Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la lutte contre le réchauffement climatique et la croissance économique, à Paris le 5 décembre 2023.

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Intervenant(s) : 
  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Rendez-vous de Bercy " Croissance et Climat "

Texte intégral


C'est la troisième édition des " rendez-vous de Bercy ", qui nous réunit pour essayer d'apporter ensemble un regard et des propositions aux défis de notre temps.

L'écologie n'est pas un choix politique, c'est une obligation humaine.

Nous avons cru pendant deux siècles que nous pouvions habiter la terre comme nous l'entendions : en exploitant les ressources, en détruisant la biodiversité, en émettant des gaz à effet de serre.

Aujourd'hui, ces choix rendent la terre de plus en plus inhospitalière. Ils sont même sur le point de la rendre inhabitable. Notre habitat devient inhabitable. C'est évidemment une perspective peu réjouissante.

1. Comme toute obligation, l'écologie est parfois difficile à mettre en pratique.

Elle contrarie ce que nous sommes profondément, c'est-à-dire des êtres libres.

Elle contrevient à notre passion pour l'habitude.

Car l'habitude, " aménageuse habile ", comme l'écrivait Marcel Proust, est ce qui rend vivable l'invivable, connu l'inconnu, confortable l'inconfortable.

C'est avec ces habitudes de consommation et de production qu'il faut rompre.

Cette rupture est d'autant plus difficile qu'elle doit se faire rapidement.

Le réchauffement est une menace immédiate :

- Les émissions mondiales ont augmenté de près de 70% depuis 1990 ;
- Le réchauffement constaté est déjà de +1,15°C au niveau mondial et +1,9°C en France hexagonale. Je rappelle que l'année 2022 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée dans notre pays ;

Cette rupture est d'autant plus difficile qu'elle a aussi un coût :

- Un coût qui pèse sur nos finances publiques ;
- Un coût qui remet en cause certains intérêt privés, notamment dans les énergies fossiles ;
- Un coût pour les ménages qui doivent par exemple adapter leurs logements ou changer leurs voitures...

Jamais dans l'histoire récente nos modèles politiques, économiques et sociaux n'auront été autant remis en cause.

Jamais nous n'avons eu autant besoin de la politique, au sens le plus noble du terme. La politique qui permet de dialoguer et de décider pour tracer un chemin collectif.

L'écologie nécessite de la politique, au sens le plus noble du terme.

2. Face à cette obligation humaine de préserver l'habitabilité de notre habitat, je vois deux attitudes dangereuses.

Première attitude, le déni : " Ne nous inquiétons pas ", " cela finira par s'arranger ", voire « tout cela n'existe pas ». Cette attitude revient à se voiler la face en invoquant de faux arguments scientifiques, qui contestent les faits établis.

Deuxième attitude, le catastrophisme, qui confine souvent à l'inaction : " Tout est déjà joué, nous arrivons trop tard ". Ces discours nourrissent l'anxiété climatique.

Entre ces deux attitudes il y a une autre voie : le volontarisme.

Agir méthodiquement, raisonnablement, scientifiquement, dans le temps long :

- Agir avec une méthode scientifique, pour être plus efficaces, car jamais la science n'a été aussi nécessaire ;
- Agir avec recul critique, pour évaluer nos résultats. Nous ne devons pas hésiter à abandonner ce qui n'a pas marché ou à reprendre ce qui a marché, comme le nucléaire. Car nous avons compris, sur la base d'éléments scientifiques, qu'il ne pouvait pas y avoir de succès sans l'énergie nucléaire ;
- Agir dans un cadre démocratique, conformément à nos valeurs fondamentales. Je le dis à tous ceux qui veulent imposer leur vérité : on n'impose rien à un peuple libre. Au nom du climat, on n'a pas le droit d'imposer aux gens des choses sans qu'ils ne puissent donner leur avis. On ne gagnera pas la bataille du climat contre la liberté du peuple.

3. Je mesure combien le ministre de l'Economie et des Finances a une responsabilité particulière.

L'économie et l'écologie ont la même racine. Elles renvoient à l'habitabilité de la terre par l'homme. Ce sont les deux faces d'une même médaille, celle de notre présence sur terre.

Elles sont au coeur d'une interrogation fondamentale qui traversent toutes les sociétés développées : celle du concept de croissance. La croissance pour quoi ? La croissance comment ? La croissance au service de qui ?

La croissance du XXIe siècle ne peut être celle du XXe siècle et encore moins du XIXe siècle.

La croissance ne peut plus être faite contre notre planète, dans une sorte de fuite en avant, un simple chiffre, un simple ratio. La croissance doit être construite avec la planète.

Il faut dès lors inventer une nouvelle croissance, plus innovante, plus respectueuse de la biodiversité, capable de ralentir le réchauffement climatique et capable de permettre des adaptations tout de suite. Car il est indispensable de faire ralentir le réchauffement et il est tout aussi indispensable de s'y adapter dès maintenant.

Cette nouvelle croissance est d'autant plus nécessaire que nous ouvrons sinon la voie à ceux qui prêchent la décroissance.

Je ne crois pas à cette idéologie de la décroissance et je la combattrai.

Elle est dangereuse, car elle conduit à l'appauvrissement, aux inégalités, au repli sur soi, à la perte de connaissances.

Est-ce que vous croyez vraiment que les Etats-Unis s'engageront dans la décroissance ? Que les pays en développement s'engageront dans la décroissance ?

Elle est fausse, car la France a prouvé que nous pouvions découpler croissance et émission de gaz à effet de serre. Entre 2005 et 2018, notre pays a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de près de 20% tandis que sa richesse nationale augmentait de 15%.

C'est donc possible et la France fait, de ce point de vue, figure de modèle. La France doit renouer avec ce qui est le coeur de sa culture : la raison, la science, l'esprit de conquête.

Elle doit être en tête des pays décarbonés en Europe en 2040.

Elle a le meilleur bilan, elle doit avoir la plus grande ambition.

Voilà le cadre, voilà l'enjeu, voilà la place que la France doit prendre.

Cette journée doit servir à tracer de premières pistes.

Et je suis heureux d'entamer la discussion avec Bill Gates.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 6 décembre 2023