Interview de M. Olivier Becht, ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, à BFM Business le 8 décembre 2023, sur le plan "Osez l'export !".

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  • Olivier Becht - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Média : BFM Business

Texte intégral

Q - Comment améliorer l'attractivité de la France ? Comment accompagner nos PME à l'international ? Le gouvernement présente cet après-midi de nouvelles mesures dans le cadre de son plan "Osez l'export !", qui avait été présenté à la rentrée. On va en parler avec Olivier Becht, ministre délégué en charge du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger. Bonjour.

R - Bonjour.

Q - Egalement en plateau, Laurent Vronski, PDG d'Ervor, groupe industriel, fabrication de compresseurs d'air, secrétaire général de CroissancePlus. Et vous êtes également, Laurent, membre du comité stratégique des écoles Espérance banlieues. Et puis on termine ce tour de table avec Pierre Kupferman, éditorialiste BFM Business. Bonjour à tous les trois.

Un chiffre pour commencer, Monsieur le Ministre : 21 ans. Ça fait 21 ans que la France n'a pas enregistré d'excédent commercial. Les déficits tous les ans s'accumulent, 164 milliards d'euros l'an dernier, 54 milliards d'euros au premier semestre. Vous, vous espérez toujours revenir à l'équilibre ? C'est un petit peu comme gravir l'Everest avec des tongs...

R - C'est effectivement gravir l'Everest, parce que quand on est à 164 milliards de déficit, il faut effectivement atteindre des sommets pour remonter cette pente-là ; mais on ne le fait pas en tongs. On le fait aujourd'hui armés d'un bon sac à dos et de solides chaussures, avec tout un équipement et des sherpas. On le fait en fait par trois méthodes. La première, c'est la transition énergétique, parce qu'on sait qu'une grande partie de notre déficit commercial, c'est des énergies que l'on importe. La transition énergétique, c'est justement se passer demain du moteur thermique, c'est produire plus d'électricité nucléaire, c'est produire également davantage d'énergie renouvelable. Donc ceci on le fait, on mettra du temps pour atteindre la neutralité carbone, mais ça permettra d'effacer une grande partie des hydrocarbures qu'on importe. Deuxième volet, c'est évidemment la réindustrialisation de notre pays, avec là aussi un mouvement qui est en marche : on construit désormais plus d'usines qu'on en ferme - 300 usines supplémentaires depuis quelques années et d'autres qui arrivent aujourd'hui, notamment grâce à l'attractivité. Et enfin le troisième volet, c'est emmener nos petites et moyennes entreprises à l'export, où là on a un vrai défi : il n'y en a que 150.000 par rapport à 200.000 en Italie. Et c'est ça le coeur du plan "Osez l'export !".

Q - Votre actualité, c'est la présentation cet après-midi d'une nouvelle brique de ce plan "Osez l'export !" : vous allez mettre en place une marketplace pour que les entreprises puissent vendre leurs produits en B2B. Comment cela va fonctionner ?

R - C'est très simple : on s'est rendu compte qu'aujourd'hui c'est près de 80%, et demain plus de 80%, du commerce B2B, donc d'entreprise à entreprise, qui se fait à travers internet. Alors on a en France souvent les meilleurs produits du monde, ou parmi les meilleurs produits au monde, mais si personne ne le sait, si personne ne les connaît, cela ne sert à rien. Donc nous allons les mettre en ligne. Nous allons les mettre sur une marketplace qui va être gérée par Business France, grâce notamment à l'entreprise Mirakl, et nous allons le faire également de manière sectorielle, avec ce qu'on appelle des e-vitrines, sur un certain nombre de produits : les produits cosmétiques, des produits industriels, des produits gastronomiques, etc. Et c'est ça, ce que nous lançons cet après-midi.

Q - Laurent Vronski, vous êtes un chef d'entreprise, vous êtes un industriel, vous exportez entre 80 et 90% de votre production selon les années. De quoi est-ce qu'on a besoin, lorsqu'on part à l'international ?

[Réponse de M. Laurent Vronski]

Q - Olivier Becht ?

R - On est tout à fait d'accord. Si vous voulez, nous avons, et moi j'en suis convaincu, tous les moyens de redevenir une grande puissance commerciale, parce que nous avons des entreprises extraordinaires sur le territoire. Et ces entreprises, elles sont notamment dans le milieu industriel. D'ailleurs, on le voit quand on regarde les chiffres du commerce extérieur : la part industrielle continue à grimper. C'est la preuve à la fois que nos industries font de l'excellente qualité et qu'elles savent bien se vendre sur les marchés. C'est la preuve aussi que de nouvelles industries s'installent et vont demain pouvoir non seulement fabriquer en France, mais aussi exporter des produits qui jusqu'à présent étaient fabriqués ailleurs.

Q - Est-ce que la conquête de l'International n'est pas plus difficile aujourd'hui avec la transition écologique ? Les entreprises régionalisent leur supply chain autant que possible... Est-ce que ça ne rend pas les prospections à l'international plus compliquées ?

R - Non je ne pense pas. Je pense vraiment que, même si la globalisation change de visage, avec de la colocalisation notamment pour éviter les trop grandes dépendances sur une production géographique, nous resterons largement ouverts les uns sur les autres, les uns avec les autres. Et vous avez raison, il y a peut-être une chose qui change, mais c'est dans les accords commerciaux : c'est la nécessité de prendre en compte le facteur environnemental. Nous le prenons à travers les Accords de Paris, nous le prenons à travers la lutte contre la déforestation, la protection de la biodiversité. Donc oui, ce mouvement de conciliation du commerce avec l'environnement, il est en marche.

Q - Laurent Vronski?

[Réponse de M. Laurent Vronski]

Q - Vous êtes d'accord ?

R - Oui, je pense qu'on doit, -je suis un peu plus optimiste que vous-, je pense qu'on peut concilier les deux, et ça, nos entreprises françaises le font très bien, c'est-à-dire qu'on peut aller produire chez les autres parce qu'aller produire chez les autres, c'est aussi participer au développement de ces pays et d'un point de vue international, c'est une bonne chose, mais sans le faire avec la naïveté que vous décriviez à l'instant, notamment vis-à-vis de la Chine, ou d'autres acteurs qui ont un but très simple en se développant eux-mêmes - qui est de nous faire concurrence. Donc il faut savoir se protéger et faire en sorte d'être ouvert à la fois dans le sens de la réciprocité et l'être avec la capacité de lutter contre la concurrence déloyale - c'est là que l'Union européenne développe ses instruments. Je pense notamment aux instruments anti-coercition, aux instruments anti-subvention. Et c'est ce que nous sommes en train de faire avec la Commission européenne dans le cadre de l'enquête sur les subventions chinoises dans l'industrie automobile, et particulièrement sur les véhicules électriques.

Q - Olivier Becht, vous faites partie des ministres qui mouillent la chemise comme on dit : vous allez partir aux Etats-Unis ce week-end, vous allez rester une semaine avec une délégation de chefs d'entreprise notamment. Quel est le programme ? Qu'est-ce que vous attendez de cette visite ?

R - On a plusieurs séquences sur ce déplacement. On a un programme politique, notamment avec les autorités américaines pour discuter d'un certain nombre de sujets dont la réforme de l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons un volet attractivité, puisque je vous rappelle que les Etats-Unis sont la première puissance investissant en France avec des investissements relativement colossaux : les premiers investissements directs étrangers en France, ce sont les Etats-Unis ; donc c'est aller chercher de nouvelles entreprises américaines pour investir en France, préparer notamment le prochain Choose France. Et c'est évidemment emmener des entreprises françaises, et nous aurons notamment au Texas un certain nombre d'entreprises, de start-up, de jeunes PME françaises, qu'on met en relation avec les entreprises du NewSpace, SpaceX, Blue origin, Collins, etc, et qui vont pouvoir exporter leurs propres produits dans ce domaine qui est un domaine en pleine expansion.

(...)

R - Et vous avez parfaitement raison, et l'un des outils que nous mettons en place dans le Plan Export, c'est notamment le VTE le Volontaire territorial à l'export qui est un peu le pendant du VIE mais qu'on place dans l'entreprise en France. Un jeune bien formé qui parle anglais et qui va justement aider le chef d'entreprise, qui peut-être ne parle pas la langue ou peut-être n'a pas de stratégie export, à bâtir cette stratégie export et à aller se projeter à l'international.

Q - Il nous reste beaucoup de questions, on va essayer de faire vite. Vous étiez en Afrique, il y a quelques jours, au Nigeria, premier pays du continent africain, vous avez lancé un appel au sursaut des entreprises françaises en Afrique, et surtout vous avez souhaité tordre le cou à l'idée reçue que la France était en perte d'influence. Cela reste quand même difficile aujourd'hui, il y a un sentiment anti-français qui est aigu en Afrique ?

OB - En réalité très peu. On se laisse complètement intoxiquer par les réseaux sociaux qui sont eux-mêmes manipulés par, il faut le dire, un certain nombre de puissances étrangères qui veulent...

Q - Russie.

R - C'est vous qui l'avez dit... notamment, mais pas qu'eux, qui effectivement, veulent chasser la France du continent. Mais en réalité, il y a encore un important désir de France sur le continent africain, et il y a un gros investissement français en Afrique. Quand on regarde les chiffres, on a deux fois plus d'entreprises françaises en Afrique qu'il y a 10 ans, on a trois fois plus d'investissements français en Afrique qu'il y a 10 ans, cela prouve que la France est encore très présente ; Je peux vous dire que les pays dans lesquels je me suis rendu, dans les dix derniers jours, j'étais effectivement au Nigeria, j'étais en Afrique du Sud. Je peux vous dire que la France est attendue, que les entreprises françaises sont bien vues, et que nous avons d'importants marchés à mettre en oeuvre avec les pays africains.

Q - L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur, la signature a été une nouvelle fois repoussée ; j'imagine que vous êtes soulagé, même si l'Allemagne, de son côté, était plutôt favorable.

R - Il n'y a pas de soulagement, parce que nous n'avons jamais dit que nous ne voulons pas d'accord...

Q - Mais pas celui-ci.

R - ... avec les pays du Mercosur. La France est un pays installé sur le continent sud-américain, avec la Guyane, avec également à proximité la Guadeloupe, la Martinique. Donc il n'y a absolument pas de rejet de l'Amérique du Sud. Simplement, nous souhaitons un accord qui soit un accord équilibré. On parlait à l'instant de réciprocité : nous souhaitons, pour ouvrir nos marchés, que les produits qui rentrent respectent nos normes environnementales : les Accords de Paris, les accords de lutte contre la déforestation, les normes sanitaires environnementales de l'Union européenne, c'est la base pour qu'il n'y ait pas de concurrence déloyale. Cela me semble être la condition première, aujourd'hui, des accords commerciaux. On l'a fait avec la Nouvelle-Zélande, on l'a fait avec le Chili, on l'a proposé notamment à l'Australie qui l'avait accepté, même si l'accord n'a pas été signé. Il faut que ce soit le cas avec le Mercosur. C'est la condition posée par la France.

Q - L'attractivité de la France, pour faire venir des entreprises étrangères en France : souvent, on sort le carnet de chèques. 3 milliards d'euros lorsque GlobalFoundaries est arrivé avec STMicroelectronics à Crolles en Isère. 1,5 milliard pour faire venir le groupe taïwanais ProLogium à Dunkerque. On a l'impression que c'est devenu la composante indispensable de ce qu'on appelle notre attractivité. En préparant cette interview, avec Laurent Vronski, il soulignait, lui, la complexité du cadre réglementaire. En France, c'est extrêmement compliqué de bâtir quelque chose. C'est très compliqué en matière de réglementation sociale. Est-ce qu'il n'y a pas plutôt une piste à creuser sur ce terrain-là ?

R - D'abord, j'aimerais tordre le cou à une idée qui est celle qu'il faut forcément sortir le carnet de chèques pour être attractifs. En réalité, ce n'est pas vrai. On a chaque année...

Q - C'est souvent le cas.

R - ...1750 projets qui s'installent en France, en provenance de l'étranger, par an, et on sort le carnet de chèques pour une dizaine d'entre eux. Donc on n'est pas du tout dans la jauge " il faut sortir le carnet de chèques systématiquement ". On le sort pourquoi ? Dans le cadre de France 2030, il y a 50 milliards d'euros pour l'innovation et pour récupérer une souveraineté stratégique. Donc oui, quand il s'agit de refaire, par exemple, ces fameuses puces électroniques, dont on sait qu'elles sont partout dans l'industrie -il y a 3000 et quelques microprocesseurs, semi-conducteurs dans une voiture- oui, il faut les produire en France, parce que sinon, notre industrie s'arrête.

Q - En Europe, aussi.

R - Et en Europe, mais particulièrement en France. Nous avons soutenu effectivement le projet STMicroelectronics GlobalFoundaries. Pareil pour les batteries. On ne peut pas construire des voitures électriques, faire notre propre transition si on n'a pas les batteries. Donc on a sorti le carnet de chèques pour avoir ces très grosses industries qui créent énormément de valeur et qui crée des milliers d'emplois. Sur le reste, je rappelle que nous avons fait déjà énormément d'efforts, à la fois sur la fiscalité, réforme de l'impôt sur les sociétés, on a baissé de 33,5 à 25%, baisse des impôts de production, simplifications administratives, simplification du droit du travail, avec les ordonnances Pénicaud de 2017. Et nous continuerons à simplifier, vous l'avez dit, notamment pour que les projets puissent s'installer de manière plus simple, réduire les délais, notamment d'instruction des dossiers, faciliter la vie des entreprises, que ce soit d'ailleurs à l'attractivité, ou en général, également pour les entreprises qui sont déjà implantées sur le sol français.

Q - Merci beaucoup d'être venu en plateau, Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2023