Texte intégral
M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le Ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour l'examen du volet environnemental du projet de loi de finances pour 2024, avec l'un des principaux protagonistes chargés du pilotage budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Vague de chaleur, sécheresses d'ampleur inédite, inondations et précipitations torrentielles, érosion côtière, incendies de forte intensité, dépérissement des forêts : les effets du changement climatique sont ressentis avec acuité par nos concitoyens. À côté des inégalités et du pouvoir d'achat, le rapport annuel sur l'état de la France en 2023 du Conseil économique, social et environnemental a souligné que l'éco-anxiété était une préoccupation majeure des Français. Des politiques publiques ambitieuses et volontaires en matière climatique et environnementale sont plus que jamais un impératif pour adapter notre pays à la hausse sans précédent des températures d'ici la fin du siècle.
Le gouvernement a pris acte de la nouvelle donne climatique et environnementale en instaurant un secrétariat général à la planification écologique, pour promouvoir une approche globale et transversal de l'action interministérielle et des politiques à la cohérence renforcée. C'est une démarche que nous saluons, car nous avons toujours considéré que l'environnement n'était pas une politique sectorielle, mais avait vocation à être pris en compte dans toutes les politiques.
Nous relevons à cet égard plusieurs motifs de satisfaction à l'analyse de ce projet de loi de finances : un « verdissement » du budget de l'État grâce à la baisse des dépenses défavorables à l'environnement, une augmentation significative des moyens budgétaires consacrés à la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ainsi qu'un renforcement du schéma d'emplois du ministère et des opérateurs sous tutelle, sans oublier une hausse du " Fonds vert " de 500 M€ pour décliner territorialement les ambitions. Ce projet de loi de finances se veut une réponse budgétaire aux multiples défis de la transition, qu'il s'agisse de la décarbonation, de la reconquête de la biodiversité, de la souveraineté énergétique ou encore du développement des mobilités durables.
Le défi de la territorialisation des politiques environnementales reste cependant à relever car les élus locaux sont toujours insuffisamment associés à la co-élaboration des chemins de transition avec les habitants. L'impact des activités économiques et industrielles doit être réduit, sans pénaliser la compétitivité de nos entreprises. L'atteinte de nos objectifs de sobriété foncière n'a toujours pas trouvé son modèle financier et fiscal. La prévention et l'indemnisation des risques naturels majeurs doivent changer d'échelle pour anticiper des événements majeurs et l'impossibilité d'assurer certains risques. La résilience hydrique doit encore être renforcée pour faire face à des étés où l'eau vient à manquer, dans les cours d'eau mais également au robinet.
Ces défis ne sont pas que budgétaires, ils reposent tout autant sur la cohérence de l'action de l'État et sur la coordination des efforts de tous les acteurs. Sur ce point, j'aimerais connaître votre méthodologie et vos stratégies de conviction pour rallier vos collègues ministres au bien-fondé de politiques climatiques et environnementales ambitieuses.
Si l'action publique ne saurait se ranger uniquement sous la bannière de l'environnement, comment peut-on limiter, autant que faire se peut, les effets néfastes sur le climat et la biodiversité des autres politiques publiques ? Quelle est votre réponse au climato-cynisme qui semble se développer au niveau international ? Comment faire de l'environnement une grande cause nationale, qui survive non seulement aux alternances politiques, mais également au poids croissant de la dette publique et à toutes les autres priorités publiques également légitimes ?
Au-delà de ces questions de méthode, mes interrogations portent sur le principe des " COP régionales ", imaginées dans le but de territorialiser les mesures de la planification écologique à une échelle plus fine et d'associer les collectivités cheffes de file en la matière. Pourriez-vous préciser ce que le gouvernement attend de ces concertations, parfois critiquées par les exécutifs régionaux comme trop descendantes, et la manière dont il envisage les sessions de travail ? Quelles traductions concrètes sont à espérer au terme des échanges et des débats entre l'État et les élus locaux ?
Comment maximiser l'effet levier du " Fonds vert " dans les territoires et faire en sorte que les sommes allouées aux maires permettent réellement de déclencher des décisions d'investissement pour préparer l'adaptation des territoires ? Pouvez-vous nous rassurer sur la pérennité de ce Fonds vert pour les années à venir ? Ce fonds a-t-il vocation à devenir la caisse de mutualisation budgétaire des dépenses en faveur de la transition écologique ?
Je ne serai pas plus long, je souhaitais amorcer le dialogue avec ces quelques questions préliminaires, avant de laisser la parole aux commissaires pour les traditionnelles séries de questions et de réponses.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. - Je tâcherai de calquer la durée de ma prise de parole sur la vôtre, afin de laisser un maximum de temps aux échanges. En décrivant par le détail les 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagements (AE) nouvelles prévues en 2024 ou en vous proposant un abécédaire, il me faudrait trop de temps pour arriver aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), aux zones de revitalisation rurale (ZRR) et à la stratégie zéro artificialisation nette (ZAN) qui intéressent de nombreux commissaires.
Nous examinons le projet de loi de finances pour 2024 mais certaines mesures ne figurent pas dans le texte budgétaire et feront l'objet de textes spécifiques, car si la transition écologique est bien sûr une question de moyens budgétaires, comme le rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz l'a montré, c'est aussi une question d'état d'esprit et de volonté.
Pour faire progresser les enjeux environnementaux en interministériel, les trois leviers principaux pour changer de d'échelle sont :
- la formation, pour comprendre les enjeux. Elle a été engagée pour les 25 000 principaux cadres de l'État et de nombreux acteurs ont contribué à l'animation de fresques du climat à leur échelle ;
- la planification, avec la création d'un secrétariat général rattaché à Matignon qui permet d'éviter que le ministre de la transition écologique ne s'emploie à proposer des stratégies qui ne seront pas mises en oeuvre par les autres ministres ;
- le chiffrage du coût de l'inaction, qui constitue un élément central de ma méthode.
Nous avons naturellement tendance à regarder le coût des mesures qui sont prises, mais à ne jamais considérer le coût de l'inaction. Par exemple, la sécheresse de l'été 2022 a coûté 2,5 milliards d'euros. Cette évaluation a permis de convaincre le Gouvernement de la nécessité d'augmenter le budget annuel des agences de l'eau de 475 M€ pour améliorer la résilience et lutter contre les fuites des réseaux.
Ce budget augmenté de 10 milliards d'euros d'AE conduit à une hausse de 15% des moyens du ministère. Ce chiffre est important car il ne faut pas uniquement examiner les crédits de paiement. Par exemple, sur le plan ferroviaire, la première année est consacrée aux études et les sommes payées sont faibles. Ce qui compte ce sont les projets qui sont initiés. Sur ces 10 milliards d'euros, 7 milliards sont pilotés par mon pôle ministériel et 3 par d'autres pôles. Les crédits sur la forêt relèvent ainsi du ministère de l'agriculture et les crédits pour la rénovation de l'immobilier de l'État d'un autre ministère.
Pour mener le combat contre le dérèglement climatique, il faut des femmes et des hommes. Le pôle ministériel de la transition écologique est celui qui a perdu, en pourcentage, le plus d'emplois, que ce soit en interne ou au travers de ses opérateurs, depuis 20 ans. Pour 2024, le budget prévoit la création nette de 760 postes, après la stabilité que j'avais obtenue en 2023. Une part de ces postes sera affectée au ministère, une autre aux opérateurs, comme l'Office français de la biodiversité (OFB), Météo-France qui bénéficiera de 25 postes supplémentaires après les 23 alloués cette année, l'Agence de la transition écologique (Ademe), ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
Les moyens budgétaires sont renforcés sur la rénovation énergétique. Celle-ci est bonne à la fois pour la fin du monde et pour la fin du mois et elle génère des emplois qui ne sont pas délocalisables. Elle bénéficie de 1,6 milliard d'euros, dont une part est fléchée vers le logement social de manière à accélérer les rénovations globales. Par ailleurs, le dispositif MaPrimeRénov' bénéficiera d'une refonte autour d'un pilier performance et d'un pilier efficacité.
En matière de logement, nous avons la volonté de nous appuyer sur le bâti existant et nous faciliterons la transformation de bureaux en logements. 3,5 millions de m2 sont concernés pour la seule région parisienne mais les projets se heurtent parfois à des problèmes réglementaires.
Nous avançons également sur les mobilités. Le plan vélo est doté de 200 M€, soit un quadruplement depuis 2018. Le verdissement du parc automobile sera encouragé, avec le déploiement, dans les prochains jours, du leasing social à 100 €. Conformément à la promesse du candidat Emmanuel Macron, entre 20 000 et 25 000 Français devraient pouvoir bénéficier de ce dispositif en 2024. Comme cela avait été demandé par plusieurs sénateurs l'année dernière, je précise que ce leasing social sera réservé aux voitures construites en France ou Europe. En effet, nous ne voulons pas que l'argent public soit utilisé pour soutenir la filière automobile chinoise. Les problèmes de disponibilité des véhicules expliquent que nous ne pourrons pas soutenir autant de ménages que nous l'aurions souhaité la première année.
Dans quelques jours, avant la fin du mois de novembre, nous présenterons avec Sarah El Haïry la stratégie nationale pour la biodiversité 2030. Aujourd'hui, quand nous parlons d'écologie, nous avons tendance à nous concentrer sur le climat car nous disposons du GIEC et d'un indicateur simple, avec les tonnes de CO2 rejetées. L'érosion de la biodiversité est plus complexe à mesurer parce qu'elle agrège de nombreux indicateurs. Même s'il existe l'équivalent du GIEC pour la biodiversité, avec la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), ce sujet est en effet plus complexe à suivre. Nous y consacrerons 800 M€ et aucun des 78 membres du Conseil national de la biodiversité n'a émis d'avis négatif par rapport à la future stratégie. 70 ont voté pour et 8 se sont abstenus, ce qui était loin d'être le résultat le plus probable.
Nous augmenterons également les moyens des agences de l'eau et nous allouerons des crédits complémentaires pour le fonds chaleur et 300 M€ supplémentaires à l'Ademe dont le budget s'élèvera à 800 M€, comme en 2023 où la trésorerie de l'agence avait été mise à contribution.
Enfin, je confirme que le " Fonds vert " est pérennisé et augmenté. Il passe de 2 à 2,5 milliards d'euros et les sommes à la disposition des préfets augmentent encore plus que ces 500 M€ laissent présager. En 2023, le fonds comportait 1,5 milliard d'euros à la main des préfets et 500 M€ de recyclage de l'excédent de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de 2022 par rapport à la trajectoire triennale permettant de calculer le niveau de compensation de TVA dans le panier de recettes des collectivités territoriales. Le fonds est désormais totalement à la main des préfets, sans appel à projets ni appel à manifestations d'intérêt. Il a rencontré en 2023 un succès au-delà de nos espérances. Plus de 8 000 communes auront bénéficié en 2023 d'une subvention dans le cadre du Fonds vert, générant l'équivalent de 10 milliards d'euros d'investissements dans la transition écologique, pas très loin de l'estimation de l'institut de l'Économie pour le Climat (I4CE) chiffrant à 12,5 milliards d'euros la part des collectivités sur une part globale de 33 milliards d'euros.
Sur la diplomatie environnementale, pour paraphraser un célèbre théologien, nous devons faire comme si tout dépendait de nous et de nous uniquement, et par conséquent nous concentrer sur ce que nous pouvons faire à l'échelle de la France, sans oublier qu'un certain nombre d'éléments s'agencent sur le plan mondial. Les chiffres publiés aujourd'hui sur les émissions de gaz à effet de serre témoignent du chemin restant à parcourir. La France continue à baisser ses émissions. Après une moyenne d'un peu plus de 2% au cours des six dernières années, la trajectoire sur les deux premiers trimestres 2023 est de 4,7%. Elle correspond au doublement nécessaire pour atteindre les objectifs prévus par la planification.
Vous m'avez interrogé sur la façon d'associer l'ensemble du pays et sur l'esprit et la méthodologie des COP régionales. En matière d'écologie, nous assistons à la montée de deux types de populisme. Le climato-scepticisme n'a pas disparu et trouve une belle résurgence sur les réseaux sociaux où certains expliquent qu'il n'y a pas de problème de sécheresse parce qu'il pleut, ni de problème de réchauffement parce qu'il a fait froid pendant une journée. Ce courant se demande si nous n'en faisons pas trop. Parallèlement, d'autres considèrent que nous ne faisons rien. C'est une forme de climato-défaitisme, qui affirme que si nous laissons une route se construire dans le pays, il n'y a pas de planification écologique, et que si nous n'interdisons pas les jets, c'est la preuve que nous n'avons aucune ambition environnementale.
Si nous ne sommes pas capables de sortir de ces postures, qui sont des impasses, nous oublions que ce qui inquiète nos concitoyens, ce sont ces temps incertains, la multiplication de catastrophes, les conséquences des intempéries dans la Vésubie ou dans le Pas-de-Calais, bien plus que de la mise en place des dispositifs qui les protégeront, même si nous avons vocation à les assouplir. Associer le pays et les citoyens, c'est sortir de ces postures et ne pas laisser les extrêmes monopoliser ce débat, c'est être capable de montrer qu'il y a un chemin qui permet de faire rimer écologie avec économie, et qu'il existe une méthode grâce à laquelle l'écologie n'est pas le prétexte pour taxer ou pour interdire, mais une manière de défendre notre identité et notre souveraineté. C'est aussi une façon de montrer qu'elle contribue à la défense de nos modes de vie et de la capacité que nous avons à laisser à nos enfants un monde qui soit le plus vivable possible. C'est mon obsession ! Pour convaincre, j'ai entamé un tour de France. J'ai participé à 7 débats qui ont réuni à chaque fois plus de 250 citoyens pendant au moins deux heures et demie, avec des questions aussi diverses que les éoliennes off-shore, les passoires énergétiques, la mise en place des ZFE, la complexité du ZAN, mais aussi des sujets de tous les jours, comme ce gérant de station de lavage qui ne peut pas travailler à cause d'un arrêté sécheresse ou agriculteur qui s'interroge sur les injonctions contradictoires au titre de la viande et du stockage dans les prairies. Vous connaissez ces sujets par coeur, vous les rencontrez dans vos départements, vous en êtes les porte-voix fidèles quand vous vous exprimez dans l'hémicycle et je me réjouis de répondre à vos questions.
M. Pascal Martin, rapporteur. - Rapporteur des crédits sur la prévention des risques, ma première question porte sur les moyens dédiés à l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). En 2022, dans le cadre d'un rapport d'information au titre du droit de suite de la commission d'enquête Lubrizol, j'avais alerté sur le non-respect des engagements pris par l'État à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol. En 2019, le gouvernement s'était engagé à augmenter de 50% les contrôles de sites ICPE d'ici 2022 pour atteindre 27 000 contrôles par an. En 2022, seuls 22 800 contrôles ont été effectués, ce qui est bien en-deçà de l'objectif. Prenant acte de cette situation, le projet de loi de finances pour 2024 repousse cet objectif de 27 000 contrôles à 2027. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d'être sceptique sur la capacité du Gouvernement à atteindre cet objectif en 2027. Les effectifs réels de l'inspection restent stables en raison d'un manque d'attractivité, malgré la création d'une cinquantaine de postes depuis 2020.
L'inspection est également confrontée à un nouveau défi, l'adaptation aux changements de procédure de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, qui exigent, dans le cadre de l'examen de l'autorisation environnementale, un dialogue approfondi entre porteur de projet et administration en amont du dépôt de dossier. Comment expliquez-vous ce report d'objectif ? Quels moyens allez-vous consacrer d'ici 2027 à la montée en puissance des contrôles ICPE ?
Je souhaite également vous interroger sur le bilan des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), créés il y a maintenant vingt ans à la suite de l'accident de l'usine AZF, pour protéger les populations situées à proximité des sites industriels.
L'association Amaris, qui réunit les collectivités accueillant sur leur territoire des activités générant des risques industriels majeurs, dresse un bilan mitigé du dispositif dans un rapport de septembre 2023. Faute de financements adéquats et par manque d'information, 75% des logements privés exposés n'ont fait l'objet d'aucuns travaux de mise en sécurité et seulement 62% des mesures foncières d'expropriation ou de délaissement ont été réalisées.
Dans un contexte de réindustrialisation nécessaire pour notre souveraineté comme pour la transition écologique, la protection des riverains conditionnera l'acceptabilité locale des nouveaux projets industriels. Partagez-vous le constat d'Amaris soulignant que les PPRT n'ont pas atteint leurs objectifs ?
Enfin, je souhaite vous interroger sur un sujet particulièrement d'actualité, le risque inondation. L'année dernière, dans le cadre de l'avis budgétaire sur les crédits relatifs à la prévention des risques, j'avais insisté sur la nécessité, dans le contexte du dérèglement climatique, de donner une priorité aux mesures de prévention du risque inondation. J'avais ainsi proposé, par amendement, de sécuriser l'attribution de 15 M€ dédiés au renforcement de l'accompagnement des collectivités territoriales dans les actions de prévention, proposition qui n'a malheureusement pas été retenue dans le texte définitif.
Après la tempête Alex en 2020, le risque inondation est de nouveau sur le devant de la scène aujourd'hui, avec les événements dramatiques dans le département du Pas-de-Calais. Dans ce projet de loi de finances, à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a retenu un amendement sur le risque inondation qui prolonge pour deux ans supplémentaires l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation », je m'en félicite.
À la lumière de la catastrophe naturelle en cours et à la suite des annonces du président de la République du 14 novembre dernier, d'autres amendements au projet de loi de finances 2024 sont-ils prévus afin de renforcer la prévention du risque inondation ?
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - En tant que rapporteur pour avis " Eau, paysage et biodiversité " et élu de la Mayenne, département bocager par excellence, je souhaite aborder la question des haies.
On estime généralement que plus des deux tiers du linéaire des haies ont disparu en France depuis le milieu du siècle dernier. Cette disparition silencieuse, lourde d'impact pour les territoires, est difficile à quantifier : selon l'Office français de la biodiversité (OFB), environ 11 500 km de haies disparaissent chaque année pour 3 500 km replantés. Les services écosystémiques rendus par les haies sont pourtant de premier ordre. Certains estiment qu'elles peuvent être comparées à des " tours de Babel écologiques ", en servant non seulement de refuge, mais également de réserve de nourriture, de corridors de biodiversité, de tampon de régulation des flux hydriques et de brise-vent pour les cultures. Elles servent aussi aux troupeaux dans les régions d'élevage. Malgré ces bénéfices reconnus depuis longtemps, les haies n'ont pas trouvé leurs défenseurs et elles continuent de disparaître lentement de nos paysages, malgré les alertes de certains élus. Face à cette situation, le Gouvernement a récemment initié un " pacte en faveur de la haie " et a annoncé la mise en oeuvre d'un observatoire de la haie.
Comment comptez-vous atteindre l'objectif de 50 000 km de haies nouvelles d'ici 2030 ? Les opérateurs que j'ai entendus dans le cadre de mes auditions budgétaires m'ont indiqué que personne n'était en mesure de quantifier précisément les plantations et les arrachages à l'échelle nationale. Une comptabilité spécifique des haies, en flux et en stock, s'avère à mon sens nécessaire. Partagez-vous cette préoccupation ? Quel mécanisme comptez-vous déployer en direction des agriculteurs et des propriétaires fonciers pour accroître l'acceptabilité économique des haies ? J'ajoute que le déploiement de la fibre optique sur les territoires a des effets négatifs sur les haies en lisière de champs agricoles, la solution de l'enfouissement étant onéreuse. Il faut vraiment, Monsieur le Ministre, donner à l'agriculture les moyens de préserver ses haies et simplifier leur gestion qui est régie par plus de 5 codes.
Par ailleurs, l'article 16 du projet de loi de finances pour 2024 réforme les redevances perçues par les agences de l'eau, ainsi que l'avaient déjà prévu les Assises de l'eau de 2019 et le plan eau présenté en mars dernier. L'idée de rééquilibrer la charge fiscale entre les différentes catégories d'usagers de l'eau et d'accompagner le relèvement du " plafond mordant " des recettes des agences de l'eau est à saluer, car elle améliorera la qualité du signal-prix de la facture d'eau et constitue une première brique vers une sobriété accrue des usages.
La redevance pour pollutions diffuses est rehaussée et ce budget fixe un taux minimum et un maximum pour les autres redevances, en laissant le soin aux comités de bassin de voter un taux dans cette fourchette. Un prix plancher a également été défini pour les prélèvements d'eau pour l'irrigation, mais à un coût très bas de 0,2 centime d'euro/m3 pour un système gravitaire et de 1,41 centime d'euro/m3 pour les autres méthodes. Ce sont de premières avancées pour résorber le déficit de financement par les usagers autres que les ménages, mais elles sont encore bien timides. Est-ce à la hauteur d'un " plan Marshall " en faveur des collectivités dont les réseaux affichent des taux de fuite parfois supérieurs à 50% ? Est-ce suffisant pour renforcer la résilience hydrique de notre pays dans un contexte de changement climatique ? De même, je ne trouve pas trace de la redevance dédiée à la biodiversité réclamée par de nombreux acteurs pour financer les actions des agences de l'eau sur le grand cycle de l'eau et la restauration de la biodiversité. Pourquoi cette demande légitime n'a-t-elle pas été acceptée ?
J'ai enfin une dernière interrogation, ou plutôt un point de vigilance, qui ressort de certaines de mes auditions budgétaires. Plusieurs opérateurs des programmes 113 et 159 m'ont signalé les difficultés qui résultent de la circulaire budgétaire du 11 juin 2010, selon laquelle " tous les emplois permanents doivent être inclus dans le plafond d'emplois des opérateurs de l'État, quelles que soient leurs modalités de financement ". Si la logique prônée par cette circulaire est louable, à savoir la nécessaire maîtrise de l'emploi public dans le contexte actuel des finances publiques et la soutenabilité du financement des emplois des opérateurs, elle conduit à des difficultés, notamment pour faire face à la saisonnalité de certaines missions et au développement des recettes commerciales de certains opérateurs. Avez-vous identifié cette difficulté ? Comment surmonter le paradoxe de la nécessité de renforcer les recettes propres grâce à de nouvelles activités lucratives de certains opérateurs, dans un contexte de gratuité de la donnée publique avec les contraintes existantes en matière de schéma d'emplois ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur. - Mon propos s'adressait plus spécifiquement à la ministre déléguée aux collectivités territoriales Dominique Faure, mais comme le dit l'adage " il vaut mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses saints ", je me permets, Monsieur le Ministre, de vous poser mes questions.
Je souhaite tout d'abord vous interroger sur l'évolution des dotations d'investissements aux collectivités territoriales, et plus particulièrement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).
En 2024, la DETR comme la DSIL resteront quasiment stables. Pourtant, les collectivités doivent aujourd'hui faire face à une forte inflation et une hausse des taux d'intérêt sans précédent, tout en continuant à rattraper le retard d'investissement causé par deux années de crise sanitaire.
Certes, dans le cadre de votre plan France Ruralités, les dotations attribuées à l'ingénierie territoriale augmentent de 20 M€ tandis que 100 postes de chefs de projets sont créés dans le cadre du programme Village d'Avenir, pour un coût de 6 M€. Vous aidez donc les collectivités dans l'élaboration de leurs projets d'investissement, mais sans pour autant leur donner les moyens d'investir. Comment comptez-vous soutenir l'investissement local sans augmenter les dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales ?
Ma deuxième question porte sur l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Durant l'examen de la proposition de loi créant l'ANCT, pour lequel j'étais rapporteur au nom de la commission, nous avions émis le souhait de recréer une Datar, une agence unique de l'aménagement du territoire. Nous avions cependant accepté la survivance de certaines agences au côté de l'ANCT, tout en instaurant des conventions de coordination pour assurer une action publique cohérente. Les premières conventions de coordination avec le Cerema, la Caisse des dépôts et consignations, l'Anah, l'Anru et l'Ademe sont aujourd'hui arrivées à leur terme et une nouvelle génération de conventions est en cours de signature. Ne serait-ce pas le moment d'engager une réflexion sur le périmètre de l'ANCT, pour rationaliser ce qu'on pourrait appeler un archipel des territoires ?
Enfin, j'aimerais vous interroger sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), devenus contrats de réussite de la transition écologique. J'ai constaté sur le terrain que le CRTE n'a pas rempli sa promesse d'un contrat intégrateur et finit par simplement ajouter une couche au mille-feuille des documents d'aménagement du territoire. Bien souvent le CRTE, qui est conçu au niveau intercommunal, n'est pas l'expression d'un projet de territoire, mais une simple liste des projets locaux. La Cour des comptes, dans un rapport paru en octobre 2023, dresse le même constat, observant que les CRTE se chevauchent avec d'autres contrats et ne jouent pas le rôle espéré d'agrégateur. La deuxième génération de CRTE annoncés prend-elle en compte ces critiques ? Comment comptez-vous y remédier, pour faire en sorte que le CRTE ne soit pas un document d'aménagement supplémentaire mais bien un contrat intégrateur porteur d'un projet de territoire ?
M. Rémy Pointereau. - Je souhaite tout d'abord évoquer le sujet des zones de revitalisation rurale ou, comme vous proposez de les nommer, les zones France Ruralités Revitalisation.
Ces exonérations fiscales auxquelles les élus locaux sont attachés doivent être réformées, nous en convenons tous. La réforme que vous proposez dans le cadre de ce projet de loi de finances est cependant très éloignée des préconisations du rapport d'information adopté à l'unanimité par notre commission en janvier 2023.
Nous avions identifié deux problèmes, la maille intercommunale, insuffisamment fine, et les critères retenus, qui ne permettent pas d'apprécier la diversité des situations des communes rurales pour un zonage plus juste et mieux ciblé.
Je regrette que ce projet de loi de finances ne règle aucun de ces deux problèmes, puisqu'il conserve la maille intercommunale et les critères de classement actuels. Pour mon département, ce sont 92 communes qui sortent, dont les communes les plus fragiles, sur un territoire qui perd des habitants. En même temps, vous introduisez un troisième problème, l'intégration d'aires urbaines dans un zonage rural. Vous proposez en effet de classer intégralement six départements, ce qui amène à faire bénéficier des villes de plus de 25 000 habitants d'exonérations conçues spécifiquement pour les espaces ruraux.
Le classement en zone France Ruralités Revitalisation d'aires urbaines densément peuplées ne risque-t-il pas de nuire aux territoires ruraux qui ont véritablement besoin de revitalisation ? Pourquoi conserver le maillage intercommunal, alors que le Sénat, tout comme l'Association des maires de France et l'Association des maires ruraux de France, préconisent un classement à la maille communale ?
Par ailleurs, en tant qu'ancien président de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau menée avec mon collègue Hervé Gillé, je m'intéresse à la mise en oeuvre du " plan eau " et à son déploiement territorial. Le projet de loi de finances porte diverses mesures pour assurer son financement, comme le relèvement du « plafond mordant » des recettes des agences de l'eau ou la réforme des redevances, en visant notamment un soutien renforcé aux 170 collectivités dont les réseaux d'eau potable ont un rendement inférieur à 50 % ou encore la création d'un fonds hydraulique agricole pour accompagner les agriculteurs face à la nouvelle donne climatique et hydrique.
Quel bilan tirez-vous du déploiement des mesures du plan eau ? Comment évolue le travail d'interconnexion des réseaux des communes identifiées comme étant fragiles parce qu'ayant dû faire face à des ruptures d'approvisionnement au cours des deux derniers étés ? Comment évoluent les discussions dans les bassins sur le volet sobriété des usages et réduction des prélèvements ? Enfin, sur la réutilisation des eaux usées traitées, vous misez sur un millier de projets pour des usages non domestiques. Quelles sont les dynamiques amorcées sur ces questions au cours des six premiers mois de déploiement du plan eau ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Pour le contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), le budget 2024 prévoit la création de 100 postes, après les 75 postes créés au cours des trois dernières années, pour intensifier et tenir le rythme de contrôle. Cependant, ce n'est pas parce que les postes sont ouverts qu'il y a des candidats. Augmentation des salaires, carrières plus attractives, concours exceptionnels sont autant de leviers sur lesquels nous misons. Depuis que je suis ministre, mon obsession est que les engagements qui ont été pris par le passé soient tenus, ce qui explique notre effort budgétaire exceptionnel en 2024. Vous avez mentionné l'industrie verte. Notre intérêt écologique et économique est de cesser d'importer massivement du bout du monde un certain nombre de produits mais nous savons que cette approche pourra se heurter à des difficultés d'acceptation par les populations locales qui nécessiteront que nous soyons d'autant plus capables d'effectuer les contrôles permettant de les rassurer.
Sur le rapport d'Amaris, je ne peux pas remettre en cause le bilan chiffré mais je suis en désaccord avec vous sur le constat. En lisant ce rapport, nous avons le sentiment que sur les PPRT, le seul souci serait du côté de l'État. Je vous rappelle que nous sommes sur un système à double cliquet. L'État subventionne à hauteur de 40%, prescrit des mesures, alors que les expropriations sont gérées par les collectivités locales. La situation est contrastée parce que 83% des expropriations de logement ont eu lieu mais seulement 50% au titre des activités économiques. Si je superpose ces chiffres sur la nature des activités à la carte des territoires, nous nous apercevons qu'à certains endroits nous sommes proches de 100%, alors que dans d'autres nous sommes loin du compte, voire proches de zéro. Il s'agit donc moins une question de volonté politique que de suivi territorial puisque, dans un certain nombre de territoires, ce n'est pas le manque de moyens qui nous est opposé mais un manque de volontarisme pour tenir compte de ce qui se fait. Nous ne laisserons toutefois pas ce rapport sans suite.
En ce qui concerne les inondations, le fonds Barnier est abondé de 20 M€ supplémentaires. Par ailleurs, nous avons attribué 40 M€ de subventions au sein du " Fonds vert " sur des programmes de lutte contre les inondations. Il est probable que nous recevions plus de demandes l'année prochaine. Nous aurons également besoin d'un retour d'expérience plus établi que le constat de désolation que nous vivons en ce moment dans le Pas-de-Calais. Nos dispositifs de prévention ont plutôt bien fonctionné. L'Aa, la Canche, la Hem et la Liane ont atteint un niveau historique et dans certains endroits ont dépassé de 50 cm le niveau le plus haut jamais mesuré. Or, il y a moins de sinistrés qu'en 2002 grâce aux plans de prévention des risques inondations (PPRI), qui sont parfois décriés quand il n'y a pas d'inondation mais dont nous avons pu constater l'efficacité, ou grâce à des dispositifs de digues qui ont nécessité des investissements importants des collectivités territoriales. Ayant échangé avec le président de la Haute-Savoie Martial Saddier après les inondations records dans la vallée de l'Arve, je peux affirmer que les travaux conduits avec les agences de l'eau ont permis de limiter les dégâts sur des territoires où, dans le passé, des crues moins élevées en avaient causé plus.
Le retour d'expérience portera sur la prévention. Sans attendre, nous devons simplifier les règles de curage comme je l'ai indiqué tout à l'heure à l'occasion des questions au Gouvernement. Il me semble aussi nécessaire de simplifier la demande de reconnaissance de catastrophe naturelle. Par exemple, quand un maire ne peut plus accéder à sa mairie à cause d'une inondation, nous pourrions envisager que la demande soit faite par le préfet pour le compte de la commune. Nous pouvons également réfléchir aux durées d'étude pour les PPRI. Quand nous savons quels sont les travaux de confortement à réaliser, nous pourrions peut-être inverser la logique de confiance plutôt que de rester sur des principes de précaution qui sont trop absolus. Il nous faudra aussi répondre aux questions posées par les pompages. Nous constatons leur efficacité et nous devons réfléchir à laisser des pompes sur des territoires confrontés à ce type de risque et à les confier éventuellement à Voies navigables de France (VNF). Enfin, il serait intéressant de regarder ce que font nos voisins sur des territoires comparables.
Depuis 1950, le linéaire de haies a reculé de 70 %. Je veux dire au sénateur Chevrollier, dont je sais la sincérité de l'engagement sur ce sujet, notamment sur le bocage mayennais dont il est le fervent défenseur, que nous avons lancé un pacte en faveur de la haie pour lutter contre ce recul et les nombreuses causes qui l'expliquent. Certaines sont budgétaires, ce ne sont pas les plus nombreuses, mais les 110 M€ par an financés par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en faveur du plan haies permettront d'accompagner les porteurs de projet. L'observatoire nous permettra d'objectiver le constat et l'efficacité des actions. Par ailleurs, quand elles subventionnent les haies, les collectivités territoriales doivent pouvoir le faire figurer dans les documents d'urbanisme, ce qui leur confère une possibilité d'agir. Enfin, certains agriculteurs sont inquiets s'ils doivent détruire une haie qu'ils ont plantée et qui abrite des espèces protégées. Ils sont en effet passibles de sanctions pénales. C'est donc paradoxalement le principe de préservation la biodiversité qui les conduits à ne pas planter de nouvelles haies...
Si nous ne jouons pas sur ces différents leviers, nous n'y parviendrons pas. Le plan doit être présenté à la fin de l'année, par le ministre Marc Fesneau et la secrétaire d'État Sarah El Haïry.
Pour que le « plan eau » soit crédible, il faut des moyens. Tous les comités de bassin ont salué le budget alloué à ce plan. Nous avons constaté que 2 milliards d'euros financés par les agences conduisaient à 20 milliards d'euros de travaux dans les territoires. Quand nous mesurons ce qu'il faudrait investir en France, nous nous rendons compte que la moyenne devrait être à 25 milliards d'euros, compte tenu des fuites, de la résilience, etc. Cet effet levier nous amène à augmenter de 25% les moyens des agences pour atteindre cet objectif. En effet, l'eau paie l'eau sur les territoires et dans de nombreux cas, notamment avec des aqua-prêts d'une durée de 40 ou 50 ans, il est possible d'amortir les travaux à l'échelle d'une collectivité.
L'eau est payée par les particuliers et par les agriculteurs. Les énergéticiens ne la paient pas alors qu'ils prélèvent une partie importante de la ressource. Nous allons fixer un plancher à 100 M€ pour la redevance due par les énergéticiens afin d'éviter que le coût global porte uniquement sur les particuliers et sur les agriculteurs. Nous mettrons en place la vérité des coûts, y compris sur la production d'électricité nucléaire, dont nous connaissons l'importance pour atteindre la neutralité carbone, qui doit financer l'eau pour éviter tout biais sur ses vertus. Cela permettra de limiter l'augmentation de la redevance. Une partie de cette redevance sera consacrée à la lutte contre les pollutions diffuses. Seules 44% des masses d'eau en France sont en bon état écologique. Puisque le volume d'eau prélevable diminuera, la quantité potentielle des intrants dans les plans de captage sera renforcée, ce qui multipliera les risques de fermeture sanitaire. C'est pourquoi nous devons intensifier les mesures agro-écologiques et les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) à l'échelle de ces captages.
Nous devons également prendre en compte les fuites. En 2023, seules 170 communes ont réclamé un accompagnement de l'État, pour lesquelles nous avons déployé 180 M€. Le nombre de communes dont les réseaux présentent des taux de fuite de plus de 50% est sans doute plus important mais nombre d'entre elles ne se signalent pas de crainte que l'État ne les oblige à s'intercommunaliser plus rapidement.
Un système dans lequel les territoires n'ayant pas assumé de hausses du prix de l'eau pour financer des travaux seraient intégralement subventionnés par l'État n'est pas viable. Les territoires qui ont mis en oeuvre une hausse de quelques centimes pour réaliser des travaux ont un niveau de résilience bien plus élevé. Une part de ces financements doit relever des collectivités.
Sur l'artificialisation nous avons constaté, pour que le dispositif atteigne ses objectifs, qu'il manquait un volet fiscal pour désinciter l'artificialisation et générer des ressources. Environ 6 500 communes ont activé un dispositif permettant de taxer les plus-values de cession des terrains rendus artificiels dès lors que le prix de revente est le triple du prix d'acquisition. Je pousse l'idée que nous devons générer une recette au titre de l'artificialisation, alimentant pour moitié le budget des agences de l'eau et, pour l'autre moitié, celui des communes. Les agences de l'eau ont également pour mission de préserver la biodiversité, or l'artificialisation a comme première conséquence l'érosion de la biodiversité, en ralentissant le rythme d'infiltration dans les nappes phréatiques et en conduisant à des écoulements plus rapides. Parallèlement, les communes ont besoin de moyens pour investir dans la dépollution des friches. Cet amendement serait soutenu par toutes les agences, par l'association des maires de France et il serait vu de manière positive par les agriculteurs car il générerait 12 M€ de plus pour l'installation des jeunes agriculteurs. J'espère qu'un sénateur déposera un tel amendement, qui fera l'objet d'un regard bienveillant du ministre. J'ajoute que le rendement global d'un tel dispositif serait de l'ordre de 200 M€. Par ailleurs, il n'augmentera pas les prélèvements obligatoires puisque les recettes qui ne sont pas levées par la taxe le sont par la redevance. Le sujet principal est de déterminer si nous allons vers une recette liée aux stocks ou aux flux.
Je ne connaissais pas la circulaire du 11 juin 2010 avant que votre question soit transmise à mon cabinet. C'est un faux problème. Les plafonds d'emplois n'ont pas été remis en cause car ils permettaient d'éviter des inflations de personnels sans que le ministère s'en aperçoive. Aujourd'hui nous recréons des postes, ce qui va atténuer une partie des difficultés. J'envisage la création de 66 postes en 2024 dans les agences de l'eau en modifiant les plafonds d'emplois. La circulaire a été rédigée pour éviter que des contrats soient signés en cas de disponibilité temporaire budgétaire, suivis par des plans de licenciement puisque la trésorerie a été utilisée pour payer des dépenses courantes et récurrentes. Il y a donc une forme de morale budgétaire à ces plafonds, même si nous devons être capables de les assouplir, notamment pour le recours aux contractuels.
Monsieur le Sénateur Louis-Jean de Nicolaÿ, je réponds avec joie en lieu et place de Dominique Faure. Le concours aux collectivités territoriales pour les investissements atteindra l'année prochaine le niveau record de 7,1 milliards d'euros. C'est une somme sans équivalent, supérieure à celle du plan de relance. Cette progression est liée à la hausse du "Fonds vert " de 500 M€ et à la stabilité de la DETR et de la DSIL dont les niveaux, hérités du plan de relance, sont maintenus. Ces crédits sont historiques, en hausse de près de 10 % par rapport à 2023.
Vous m'avez interrogé sur l'ANCT. J'ai lu il y a quelques mois un excellent rapport du Sénat qui s'interrogeait sur le risque " d'agenciarisation " de l'État. Je ne suis pas convaincu que la solution à la multiplication des agences passe par la création d'une nouvelle agence. En revanche, je pense que nous devons recréer des portes d'entrée uniques, sur le modèle de ce que vous avez voté dans cet hémicycle avec la loi " 3DS ", en faisant du préfet le référent départemental de l'Ademe. Le préfet pourrait aussi devenir le guichet pour d'autres agences, notamment de l'ANCT. Ainsi, l'offre d'ingénierie à la disposition des maires serait plus visible.
Sur les CRTE, je vous renvoie au rapport du 5 novembre dernier des sénateurs Martin, Bennaroche et Burgoa "Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité " au nom de la délégation aux collectivités territoriales qui suggère dans sa recommandation n° 5 que les CRTE soient suffisamment dotés pour qu'ils deviennent les outils de la transition écologique.
Vous m'avez demandé de participer à un débat sur la planification écologique mardi prochain pendant la séance des questions d'actualité au gouvernement de l'Assemblée nationale. Je m'y rendrai avec joie et vous remercie de me dispenser de cette obligation législative pendant le Salon des maires. J'aurai l'occasion de parler de la place que j'envisage de donner aux CRTE dans la planification. Il est essentiel que nous mettions des « tuyaux » de financement en face des " tuyaux " de projets afin de ne pas alimenter de suspicion sur la capacité des territoires à avancer.
Les ZRR s'arrêtant le 31 décembre 2023, il était nécessaire d'imaginer un nouveau dispositif. Celui-ci, conçu dans le cadre du plan France ruralités, a fait l'objet de discussions avec le Sénat. J'ai bien conscience que la proposition actuelle peut être améliorée d'ici la fin de l'examen budgétaire. Vous avez pointé la maille, le statut potentiel des villes centres et vous avez eu l'élégance de ne pas évoquer le nombre de bénéficiaires. Depuis leur création en 1995, la maille des ZRR a toujours été intercommunale. Cette maille a été choisie au titre de la continuité avec les dispositifs existants, mais elle pose la difficulté des communes très rurales dans des intercommunalités dont la taille a augmenté. Une possibilité de rattrapage à l'échelle communale a donc été imaginée pour éviter qu'entre 3 000 et 4 000 communes soient exclues du nouveau dispositif de ZRR. Nous ne pouvons pas mettre en place un plan ruralité dont le nombre de bénéficiaires passerait de 17 000 à 13 000, alors que les besoins sont énormes. Une évolution législative sera nécessaire d'ici la fin du débat parlementaire.
En ce qui concerne les communes centres, je pense que si nous proposons les mêmes avantages dans une ville centre de 15 000 habitants que dans des communes de 1 500 habitants, nous desservons les petites communes. Le risque est que le dentiste qui cherche à s'installer choisisse le territoire le plus peuplé. Il est donc nécessaire de prévoir des mécanismes de correction, sur lesquels nous travaillons avec la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Des annonces pourraient avoir lieu pendant le congrès des maires.
Enfin, sur le déploiement territorial du plan eau. Le sujet du " plafond mordant " est crucial à l'heure où les agences de l'eau disposent d'une trésorerie dormante qu'elles ont l'interdiction de dépenser. Sur l'accompagnement des communes, l'enveloppe prévue pour la première année ne présume en rien de celles des années suivantes. Nous avons dimensionné les fonds pour l'hydraulique agricole, des crédits pour lutter contre des fuites et nous devons maintenant les ajuster au niveau des différentes agences. Les comités de bassin commencent à rendre leur copie en matière de sobriété sur l'atteinte des 10 % de réduction des prélèvements et je communiquerai quand je les aurais tous reçus.
Sur la réutilisation des eaux usées, je précise que la matinée de demain au ministère sera consacrée au plan de sobriété eau. Les inondations dans le Pas-de-Calais ne modifient en rien la nécessité de réfléchir à la régulation de nos réserves en eau, les experts affirmant que les pluies seront plus abondantes l'hiver et les sécheresses plus nombreuses l'été. Les pluies abondantes remplissent moins bien les nappes que des pluies faibles et continues. L'objectif fixé en termes de réutilisation est de 1 000 projets d'ici la fin du quinquennat et nous avons déjà reçu plus de 500 demandes. Le décret " voiries et espaces " a été publié le 29 août dernier et le décret concernant l'agroalimentaire est examiné par le Conseil d'État et prévoit de nombreuses possibilités de réutilisation des eaux. Demain, la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé aura l'occasion de parler des eaux grises et de la possibilité que l'eau utilisée par un lave-linge alimente des toilettes.
- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Monsieur le Ministre, j'interviens en qualité de rapporteur pour avis des crédits relatifs au transport routier. Je souhaite aborder le leasing social dont la mise en place a été retardée par rapport aux annonces gouvernementales initiales. Nous nous réjouissions de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024, mais nous manquons toujours de visibilité sur les paramètres précis du dispositif, alors que le dépôt des demandes par les ménages a déjà commencé ce mois-ci. Outre le niveau de revenus, quels critères d'éligibilité seront pris en compte ? Est-il par exemple prévu d'introduire un critère géographique lié aux ZFE-m ? Les crédits peuvent-ils être modulés sur les cinq ZFE-m prioritaires ?
S'agissant du calibrage financier, un plafond de 100 € de loyer par mois hors assurance est prévu : combien de modèles de véhicules seront compatibles avec ces critères et l'offre de véhicules éligibles au leasing sera-t-elle suffisante pour répondre à la demande ? Une enveloppe de 50 M€ est prévue pour financer ce dispositif en 2024 : sur cette base, avez-vous estimé le nombre de bénéficiaires potentiels pour la première année et prévoyez-vous une montée en charge du dispositif les années suivantes ? Nous avons d'autant plus besoin de clarifications que la réunion prévue au ministère avec les chefs de file des collectivités a été annulée.
Deuxièmement, je souhaite aborder le dispositif de lecture automatisée des plaques d'immatriculation, dit « LAPI », dont la mise en oeuvre en ZFE-m, autorisée par la loi d'orientation des mobilités (LOM), est sans cesse reportée depuis quatre ans. Rappelons que d'ici à peine plus d'un an, 43 agglomérations devront avoir mis en place des ZFE-m en application de la loi " Climat et résilience ". Or, comment assurer la crédibilité du dispositif si ces collectivités ne sont pas dotées des moyens adéquats pour contrôler le respect des restrictions de circulation qu'elles mettront en place ? Pouvez-vous nous exposer les raisons de ce retard, qu'elles soient techniques ou juridiques, et nous indiquer à quel stade en sont les travaux du Gouvernement sur ce sujet ? La LAPI sera-t-elle disponible en 2024, comme cela a été annoncé ? Les modalités d'acquisition de cet outil suscitent des inquiétudes légitimes au sein des agglomérations concernées par la mise en place des ZFE-m. Avez-vous estimé le coût d'acquisition de ce dispositif pour les collectivités territoriales et un soutien financier de l'État est-il prévu ?
Pour terminer, je souhaite aborder l'enjeu de l'interopérabilité des bornes de recharge électriques, un sujet dont l'importance croîtra compte tenu du déploiement progressif des ZFE-m d'ici à 2025. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour favoriser l'interopérabilité des bornes de recharge des différents opérateurs intervenant sur le réseau routier et, ainsi, faciliter les mobilités quotidiennes des usagers - particuliers et professionnels - qui feront le choix de l'électrique ?
M. Philippe Tabarot. - Monsieur le Ministre, je souhaite moi aussi vous interroger sur le déploiement des ZFE-m, même si le ministre délégué Clément Beaune a déjà répondu à mes questions sur le programme 203 lors de son audition par la commission.
Comme vous le savez, notre commission a adopté en juin dernier un rapport d'information intitulé « ZFE : sortir de l'impasse », à l'issue d'une « mission flash ». Il part d'un constat simple : partout où elles sont instituées, les ZFE-m se heurtent à d'importantes crispations et à de vives incompréhensions, à la fois de la part des collectivités territoriales à qui il revient de les mettre en place, et des usagers, particuliers comme professionnels, qui verront, pour une part importante d'entre eux, leurs véhicules affectés par les restrictions de circulation dans les agglomérations connaissant des dépassements réguliers des seuils de qualité de l'air : Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Rouen.
Je sais que vous contestez ces chiffres, ils ne sont pourtant que le reflet de la composition du parc automobile français : à l'heure actuelle, 13 millions de véhicules particuliers sont classés Crit'air 3 à 5, ou non classés. De fait, c'est 34 % du parc national de véhicules qui ne pourront pas accéder aux agglomérations auxquelles s'applique le schéma de restriction voté par la loi " Climat et résilience ".
Certes, et fort heureusement, ces 13 millions de véhicules ne sont pas tous répartis dans les seules unités urbaines des quelques ZFE-m qui se verront appliquer ce schéma. Pour autant, ces véhicules ne pourront pas y pénétrer, sauf à revoir le calendrier de déploiement, comme nous l'avons proposé. Je souligne d'ailleurs qu'il ne s'agit pas de " reporter pour reporter ", mais d'être pragmatique : ce calendrier ne pourra pas être respecté.
L'effort de communication que vous avez conduit en juillet dernier a permis de clarifier la situation et de lister publiquement les ZFE-m concernées par les schémas de restrictions de circulation. Pour autant, le calendrier de mise en oeuvre n'a pas été modifié.
Depuis lors, votre prédécesseure, Mme Barbara Pompili, a également conduit une mission sur l'acceptabilité des zones à faibles émissions - mobilité, en partant de l'expérience de nos voisins européens. Son rapport formule également un certain nombre de recommandations.
Nous avons appris par la presse que vous deviez faire des annonces sur les ZFE-m mi-novembre et nous sommes le 15 novembre, cela ne vous aura pas échappé ! Quelles sont les évolutions envisagées à ce jour ? Entendez-vous vous inspirer des travaux du Sénat sur ce sujet, notamment de la proposition de loi que nous avons déposée en juillet dernier, qui repose sur le renforcement de l'information et de la concertation, sur l'assouplissement du calendrier ou encore sur une intensification des aides à l'attention des publics concernés ?
Où en est la mise en oeuvre du prêt à taux zéro pour les personnes travaillant ou résidant en ZFE-m ? Comme vous le savez, il s'agit d'un dispositif introduit dans la loi à l'initiative du Sénat. Nous nous inquiétons de son retard.
M. Didier Mandelli, président. - Je ne pourrai pas satisfaire toutes les prises de parole avant le départ du ministre. Je donnerai donc la priorité aux groupes politiques qui ne sont pas représentés parmi les rapporteurs.
Mme Marta de Cidrac. - Vous avez cité un certain nombre de rapports sénatoriaux que vous avez qualifiés d'excellents. J'espère que vous avez également lu celui que j'ai publié au mois de juillet sur le réemploi et le recyclage des emballages. Il traduit ma position sur la consigne, qui est un sujet parfois irritant pour les collectivités, et détaille 28 propositions pour améliorer nos performances en matière d'économie circulaire. Certaines de ces mesures méritent d'être traduites en amendements dans le cadre du PLF. Est-ce que ceux-ci bénéficieront de votre soutien, par exemple sur la tarification incitative ? Nous avons tous cru comprendre, à l'occasion des Assistes de Nantes en septembre dernier, que la consigne sur le recyclage des bouteilles en plastique n'était plus envisagée. Or, en observant les cahiers des charges des éco-organismes, un certain nombre de doutes se sont immiscés dans l'esprit de nos collectivités. Pouvez-vous nous rassurer ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Sur le leasing social, le président de la République avait annoncé que le dispositif de réservation ouvrirait avant la fin de l'année 2023 et que les premiers véhicules seraient disponibles début 2024. Le nombre de véhicules est lié à la restriction des constructeurs éligibles, qui doivent être européens. Les objectifs pour 2024 ne sont pas fonction de l'engagement budgétaire mais de la disponibilité des véhicules. Je confirme que ce leasing sera proposé à 100 € par mois, soit le montant moyen d'un plein de carburant. L'éligibilité est fondée sur les déciles mais nous devrons définir des règles de priorisation si le dispositif est victime de son succès. Nous ne pouvons pas prioriser par métier, ce serait très complexe et il y a, à l'intérieur d'un même métier, des écarts de revenus. Nous examinons la possibilité d'instaurer une priorisation territoriale. Je privilégie les territoires ruraux dans lesquels les alternatives aux voitures sont réduites ainsi que les ZFE-m.
Sur l'interopérabilité des bornes de recharges, le Gouvernement a pris plusieurs décrets. Le standard initial est celui de la directive AFID de 2014, modifiée en 2021 avec la mise en place d'amendes administratives pour les opérateurs qui ne rendraient pas leurs bornes interopérables.
En termes de déploiement, il y a en France plus d'un million de bornes à domicile et plus de 100 000 dans l'espace public. Ce chiffre sera multiplié par 2, puis par 3, par 4, au fur et à mesure de la progression de l'électrification dans notre pays. Le taux d'immatriculation de véhicules électriques a dépassé les 19 % au cours du dernier mois connu, il était de 18 % le mois précédent contre une moyenne de 13 % en 2022.
Sur les ZFE-m, le rapport de M. Philippe Tabarot est sur ma table de chevet parce que j'ai conscience que le sujet n'est pas clos. J'ai rappelé l'état du droit. Aujourd'hui, ce ne sont pas 43 agglomérations qui vont interdire les véhicules Crit'air 3, 4 et 5. Si, au cours des 5 années, elles ont enregistré des résultats de qualité de l'air inférieurs aux seuils pendant 3 ans, elles peuvent demander une exonération. Celles qui ne le feront pas devront interdire les véhicules non classés au moment de la mise en place de leur ZFE-m, soit 0,5% du parc.
Les 5 agglomérations qui dépassent les seuils d'émission (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Rouen) sont tenues à un calendrier plus contraignant. Strasbourg pourrait sortir de cette liste si l'amélioration de la qualité de l'air se confirme. Certains territoires ont renoncé à la mise en place de mesures plus contraignantes au 1er janvier 2024 puisqu'ils sont territoires de vigilance et non ZFE-m. C'est une bonne nouvelle en termes de santé publique puisque cela signifie que la qualité de l'air s'est améliorée.
Pour qu'une ZFE-m soit effective, il faut des contrôles. Le PLF pour 2024 prévoit la rétrocession intégrale des amendes aux territoires qui mettront en place des radars. Le " Fonds vert " propose également des dispositifs permettant d'aider les collectivités à installer ces radars. Leur homologation est complexe en raison des difficultés d'identification des véhicules pour savoir s'ils sont susceptibles d'appartenir aux catégories 3, 4 ou 5.
Concernant les annonces que je pourrai présenter sur ce sujet, il peut arriver que la presse soit approximative. La date du 15 novembre est celle à partir de laquelle j'étais susceptible de réunir les différentes parties prenantes. Nous cherchons actuellement une date pour les réunir, notamment pour les 5 agglomérations susmentionnées. Le rapport Pompili offre un parangonnage sur la manière dont 14 pays et 270 collectivités ont mis en place des ZFE-m. Nous observons que certaines ZFE-m ont été suspendues une fois atteints les résultats espérés en termes de qualité d'air.
Je ne peux pas m'engager à soutenir un amendement tant que je ne l'ai pas lu mais j'invite Mme Marta de Cidrac à contacter mon cabinet pour travailler avec elle sur les amendements que nous pourrions soutenir.
Dans quelques jours, je recevrai le rapport sur la mise en place d'une TVA à 5,5% sur les produits issus du recyclage, du réemploi ou du reconditionnement. Il est important que l'écologie s'accompagne de gains de pouvoir d'achat pour encourager les comportements bons pour la planète et les emplois locaux. L'économie circulaire représente déjà un demi-million d'emplois dans notre pays.
À propos de la consigne, j'ai dit de façon extrêmement claire aux Assises à Nantes que nous ne pouvions pas prendre prétexte du taux moyen national de 62% de recyclage des bouteilles en plastique pour en déduire que nous étions obligés de généraliser la consigne. En effet, le taux varie de 40 à 90% en fonction des territoires et la mise en place de la consigne engendre des effets de bords. Les déconsigneurs seront installés sur les parkings des grandes surfaces et poseront des problèmes aux commerces des centres-villes. Ils donneront l'illusion que l'achat de plastique est écologique. En effet, dans les pays qui recyclent 90% de leurs bouteilles, nous observons une augmentation du nombre de bouteilles mises sur le marché. Par ailleurs, le coût moyen du recyclage est de 15 centimes par bouteille. Il me paraît délicat d'augmenter le prix des packs de 1 euro dans le contexte actuel, même si 90 % de cette somme seront récupérés. Enfin, la généralisation pénaliserait les collectivités les plus vertueuses qui ont déjà investi dans des centres de tri.
Je viens d'envoyer le cahier des charges de la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) emballages dans lequel je demande d'évaluer la possibilité de mettre en place des consignes régionales. La France paye 1,3 milliard d'euros d'amende à l'Union européenne compte tenu de son mauvais taux de recyclage, 800 M€ au titre des ménages et 500 M€ au titre des entreprises. Notre intérêt collectif est donc d'améliorer ce taux. Il n'est pas logique que des territoires qui sont à 90 % payent, à travers les impôts nationaux, une partie de cette amende.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les territoires ruraux représentent 90% de communes françaises et sont des acteurs incontournables de la transition écologique puisqu'ils disposent de tous les ingrédients de l'industrie verte. À travers le plan France ruralités, je ne doute pas de votre volonté d'apporter un début de réponse aux maires ruraux qui voient disparaître leurs services publics, leur médecin et quelques fois les industries qui leur restaient avec la baisse d'attractivité qui en résulte. Si l'enveloppe de 90 M€ dédiée à ce programme nous paraît insuffisante, les mesures envisagées nous semblent positives, comme la valorisation des aménités rurales à travers une dotation dédiée à la protection de la biodiversité ou le programme Villages d'avenir, à condition que celui-ci couvre plus de 500 communes et qu'au-delà de l'ingénierie, les projets soient soutenus financièrement.
Il est positif que le « Fonds vert » soit porté à 2,5 milliards d'euros. Pour autant, si la hausse des moyens dédiés à la transition écologique est à saluer, il ne peut pas être financé au détriment d'autres lignes abondant les budgets locaux. Le Comité des finances locales dénonce la suppression progressive de la CVAE. Il considère que c'est un hold-up destiné à financer le " Fonds vert ".
Une récente étude publiée par l'Institut de l'économie pour le climat détaille quatre scénarios destinés à financer l'accélération des investissements pour le climat des collectivités à l'horizon 2030. Le scénario " État " se fonde sur une augmentation du soutien de l'État par une indexation de la DGF sur l'inflation et par la pérennisation du " Fonds vert " au-delà de 2024 à 2,5 milliards d'euros, qui serait de nature à motiver nos élus. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, j'attire votre attention sur la multiplication des phénomènes de catastrophe naturelle. La Dordogne est très concernée et l'amendement que j'avais déposé l'année dernière n'avait pas été retenu. Les 20 M€ prévus au PLF me semblent insuffisants.
M. Christophe Béchu, ministre. - Le rapport Pisani-Ferry chiffre à environ 10 milliards d'euros la part qui incombe aux collectivités dans le financement de la transition écologique. J'ajoute que certains investissements pour le climat sont porteurs d'économies de fonctionnement et que les 2,5 milliards d'euros du « Fonds vert » sont sanctuarisés.
J'observe que, pour la première fois depuis 13 ans, nous avons relevé en 2023 les niveaux de DGF et que nous poursuivrons cet effort en 2024. J'ai la conviction que la DGF est à bout de souffle. Nous avons besoin d'assises de la fiscalité locale pour repenser le panier des subventions.
Il n'y a pas de hold-up sur la CVAE puisqu'elle est compensée via la TVA, dont les recettes progressent au rythme de l'inflation. La moyenne de la hausse du rendement de la TVA est supérieure à celle de la CVAE. Il y a cependant un inconvénient, un territoire qui s'investit plus que les autres pour la réindustrialisation ne touche pas totalement le fruit de ses efforts.
Enfin, sur les catastrophes naturelles, notre système est à bout de souffle. Nous ne pouvons pas continuer à gérer avec une Caisse centrale de réassurance (CCR) dotée de 3 milliards d'euros les 11 millions de personnes potentiellement concernées par le retrait-gonflement des argiles, les dizaines de milliers qui sont soumises à l'érosion du trait de côte, l'augmentation des risques éboulement, etc. Dans le plan d'adaptation d'une France à l'augmentation moyenne des températures de 4°C, nous devrons faire bouger nos critères de catastrophe naturelle et nos modes de solidarité. C'est d'autant plus important que les assureurs se retireront d'un certain nombre de marchés contre les aléas climatiques.
M. Ronan Dantec. - La Cour des comptes a souligné que le CRTE ne jouait pas son rôle intégrateur et qu'une dotation socle était nécessaire. Nous sommes en train de nous rapprocher de ce que préconise le Sénat depuis des années, une dotation socle climat ou de transition.
Soutiendrez-vous un amendement visant à affecter 600 M€ du Fonds vert à une dotation socle, en incluant le budget de Villages d'avenir et le contrat d'objectif territorial de l'Ademe ?
Il y a également eu un débat à l'Assemblée nationale sur la pertinence de sortir du calcul de l'endettement des collectivités les investissements de transition. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Concernant le programme Villages d'avenir, les crédits visent à accompagner des services faits, il y a donc un décalage inévitable des versements. Par conséquent, il ne faut pas se fonder sur la somme inscrite dans le budget pour 2024 pour évaluer le nombre de villages qui pourraient être accompagnés.
Je ne suis pas favorable à la ponction de 600 M€ du Fonds vert dédiés aux investissements pour les affecter au fonctionnement pour trois raisons. Tout d'abord, nous venons de lancer les COP territoriales qui nous permettront de disposer au milieu de l'année prochaine des feuilles de route des collectivités pour leurs besoins de planification. Par ailleurs, le " Fonds vert " a reçu cette année 18 000 demandes de subvention mais n'a pu en satisfaire que 8 000. Les autres seront satisfaites en 2024, notamment avec un plan pour les écoles, crucial car l'école est souvent le premier bâtiment des communes en termes de consommation énergétique. Enfin, nous devons nous interroger sur la maille. Il y a des débats sur le rôle des communes, des intercommunalités, des départements, des bassins de vie, etc. La réflexion sur l'accompagnement adéquat des collectivités sera au coeur de la suite des COP territoriales.
Je suis totalement favorable à la dette verte. C'est un principe que j'ai défendu au moment des débats sur le tiers financement. Nous devons être capables de distinguer la " dette vertueuse " qui nous permet d'éviter des dépenses de fonctionnement, de faire face au coût de l'inaction et de la comptabiliser dans des trajectoires d'investissement. Je rappelle, avec une pointe d'émotion, que notre pays a perdu un grand maire, Pierre Breteau, qui était président de la commission des finances de l'AMF et qui défendait ces questions financières. Sur son impulsion, l'AMF a voté en faveur de la mise en place de budgets verts pour les communes de plus de 3 500 habitants.
M. Jean-Yves Roux. - Nous alertons l'État depuis des années sur l'inadéquation des ressources pour exercer la compétence de Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Le député Joël Giraud a déposé un amendement au PLF pour 2024 en sollicitant un rapport parlementaire dans les 6 mois jugeant de l'opportunité d'introduire une solidarité amont-aval pour l'exercice de cette compétence. Le rapport d'information sur la politique de l'eau de nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé propose d'introduire une fraction de la taxe Gemapi mutualisée sur l'ensemble des bassins-versants pour " soutenir des actions au titre de la Gemapi des EPCI disposant de peu de ressources et de longs linéaires ". Quelle est votre position sur cette proposition ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je rappelle que l'exercice de la compétence Gemapi a été instaurée il y a 10 ans, afin de laisser le temps aux collectivités et leurs groupements de s'organiser : c'est en effet en 2014 qu'un texte législatif a prévu que la compétence pleine et entière serait effective d'ici 2024. Je suis surpris que, moins de trois mois avant l'échéance, les acteurs réagissent en objectant la complexité de cette disposition. J'ai observé avec une certaine amertume le même phénomène à propos de la loi sur l'accessibilité universelle : tout le monde était d'accord au moment du vote, mais les oppositions ont émergé juste avant l'échéance. J'ajoute que l'État a intensifié son travail sur la Gemapi au cours des derniers mois. C'est un sujet que je connais bien pour avoir précédemment été président d'une communauté urbaine concernée par une grande façade sur la Loire et par les digues domaniales. Pour répondre à votre question, je suis favorable à la solidarité amont-aval. J'ai supprimé la condition qui obligeait à lever la taxe pour solliciter le " Fonds vert " pour accompagner des crédits de travaux, car je considère qu'il existe une liberté de gestion. Les dispositifs prévus par la loi Barnier sont également mobilisables. Je pense que la situation sera plus claire dans quelques mois entre ceux qui redoutent l'exercice de la compétence, ceux qui ont déjà mis en place les dispositifs et ceux qui s'organisent avec des mécanismes de solidarité qui ne nécessitent pas de règles. Par exemple, dans l'intercommunalité que je présidais, nous avons considéré qu'il ne fallait pas uniquement se fonder sur le linéaire de façade mais également tenir compte du nombre d'habitants des intercommunalités voisines, dans une logique de solidarité.
M. Didier Mandelli, président. - Merci Monsieur le Ministre.
Source https://www.senat.fr, le 5 décembre 2023