Texte intégral
Monsieur le Président, cher Nicolas DUVOUX,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
Madame la Présidente du Comité scientifique,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité scientifique,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur pour moi, et je vous remercie de m'avoir invitée, de participer ce matin à la réunion plénière d'installation du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Vous avez mentionné vos deux prédécesseurs, j'ai la chance de les connaître tous les deux puisque j'ai siégé avec Fiona LAZAAR et j'ai commencé mon engagement politique aux côtés d'Etienne PINTE dont je sais l'engagement absolu sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, qui n'était pas un engagement de circonstance mais vraiment l'engagement de toute sa vie, y compris sur des sujets très difficiles, peu adressés à l'époque. Je pense par exemple à la situation des prisons qu'il a largement contribué à mettre sur le devant de la scène politique.
Comme pour la plupart d'entre vous, c'est en fait pour moi aussi une première et je suis donc très heureuse de m'exprimer devant vous en tant que ministre des Solidarités et des Familles. Ces solidarités sont évidemment au coeur du modèle social que nous avons collectivement choisi et qui fait, je crois à juste titre, la fierté de notre pays. Notre modèle permet chaque année à 5 millions de nos concitoyens d'éviter de tomber dans la pauvreté, mais le fait que notre système social soit l'un des plus protecteurs au monde ne signifie pas évidemment qu'il soit parfait. Je n'ignore donc rien des difficultés auxquelles sont confrontés nos concitoyens les plus vulnérables, en particulier, vous l'avez dit, en cette période de forte inflation.
Nous devons lutter contre les deux grandes fragilités de notre système en France, la trop forte reproduction entre les générations de la pauvreté et le fait que lorsque l'on tombe dans la pauvreté on mette beaucoup trop de temps à en sortir. Tout cela passe par des politiques, qui soient claires, de lutte contre la pauvreté et l'exclusion dont vous êtes, en tant que membres du CNLE, des partenaires essentiels. Au-delà de cette plénière d'installation aujourd'hui, je répondrai évidemment à vos prochaines invitations. Je souhaite donc que ce partenariat se poursuive, se renforce dans les mois à venir afin de suivre ensemble la réalisation du Pacte des solidarités. C'est pourquoi il me semble d'ailleurs indispensable que le CNLE soit représenté au sein de la Conférence permanente des solidarités qui sera installée en début d'année prochaine et je vous laisserai vous-mêmes déterminer les modalités de participation. Cette représentation me semble d'autant plus importante en raison, vous l'avez dit, de cette composition paritaire de votre Conseil absolument unique dans notre pays.
En tant que personnes directement concernées, je crois que vous vous sentez parfois trop souvent injustement mises en causes, stigmatisées du fait de votre situation. Et cette stigmatisation est évidemment insupportable. C'est d'ailleurs le sens de la mission parlementaire que nous allons lancer avec Stanislas GUÉRINI qui, vous le savez, est ministre de la Fonction publique et de la Transformation. Cette mission visera une chose claire : transformer la relation entre les personnes en situation de pauvreté et nos grands services publics en travaillant notamment à la formation des agents. C'est aussi pour cela que je souhaite vous associer le plus largement possible dans le choix et la mise en oeuvre des différentes mesures du Pacte des solidarités. Je veux que vous soyez consultés, associés et que vous nous aidiez à faire les bons choix. J'ai la conviction profonde que notre modèle de solidarité nécessite que chacun prenne sa place et donc que chacun prenne sa part : l'État, les collectivités, les associations, les partenaires sociaux mais aussi les entreprises et les citoyens. C'est la société toute entière qui doit bien se mobiliser dans cette démarche partenariale. Une démarche partenariale qui a été au coeur de l'élaboration du Pacte que j'ai pu présenter avec la Première ministre, le mois dernier. Un certain nombre d'entre vous y étaient, même si je sais que certains auraient voulu que cette collaboration et cette co-construction puissent être encore renforcées, et je prends l'engagement que ce soit bien le cas pour vous à l'avenir. Une démarche partenariale qui est aussi au coeur de cette mise en oeuvre partout en France grâce aux pactes locaux des solidarités. Vous savez que c'est un travail que nous menons avec les collectivités locales, les départements, les métropoles pour faire en sorte de partir surtout des réalités du terrain, des réalités des territoires. Une démarche partenariale qui sera demain à l'origine d'une nouvelle méthode que j'ai rapidement évoquée lors de la présentation du Pacte, réunir les acteurs de la solidarité dans le cadre d'une Conférence permanente des solidarités tous les trimestres afin que nous fassions un point précis d'étape, pas juste une clause de revoyure une fois par an, sur le déploiement et la mise en oeuvre des actions du Pacte des solidarités.
Le Pacte amplifie et renouvelle l'ambition de la stratégie de lutte contre la pauvreté que nous avions portée lors du précédent quinquennat. Très concrètement, ce sera 50 % de crédits en plus en 2027 par rapport à ceux de cette année. Cela veut dire que nous allons augmenter les crédits année après année. Ces mesures doivent évidemment mobiliser tous les leviers à notre disposition. La lutte contre la pauvreté, vous le savez mieux que personne, n'est pas juste une question de subsistance. Les femmes, les hommes et les enfants, de plus en plus d'ailleurs, confrontés à la pauvreté et à la précarité ont tous – vous avez tous – des histoires différentes. C'est donc un accompagnement spécifique qui doit se mettre en place.
Les deux premiers axes du pacte reprennent et surtout vont plus loin que la stratégie précédente.
Le premier axe, qui était pour moi une évidence, c'est d'abord la prévention de la pauvreté dès l'enfance, et surtout son corollaire, la sortie durable de la pauvreté.
La lutte contre la pauvreté des enfants est évidemment une de mes priorités en tant que ministre des Solidarités et des Familles. Cela va se concrétiser, par exemple, par le développement de services pour les enfants de moins de 3 ans et leur famille. C'est la question du service public de la petite enfance, et notamment le développement que nous souhaitons faire, vous le savez, pour des places dédiées à vocation d'insertion professionnelle. En 2017, il n'y en avait que 50 dans notre pays. Aujourd'hui, nous en avons plus de 700. L'idée est de créer d'ici 2027 1 000 nouvelles crèches qui soient dédiées, tout ou partie, à cet accueil, cette mixité et à la capacité de retour à l'emploi. Pour m'être rendue dans l'une d'entre elles, c'était à Aubervilliers, c'est assez spectaculaire. C'est à la fois évidemment bon pour les enfants qui y sont accueillis mais c'est bon aussi pour les femmes en particulier, qui sont accompagnées. Le taux de retour à l'emploi est de 70 % donc, clairement, cela marche et c'est pour cela qu'il faut l'amplifier.
C'est aussi soutenir les familles avec une des inégalités majeures qui est l'accès à l'alimentation, et à l'alimentation de qualité. C'est ce que nous faisons, vous le savez, avec les petits-déjeuners à l'école parce que l'on ne peut pas apprendre quand on part le ventre vide à l'école le matin, et c'est aussi la question des cantines à 1 euro. Sur beaucoup de nos territoires, en particulier ruraux, il n'y avait pas de tarification sociale à la cantine et nous avions donc des écarts importants et surtout nous avions des familles qui renonçaient à inscrire leur enfant à la cantine parce que cela coûtait trop cher. Concrètement, l'État vient aider, vient financer ces cantines pour que ce soit au plus 1 euro par famille.
Je pense aussi à ce que nous faisons et ce que nous allons mettre en place sur le nombre de médiateurs scolaires : le renforcement des plateformes d'accompagnement social, notamment pour les enfants encore hébergés à l'hôtel. Leur scolarisation est évidemment une priorité absolue.
Et puis, nous en avons souvent parlé, avec le Secours Populaire en particulier parce que c'est un de nos combats, une des stigmatisations et des plus grandes discriminations est l'accès aux loisirs. Cet accès aux loisirs c'est aussi cette capacité, par exemple, à se créer des souvenirs, à partir en vacances. C'est donc ce que nous allons faire avec la création du Pass colo qui doit permettre de soutenir toutes les familles dans l'accès aux vacances de leurs enfants.
Sortir durablement de la pauvreté, c'est faire aussi en sorte que chacun puisse avoir un travail et surtout un travail qui paie. La question n'est pas juste le plein emploi, mais de garantir évidemment que cet emploi permette d'en vivre dignement. C'est l'un des enjeux majeurs de la Conférence sociale que nous aurons lundi avec la Première ministre et le ministre du Travail. Le Pacte concourt aussi à la réforme France Travail, et la réforme France Travail c'est d'abord comment faire pour accompagner ceux qui sont le plus durablement éloignés de l'emploi. Nous avons encore 16 % de Français bénéficiaires du RSA qui le sont depuis plus de dix ans. Cela veut dire qu'il est nécessaire d'avoir un accompagnement très spécifique parce que plus vous restez éloigné de l'emploi, plus il est extrêmement difficile d'y revenir. Il y a beaucoup d'étapes à franchir pour que ce soit possible, et puis il y a beaucoup de freins objectifs avant même que ce ne soit possible. C'est ce que je disais sur la garde d'enfant, sur l'estime de soi et évidemment sur la question de la santé.
L'idée est aussi de s'appuyer sur ce qui a marché sur un certain nombre d'expériences. Je pense au contrat d'engagement Jeunes en rupture, je pense aux expérimentations Sève, Convergence, Premières heures, Tapaj, bref beaucoup de dispositifs qui méritent aujourd'hui de changer d'échelle et surtout d'être renforcés.
Le deuxième axe du pacte vise à lutte contre la grande exclusion.
Vous nous aviez d'ailleurs interpellés sur l'insuffisante prise en compte des plus précaires dans le cadre de la précédente stratégie de lutte contre la pauvreté. Le premier levier pour lutter contre cela est évidemment la question de l'accès aux droits. Aujourd'hui, nous avons un taux de non-recours aux aides sociales, aux prestations sociales qui vient évidemment fragiliser encore plus les plus précaires. Je prends par exemple un chiffre, le minimum vieillesse (l'ASPA) : une personne sur deux qui pourrait y avoir recours ne l'utilise pas. Ce sont autant de personnes qui peuvent tomber dans une grande précarité juste parce qu'elles ne connaissent pas les aides, qu'elles n'osent pas les demander, qu'elles n'ont pas la capacité à faire les démarches. C'est la raison pour laquelle je souhaite que nous mettions en place ce qui est le grand chantier du ministère, à savoir la solidarité à la source. La solidarité à la source, ce n'est pas juste le pré-remplissage des différents dispositifs, même si je sais que cela simplifierait beaucoup de choses, mais au-delà de cela c'est surtout garantir que chacun ait accès à son droit, au juste droit, et éviter encore une fois ce non-recours.
C'est aussi justement le plan 100 % accès aux droits avec, aujourd'hui, 39 territoires qui y sont engagés. Au départ, 10 seulement étaient prévus. Si nous en avons 39, cela veut dire que cela fonctionne, que cela produit des effets directs. L'idée est bien que, dans ces territoires, nous allions directement vers les personnes concernées, celles qui n'iront pas forcément franchir la porte d'un certain nombre de nos institutions et services publics pour que nous les accueillions et les soutenions.
Enfin, le dernier axe de notre pacte qui, il faut bien le dire, était absent lors de la précédente stratégie, c'est la question de la transition écologique, parce que cette transition majeure que nous devons aborder peut aussi, malheureusement, laisser des gens au bord de la route.
L'idée est que, pour être juste, cette transition écologique doit bien évidemment être solidaire. Aujourd'hui, malheureusement, ce n'est pas cette logique qui prévaut, c'est même l'inverse, une espèce de sentiment de double peine de se dire que les personnes les plus fragiles, les plus précaires, sont celles qui participent le moins au dérèglement climatique mais qui en paient le prix sur leurs factures énergétiques, sur les questions d'énergie, de transport ou d'alimentation. Nous allons donc enfin créer cette jambe qu'il manquait dans le précédent pacte.
Et puis surtout, je tiens à le dire devant vous, la transformation que nous portons tous ensemble ne pourra évidemment pas se faire sans des professionnels impliqués. Je pense à tous les professionnels engagés dans le champ social et dans le champ médico-social. Toutes les réformes que nous portons sur la solidarité à la source, sur le non-recours, sur le service public de la petite enfance, sur l'accueil des personnes en situation de handicap, sur le vieillissement et l'adaptation de notre société au vieillissement, tout cela repose évidemment sur notre capacité à recréer des vocations, à recréer de l'envie de ces métiers et donc à s'en donner les moyens, à la fois financiers et des conditions de travail aussi qui doivent clairement changer parce que, au total, ce sont plus de 1,3 million de professionnels qui, tous les jours, sont les artisans de nos solidarités, en plus évidemment des millions de bénévoles de toutes les associations ici représentées. C'est pourquoi, en plus de toutes les mesures en faveur de la formation, de la revalorisation des salaires, des parcours professionnels, nous allons créer une École Nationale du Travail Social pour vraiment reconnaître la spécificité de ce métier et sa nécessité absolue. Nous travaillons en lien étroit avec Mathieu KLEIN, le maire de Nancy, qui va nous remettre dans les prochains jours ou prochaines semaines tout le travail qu'il a justement conduit sur l'enjeu du travail social et sur lequel nous allons grandement nous appuyer.
Avant de conclure, je voulais partager avec vous un dernier enjeu dont nous avons pu parler avec la Première ministre, qui est comment réussir à bien mesurer l'état de la pauvreté dans notre pays pour faire en sorte tout simplement de pouvoir mettre en place ces actions absolument nécessaires. La mesure de la pauvreté se focalise trop souvent uniquement sur le taux de pauvreté mais sans dire concrètement ce que vivent les personnes et les attentions plus spécifiques que nous devrions porter. Nous le savons, nous avons souvent des données qui nous arrivent trop tard, nous avons une difficulté à mesurer la situation de nos concitoyens les plus vulnérables quand ils ne vivent pas dans un logement dit ordinaire et nous avons encore souvent beaucoup une approche sur la question des revenus alors qu'en fait c'est la question des dépenses qui est absolument majeure. Cette connaissance aussi de la pauvreté dans notre pays doit nous aider, encore une fois collectivement, à prendre les bonnes mesures. Je serai donc particulièrement heureuse de revenir régulièrement devant vous pour vous entendre, et en particulier les personnes directement concernées, parce que, encore une fois, c'est toute la singularité et, je crois, l'apport majeur que représente le CNLE. Je crois que, dans le combat que nous devons collectivement mener contre l'exclusion, contre la pauvreté, nous devons réussir à faire prendre conscience à l'ensemble de nos compatriotes, à l'ensemble des Français, que ce combat doit tous nous concerner.
Je vous remercie.
Source https://solidarites.gouv.fr, le 5 janvier 2024