Alors qu'aujourd'hui, face à des drames de cibles, vous vous rendez compte que les déclarations auxquelles vous faites référence ont été prononcées par des responsables politiques alors que les obsèques du jeune Thomas n'avaient même pas eu lieu. C'est une honte. Moi, je suis à la fois pour la fermeté, je le répète, et pour la Justice. Et tous ces discours de division nous amènent évidemment, en tout cas ils le souhaitent, sur une voie du chaos, de la tension extrême, mais aussi de l'injustice profonde vis-à-vis de ceux qui font l'objet de cet amalgame.

ADRIEN GINDRE
Est-ce que ça ne nous amène pas aussi, Roland LESCURE, encore un peu plus proche de l'accession au pouvoir du Rassemblement national ? Encore un peu plus proche d'une victoire dans les urnes dans les prochaines européennes ? Quand on regarde les sondages, c'est quand même un peu frappant, il y a à peu près une dizaine de points d'écart aujourd'hui, entre le Rassemblement National et la majorité présidentielle. Hier, sur ce plateau, David PUJADAS recevait Aquilino MORELLE, qui vient de la même famille politique que vous initialement, plutôt la Gauche, le socialisme et il intitule son nouveau livre avec le sous-titre suivant : " Marine Le PEN, aux portes du pouvoir ". Est-ce que vous partagez cette idée ? Elle est aujourd'hui chaque jour un peu plus proche du pouvoir ?

ROLAND LESCURE
Moi, je vais faire tout pour que cette porte reste fermée et qu'on construise pas à pas une alternative à ce que certains voient comme une évidence. C'est vrai, vous l'avez dit, aux Pays-Bas, l'extrême-droite fait 30% des suffrages. Ça ne veut pas dire qu'ils ont le pouvoir, mais ils sont le premier parti d'extrême-droite.

ADRIEN GINDRE
En tête.

ROLAND LESCURE
En Argentine, on a vu une élection effectivement où quelqu'un qui se réclame en tout cas d'un populisme extrêmement conservateur, lui aussi élu. Moi, je suis convaincu qu'en continuant à agir sur l'autorité, sur la sécurité, mais aussi sur l'économie, l'industrie, pour moi, l'industrie est une arme anti-colère.

ADRIEN GINDRE
On va y venir.

ROLAND LESCURE
Le Front national, devenu le Rassemblement national, s'est nourri de la désindustrialisation. Dans des territoires aujourd'hui, on a perdu l'espoir. Quand une usine ouvre, c'est l'espoir qui renaît. Donc moi, je considère que tous les jours, mon job, c'est de faire renaître l'espoir et de faire diminuer la colère. Ce n'est pas une fatalité. Moi, je suis convaincu qu'en agissant, en redonnant espoir aux Françaises ou aux Français qui n'en ont plus, en rassemblant les gens, en essayant de porter comme je le fais un discours peut être un peu plus apaisé, dont je suis convaincu que les gens aujourd'hui ont besoin, ils ont envie qu'on leur donne de l'espoir et qu'on calme un peu le jeu.

ADRIEN GINDRE
Vos sujets, en l'occurrence l'industrie, sont intimement imbriqués, hasard du calendrier avec le projet de loi immigration, c'est la semaine de l'industrie cette semaine, c'est aussi la semaine où le projet de l'immigration est examiné en commission à l'Assemblée. Un mot sur ce texte ? L'un des points de crispation, c'est la question des métiers en tension, précisément de savoir comment est-ce qu'on va régulariser ou pas les travailleurs dans ces métiers ? Il se trouve que les sénateurs ont modifié le texte du Gouvernement puisqu'ils prévoyaient, dans leur version votée au Sénat, qu'à titre exceptionnel seulement ces régularisations puissent être soumises au préfet. A votre place, hier, Christian ESTROSI qui est vice-président d'Horizon, partie de votre majorité, disait aux députés qu'il fallait voter ce texte issu du Sénat. Est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce qu'il faut voter ce texte issu du Sénat ?

ROLAND LESCURE
Moi, j'ai totale confiance dans la capacité de l'Assemblée nationale à l'amender et à l'amener plus proche de ce qui, pour moi, est une évidence. Aujourd'hui, il y a des gens issus de l'immigration dont un certain nombre sont dans une situation irrégulière, en partie d'ailleurs parce qu'ils étaient réguliers et qu'ils n'ont pas eu la prolongation de leur titre de séjour, qui sont parfaitement intégrés dans la société française et qui font tourner l'économie française.

ADRIEN GINDRE
Mais le texte du Sénat ne l'empêche pas finalement ? C'est la « bonne surprise », entre guillemets, pour Gérald DARMANIN, il le permet à titre exceptionnel.

ROLAND LESCURE
Exactement. Et la manière dont je pense à l'amendement porté par le rapporteur général de ce texte, Florent BOUDIÉ, va faire évoluer ce texte, c'est qu'on aura une régularisation très probable, je dirais, pour les gens qui y sont intégrés et que les exceptions concerneront les gens qui sont certes au travail, mais qui, pour des raisons de comportement, par exemple violents, ont parlé tout à l'heure de la violence, donc de remise en cause de l'État de droit de manière flagrante, de polygamie et donc de risque culturel qui montre bien que ces gens-là ne sont pas intégrés à ce qu'on souhaite être de la société française qui, en passant, doit rester une société ouverte. La société française, elle s'est construite sur l'immigration et notamment l'immigration économique et le défi majeur de l'immigration aujourd'hui, c'est celui de l'intégration.

ADRIEN GINDRE
Mais vous voyez qu'aujourd'hui, c'est un sujet de crispation peut-être plus que par le passé ?

ROLAND LESCURE
Oui mais ça ne devrait pas, ça ne devrait pas, moi je suis… Je parle à des chefs d'entreprise tous les jours. La Banque publique d'investissement a fait une enquête auprès des chefs d'entreprises industrielles. Il y en a plus de la moitié d'entre eux qui recrutent des étrangers et qui vont continuer à le faire. Aucun d'entre eux n'a accepté d'être cité sur le fait qu'il va le faire ou qu'elle va le faire. Donc aujourd'hui, vous avez raison, on a une espèce de tabou, on se crispe sur un sujet l'immigration irrégulière qui crée des défis et de ce point de vue-là, le texte s'y attelle, mais l'intégration économique des migrants est une évidence qui permet de régler une partie des problèmes de l'immigration.

ADRIEN GINDRE
Peut-être aussi qu'il y a des crispations parce qu'il y a la crainte que les choses soient cachées. Est-ce qu'en Transparence, le Gouvernement est capable de dire combien de régularisations exactement ce texte doit entraîner ?

ROLAND LESCURE
Vous savez aujourd'hui combien il y a de régularisations du fait de ce qu'on appelle la circulaire VALLS ?

ADRIEN GINDRE
Dites-nous.

ROLAND LESCURE
il y en avait 7 000, il y en a 10 000 maintenant. Tous les ans, il y a à peu près 200 000 immigrés qui arrivent, en fait, il y en a 300 000 et 100 000 qui partent. Donc, au total, ça fait à peu près de 200 000 immigrés, essentiellement des réfugiés et des bénéficiaires du regroupement familial, sur lequel d'ailleurs on doit faire plus aussi pour l'intégration économique. 10 000, si on double, ce qui n'est sans doute pas là où on arrivera, si on doublait, on serait de 10 à 20 000, c'est-à-dire une goutte d'eau. Mais vraiment, on est loin du Grand Remplacement. On est loin du tsunami. On est en train de répondre à des besoins concrets de la part de chefs d'entreprises qui ont besoin de ces gens, qui s'en servent dans les restaurants, dans un certain nombre d'entreprises industrielles.

ADRIEN GINDRE
Mais à ces 20 000 là, si on va au bout de ce que vous venez d'exposer, il faut ajouter les familles, où on fait venir et on régularise les travailleurs seuls en laissant leurs familles dans leurs pays d'origine ?

ROLAND LESCURE
Non mais vous savez que le regroupement familial, ce n'est pas une obligation, ce n'est pas automatique et ce n'est pas immédiat.

ADRIEN GINDRE
Oui mais même chose, Roland LESCURE, si le Gouvernement veut pouvoir être clair et convaincre, il faut pouvoir aller jusqu'au bout de la logique. Combien de travailleurs régularisent tant et combien de familles supplémentaires ça va amener en France ?

ROLAND LESCURE
A priori, une dizaine de milliers par an, c'est-à-dire pas grand-chose. Il y a dans l'industrie, dans l'industrie, dans les dix ans qui viennent, il y a 800 à 900 000 personnes qui vont partir en retraite. Moi, je veux… Donc, au total de 1 300 000 personnes dans l'industrie. Si on forme un million de jeunes, c'est, mais vraiment mon rêve le plus fou. On a créé 100 000 emplois dans l'industrie, il faut qu'on en crée un million. Ensuite, il faudra sans doute aller chercher ailleurs des ingénieurs, des soudeurs, quelques personnes qualifiées qui, là encore, ne seront pas en train d'effacer la France, ils sont en train de l'enrichir, ils sont en train de la développer, ils sont en train de payer des cotisations et sont évidemment en train de la réindustrialiser. Donc moi j'essaye de calmer le jeu sur ce sujet comme sur tous les autres, de rajouter un peu de fait et vous avez raison de m'interroger sur les chiffres de manière à ce qu'on à ce qu'on sache de quoi on parle, parce que le fantasme, on en parle beaucoup, la réalité pas assez.

ADRIEN GINDRE
Les métiers que vous venez d'évoquer, vous me corrigez si je me trompe, mais ça passe notamment aujourd'hui par ce qu'on appelle le passeport talent, qui vise justement à certaines professions. L'un des reproches qui vous est fait ou qui est fait à ce dispositif, c'est aussi de dire : " Mais très bien, en fait, on est en train de piller de leurs compétences des pays qui ont besoin de leurs chercheurs, de leur médecins, de leurs ingénieurs et demain, ces pays seront affaiblis et nous devrons les aider, autant laisser les compétences là où elles se trouvent dans le pays et former, développer les nôtres ".

ROLAND LESCURE
C'est une vision, excusez-moi, je vais me lâcher un peu, mais un peu étriqué de ce que c'est que l'immigration aujourd'hui. Moi, j'ai vécu dix ans au Canada. Je suis revenu en France et je suis le plus heureux des ministres de l'industrie. Est-ce que mon passage au Canada a appauvri la France ou est-ce qu'au fond je me retrouve en rentrant en France peut être un peu plus riche au sens que j'apporte une expérience différente, notamment vis-à-vis d'immigration, vis à vis du financement, vis-à-vis de la décarbonation… Moi, je pense qu'effectivement mon passage à l'étranger m'a plutôt apporté des choses…

ADRIEN GINDRE
Mais vous êtes revenu dans votre pays d'origine, est-ce que vous dites que ces travailleurs ont vocation à retourner dans leur pays d'origine ?

ROLAND LESCURE
Ce n'est pas une vocation, c'est une possibilité. Aujourd'hui, les mobilités internationales ne sont plus ce qu'elles étaient. Dans les années 1960 - moi, j'ai grandi à Montreuil - On voyait arriver des immigrés qui venaient remplir nos usines. D'ailleurs, je pense qu'on doit aller aujourd'hui chercher les jeunes dans les cités pour qu'à nouveau ils puissent nourrir nos usines et les remplir. Mais à l'époque, ces gens arrivaient pour toujours dans une logique de développement, donc ils arrivaient, certains d'entre eux ne parlaient pas français, leurs enfants sont devenus infirmiers pour certains docteurs et leurs petits-enfants, aujourd'hui pour l'essentiel, sont parfaitement intégrés. Aujourd'hui, les mobilités, c'est beaucoup plus variable, certains viennent, d'autres repartent et d'autres s'intègrent et c'est très bien comme ça.

ADRIEN GINDRE
Vous avez vous même donné les chiffres, Roland LESCURE, ce qui interpelle, c'est qu'on se dit aujourd'hui en France, nous ne sommes pas en mesure d'attirer suffisamment de candidats, de volontaires dans l'industrie française. Nous ne sommes pas capables de former suffisamment de candidats pour remplir nos propres besoins ?

ROLAND LESCURE
Il faut qu'on fasse une révolution culturelle qui est en marche. On a réindustrialisé la France, en tout cas on a commencé. Aujourd'hui, on parle beaucoup plus d'industrie sur les plateaux. Je ne sais pas si j'aurais été invité ici il y a cinq ou dix ans pour parler de réindustrialisation. Il faut que cette révolution culturelle qui touche les médias, qui touche les experts, qui touche les politiques, elle se massifie. Il faut qu'on aille dans les banlieues par exemple chercher les jeunes. Aujourd'hui à Bercy, on organise le sommet de l'inclusion économique. Et je vais annoncer qu'on va nouer un partenariat avec une entreprise, qui est une association qui s'appelle MY JOB GLASSES, qui va délivrer 2 000 mentors, des jeunes, hommes et femmes qui travaillent dans l'industrie pour aller parler aux jeunes, leur parler de leur métier et les attirer dans l'industrie. Aujourd'hui, on a 7  de chômage en France, quinze, 20, 25…

ADRIEN GINDRE
7,4, ça a un peu remonté.

ROLAND LESCURE
Oui, 7,4 mais on a 15-20% de chômage dans les banlieues et on a des régions de France où on a 3% de chômage. Il faut qu'on aille chercher les talents là où ils sont et avant tout évidemment en France, qu'on les forme, qu'on leur donne envie. Donc c'est vrai que cette semaine, dans l'industrie, on a 5 500 événements partout en France, des usines qui s'ouvrent, des écoles. A Bercy, jeudi, on fait venir 1 500 jeunes rencontrer cinquante industriels. Gabriel ATTAL sera là, Bruno Le MAIRE sera là, on aura des ministres, qui sont…

ADRIEN GINDRE
Les ministres de l'Éducation et de l'Économie ?

ROLAND LESCURE
Exactement, parce que tout cela va ensemble.

ADRIEN GINDRE
Est-ce qu'il faudra aussi que les industriels acceptent de payer davantage ? Est-ce que l'industrie doit être attractive financièrement ?

ROLAND LESCURE
Alors en fait, c'est déjà le cas.

ADRIEN GINDRE
Il n'y a pas de problème d'attractivité salariale ?

ROLAND LESCURE
Il n'y a pas de problème d'attractivité salariale. Aujourd'hui dans l'industrie, on paye en moyenne 250 à 300 euros de plus par mois en moyenne. Mais surtout, quand vous entrez dans l'industrie en général, vous faites des carrières. Moi, je vois régulièrement des patrons de ligne de production qui sont entrés apprentis en manutention. Donc on peut faire carrière dans l'industrie, on peut voyager dans l'industrie. Il y a beaucoup de jeunes ingénieurs aujourd'hui qui partent vivre à l'international. Le défi, c'est un sujet d'image. Quand vous demandez à un jeune ce qu'il pense de l'industrie, il vous dit " l'industrie, c'est pénible. L'industrie, ça pollue. " Aujourd'hui, l'industrie, c'est la solution à la décarbonation. On va décarboner 50 sites qui représentent 60% des émissions de l'industrie.

ADRIEN GINDRE
Emmanuel MACRON a promis de l'aide publique de 5 à 10 milliards. Ce sera le cas ? Il y aura 10 milliards ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, on va (c'est ce que la Première ministre a dit la semaine dernière au Salon des maires) continuer à accompagner les industriels qui s'engagent. Avec eux, on est dans du donnant-donnant. On nous dit souvent " vous ne conditionnez pas assez les aides publiques ", là, c'est totalement conditionné. S'ils accélèrent leur décarbonation, nous, on accélérera l'accompagnement.

ADRIEN GINDRE
Mais on n'a pas la réponse sur les moyens.

ROLAND LESCURE
On verra les moyens et les montants.

ADRIEN GINDRE
Un dernier mot, Roland LESCURE, avant de terminer ; vous nous avez dit tout ce qu'il fallait faire sur l'industrie. On a le volet immigration qui est en cours. Et ensuite pour 2024, que fera le Gouvernement ? On entend Bruno LE MAIRE parler de toucher à l'assurance chômage pour les seniors, raccourcir la durée d'indemnisation. On entend Matignon dire qu'une réflexion est ouverte sur les ruptures conventionnelles pour diminuer la possibilité d'y recourir. L'horizon de 2024 pour le Gouvernement, c'est ça ? Moins d'assurance chômage, moins de rupture conventionnelle, moins, moins, moins ?

ROLAND LESCURE
C'est de continuer à tout faire pour atteindre le plein emploi. Il y a des défis encore sur le marché du travail. Vous avez mentionné certains, mais sur les seniors, c'est très simple. On a décalé l'âge de la retraite, il faut qu'on décale les mesures spécifiques sur les seniors de deux ans. Il y a des sujets sur le logement. Aujourd'hui, les jeunes qui trouvent un job à 500 kilomètres de chez eux, ils sont prêts à y aller, ils n'ont pas de logement. Et donc on travaille par exemple avec la BPI là encore, avec les foyers de jeunes travailleurs pour voir si pendant un an, on ne peut pas essayer de les accompagner de manière à trouver des logements. Il y a des sujets de mobilité. En fait, il faut faire feu de tout bois. Le plein emploi…

ADRIEN GINDRE
Feu de tout bois pour le plein emploi. Ce sera le mot d'ordre ?

ROLAND LESCURE
Exactement. Ce sera le mot d'ordre et le mot de la fin.

ADRIEN GINDRE
Le mot d'ordre pour 2024. Merci beaucoup, Roland LESCURE, d'avoir été sur LCI ce matin.

ROLAND LESCURE
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2023