Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur l'action de la France en faveur des droits de l'homme, à Paris le 10 décembre 2023.

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Circonstance : 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme

Texte intégral

 

Merci, Madame l'Ambassadrice, merci, chère Delphine [Borione],
Mesdames les prix Nobel, bravo !
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,


Je suis très heureuse d'être aujourd'hui parmi vous pour célébrer le 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, et surtout de la célébrer dans le lieu même où elle fut adoptée, il y a 75 ans. Votre présence si nombreuse et de qualité, ô combien, est un témoignage fort, bien sûr, de l'importance de cette déclaration, conçue, -je cite- comme "l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations, afin de faire respecter les droits et libertés de tous" ; des droits, dont je veux dire d'emblée que ce sont des droits universels, indivisibles, inaliénables, des droits garants du respect de la dignité humaine. Cette déclaration est aussi la véritable pierre angulaire de l'ordre juridique international des droits de l'Homme et de tous les textes qui le composent. Je pense notamment aux deux pactes de 1966, bien sûr, sur les droits civils et politiques, et sur les droits économiques, sociaux et culturels, et à plus de soixante conventions et protocoles internationaux relatifs aux droits de l'Homme.

La Déclaration universelle guide les Nations unies, et notamment son haut-commissaire aux droits de l'Homme qui sera présent parmi nous, ce soir, un peu plus tard, et elle guide également les travaux du Conseil des droits de l'Homme, et ceux des procédures spéciales des Nations unies et des comités conventionnels, dans lesquels la France joue un rôle actif. Ces principes ont trouvé une portée juridique dans toutes les régions du monde par l'adoption de textes avec force juridique contraignante, de chartes ou de juridictions ; je pense en particulier à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

"Plus jamais cela". La déclaration était construite pour conjurer deux guerres mondiales, et ne jamais revivre l'horreur de la Shoah, pour empêcher la négation de l'humanité qu'elle fut, la négation de la personne humaine, de sa liberté. Depuis 1948, beaucoup a été accompli pour l'enracinement de l'Etat de droit et de la démocratie, pour le respect, aussi, et je devrais dire enfin, des droits des femmes, des droits des enfants, de la lutte contre les discriminations, ou encore pour les droits à l'éducation et à la santé. Nous pouvons aujourd'hui nous féliciter de lire dans des textes, aux Nations unies, qu'il faut respecter la santé et les droits sexuels et reproductifs, qu'il faut respecter l'orientation sexuelle de chacune et chacun. Mais il faut aller plus loin. En 1998, un nouveau progrès, très important, fut accompli avec la création de la Cour pénale internationale, après celle des tribunaux spécialisés de justice pénale internationale. La Cour pénale internationale est un recours ultime, pour réprimer les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, ou ceux de génocide, lorsque les Etats ne veulent ou ne peuvent agir. Je redis tout le soutien de la France à la Cour et félicite à nouveau notre compatriote, Nicolas Guillou, de son élection toute récente et brillante, comme juge à la Cour pénale internationale. Mais nous ne devons pas oublier que le respect des droits de l'Homme est un combat de tous les jours, et que ce combat est, parlons franchement, loin d'être gagné. Nous faisons face à des tentatives pour faire reculer, parfois, les droits et libertés, et ceci partout, dans le monde entier. Des espaces qui étaient ouverts à la société civile et à sa libre expression se restreignent, des défenseurs des droits de l'Homme sont réduits au silence, en nombre, et menacés de mort ; les discriminations et les persécutions n'ont pas disparu, bien au contraire ; tant sont encore pris pour cibles pour leur genre, leur appartenance ethnique, leur croyance, leurs orientations sexuelles, ou tout simplement leur pensée ; et dans nombre de pays, l'arbitraire des systèmes de justice défaillants ne permet pas de punir ces violations, bien au contraire. Je m'inquiète aussi de voir que l'universalité des droits de l'Homme est contestée. Trop souvent elle est la cible des régimes autoritaires, qui s'érigent en contre-modèles, contre la démocratie, contre les droits et libertés individuelles, qui répandent dans leur propagande le relativisme, celui qui conduit à minorer la gravité des violations qu'ils commettent ; un relativisme qui leur sert aussi de prétexte pour réprimer. Ne tombons pas dans ce piège tendu, souvent au prétexte fallacieux de l'existence d'un deux poids deux mesures, et j'invite surtout chacune et chacun à prendre la pleine mesure de ce que porte ce relativisme : le recul des droits, celui de la pensée libre, celui de la notion même de l'égale dignité de la personne humaine, et avec eux des violations des droits de l'Homme, les souffrances des femmes afghanes que les Talibans voudraient effacer de la société. Quel être humain, où qu'il soit, mériterait pareil sort ? Et au nom de quel particularisme culturel, au juste ? Il n'y a pas de réponse à ces questions. Nous devons tenir bon, partout, sur les droits que nous défendons, précisément parce que ce ne sont pas seulement nos valeurs, même si c'est nous qui sommes fiers de les défendre, ce ne sont pas seulement nos valeurs, ce sont les valeurs attachées à la liberté de chaque personne humaine. Les droits de l'Homme sont universels, je le répète, ils sont aussi indivisibles. Les fragmenter, en ne les attachant plus à l'individu, mais à des groupes, aux contours par ailleurs hasardeux, c'est aussi les faire reculer. La France poursuivra sans relâche ses efforts face à ces reculs. Nous avons les yeux ouverts, nous savons que ce combat est un combat de tous les jours, je le redis, et qu'il n'est pas gagné pour toujours.

La France poursuivra ses efforts. Elle continuera de le faire aux Nations unies et au sein des organisations internationales dont elle est membre. Elle a été récemment réélue au Conseil des droits de l'Homme où, comme dans toutes les enceintes, elle poursuivra ses efforts pour faire progresser les mécanismes internationaux de défense des droits de l'Homme, assurer le respect des conventions, dénoncer les violations et aider les pays à se doter des instruments de l'Etat de droit. La France oeuvre en particulier pour l'universalisation de la Convention sur les disparitions forcées, de la Convention contre la torture, de la Convention d'Istanbul, et du deuxième protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques. Je voudrais aussi souligner notre action pour faire respecter l'universalité des droits des femmes et des filles, dans toute leur diversité. Notre pays porte officiellement, avec une dizaine ou une douzaine d'autres, une diplomatie féministe. Il le fait depuis 2019, pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles, pour défendre le droit de chacune à disposer de son corps, et pour soutenir massivement les organisations féministes, comme nous le faisons, avec le fonds de soutien qui à ce jour est le plus important au monde. La France poursuit activement sa lutte contre toutes les haines, toutes les discriminations. Sous l'impulsion du Président de la République, elle porte désormais le combat de la dépénalisation universelle de l'homosexualité et de la défense des droits des personnes LGBT+, pour laquelle j'ai créé un fonds de soutien spécifique, il y a quelques mois.

Un autre combat nous unit, celui contre la peine de mort, bien sûr. Le Président de la République en parlera ce soir. La France continuera de jouer son rôle historique pour l'abolition universelle de la peine de mort.

Le combat en faveur des droits de l'Homme consiste aussi à prendre en compte les défis contemporains. Bien sûr, la France s'engage pour la liberté des médias et la nécessité d'assurer un journalisme fiable, indépendant, pluriel, comme elle s'engage pour la responsabilité sociale des entreprises, ou pour le plein respect des droits de l'Homme dans le nouvel univers technologique.

Partout dans le monde, mon pays s'honore d'agir pour la paix et la sécurité, et pour le respect des conditions humanitaires des populations victimes des conflits ou victimes du terrorisme. La France s'est aussi fermement engagée contre l'impunité. Ecoutons le grand René Cassin, l'un des inspirateurs et rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'Homme : "Il n'y aura pas de paix sur cette planète, tant que les droits de l'Homme seront violés, en quelque partie du monde que ce soit". Redoublons d'efforts pour faire respecter ces droits et mettre fin à l'impunité de ceux qui les violent.

Notre engagement ne se limite pas aux droits civils et politiques. Notre aide publique au développement est devenue la quatrième au monde. Elle a adopté une approche fondée sur les droits humains. Elle se tourne vers les plus vulnérables pour donner une réalité concrète à l'ensemble des droits, indivisibles, qu'ils soient économiques, sociaux, culturels, environnementaux, civils ou politiques. Universels et indivisibles, je le redis. Chaque pays doit s'efforcer, bien sûr, d'être un exemple de ce qu'il promeut. Nous le faisons, en France, comme l'a démontré, je crois, notre examen périodique universel, en mai de cette année, ou nos auditions devant les comités conventionnels.

Au-delà des Etats, pourtant, tous les acteurs -collectivités territoriales, entreprises, monde académique, société civile - ont bien sûr un rôle à jouer également. Je tiens ici à rendre hommage aux centaines de milliers de défenseurs des droits et libertés, qui s'engagent au quotidien, chaque jour, au péril de leur vie parfois, et aux dépens de leur propre liberté parfois, je veux leur rendre hommage, vous êtes ici réunis pour eux. Vaclav Havel disait qu'il ne fallait jamais sous-estimer le pouvoir des "sans pouvoir", quand il est guidé par le souci de la justice et animé par le courage. On sait en effet qu'un geste symbolique peut ébranler une tyrannie. Il y a vingt-cinq ans, l'Assemblée générale des Nations unies adoptait une déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme. Ici même, à Paris, se tenaient les Etats généraux des défenseurs des droits humains. De nombreux de ces défenseurs sont ici aujourd'hui, associations, militants, journalistes, avocats, juges. Par leurs actes et leur voix, par vos actes et votre voix, par leur plume, par vos plumes, ou par la mine de leurs crayons, la mine de vos crayons, ils documentent, vous documentez, alertez, dénoncez, soutenez les victimes. Vous vous battez au quotidien pour les droits, les libertés et la justice. Je salue votre courage.

Mesdames et Messieurs, la France, pays des Lumières, pays où l'idée même des droits de l'Homme fut dévoilée, est pleinement engagée dans la réalisation des droits de l'Homme. Leur protection et leur diffusion continueront de guider notre diplomatie. Et partout où les droits et libertés seront bafoués, nous soutiendrons celles et ceux qui souffrent et se battent, en affrontant les défis actuels et futurs. Mais cette réalisation universelle des droits de l'Homme ne se fera pas sans justice, chaque violation doit être effectivement sanctionnée. C'est particulièrement vrai en situation de crise, lors des conflits ou en réponse à la violence lâche et aveugle du terrorisme. Il n'y a pas de paix sans justice.

Mesdames et Messieurs, je vais conclure en citant René Cassin, à nouveau. Il souhaitait que la Déclaration soit "un guide pour la politique des gouvernements, un phare pour l'espoir des peuples". Les membres de l'Assemblée générale des Nations unies, réunis ici même en 1948, avaient bien conscience que les mots d'une déclaration n'allaient pas à eux seuls arrêter la haine, la misère ou le fracas des armes. Mais ils espéraient, par un engagement solennel, en appeler à la conscience universelle de tous. Ils exprimaient en cela un rejet, celui de l'inhumain, et un espoir, celui de la liberté et de la dignité pour toutes et pour tous. Que cette commémoration soit l'occasion de faire vivre cette détermination, de la transformer en actes et de la transmettre aux nouvelles générations. Merci d'être là, merci de ce que vous faites, merci de ceux qui nous inspirent et ont été distingués comme il le fallait, et ensemble réalisons cette plus haute aspiration de l'humanité.


Je vous remercie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2023