Interview de M. Roland Lescure, ministre délégué, chargé de l'industrie, à Radio J le 4 décembre 2023, sur l'attaque terroriste à Paris, la sécurité des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, le conflit à Gaza et la réindustrialisation.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Roland LESCURE, bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue sur Radio J. Attentats samedi soir à Paris. L'agresseur était fiché S, ex-condamné, radicalisé. Est-ce que la police a raté quelque chose ?

ROLAND LESCURE
On peut se poser la question à chaque fois qu'il y a ce genre d'attentats. Ce qu'il faut reconnaître aussi, c'est que là, on avait une combinaison extrêmement délétère et très difficile à évaluer, qui était à la fois une personne radicalisée, vous l'avez dit, mais aussi quelqu'un qui visiblement avait une condition psychiatrique particulière.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que la deuxième n'est pas l'alibi de la première ?

ROLAND LESCURE
Non, moi je pense que, enfin, en tout cas, c'est les médecins et une enquête qui le dira. On avait la combinaison des deux et qu'il est très difficile dans ces cas extrêmement difficiles d'évaluer la dangerosité de la personne en question. Moi, quand j'entends monsieur BARDELLA, nous donner des leçons en disant : "Il suffisait de l'enfermer ", les pays dans lequel on enferme tous les malades mentaux… Je n'ai pas envie de vivre dans cela non plus. C'est vrai qu'aujourd'hui, on fait face à des situations très difficiles de radicalisés visiblement autonomes, solitaires, difficiles à intégrer. Donc, ils avaient été identifiés comme tel, il avait purgé sa peine, il avait suivi son traitement psychiatrique et visiblement, il était encore dangereux.

CHRISTOPHE BARBIER
Faut-il des injonctions de soins quand on a ce mélange radicalisation et psychiatrie ?

ROLAND LESCURE
Alors, il faut pouvoir sans doute le faire, en tout cas, aujourd'hui, c'est possible au sens où les médecins peuvent eux-mêmes le faire. La question qui se pose et qu'a posée Gérald DARMANIN, c'est : " Est-ce que le préfet peut lui même aller plus loin pour des raisons d'évaluation du danger public ? Et c'est compliqué parce que le préfet n'est pas lui-même en mesure d'évaluer la condition sanitaire de la personne en question. Donc, c'est sans doute une coopération entre, je dirais, la force publique et la préfecture et les médecins.

CHRISTOPHE BARBIER
Il avait lui-même déclaré avoir rompu avec toute forme de radicalisation, avoir renié l'islamisme. On est face à ce type de dissimulation, la déradicalisation, c'est impossible, en fait ?

ROLAND LESCURE
Non, moi, je crois, je crois à la capacité de la nature humaine à changer et notamment, évidemment avec des politiques proactives mais qui ne sont pas faciles parce qu'on sait bien qu'en prison - il y a passé quatre ans - C'est difficile de déradicaliser les gens et qu'on a aujourd'hui des réseaux sociaux qu'il faut évidemment surveiller de très près, mais qui sont difficiles à surveiller, dans lesquels des bulles peuvent se former. Et visiblement, cette personne était dans une bulle familiale extrêmement apaisée, ses parents n'étaient en aucun cas radicalisés, ils n'étaient même pas pratiquants et d'autres bulles, elles, beaucoup plus sur les réseaux sociaux.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous étiez à Hénin-Beaumont, vendredi dernier, 1er décembre avec Olivier VERAN, le Rassemblement national profite forcément d'une telle situation ?

ROLAND LESCURE
Moi, je pense qu'il faut éviter que ce soit le cas, parce qu'avec des solutions simplistes, je disais tout à l'heure, Jordan BARDELLA qui veut interner tous les malades mentaux, je n'ai pas envie de vivre dans un pays comme ça et c'est à nous de montrer qu'on a une alternative, alternative sur la sécurité et la protection des biens et des personnes et ce n'est pas facile aujourd'hui dans un environnement extrêmement tendu mais il faut continuer à le faire. On a renforcé les moyens de la police, on a renforcé les moyens de la justice, il faut continuer à s'assurer qu'on met toutes les chances de notre côté pour protéger les Françaises et les Français, mais aussi montrer qu'on est capable d'apporter des solutions économiques, sociales, redonner espoir à des territoires qui l'ont perdu, c'est pour ça qu'on était à Hénin-Beaumont avec Olivier VERAN, c'est pour ça que moi, j'ai fait 120-130 déplacements dans les territoires industriels depuis que j'ai été nommé ministre de l'Industrie. Une usine, quand on l'ouvre, c'est de l'espoir qui renaît. Moi, je suis convaincu que la réindustrialisation, c'est aussi un moyen de lutter de manière très concrète sur le terrain, contre les extrêmes, contre la colère.

CHRISTOPHE BARBIER
On voit, à côté de l'extrême droite politique se développer une ultra droite dans la rue avec un gourdin et parfois salut nazi, qu'est-ce qu'il faut faire ? On ne peut pas dissoudre, ce ne sont souvent même pas des associations, qu'est-ce qu'on peut faire ? Alors on peut dissoudre quand ce sont des associations dont on peut être extrêmement ferme et c'est le cas en arrêtant et en condamnant les gens qui sont, qui se livrent à ce genre d'exactions. Et puis, il ne faut surtout en aucun cas profiter de celle d'ultra-droite pour banaliser l'extrême droite. Ce n'est pas parce qu'il y a des gens qui font des choses horribles que ceux qui pensent des choses qui sont, de mon point de vue je dirais non fréquentables, ne doivent pas être mises à jour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et pourtant, c'est mécanique, Le PEN a déjà profité de…

ROLAND LESCURE
C'est pour ça que je le dis, c'est pour ça que je le dis. Je pense qu'il faut continuer à mettre à jour d'abord le fait que le Front national, désormais le Rassemblement national, n'a aucune, aucune solution économique pour le pays. J'ai vu hier dans un grand journal du dimanche que Jordan BARDELLA avait décidé de prendre des cours d'économie. J'allais dire, il est temps pour quelqu'un qui a volonté un jour de gouverner la France. Je pense qu'aujourd'hui, sur ce plan-là, et notamment sur le terrain, dans le concret, notre capacité à retrouver des jobs, à former les jeunes, à développer l'apprentissage, je le répète, à rouvrir les usines, tout ça, c'est extrêmement important. Et puis mettre à jour le fait qu'avec des solutions simplistes du type de celle que Jordan BARDELLA a apporté hier et avant-hier, on n'arrivera pas à sauver la France, on va la diviser, ça, c'est sûr qu'on ne va pas l'amener très loin.

CHRISTOPHE BARBIER
À 200 jours des Jeux olympiques, les partenaires industriels que vous rencontrez, qui sont mécènes ou sponsors dans le sport en général, est-ce qu'ils s'inquiètent ?

ROLAND LESCURE
Non, Je pense qu'ils sont évidemment conscients que c'est un événement sportif de taille mondiale, avec un risque du coup plus important que d'autres. Mais ils ont vu aussi que la Coupe du monde de rugby s'est bien passée, ils ont vu que, aujourd'hui, on prend un certain nombre de décisions pour lequel on a été critiqués la semaine dernière. Vous vous souvenez, sécuriser les zones…

CHRISTOPHE BARBIER
Le QR code…

ROLAND LESCURE
Le fameux QR code-là qui pouvait apparaître un peu kafkaïen qui d'un seul coup apparaisse somme toute une manière raisonnable de sécuriser les zones dans lesquelles on aura beaucoup de monde et dans lequel, évidemment, la cérémonie inaugurale se déroulera. Donc non, on met tout en place, en tout cas, quand je parle aux sponsors, aux industriels qui sont prêts à accompagner cet événement, aujourd'hui, ils sont plutôt très heureux de pouvoir le faire, assez enthousiaste et plutôt impatients de voir comment tout ça va se dérouler, je l'espère dans la joie, la bonne humeur, évidemment.

CHRISTOPHE BARBIER
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le président de la République a tancé Israël à la sortie de la COP28 en disant : « La bonne lutte contre le terrorisme n'est pas le bombardement systématique et permanent », c'est une rupture avec Jérusalem ?

ROLAND LESCURE
Non. Il a fait exactement ce que le ministère de la Défense américain a fait à quelques heures d'intervalle, c'est-à-dire que préciser des buts stratégiques, l'éradication du Hamas par exemple, c'est compliqué, des soldats du Hamas, il n'y en a pas qu'à Gaza, il n'y en a pas qu'à Israël, il y en a un peu partout dans le monde. La préservation des populations civiles, c'est exactement ce qu'a dit le ministre de la Défense américain qui lui, a combattu en Irak, dans des villes et il sait combien c'est compliqué de combattre des terroristes en protégeant les civils mais il dit quand même qu'il faut le faire parce que c'est la seule manière évidemment de gagner un conflit et Il ne faut jamais l'oublier qui est issu d'une attaque horrible. On n'oubliera jamais ce qui s'est passé le 7 octobre. On peut, aucun d'entre nous, se mettre à la place de ceux qui ont vécu ça directement ou dans les familles mais la seule manière de gagner cette guerre, sans nourrir des guerres futures, c'est de tout faire pour protéger les populations.

CHRISTOPHE BARBIER
Cibler les terroristes et essayer d'épargner les civils ?

ROLAND LESCURE
Ce qui est très difficile, je ne jette pas la pierre, c'est le cas de le dire malheureusement mais c'est très difficile mais c'est le lot des démocraties modernes. Et Israël est une grande démocratie moderne, il faut qu'elle le fasse, au risque de quoi on en prendra sans doute pour dix ans, comme l'a dit le président de la République.

CHRISTOPHE BARBIER
Parlons de votre portefeuille, l'Industrie, est-ce que vous considérez que la bataille est désormais gagnée, qu'il y a une sorte d'effet de seuil qui a été franchi ? La réindustrialisation de notre pays est irréversible ?

ROLAND LESCURE
Pour reprendre une citation célèbre : " La bataille a été gagnée, mais pas la guerre ". La réindustrialisation, c'est le travail d'une génération. Donc, la désindustrialisation a concerné une génération, la mienne, donc, je souhaite que les générations qui arrivent sur le marché du travail puissent trouver un job dans l'industrie, puissent réaliser que c'est bien payé, l'industrie, puissent réaliser qu'on peut y faire carrière et puissent réaliser, c'est très important, que l'industrie, c'est la manière efficace de décarboner la France. L'industrie, ça réconcilie économie, écologie, quand vous créez une usine verte, quand vous créez une usine de batteries électriques, de pompes à chaleur, quand vous décarbonez une aciérie traditionnelle, vous fabriquez l'avenir. Donc, mon job, c'est évidemment de s'assurer que ces usines ouvrent, mais aussi et surtout de convaincre les jeunes que l'industrie, c'est l'avenir de la nation française.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'il ne faut pas convaincre aussi les industriels de garder les vieux ? Les plus de 55 ans payés 90% pour une activité de 80% ? C'est ce que propose Bruno Le MAIRE, c'est la bonne solution ?

ROLAND LESCURE
En tout cas, c'est une bonne piste. Moi, j'ai 57 ans, je vois autour de moi des amis qui se retrouvent dans une situation difficile où, au fond, l'entreprise se dit : " Si je me débarrasse de lui, il est un peu émoussé, je vais recruter des jeunes moins chers " et la personne en question se dit, qu'au fond, parce que son travail dévalorisé : " J'ai peut-être intérêt à prendre un dispositif de préretraite ou quelque chose qui y ressemble ". Il faut changer ça, il faut changer ça. Il faut vraiment, collectivement qu'on réalise, notamment dans l'industrie, que des seniors, c'est un atout pour une entreprise, ils peuvent aller chercher des jeunes, les convaincre, aller dans les écoles, pourquoi pas faire de la formation, faire du mentorat. Donc ils ne sont peut-être pas aussi " productifs ", comme on dit, que des jeunes qui rejoindraient l'entreprise, mais ils peuvent apporter beaucoup. Et ça, je pense que c'est un changement de culture et qu'on a aussi un changement de mesures de politique à mettre en oeuvre.

CHRISTOPHE BARBIER
Il y a un peu de contraintes à mettre en pratique.

ROLAND LESCURE
Aujourd'hui, on a des incitations qui vont dans le mauvais sens. " Une entreprise a intérêt à se débarrasser d'un senior, et un senior a intérêt à quitter l'entreprise ". Il faut qu'on change ça, et à mon avis, c'est effectivement par des mesures du type que celle que Bruno Le MAIRE a mis sur la table qu'on y arrivera.

CHRISTOPHE BARBIER
Bruno Le MAIRE veut aussi que le recours contre un licenciement soit plus bref. On a un certain temps en France, 12 mois, je crois, c'est 2 mois ailleurs. C'est une mesure qui pourrait fâcher les syndicats.

ROLAND LESCURE
Oui, et je pense que Bruno Le MAIRE l'a dit d'ailleurs, et Olivier DUSSOPT évidemment le dira d'autant plus, c'est des mesures qu'il faut travailler avec les partenaires sociaux. L'essentiel de ces mesures doivent relever de la négociation sociale, mais à condition qu'on se mette d'accord sur l'objectif. Aujourd'hui, je le répète, il y a un peu un espèce d'intérêt commun à ce que les seniors arrêtent de travailler. Il faut qu'on se donne comme objectif commun, les partenaires sociaux, représentants des organisations patronales et syndicales, et le Gouvernement, de changer ça. Et ça va prendre des décisions pas faciles, il faut que tout le monde soit prêt à les prendre.

CHRISTOPHE BARBIER
L'assurance chômage a été l'objet de discussions pas faciles. Vous en sentez les bénéfices, déjà ?

ROLAND LESCURE
On le voit. On le voit. Aujourd'hui, on a un chômage qui a baissé. Il a, certes, monté un petit peu ces derniers mois, mais globalement, on continue à créer de l'emploi en France. Bien sûr, on a un des systèmes d'assurance chômage les plus bénéfiques, les plus favorables, les plus positifs au monde, et même en Europe. Maintenant, le fait de l'avoir rendu un peu plus flexible, un peu plus difficile parfois aussi pour certains, a permis de faire baisser le chômage comme on ne l'avait jamais connu en France, notamment pour les populations difficiles. Les jeunes et les seniors, ça commence à baisser.

CHRISTOPHE BARBIER
Une loi PACTE 2, c'est ce que voudrait rédiger Bruno Le MAIRE au prochain semestre. À quoi ça servirait dans l'industrie, par exemple ?

ROLAND LESCURE
Alors on a déjà voté pas mal de choses dans l'industrie. On a raccourci les délais d'instruction pour installer une usine ; on a voté un crédit d'impôt qui va permettre à l'industrie verte de s'installer plus facilement. On a aujourd'hui un alignement de l'Etat, des préfets, des régions, des départements pour l'industrie. Donc je pense que dans l'industrie, une bonne partie du boulot a été faite. Il y a encore un défi autour des recours, ce qu'on appelle les recours abusifs, quand on veut installer une usine, quand on veut parfois construire un logement, quand on veut construire une autoroute, on a tendance à avoir des recours qui se multiplient, qui font durer les procédures et qui rendent, du coup, les installations économiques plus difficiles. Donc ça, on peut encore faire des efforts. D'ailleurs, je pense que Bruno Le MAIRE l'a mentionné dans son interview.

CHRISTOPHE BARBIER
Et pour bien mener ce combat, aller au Parlement européen, ça ne vous intéresserait pas ?

ROLAND LESCURE
Moi, je suis très heureux là où je suis. Franchement, cette question, à ce stade, ne s'est pas posée. Mais je suis convaincu, en tout cas, et moi, je compte prendre ma part dans la campagne européenne, que l'Europe fait partie des solutions, et qu'il faut porter ça notamment dans une politique industrielle extrêmement ambitieuse. La souveraineté industrielle française, elle s'inscrit dans une souveraineté industrielle européenne.

CHRISTOPHE BARBIER
Roland LESCURE, merci et bonne journée !

ROLAND LESCURE
Merci.

Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2023