Interview de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à France Inter le 17 janvier 2024, sur la conférence de presse du président de la République, la politique de l'enseignement et les questions environnementales.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans " Le grand entretien " le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, vos questions sont attendues au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter. Christophe BECHU, bonjour.

CHRISTOPHE BECHU
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro au lendemain de la conférence de presse du président de la République, au cours de laquelle il a exposé les grands axes des trois prochaines années de son second quinquennat, le président s'est invité pendant deux heures vingt chez les Français, en prime time à la télévision, à la radio aussi, dites-nous selon vous quel était le message, quel cap a-t-il fixé ?

CHRISTOPHE BECHU
D'abord celui de montrer que, à un tournant du quinquennat, qui est à la fois dans une continuité de ce qu'il a initié depuis 2017, mais qui est marqué par la nomination de Gabriel ATTAL, d'un gouvernement resserré, d'un gouvernement jeune, il n'a à la fois rien perdu de sa volonté de continuer à réformer le pays, et il a fixé une liste de nouveaux défis et de nouveaux caps qui viennent compléter ceux sur lesquels il s'est fait élire et réélire par les Français en 2017 et en 2022. Et cet exercice, utile, précieux, en début d'année, quelques jours avant la déclaration de politique générale de Gabriel ATTAL, qui va voir l'occasion de détailler un calendrier de réformes, avec des temporalités, avec des précisions sur un certain nombre de sujets, il fixe, il pose le cadre, et en ce début d'année c'est particulièrement précieux, pas seulement pour le gouvernement, mais plus largement pour expliquer au pays les grands thèmes et les grands sujets sur lesquels on va travailler cette année.

LEA SALAME
Alors justement, les grands thèmes et les grands sujets, principalement et avant tout il y a l'école. Emmanuel MACRON a évoqué une France plus juste et plus forte, il a surtout, au fond dans son propos liminaire, notamment parlé d'école, parlé des jeunes, parlé des enfants, des écrans, en mettant l'uniforme, " La Marseillaise ", la régulation des écrans, au coeur de ses propositions, c'était ça la réponse, l'uniforme, " La Marseillaise ", la régulation des écrans, c'est sa réponse au besoin d'ordre et d'autorité de la France, c'est ça le grand cap ?

CHRISTOPHE BECHU
C'est un des caps. Ce que je veux dire c'est qu'on a bien vu, y compris il y a quelques mois, avec les émeutes, avec les critiques qui ont pu arriver au moment du dernier classement Pisa, avec ce qu'on constate, qu'il y a un besoin de soutenir notre école, de faire en sorte, aussi, de remettre un cadre qui soit un cadre d'autorité. Alors, j'entends ceux qui vont critiquer telle ou telle mesure, mais, à un moment, entendre un président de la République qui se penche sur un sujet, qui dans beaucoup de familles inquiète, qui est celui de la place des écrans dans la vie des enfants, c'est plutôt quelque chose qui me réjouis parce que ça montre une connexion avec le terrain et une capacité à s'interroger, tout azimut, sur ce qui peut relever d'un besoin de cadre et d'autorité, sur ce qui peut relever parfois du symbole, et je dirais aussi des moments républicains dans lesquels on fait nation quand on voit à quel point il y a des choses qui sont susceptibles de se déliter, et en même temps de regarder en face ce que sont des nouveaux défis, pour les familles et pour l'école.

NICOLAS DEMORAND
Sophie VENETITAY, la secrétaire générale du syndicat SNES-FSU, sur l'école, a trouvé ce discours assez affligeant, " il est consternant de voir ce président qui disserte sur l'école du passé alors qu'on est quasiment dans une situation d'effondrement de l'école publique " dit-elle, que lui répondez-vous ?

CHRISTOPHE BECHU
Je réponds que l'exercice qui consiste à critiquer les propos du président de la République est assez classique au lendemain d'une intervention. Je réponds que le fait d'avoir des organisations syndicales qui, par principe, considèrent même parfois que les politiques ne devraient pas se mêler de ce qui concerne l'école, est là aussi une figure rhétorique assez classique. Mais sur le fond, reprocher au président de la République qui a lancé le dédoublement des classes, en particulier de CP et de moyenne section dans les quartiers prioritaires, reprocher à un président de la République qui a remis des moyens budgétaires dans les écoles, reprocher à un président de la République qui vient d'annoncer des milliards d'euros qui vont être consacrés à ce qu'on puisse rénover thermiquement les 40 000 écoles de ce pays, de ne pas se préoccuper d'école ça relève sincèrement d'une pure figure de style.

LEA SALAME
Et sur ce slogan qui a beaucoup fait parler depuis hier, qu'il a utilisé, qu'il a revendiqué Emmanuel MACRON, " pour que la France reste la France ", slogan qui a déjà été utilisé par LR, par Eric CIOTTI, même par Eric ZEMMOUR, vous avez compris ce que ça veut dire " pour que la France reste la France ", quel est le message, qu'elle n'est plus la France ?

CHRISTOPHE BECHU
Je ne crois pas du tout ça. J'ai été extrêmement surpris, si vous voulez, qu'on aille chercher la paternité sémantique d'une phrase de cinq mots, c'est comme si on considérait qu'on ne peut par exemple plus utiliser " merci pour ce moment " au motif que ça a été le titre d'un ouvrage célèbre et qu'il y aurait en quelque sorte des droits d'auteur à verser à celle qui l'aurait dit pour la première fois.

NICOLAS DEMORAND
…Il y a des mots qui sont chargés.

CHRISTOPHE BECHU
Oui, mais ce que je veux dire c'est qu'il faut quand même qu'on fasse attention à ne pas les charger, y compris des phrases qui ont le mérite de la simplicité, en leur prêtant des sous-entendus qu'elles n'ont pas. Personne ne peut nier qu'aujourd'hui…

LEA SALAME
Mais " pour que la France reste la France ", oubliez les comparaisons avec les autres, " pour que la France reste la France " ça voudrait dire qu'elle ne l'est plus ?

CHRISTOPHE BECHU
Je vous réponds. Il ne vous aura pas échappé qu'on est dans des désordres géopolitiques, avec le retour de la guerre en Europe qui semblait " désintensé ", avec la pression du terrorisme, avec un sentiment à la fois global que le monde occidental aujourd'hui est en perte de vitesse, avec des interrogations sur la place, y compris parfois sur l'actualité des valeurs qui peuvent être défendues, y compris de la démocratie, qui s'invite ensuite chez nous sur les traditions, sur ce que sont nos identités, nos valeurs, et donc que le président de la République prenne le sujet à bras le corps en disant il faut à la fois qu'on avance dans la modernité et en même temps qu'on soit capable de s'appuyer sur le génie de ce qui a fait ce pays, non seulement ça ne me choque pas et je trouve que cette phrase elle le résume bien.

LEA SALAME
Christophe BECHU, venons-en à votre portefeuille. Alors, vous n'étiez pas parmi les ministres présents hier, d'ailleurs ça a été relevé par une question de journaliste, et pour cause, vous étiez à la cellule de crise sur la neige, le verglas et les intempéries, on va en parler dans un instant, et ensuite vous étiez au Sénat parce qu'il y avait un débat sur la transition écologique, si j'ai bien compris, donc ça…

CHRISTOPHE BECHU
Parfaitement compris.

LEA SALAME
C'est pour ceux à qui votre présence a manqué. Emmanuel MACRON l'avait promis pendant sa campagne il y a deux ans, " ce quinquennat sera écologique ou ne sera pas ", il a dit ça, et il a ensuite, deux ans après, hier soir, fixé son grand cap pour le quinquennat, pour les trois ans qui restent, l'écologie il n'en a pas parlé, il a fallu attendre 45 minutes. Cette conférence de presse devait fixer le cap, le cap n'est plus l'écologie ?

CHRISTOPHE BECHU
Il a attendu trois quarts d'heure pour avoir la première question sur le sujet.il ne vous a quand même pas échappé que c'était une conférence de presse et il a répondu aux questions…

LEA SALAME
Non, mais il a fait 30 minutes…

CHRISTOPHE BECHU
Dans son propos liminaire…

LEA SALAME
Il a fait un propos liminaire où…

CHRISTOPHE BECHU
Je vais vous répondre. Dans son propos liminaire, il a été, à ma connaissance, le premier président de la République, dans ce pays, à évoquer un sujet de transition écologique qui était jusqu'à maintenant le parent pauvre à la fois de la réflexion et des politiques publiques, la question de l'adaptation. L'adaptation au dérèglement climatique, qui est un chantier que nous avons lancé il y a tout juste un an, et sur lequel j'aurai l'occasion dans les tout prochains jours de faire à la fois un point et qui va venir marquer la totalité de ce semestre, c'est comment, par rapport à un dérèglement climatique qui est réel et dont nous constatons les effets, la sécheresse de 2022, les inondations qu'on est en train de vivre, ce qui s'est passé à la Vésubie, le cyclone, comment on adapte notre pays, comment on les protège. Non seulement le président a tenu un propos liminaire là-dessus, mais il l'a ensuite décliné au moment où il a eu cette question. Et je veux dire la chose suivante. Le cap sur l'écologie il a été fixé quand en septembre 2023 le président a présenté la planification écologique, c'est à la fois la première fois que notre pays se dote d'un outil de ce type, et nous sommes le premier pays, de toute l'Europe, à annoncer une planification écologique, à la mettre en oeuvre. On n'a jamais autant fait en termes de budget, on n'a jamais autant fait en termes de baisse d'émissions, et on s'apprête maintenant à décliner toute la partie biodiversité pour laquelle une stratégie nationale a été présentée juste avant Noël.

LEA SALAME
Mais vous dites vous-même… le président de la République vient en prime time pendant deux heures et demie, venir expliquer, parler aux Français en ce début d'année, leur dire " voilà, mon cap pour les trois ans, ça va être ça, ça, ça ", il fait un propos liminaire de 30 minutes, que l'écologie n'y soit pas est…

CHRISTOPHE BECHU
Non, il a dit le temps…

LEA SALAME
Qu'est-ce ça veut dire en fait, on essaye de comprendre l'exégèse ?

CHRISTOPHE BECHU
Il a dit, sur l'écologie, " le temps n'est plus aux annonces, il est à la mise en oeuvre. " Depuis le début du mois d'octobre, le tour de France de l'écologie dans lequel je suis, qui consiste à aller région par région, au contact des élus locaux pour faire en sorte que dans toutes les communes de ce pays s'invitent ces questions écologiques pour qu'on puisse préciser un cap, maintenant, avec les collectivités locales. Le travail il a été fait sur le plan de l'Etat, il faut maintenant que ce soit un sujet qui soit approprié par les collectivités territoriales et par nos concitoyens.

NICOLAS DEMORAND
Christophe BECHU, le président de la République a déclaré qu'il fallait supprimer les normes, réduire les délais, il faut la France du bon sens contre la France des tracas, visait-il les normes environnementales et si oui lesquelles ?

CHRISTOPHE BECHU
Il vise par définition toutes les normes. On a parfois été trop loin au nom du principe de précaution, et je vais vous donner un exemple très concret qui est d'actualité et qui concerne le Pas-de-Calais. On a aujourd'hui des restrictions en matière des curages des cours d'eau, pour des raisons qui sont des raisons écologiques de continuité, de faire attention sur les sédiments, etc., mais on s'aperçoit que, en allant très, très loin, en imposant aujourd'hui jusqu'à neuf mois d'études avant de pouvoir commencer des travaux de curage, on se complique la vie pour protéger les populations quand on a des inondations. Il ne s'agit pas de dire on ne fait plus rien, il s'agit de passer de neuf mois à six semaines, c'est une manière de tenir compte d'une réalité parce qu'on a besoin de s'adapter précisément à des dangers nouveaux.

LEA SALAME
Puisque vous parlez des habitants du Pas-de-Calais, c'est vrai qu'ils vivent une situation très très difficile depuis des semaines et des semaines, vous leur dites quoi ce matin, quand est-ce que vous allez commencer véritablement à pomper l'eau et quand est-ce qu'il n'y aura plus d'eau, et est-ce que vous leur dites, parce que vous l'avez laissé entendre, il va falloir partir, il va falloir quitter vos habitations ?

CHRISTOPHE BECHU
Alors, je leur dis trois choses. Je leur dis lundi les travaux ont commencé, c'est, sur l'Audruicq, par VNF, des travaux de curage, c'est sur l'Aa le fait d'enlever les embâcles, et à l'occasion de la visite de Gabriel ATTAL la semaine dernière, pour son tout premier déplacement, aux côtés à la fois des habitants du Pas-de-Calais et de l'ensemble des élus, c'est tout un plan qu'on est en train de décliner, avec un volet urgence qui va être, qui va continuer à être précisé, et un comité de suivi hebdomadaire que j'aurai l'occasion d'animer très bientôt. Deux, nous lançons ce qu'on appelle un plan de résilience - oublions les mots - ça veut dire deux choses, un, on ne peut pas continuer comme ça sur le plan de qui fait quoi. Aujourd'hui, une des raisons pour lesquelles les choses sont compliquées, c'est qu'on a des C.L.E, des S.A.G.E, les Wateringues, des EPCI, et derrière tous ces sigles il y a des gens qui ont un bout du territoire ou un bout de responsabilité, sauf que vous ne pouvez pas, en particulier en matière d'évacuation des eaux, ne pas avoir un chef et un patron, et il faut qu'on mette en place un établissement public de bassins qui permette de mettre tout le monde sous une seule bannière. Deux, le premier job de cet établissement ça va être de dire comment est-ce qu'on actualise la carte des zones qui sont les zones inondables et donc quels sont les secteurs où nous considérons désormais qu'il ne serait plus raisonnable de délivrer des autorisations et des permis de construire, voire d'aller plus loin, en assumant le fait qu'il y a des secteurs où on pourra racheter les maisons de ceux qui sont dans des cuvettes qui risquent d'être inondées à nouveau, en les indemnisant, et donc en leur permettant de refaire leur vie ailleurs. Je vous signale que c'est ce qui s'est passé en Vendée après Xynthia, c'est ce qui s'est passé dans d'autres endroits de France, c'est le travail que nous lançons en termes de cartographie avec les élus.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 janvier 2024