Interview de M. Roland Lescure, ministre délégué, chargé de l'industrie, à France Inter le 4 janvier 2024, sur l'éventualité d'un remaniement ministériel, la loi immigration et la réindustrialisation.

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Média : France Inter

Texte intégral

SIMON LE BARON
C'est rare un ministre qui parle ces jours-ci, le gouvernement est comme paralysé dans l'attente des décisions d'Emmanuel MACRON, alors on remercie Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l'Industrie, d'avoir accepté l'invitation d'Inter ce matin, bonjour.

ROLAND LESCURE
Bonjour. Eh bien moi je vous remercie de m'avoir invité.

SIMON LE BARON
Posez-lui vos questions amis auditeurs, sur la réindustrialisation, sur l'emploi, mais aussi sur ce moment politique que nous vivons, cette incertitude qui semble flotter au sommet de l'Etat, 01 45 24 7000, application France Inter et franceinter.fr grâce à l'onglet " réagir. " Commençons justement, Roland LESCURE, par la rentrée politique, vous avez droit, bien malgré vous, à un peu de rab de vacances puisque le Conseil des ministres qui était prévu hier a été reporté à la semaine prochaine, sans explications de l'Elysée, est-ce que vous en avez-vous ?

ROLAND LESCURE
Alors d'abord ça arrive régulièrement que le Conseil des ministres soit déplacé, ensuite il ne faut pas croire que les ministres ne travaillent que quelques heures par semaine le mercredi matin, donc on est à la tâche, moi je suis rentré au bureau hier, et j'ai repris le travail, et je continue à faire un travail que j'adore, qui est d'être le ministre de l'Industrie, vous l'avez dit, à un moment absolument exceptionnel, et je pense que je ne suis pas le seul, j'ai échangé avec mes collègues, on s'est échangé les voeux comme tous les bons collègues, et je pense que tout le monde est au travail.

SIMON LE BARON
Le problème c'est que tout le monde dans les ministères, les conseillers et les ministres, se demandent si Emmanuel MACRON est en train de préparer un remaniement, est-ce que ce fonctionnement est sain pour les institutions ?

ROLAND LESCURE
Ecoutez, je ne suis pas sûr que ce soit particulièrement sain de passer sa vie à se poser des questions. Moi dans la vie j'ai une philosophie assez simple, ce que je maîtrise je le fais à fond, ce que je ne maîtrise pas je vis avec, ce que je maîtrise aujourd'hui c'est le poste qu'est le mien, une responsabilité exceptionnelle, à un moment de l'Histoire qui me semble lui aussi exceptionnel, on est à l'aube d'une révolution industrielle, on y reviendra sans doute. J'ai la chance d'être ministre dans l'Industrie à un moment où on accélère la transition écologique, on le fait en France et en Europe, on parlera sans doute aussi d'Europe ce matin, voilà, vraiment moi je ne me pose aucune question, si ce n'est de continuer mon travail.

SIMON LE BARON
On est là malgré tout encore dans les conséquences de la crise née de l'adoption dans la douleur, c'est le moins qu'on puisse dire, de la loi immigration, vous faites partie des ministres qui avaient été dérangés par l'adoption de cette loi fortement durcie par la droite, un seul a quitté son poste, votre ex-collègue de la Santé, Aurélien ROUSSEAU, vous avez eu des doutes sur votre présence au gouvernement, vous n'en n'avez plus ?

ROLAND LESCURE
Non, j'ai eu des questions sur le texte lui-même, ça c'est vrai. Dès le mardi d'ailleurs, la CMP, la Commission mixte paritaire, s'est tenue, un certain nombre de sujets y ont été réouverts, qui m'ont préoccupé, je dois le reconnaître, notamment la conditionnalité des aides personnalisées au logement, entre autres, et je fais partie des ministres qui avaient eu des questions. La Première ministre nous a reçus dès le mardi soir, elle a répondu à nos questions, le président de la République est intervenu dans un grand média de l'audiovisuel public dès le mercredi, il a lui aussi d'ailleurs évoqué des doutes que lui-même avait sur le texte tel qu'il était sorti et tel qu'il avait été voté à l'Assemblée, il a aussi saisi le Conseil constitutionnel, qui va devoir donner son avis dans les semaines qui viennent, donc je dirais le travail continue.

SIMON LE BARON
Mais si c'est pour dire on espère que les dispositions qui ne nous plaisent pas soient censurées par le Conseil constitutionnel et puis le reste, en gros, on ne les appliquera pas, ou on fera des décrets d'application moins-disant, est-ce que c'était bien la peine de déclencher une crise politique de cette ampleur ?

ROLAND LESCURE
Alors, d'abord si c'était pour dire ça, vous avez raison, ça ne valait peut-être pas le détour, ce n'est absolument pas ce qui a été fait. On a une loi aujourd'hui qui répond à un enjeu majeur, qui est celui de contenir l'immigration illégale, d'accélérer l'intégration de ceux qui sont légalement sur notre sol, de simplifier les procédures à la fois de recours pour ceux qui demandent l'asile politique, donc il y a un certain nombre de dispositions qui sont extrêmement, je dirais, justes et efficaces. Il y en a qui concernent les mineurs, vous savez que, grâce à cette loi, les mineurs ne pourront plus être placés en centre de rétention administrative, une mesure qui a été votée au Sénat d'ailleurs, par une majorité de droite, c'était un amendement des Radicaux de gauche, donc ce qui montre bien que le Sénat a travaillé en produisant un texte qui, de mon point de vue, n'était pas acceptable, l'Assemblée n'a pas pu travailler jusqu'au bout, et ça je le regrette, je le regrette parce que je pense qu'il y avait un certain nombre de dispositions qui auraient pu être discutées lors de la discussion en Assemblée qui ne l'ont pas été, donc c'est vrai qu'on se retrouve avec un texte, d'abord qui est un texte rendu acceptable par le travail…

SIMON LE BARON
Pour vous il est acceptable ?

ROLAND LESCURE
Bien sûr, il est acceptable parce que la Première ministre, le ministre de l'Intérieur, et les parlementaires, moi je salue à la fois Sacha HOULIE, président de la commission des lois, et Florent BOUDIE, qui était rapporteur général de ce texte, qui ont négocié…

SIMON LE BARON
Sacha HOULIE qui a voté contre ce texte !

ROLAND LESCURE
Oui, et Florent BOUDIE, qui a voté contre, moi je pense que… qui a voté pour, pardon, les parlementaires ont voté en conscience. Ce qui est clair c'est que ce texte il a été adopté à une large majorité, et je le dis une fois, et on passera à autre chose, y compris sans compter les voix du Rassemblement national. Moi, ce qui me gêne, vous voulez que je vous dise ce qui me gêne dans ce texte ? ce n'est pas ce qu'on y trouve, c'est ce qu'on n'y trouve pas. Moi j'ai vécu dix ans au Canada, j'ai été un immigré, et un certain nombre de mesures qui sont dans ce texte sont déjà en oeuvre au Canada. Vous ne pouvez pas arriver au Canada et dès le premier jour avoir droit à toutes les aides sociales. Devenir Canadien, moi je suis devenu Canadien, ce n'est pas une sinécure, ce n'est pas anodin, vous devez passer par exemple un examen, à la fois en langues, français ou anglais, ils ont deux langues nationales, mais aussi sur la connaissance de la culture, de l'histoire, de la politique canadienne, tout ça ce n'est pas anodin, mais, au Canada, on a aussi des mesures pour accélérer l'insertion économique des migrants qui ont droit d'y être.

SIMON LE BARON
Alors justement, vous aviez plaidé pour le recours à l'immigration, vous avez dit " on ne pourra pas réindustrialiser vraiment la France sans immigration ", et vous êtes même allé jusqu'à dire qu'il faudrait 100 à 200.000 immigrés dans les dix ans à venir pour compenser les départs à la retraite. Les mesures de régularisation, dans ce texte, ont été durcies.

ROLAND LESCURE
Alors, elles vont dans le bon sens puisqu'on parle à peu près de 10.000 régularisations en plus par an, donc voyez, 10.000 par an pendant dix ans, on est à 100.000, donc on n'est pas très loin du chiffre que j'avais mentionné. Moi je pense que si on avait pu discuter de ce texte à l'Assemblée, et franchement je le regrette, que la motion de rejet ait été adoptée par un attelage un peu improbable entre la gauche, qui se dit de gouvernement, l'extrême gauche, l'extrême droite, les Républicains, qui a empêché qu'on discute de ce texte. Il y avait des députés de la majorité qui portaient des amendements, par exemple pour élargir ce qu'on appelle le " passeport talent ", qui permet, sur des talents particuliers dont on a besoin, de pouvoir faire venir de manière simplifiée des talents qui viennent de l'étranger et qui sont qualifiés, bon, eh bien ce débat-là il n'a pas eu lieu. Est-ce que ces amendements auraient été adoptés ? Je n'en sais rien, le débat n'a pas eu lieu. Est-ce qu'ils auraient été retenus dans le texte final ? Je ne sais pas, ils n'ont pas pu être discutés, mais j'ai l'impression aujourd'hui en tout cas que ce texte, qui est un texte acceptable, il aurait pu être plus complet, il ne le sera pas. On va continuer évidemment à travailler pour attirer des talents sur les postes dont on a besoin en France et aussi à refuser ceux qui n'ont pas vocation à rejoindre la France, et tout ça à un moment très important qui est celui de la réindustrialisation de la France, qui est la mission qui m'a été confiée, que je suis très heureux d'accomplir.

SIMON LE BARON
Alors, il y a quand même une incertitude, un flottement au gouvernement, on en est à se demander ce qu'a voulu dire le Président quand il a remercié Elisabeth BORNE et ses ministres dans ses voeux du 31 décembre, est-ce que c'était une façon de vous confirmer ou finalement de dire merci, au revoir, comment vous l'avez pris, vous ?

ROLAND LESCURE
Alors, vous vous rendez compte qu'on soit surpris que le Président de la République remercie la Première ministre et son gouvernement d'avoir bien travaillé en 2023 ? Moi je ne fais pas de l'exégèse, je ne fais pas du décryptage, c'est tout simplement un président de la République qui remercie son gouvernement d'avoir bien travaillé, et je vous confirme…

SIMON LE BARON
Tout ça est symptomatique d'une crise…

ROLAND LESCURE
Non, moi je pense que c'est symptomatique…

SIMON LE BARON
Gouvernementale aujourd'hui.

ROLAND LESCURE
Non, mais c'est symptomatique d'un certain nombre de commentaires qui commentent, et dans ces périodes, vous connaissez l'adage, ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas, il y en a beaucoup qui parlent qui, je pense, ne savent pas grand-chose, et puis il y en a sans doute un ou deux qui savent, le président de la République, vous le savez, c'est sa prérogative de nommer un ou une Première ministre, avec elle, ou avec lui, de nommer un gouvernement, et lui, évidemment, il ne parle pas.

SIMON LE BARON
En effet. Remaniement avant le 17 janvier, est-ce que c'est possible d'après vous, je vous parle de cette date parce que c'est à ce moment-là que sera rendu le jugement dans le procès pour favoritisme contre votre collègue du Travail Olivier DUSSOPT, dix mois de prison avec sursis requis contre lui, est-ce que ça sert à quelque chose de remanier avant ?

ROLAND LESCURE
Bon, d'abord aucun commentaire sur évidemment une procédure judiciaire en cours, si ce n'est qu'Olivier DUSSOPT est un collègue exceptionnel, qui a fait lui aussi un très bon travail en 2023, c'est le moins qu'on puisse dire, il a eu son assiette bien remplie et il a très très bien livré, pour le reste je vais vous redire ce que j'ai dit il y a quelques minutes, ce que je maîtrise je le fais à fond, ce que je ne maîtrise pas je vis avec.

SIMON LE BARON
Venons-en donc aux sujets qui vous concernent en tant que ministre de l'Industrie. Avant d'entrer dans le détail sur l'implantation de nouvelles usines, sur la productivité des voitures électriques, un mot du tableau général, Roland LESCURE, le chômage est reparti à la hausse, deuxième trimestre de hausse consécutive selon l'INSEE au troisième trimestre 2023, +0,2 point, on est à 7,4 % de chômage, le grand objectif d'Emmanuel MACRON sur ces dix ans de mandat c'est le plein emploi, donc c'est-à-dire autour de 5%, est-ce que cet objectif est toujours réaliste ?

ROLAND LESCURE
Bien sûr, il l'est plus que jamais, mais pour l'atteindre il va falloir, plus que jamais, faire preuve de volontarisme, d'action, et d'aller chercher des résultats. Donc, vous l'avez dit, le chômage il est un peu au-dessus de 7 % aujourd'hui, on n'avait pas connu des niveaux de chômage aussi bas depuis des décennies, donc ça c'est le verre à moitié plein, mais pour aller à 5 il va falloir continuer. On fait face, on l'a entendu tout à l'heure avec Pierre HASKI, à une conjoncture internationale extrêmement incertaine, on a des industriels aujourd'hui qui forcément font preuve d'un peu d'attentisme, à nous de les convaincre que c'est le moment d'investir en France, parce qu'on a une révolution technologique, l'intelligence artificielle, parce qu'on a une révolution écologique, parce qu'on a des Françaises et des Français qui innovent, des talents, des entrepreneurs, parce qu'on attire, et que c'est le moment de se retrousser les manches et de faire face aux risques, mais avec volontarisme et action.

SIMON LE BARON
7,4 % de chômage, c'est vrai qu'on est nettement en dessous du pic de 2015, c'était 9,5 %, mais qu'est-ce qui explique, pour reprendre justement une expression qu'on utilisait beaucoup à l'époque, qu'est-ce qui explique cette inversion de la courbe, mais dans le mauvais sens ?

ROLAND LESCURE
Non, alors je ne pense pas qu'on soit sur une inversion de la courbe, ça c'est l'avenir qui nous le dira, ce qui est vrai…

SIMON LE BARON
Ce sont des soubresauts pour l'instant !

ROLAND LESCURE
Non, mais c'est ça, et puis évidemment, à la fois la hausse quasi inexorable qu'on a connue pendant des décennies et la baisse, qui j'espère va se poursuivre, qu'on connaît depuis quelques années, se sont toujours faites avec, je dirais, des hauts et des bas, la conjoncture, les incertitudes à court terme, telles ou telles entreprises qui s'inquiètent de la fin de l'année, qui font preuve d'un peu d'attentisme. Vous savez qu'en 2023 on a eu de l'inflation, assez élevée, elle était moins élevée qu'ailleurs, mais on avait quand même de l'inflation, aux alentours de 5%, elle est désormais redescendue en dessous de 4, et j'espère que ça va continuer à baisser dans les trimestres qui viennent, eh bien tout ça, ça crée de l'incertitude, et donc ça crée effectivement des soubresauts, comme vous dites, l'essentiel c'est qu'on continue à travailler pour faire baisser le chômage. Ça va demander des réformes, courageuses, ça va demander aussi de continuer à inciter les entreprises à investir dans l'avenir.

SIMON LE BARON
Alors justement, pour créer de l'emploi Emmanuel MACRON mise, et c'est votre mission, sur la réindustrialisation, 300 usines sorties de terre depuis l'arrivée au pouvoir du président, pour 600 fermetures sur les huit années précédentes, c'est un rattrapage, il reste encore beaucoup à faire, on est loin d'être revenu à un niveau qui était celui de la France quand elle était une grande nation industrielle, je crois qu'en termes d'emplois industriels la France est 22e sur 27 dans l'Union européenne aujourd'hui.

ROLAND LESCURE
Et ça donne une idée de l'ampleur de la tâche. On a entamé un virage qui est celui de la réindustrialisation, vous l'avez dit, on a des résultats, 120.000 emplois créés, 300 usines, en net, en plus par rapport à ce qu'on avait il y a six ans. Quand on entre dans un virage, la meilleure manière d'en sortir c'est d'accélérer, et je pense qu'en 2024 ça va être le maître-mot, d'ailleurs le président de la République l'a évoqué lors de son discours des voeux. Il ne faut surtout pas se reposer sur des lauriers qui n'en sont pas. Aujourd'hui on a un début de réindustrialisation, il faut accélérer, accélérer en continuant à attirer des industriels internationaux qui, plus que jamais, choisissent la France, dans le secteur de l'industrie pharmaceutique, dans le secteur des biens d'équipement, dans le secteur des nouvelles technologies, il faut former, former, former. On le disait tout à l'heure, avec le boom démographique, des gens qui vont partir à la retraite, on va avoir besoin de créer plus d'un million d'emplois industriels, donc de former, des jeunes hommes, des jeunes femmes, dans l'industrie. On a besoin de trouver des sites industriels, ça c'est très important, on a annoncé en fin d'année 50 sites industriels clés en main qu'on va déployer dans les mois qui viennent pour qu'un industriel qui souhaite installer son usine, petite, moyenne ou grande, puisse avoir le choix de sites qui soient clés en main.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 janvier 2024